Voyer, C - Sparhubert, E (dir.): L’image médiévale: fonctions dans l’espace sacré et structuration de l’espace cultuel. IV+396 p., 62 b/w ill. + 20 colour ill., 156 x 234 mm, ISBN: 978-2-503-52396-5, EUR 65,00
(Brepols Publishers, Turnhout 2011)
 
Rezension von Judith Soria, Centre allemand d’histoire de l’art – Paris
 
Anzahl Wörter : 2458 Wörter
Online publiziert am 2016-09-20
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1939
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          L’ouvrage, qui aborde l’image médiévale dans son contexte spatial, a pour noyau les communications des journées d’études des 3 et 4 juin 2004 au CESCM à Poitiers, d’autres contributions étant venues l’enrichir. Une préface d’Éric Palazzo ouvre le recueil et le place dans la lignée des recherches abordant l’espace sacré au Moyen Âge occidental. On peut ajouter aux ouvrages cités celui paru depuis sous la direction d’Anne Baud en 2010 (Baud, Anne [dir.], Espace ecclésial et liturgie au Moyen Âge, Travaux de la Maison de l’Orient 53, Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux, Lyon 2010) puisque les thèmes abordés dans la troisième partie de l’ouvrage (la seule à traiter directement la figuration) sont très proches de ceux abordés dans le livre qui nous occupe. Le titre général de l’ouvrage, L’image médiévale est complété d’une double proposition qui annonce le contenu. Ce recueil s’intéresse donc aux fonctions de ces images (le pluriel aurait peut-être été plus approprié au vu de la diversité des types d’images qui sont abordées) dans l’espace sacré et à leur rôle de structuration de l’espace cultuel. Ces propositions annoncent la composition et le contenu du livre. L’ouvrage est en effet composé de douze articles répartis en quatre parties : l’architecture du lieu sacré ; les fonctions de l’image dans le lieu cultuel ; l’image et son lieu ; structure de l’image et rapport avec l’espace sacré.

 

          La première partie réunit quatre études centrées chacune sur un monument. Les auteurs analysent non seulement la fonction de certains dispositifs architecturaux, mais cherchent aussi à en déceler la dimension iconique. Cette approche de l’architecture du lieu sacré est globale (plan, architecture, couvrement, décor figuré ou non, références visuelles etc.) et les monuments et leurs partis architecturaux sont abordés notamment en tant que manifestations des projections des commanditaires ou des personnes impliquées dans leur réalisation. Outre leur valeur fonctionnelle, l’attention portée à la valeur iconique des œuvres permet de dépasser l’analyse de la simple fonction de l’espace ainsi crée. Les ambitions des commanditaires peuvent transparaître des archives mais aussi du monument, de l’œuvre en elle-même, qui est le point de départ de la réflexion des auteurs. La cathédrale romane de Pampelune et ses dépendances (cloîtres, salle capitulaire, palais de l’évêque, réfectoire etc.) sont peu documentées archéologiquement. C’est donc en mobilisant toutes les données à sa portée que E. Carrero Santamaría en reconstitue la physionomie mouvante du XIIe jusqu’au XVIIIe siècle. Axant sa démonstration sur l’évolution des fonctions des différents bâtiments, il montre comment les espaces dévolus au chapitre ont sans cesse gagné sur les autres, de manière à ce que, pour les Chanoines de Pampelune, soit rendu tangible le prestige de leur institution, vénérable tant par sa taille que par son ancienneté.

 

          Les trois articles qui suivent montrent comment un parti architectural peut être choisi pour les références qu’il mobilise et comment des relations d’intervisualité se mettent en place entre différents monuments ou parties de monuments. Ainsi le chevet rayonnant de Saint-Léonard de Noblat (É. Sparhubert) évoque les églises de pèlerinage du chemin de Compostelle et permet de rattacher le bâtiment à ce groupe, auquel il appartient de fait, sans pour autant permettre une circulation plus fluide des pèlerins (en raison de l’étranglement entre le transept et les dernières travées du chœur). L’auteur montre que le clergé de Saint-Léonard avait d’autres considérations que la valeur fonctionnelle de l’ouvrage concernant le choix du chevet rayonnant.

 

          À l’église Notre-Dame de l’Assomption à Jou-sous-Monjou, la paroi cloisonnant le chœur l’apparente bien sûr au portail, jouant sur sa fonction de seuil et de lieu de passage entre deux lieux au sein même de l’espace ecclésial. C. Roux montre également comment le décor participe de cela : non seulement il accentue l’assimilation au portail, mais il renforce encore par sa disposition, la circonscription de l’espace sacré et souligne le parti architectural.

 

          Les maîtres d’œuvre de l’Hôtel-Dieu de Beaune jouent également sur la valeur iconologique des partis architecturaux et sur leur polysémie (D. Sécula) : la dimension sacrée du devoir d’assistance apparaît ainsi au travers de la proximité de l’autel et des hôtes dans la chambre des pauvres, mais aussi au travers du plan même de l’édifice qui tend à le rapprocher d’un palais, matérialisant dans l’architecture l’expression « nos seigneurs les malades » (p. 118). Il permet également de rendre de façon tangible l’autorité ducale, liant les implications sacrée et séculière de l’hospice.

 

          Les fonctions de l’image dans le lieu cultuel sont l’objet d’une seconde partie. Plus modeste par la taille, elle est composée d’une brève introduction et de deux articles. Dans l’un, (Th. Creissen) le lieu cultuel désigne l’espace intérieur des églises de Saint-Dominique et de Saint-Laurent de Zadar, dans l’autre (A. Lamauvinière), c’est la ville de Troyes et ses extensions qui font lieu cultuel. L’auteur analyse en effet le rituel d’intronisation de l’évêque qui se déroule dans la ville, et les processions qui occupent l’espace urbain, faisant circuler hors du lieu restreint de l’église l’évangéliaire, qui matérialise le Verbe divin. L’espace cultuel se trouve ainsi largement élargi par le déplacement de cet objet sacré au court d’une cérémonie religieuse. Les plaques de chœur qui proviennent des églises dalmates de Zadar sont analysées dans le contexte de leur insertion dans l’espace. Th. Creissen propose de lire leur contenu iconographique de manière chronologique ; dans la mesure où l’histoire de l’Incarnation (annonciation, visitation etc.), qui se trouve sur les deux plaques de chœur en question précède la Passion dans le récit des Évangiles, et que cette dernière est symbolisée par l’autel sur lequel se rejoue le sacrifice eucharistique du Christ, la disposition narrative déborderait en quelque sorte du cadre proprement figuré pour se diffuser dans l’espace cultuel. Cette idée féconde permet de penser le lieu sacré non seulement comme « lieu d’images » pour reprendre l’heureuse expression de J. Baschet, mais également comme lieu de récit. Il faudrait peut-être insister plus sur la double fonction de séparation et de passage de ces barrières de chœur, d’autant plus que l’histoire de l’enfance présente des événements au cours desquels la séparation entre le divin et l’humain est franchie, non seulement par l’Incarnation, mais aussi au travers de différents phénomènes de communication. Ainsi, sur la plaque provenant de l’église Saint-Dominique, l’Annonciation ouvre le récit (descente de l’esprit saint fécondant la Vierge), qui se ferme sur le Baptême (descente de l’esprit saint engageant à reconnaître le fils de Dieu). C’est d’ailleurs à un emplacement similaire (sur l’arc triomphal, ou de part et d’autres de l’abside) que l’Annonciation est fréquemment représentée aussi bien dans les églises latines que byzantines. Le thème de la reconnaissance du Fils de Dieu est également présent de part et d’autre du passage axial. Aussi bien les rois mages qu’Hérode reconnaissent le Fils de l’homme. Pourtant la réaction d’Hérode trahit la confusion entre le temporel et le spirituel. Cette attention au contenu narratif de la plaque permet de donner du poids à la lecture politique du programme des plaques dans un contexte de réforme grégorienne avancée par M. Jurkovi et repris par Th. Creissen (p. 147). La rigueur de la composition narrative de la plaque de l’église Saint-Dominique est en effet frappante : le récit est tout entier tourné vers cette question de la division entre sacré et profane et entre temporel et spirituel.

 

          La troisième partie s’intitule L’image et son lieu. Elle est donc proche thématiquement de la précédente, dont elle se distingue par l’approche méthodologique. Au principe selon lequel l’image a une fonction (ou des fonctions) dans le lieu cultuel, succède celui d’une interaction plus forte entre l’image et le lieu qui est le sien, suggéré par la simple conjonction entre les deux noms. L’ambition est donc d’appréhender l’image globalement avec son lieu et cela de façon réciproque et dynamique. La partie est introduite par un long texte de Jérôme Baschet, dont le contenu nous est déjà parvenu à travers l’Iconographie médiévale qu’il a publié en 2008. Trois articles tentent de répondre à cette proposition méthodologique. L’iconographie des peintures du réfectoire du prieuré de Roncenac suggère une complémentarité entre la nourriture corporelle et la nourriture spirituelle, en relation évidente avec la fonction du lieu (Pascale Brudy). Le décor de la crypte de Saint-Aignan sur Cher est également appréhendé par son iconographie. Cécile Voyer montre comment le « réseau d’images » (terme qu’elle utilise pour « programme iconographique » et qu’elle lui préfère) conduit à une interprétation de l’ensemble comme un plaidoyer en faveur des soins du corps et de l’âme, en relation avec d’autres institutions sous la responsabilité des chanoines et finalement de la confession, nécessaire au Salut. Il nous semble que, au delà des résonnances entre l’image et son lieu, cette contribution montre comment les images parviennent à structurer l’espace. En effet, le Christ dans l’abside apparaît comme facteur commun, distribuant les pouvoirs de thaumaturges aux autres saints représentés dans les chapelles rayonnantes. Ce motif de la distribution est évidemment renforcé par l’iconographie du traditio legis de l’abside. À ce titre, cet article aurait peut-être eu avantage à être placé dans la dernière partie du recueil. Enfin, le dernier article de cette section concerne le cycle narratif de la vie de saint Ouen à l’église abbatiale qui lui est dédiée à Rouen. Très riche, il aborde avec succès de nombreuses facettes du programme iconographique, dont son rôle politique, sa fonction dans le culte des reliques, sa construction narrative et d’une manière générale ses fonctions dans l’espace du sanctuaire, ce qui tendrait à le rattacher à la section précédente sur les fonctions de l’image dans l’espace cultuel.

 

          La quatrième partie comporte trois articles rassemblés autour de la structure de l’image, mais aussi de l’espace dans lequel elle s’inscrit. Cette notion est abordée d’abord grâce à l’épigraphie au sein d’un programme iconographique complexe à Saint-Savin (V. Debiais). L’analyse du matériel épigraphique peint conservé dans la voûte de la nef et dans la crypte de l’abbaye interroge non seulement l’association du texte et de l’image, mais montre également comment la présence même du texte permet de structurer l’espace plastique notamment en soulignant la dynamique axiale du bâtiment. Dans la contribution d’A.-O. Poilpré, l’espace structuré par l’image est celui du livre. Se penchant sur un nouveau type d’image royale qui apparaît dans les manuscrits bibliques au milieu du IXe siècle, elle montre comment cette image prend place et participe à créer un espace dans le livre. Un lieu propre au souverain est circonscrit au travers de procédés plastiques et iconographiques. En outre, son inscription au sein d’un temps chrétien grâce à la présence de ces images dans des manuscrits contenant des textes bibliques, permettent en effet l’évocation d’une société idéalement régie dans le laps qui le sépare de la seconde venue du Christ vers lequel il tend. Les images peuvent également participer à la définition des différentes valeurs d’un espace défini, comme le montre la dernière contribution au sujet du cloître-cimetière de San Pedro de la Rúa à Estella en Navarre (R. Del Porto Ortúzar et S. Biay). L’orientation des chapiteaux historiés et leur iconographie permettent aux faces regardant le cimetière de souligner la symbolique allégorie du jardin comme paradis, quand celles orientées vers la galerie qui longe l’église mettent en évidence la signification ecclésiologique de l’édifice.

 

          Certaines communications, d’une grande richesse, approfondissent et renouvellent les multiples façons d’approcher les images médiévales. L’espace cultuel et l’espace sacré, qui apparaissent tous les deux dans le titre, sont appréhendés dans une grande diversité de sens. Les différentes études développent donc une réflexion sur ces notions de lieu et d’espace, notamment lorsque le livre est appréhendé comme un espace (A.-O. Poilpré) ou qu’il participe à la sacralisation de l’espace, créant un lieu cultuel mobile au sein de la ville dans le cas des processions (A. Lamauvinière). Un autre aspect, qui n’est pas l’objet d’une partie mais qui se lit en filigrane dans un certain nombre de contributions réparties à l’intérieur des trois dernières sections est l’importance des images narratives dans la structuration de l’espace et dans la sacralisation du lieu (notamment Th. Creissen, Fr. Thénard-Duvivier, R. Del Porto Ortúzar et S. Biay). À propos de la composition de l’ouvrage, aux remarques qui ont déjà été faites on peut ajouter une interrogation sur la pertinence des introductions dont bénéficient deux des parties, contrairement aux autres : le texte ouvrant la deuxième partie est succinct, et les articles de la troisième partie, intéressants et de bonne qualité, ne répondent pas tout à fait aux problèmes soulevés par les réflexions de Jérôme Baschet ; d’ailleurs l’opportunité d’une introduction dont le contenu a entre temps été publié entièrement peut être questionnée. On déplore d’assez nombreuses fautes (mots manquants, erreurs typographiques, confusions dans les renvois aux planches, etc.) qu’il faut imputer à la maison d’édition. Cela est particulièrement regrettable de la part d’un éditeur de ce niveau et dont les prix de vente pratiqués sont plutôt élevés. La qualité du présent ouvrage est cependant indéniable et les études qu’il contient profitent grandement aux recherches actuelles sur l’articulation des images avec l’espace dans lequel elles s’inscrivent.

 

 

Sommaire

 

P. 5. Préface / Éric Palazzo

Première partie, L'architecture du lieu sacré : valeur iconique, espaces, images

P. 9. La cathédrale romane de Pampelune : espaces et fonctions, certitudes et hypothèses / Eduardo Carrero Santamaría

P. 41. Sur la route de Compostelle : le chevet d'une "église de pèlerinage" à l'épreuve de la liturgie, Saint-Léonard-de-Noblat / Eric Spahubert

P. 69. Sanctuaire et chœur "fermés" : observations sur le dispositif cloisonnant de l'arc triomphal étroit dans l'architecture romane; l'exemple de Jou-sous-Monjou (Cantal) / Caroline Roux

P. 93. L'hôpital médiéval, un lieu sacré ? Approche iconologique d'un monument emblématique : l'Hôtel-Dieu de Beaune / Didier Ségula

 

Deuxième partie, Les fonctions de l'image dans le lieu cultuel

P. 129. Les fonctions de l'image dans le lieu cultuel : historiographie et problématique / Daniel Russo

P. 135. Deux ensembles de plaques de clôture de chœur provenant de deux églises de Zadar, Saint-Laurent et Saint-Dominique / Thomas Creissen

P. 159. L'utilisation d'un livre juratoire et processionnel dans l'espace urbain troyen au Moyen Âge central / Abel Lamauvinière

 

Troisième partie, L'image en son lieu

P. 179. L'image en son lieu : quelques remarques générales / Jérôme Baschet

P. 205. De l'image à la lecture : le décor peint conservé dans le réfectoire du prieuré de Ronsenac / Pascale Brudy

P. 221. Les images peintes de la crypte de Saint-Aignan-sur-Cher : une image de la confession / Cécile Voyer

P. 239. Construction et fonctions d'un récit hagiographique sculpté : le portail méridional de Saint-Ouen de Rouen (XIVe siècle) / Franck Thénard-Duvivier

 

Quatrième partie, Structure de l'image et rapport avec l'espace sacré

P. 301. Du sol au plafond : les inscriptions peintes à la voûte de la nef et dans la crypte de Saint-Savin-sur-Gartempe / Vincent Debiais

P. 325. Le portrait royal en trône sous le règne de Charles le Chauve : l'espace contraint de la royauté / Anne-Orange Poilpré

P. 341. Silence, ça tourne... La structure narrative des chapiteaux hagiographiques du cloître-cimetière de San Pedro de la Ruà à Estella / Renée Del Porto Ortúzar et Sébastien Biay