Schoske, Sylvia – Wildung, Dietrich : Persönlichkeiten. Bildnisskulptur der Nachamarnazeit. (Aegyptiaca Monacensia 1), 76 S., zahlr. Farb- und S/W-Abb., 24 x 17 cm; kartoniert, ISBN 978-3-85161-099-4, 24.90 €
(Phoibos, Wien 2013)
 
Reviewed by David Lorand, FNRS (Belgique) - Université libre de Bruxelles
 
Number of words : 1604 words
Published online 2013-12-16
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1942
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          Le présent ouvrage est le premier d’une série nouvellement créée au Staatliches Museum ägyptischer Kunst (Aegyptiaca Monacensia), dont le but est de promouvoir les résultats des recherches effectuées au sein du musée bavarois.

 

          Dans l’avant-propos (p. 11), S. Schoske signale l’importance du momentum historique, pour les pratiques artistiques, de la fin de la période amarnienne. Un choix s’impose aux artistes libérés des contraintes stylistiques définies par Akhénaton : soit revenir aux canons pré-amarniens, soit jouir des innovations possibles et reconstruire de nouveaux référentiels plastiques. La collection égyptienne de Munich permet de saisir les diverses solutions artistiques développées après la fin de « l’hérésie amarnienne ». Le présent ouvrage est en outre l’occasion de publier et mettre en valeur une œuvre illustrant selon toute vraisemblance le vizir Pa-Ramessou, actif sous le règne d’Horemheb. Cette pièce, acquise par la fondation Ernst von Siemens est actuellement exposée dans les galeries du musée munichois.

 

          Les auteurs indiquent que les moments de la naissance et de la mort suscitent une crainte, une peur, particulière et, le cas échéant, l’instauration d’un tabou quant à leur représentation (p. 13). Dans les pratiques artistiques de l’Égypte pharaonique, l’état de mort imminente est ainsi matérialisé par la frontalité des individus, que ce soit les défunts errant dans l’inframonde, ou les ennemis massacrés par Pharaon, ce qui les distingue très nettement des autres figures humaines ou animales vivantes (en pseudo-profil). Il n’y a de même, précisent les auteurs, pas de scènes iconographiques explicitement liées à la conception des enfants et à leur mise au monde. Les seules exceptions placent en réalité ces scènes dans une proximité plus ou moins grande avec le monde des dieux, comme dans le papyrus Westcar (naissance miraculeuse des rois de la Ve dynastie), ou les scènes de théogamie d’Hatchepsout et d’Amenhotep III.

 

          Les émotions du quotidien sont, à l’inverse, très présentes dans les nombreuses représentations de la famille d’Akhénaton : les souverains et leurs enfants s’embrassent, mangent, boivent, etc. Toutefois, le motif de l’embrassade n’est pas neuf et se trouve déjà attesté au Moyen Empire (voir le pilier de Sésostris Ier et Ptah, Caire JE 36809), et les auteurs de suggérer une possible reformulation de cette icône au sein de laquelle la reine agit vis-à-vis d’Akhénaton tout comme le pharaon Sésostris Ier se comporte à l’égard du dieu Ptah. Les acteurs changent, mais le propos théologique demeure identique.

 

          Parallèlement à cela se met en place une nouvelle iconographie des actions cultuelles, passant notamment par la « réification » iconographique du dieu Aton aux dépens de ses représentations hybrides antérieures (homme à tête de faucon), le dieu étant désormais un unique disque lumineux d’où émergent des mains pourvoyeuses de vie. Cette rupture s’accompagne de la disparition brutale des statues de particuliers dans les temples et les espaces publics, et même dans leurs tombes personnelles. En lieu et place des longues litanies autobiographiques figurent désormais des représentations royales. Le couple pharaonique est devenu le seul intercesseur auprès des dieux. La théologie atonienne ne laisse, d’après les auteurs, plus aucune place aux pratiques de dévotion par l’intermédiaire des figurations de hauts fonctionnaires civils ou religieux. Seules trois statues de particuliers sont ainsi référencées par les auteurs (p. 17, n. 18). Le cas des études de visages de particuliers en plâtre, mises au jour dans les ateliers de sculpteurs, constitue un défi interprétatif : loin des canons stylistiques utilisés précédemment, elles se caractérisent par une forme de réalisme saisissante, et au vu de la difficulté à leur fournir une fonction précise, les auteurs suggèrent que ces représentations « waren l’art pour l’art (en français dans le texte) ».

 

          Aussi, la fin de la période amarnienne marque le renouveau spectaculaire de la statuaire privée, d’emblée d’une très haute qualité technique et stylistique. Les œuvres retrouvent leurs contextes d’exposition précédents et les figures divines sont à nouveau mises à l’honneur dans leurs sanctuaires finalement rouverts (p. 19).

 

          Parmi ces œuvres de particuliers figure le Nakhtmin de Munich (ÄS 5560). Stylistiquement proche des pièces produites durant le règne d’Amenenhotep III, l’œuvre provient sans doute de la région thébaine (peut-être même de Karnak). Son parallèle le plus proche est la statue du Museo Archeologico Nazionale de Venise (inv. 796) qui arbore sur sa poitrine un cartouche au nom du pharaon Ay. Le Nakhtmin de Munich est de même très semblable à son homonyme CG 779 du Musée d’art égyptien ancien de Louqsor (précédemment conservé au Musée égyptien du Caire). Dans la mesure où ce dernier est un contemporain de Toutankhamon, il est envisageable que l’individu de Munich date lui aussi de cette période couverte par les règnes de Toutankhamon et Ay (p. 20 sq).

 

          Une autre œuvre statuaire, achetée en 2010 par la fondation Ernst von Siemens et précédemment dans la collection M. Nahman (dispersée chez Drouot en 1953), est très proche du Nakhtmin signalé auparavant. Le rendu de la perruque n’autorise toutefois pas de les assimiler l’un à l’autre, indiquent les auteurs, tout comme certains autres détails, tels la construction plastique de la bouche. Dans la mesure où l’œuvre ne présente pas l’aspect sensiblement impersonnel des productions ramessides, les auteurs suggèrent d’y voir une pièce de la fin du règne d’Horemheb. Il s’agit probablement du type iconographique du porte-étendard comme le laissent croire les traces d’arrachement sur le côté gauche de la perruque. Dans le haut du dos, un nœud typique des robes vizirales est figuré en relief. Ces divers indices conduisent très certainement à identifier le vizir d’Horemheb Pa-Ramessou, le futur Ramsès Ier.

 

          Si les deux statues de Nakhtmin et de Pa-Ramessou font le lien entre le « beau style » d’Amenhotep III et le début du classicisme ramesside, Nakhtmin présente encore les influences plastiques de la période amarnienne alors que Pa-Ramessou en est totalement exempt (p. 23 sq).

 

          La tête ÄS 6296 de Munich laisse à penser que si les pratiques artistiques de la région thébaine reviennent à une certaine tradition antérieure à la période amarnienne, le reste du pays ne connaît pas nécessairement, en la matière, de rupture brutale à la fin du règne d’Akhénaton. Cette tête, qui doit dater du règne de Toutankhamon ou de celui de Ay, au vu du rapprochement fait par les auteurs avec la statue d’Horemheb scribe conservée au Metropolitan Museum of Art (MMA 23.10.1), est plastiquement proche de la conception générale des visages en plâtre des particuliers trouvés à Amarna. Or cette tête, sans provenance initiale, a pu être rapprochée d’un groupe statuaire acéphale mis au jour à Saft el-Henna en 1910 (Le Caire JE 46600), le raccord parfait ayant été démontré au Caire à l’aide d’un moulage de la tête munichoise. Ce groupe statuaire, usurpé à la XXIIe dynastie, a sans doute été déménagé à Saft el-Henna depuis Memphis.

 

          D’après les auteurs, c’est le caractère cosmopolite de la ville de Memphis qui pourrait expliquer la survivance partielle de traits stylistiques amarniens dans la production locale, à la différence de la réaction de rejet réservée par les ateliers thébains après la mort d’Akhénaton. Cette continuité partielle dans la région memphite se retrouve entre autres dans les reliefs ornant les tombeaux des principaux hauts fonctionnaires à Saqqara, comme celui d’Horemheb avant qu’il ne devienne pharaon.

 

          Les auteurs précisent que si cette tête date de la période couverte par les règnes de Toutankhamon et Ay, le dédicant originel doit sans doute être ce même Horemheb au vu de certains traits plastiques et stylistiques. L’identité des deux personnages féminins est plus délicate à déterminer (p. 26 sq).

 

          Une dernière pièce est étudiée par les auteurs : la tête inachevée ÄS 7229, dont le traitement des yeux « en sfumato » (la référence à Paul Gilbert doit être lue comme un renvoi à Pierre Gilbert) laisse deviner une production de l’époque amarnienne. Toutefois les auteurs indiquent que ce critère plastique n’est pas aussi décisif qu’il pourrait paraître de prime abord. En effet, ce type de traitement est attesté dès le règne d’Amenhotep III et ce jusque dans le courant du règne de Ramsès III. En outre, il ne s’agit, dans le cas d’espèce, pas d’un effet intentionnel au regard de l’inachèvement manifeste de l’œuvre. Le parallèle le plus proche est à chercher dans une pièce du Museo Egizio de Florence (inv. 1730 [6316]) et la tête de Munich doit sans doute dater de la fin du règne d’Horemheb (p. 34 sq).

 

          Après ces quelques cas d’étude, l’ouvrage comporte les planches (p. 40-75) et une table chronologique (p. 76).

 

          On retiendra de ce volume la qualité et l’abondance de son iconographie, principalement en couleur (bien que quelques clichés soient « anciens » et d’une qualité moindre). Le texte est dans l’ensemble clair et met en évidence le processus d’attribution des œuvres par l’analyse de leurs caractéristiques plastiques et stylistiques. On notera que les arguments et commentaires tendent parfois vers une approche plus « psychologisante » moins convaincante, tant à propos de l’état émotionnel de l’individu représenté qu’à propos du contexte de production. Les quelques généralités du début de l’ouvrage sur le positionnement conceptuel des pratiques artistiques à l’époque amarnienne pourront sans doute susciter quelques réserves dans l’esprit du lecteur, surtout par le fait qu’il s’agit là d’un résumé et non d’un exposé développé de cette problématique. Enfin, on peut se demander, au vu du nombre de pages de texte (27) et d’illustrations (66 réparties sur 36 pages), si le format monographique était le plus pertinent et s’il n’aurait pas mieux valu le publier sous la forme d’un article. Mais il s’agit là d’un débat éditorial qui ne remet pas en cause l’intérêt de l’ouvrage publié.