Mancho, Carles: La peinture murale du haut Moyen Âge en Catalogne (IXe-Xe siècle). 702 p., 113 ill. n/b + 43 ill. coul., 156 x 234 mm, ISBN: 978-2-503-54568-4, 95 €
(Brepols, Turnhout 2012)
 
Reviewed by Thomas Creissen, Université François Rabelais de Tours
 
Number of words : 3395 words
Published online 2015-10-09
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2031
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          Si la Catalogne est bien connue pour ses peintures murales de la période romane, la production artistique des siècles antérieurs reste bien plus difficile à appréhender. Sur quel terreau cette floraison a-t-elle bien pu s'épanouir ? C'est en partie pour tenter de répondre à cette interrogation que Carles Mancho consacre à l'étude des peintures catalanes des IXe et Xe s. cette somme imposante qui constitue la première véritable synthèse consacrée à une production bien mal connue. Le livre est préfacé par Milagros Guardia, dont l'auteur nous apprendra plus tard qu'elle a souvent été l'inspiratrice de ses propres recherches.

 

          Dans l'introduction (p. 21-32), Carles Mancho souligne d'emblée plusieurs difficultés de l'enquête : rareté des sources textuelles à même de mieux contextualiser et dater les œuvres, rareté des exemples conservés – six au total –, ancienneté des études et/ou éparpillement bibliographique... Malgré tous ces obstacles, il annonce vouloir proposer la première synthèse consacrée à cette production.


          La première partie est historique. Elle se divise en deux périodes : « La Catalogne épuisée, VIe-VIIIe siècles » (p. 33-58) et « Les IXe-Xe siècles, un peu d'histoire »  (p. 59-66). Dans un premier temps, l'auteur s'efforce notamment de déterminer quand la région a réellement basculé de l'Antiquité au Moyen Âge en replaçant la question dans le contexte plus global de la dissolution de l'Empire romain. L'intérêt d'un tel élargissement, forcément superficiel, n'est pas flagrant, d'autant plus que l'auteur concède – fort justement – que l'entreprise est assez vaine. Il apparaît toutefois que la conquête musulmane constitue un indéniable point de rupture marqué par l'apparition de deux grandes entités au sein de la péninsule ibérique : l'une, chrétienne et minoritaire dans son assise territoriale, qui est centrée autour des Asturies et l'autre, musulmane, qui occupe l'essentiel de cet espace. La Catalogne se rattache à la seconde, mais l'autorité musulmane y reste toutefois marquée par de nombreuses rivalités qui empêchent l'établissement d'un pouvoir fort. Cette région apparaît surtout comme un territoire en crise. C. Mancho dresse un sombre bilan du paysage artistique. Dès le IVe siècle, la production connaît un net ralentissement et l'essentiel des œuvres connues sont dès lors des importations : la situation ne semble guère avoir changé pendant le premier haut Moyen Âge, lequel se distingue surtout par la rareté des témoignages connus.

 

          À partir du VIIIe siècle, le pouvoir franc commence à s'intéresser à la région qui, progressivement, intègre son giron. Ce mouvement se concrétise pleinement au début du IXe siècle avec la conquête de Barcelone, désormais frontière occidentale de ce nouveau territoire. La Catalogne est alors marquée par un mouvement de réorganisation territoriale, mais aussi par l'importation d'un nouveau modèle liturgique : la liturgie romano-franque s'impose progressivement aux dépens des traditions hispaniques, ce qui n'est pas sans entraîner certaines résistances. Après une brève période de reprise en main, la région est rapidement gagnée par un mouvement de dilution de l'autorité centrale. Dès le milieu du Xe siècle, cette absence de réelle figure tutélaire incite certaines élites locales – notamment ecclésiastiques – à se tourner vers d'autres soutiens, en particulier Rome. Le mouvement s'était certes amorcé dès avant – par l'intermédiaire des élites carolingiennes romanisées, notamment – mais il prend de l'ampleur : le voyage que Sunyer de Cuxa effectue en 950 dans la cité pontificale est emblématique de ce rapprochement.

 

          Dans la seconde moitié du Xe siècle toujours, après une tentative infructueuse de rapprochement avec le pouvoir de Cordoue sous le comte de Barcelone Borel II (947-992), la Catalogne est ravagée par les troupes musulmanes. Les derniers carolingiens comme les premiers capétiens sont incapables d'aider la région qui doit dès lors se prendre en main : l'époque est considérée comme correspondant aux débuts de l'indépendance politique de la Catalogne.

 

          La seconde partie est consacrée à « La peinture murale du haut Moyen Âge en Europe Occidentale » (p. 69-98). Elle commence par un état des connaissances relatives aux différentes parties de l'Occident chrétien. Celui-ci, concis et accompagné d'une bonne bibliographie, constitue un très utile outil de travail pour quiconque veut s'informer sur ce sujet. Dans la suite du chapitre, l'auteur essaye de caractériser les grandes tendances et évolutions stylistiques qui, dans le domaine de la peinture, parcourent ces régions entre les premières œuvres chrétiennes et les environs de l'an mil.

 

          La troisième partie, « La peinture murale en Catalogne entre le IXe et le Xe siècle », est de loin la plus développée (p.101-586). Elle s'amorce avec un bilan historiographique relatif aux peintures étudiées, depuis leur découverte au XIXe siècle jusqu'aux études les plus récentes. Plusieurs pages sont ensuite consacrées aux manuscrits enluminés dont les liens avec la peinture murale sont bien connus. À leur sujet, l'auteur soulève plusieurs questions cruciales : à partir de quand ces manuscrits sont apparus ? Où étaient-ils produits et où étaient-ils conservés ?

 

          Un second chapitre intitulé « L'arrivée des carolingiens » (p. 121-146) est dévolu à l'étude d'une peinture conservée au musée d'histoire de Barcelone. Cette peinture orne un bloc découvert dans les années 1930, qui était remployé dans une maçonnerie gothique. M. Guard y a la première reconnu une œuvre carolingienne, hypothèse que C. Mancho reprend à son compte. La peinture, de très bonne facture, est bien isolée au sein de la production régionale attribuée au haut Moyen Âge : les autres exemples sont généralement très frustes. Mais cette spécificité est justifiée par la provenance de l’œuvre : issue de la capitale, elle reflèterait par sa qualité artistique l'importance de son lieu d'origine. Si le vieillissement de cette œuvre jusqu'alors principalement rattachée au Moyen Âge central est convaincant, son appartenance à la période carolingienne est moins évidente.

 

          Le troisième chapitre, particulièrement développé, s'intitule « La peinture dans les églises de San Pre de Terrassa », p. 147-447. Il commence par des considérations historiques tantôt propres à l'évolution de la cité antique Egara (Terrassa), tantôt plus générales. On y apprend que, au cours de la période carolingienne, Terrassa avait tenté de s'émanciper de la tutelle barcelonaise, entrainant une réaction des autorités ecclésiastiques. Dans ce mouvement de résistance, l'auteur accorde une grande importance à l'évêque Frodoin (v. 861-v. 890). Ces pages auraient parfaitement méritées d'être incorporées à la première partie, précisément consacrée aux données historiques : cet éparpillement implique des redites et rend plus difficile encore la bonne appréhension du contexte historique.

 

          Après cette introduction historique, C. Mancho présente le site de Terrassa. Trois églises y sont conservées : Sainte-Marie, Saint-Michel et Saint-Pierre, ce qui en fait un ensemble remarquable dont l'intérêt a très tôt été perçu. Parmi les travaux pionniers, ceux de J. Puig I Cadafalch ont longtemps servi de référence. Cet auteur y reconnaissait un ensemble du VIe siècle. L'historique des fouilles, la nature des vestiges découverts et les interprétations successives sont également abordés, mais l'ensemble est difficile à lire du fait de fréquentes digressions et d'un manque d'articulation du discours qui s'accompagnent de trop nombreuses redites. Le lecteur est rapidement perdu et quelque peu découragé... Cela d'autant plus que les supports visuels sont rares et de piètre qualité : les photographies en noir et blanc restent trop souvent inexploitables, et le plan général des vestiges est si petit qu'il n'est même pas possible d'en lire les légendes.

 

          La partie consacrée à la description des peintures de l'église Sainte-Marie est également difficile à appréhender pour les mêmes raisons : digressions, redites, reproductions ingrates et propos confus perdent le lecteur (le schéma de localisation des épisodes isolés par l'auteur (fig. 6) est fort heureusement un précieux support). Il est toutefois indéniable que l'observation minutieuse qui est à la base de cette description détaillée est indispensable. L'analyse iconographique, très intéressante, le démontre pleinement.

 

          C. Mancho propose de reconnaître dans la partie orientale de l'abside un cycle consacré aux saints Pierre et Paul, avec notamment une mise à l'honneur de la Traditio Clavis dont la formulation originale serait inspirée du modèle adopté pour le triclinium de Léon III au Latran (cette filiation n'est toutefois pas évidente). En pendant, la partie occidentale serait occupée par des épisodes vétéro-testamentaires liés à la personne de David : serait représenté, sous une forme originale, le châtiment d'Achithophel, conseiller du roi qui s'était rangé du côté d'Absalom. Cet épisode ferait allusion au sort funeste qui attend ceux qui abandonnent le parti de Dieu. La présence d'un sujet rare et difficile à comprendre pourrait s'expliquer par la position du décor : alors que l'histoire de Paul et de Pierre était vue par les fidèles, celle de David et ses proches ne pouvait se voir que depuis l'abside, c'est-à-dire qu'elle était destinée aux clercs. Enfin, en partie basse, l'auteur reconnaît une représentation de saints et de prophètes répartis de part et d'autre de la Vierge. Cette analyse est confortée par des rapprochements iconographiques avec d'autres œuvres – Rome et Mustaïr notamment – qui semblent définitivement ancrer ces peintures dans l'orbite carolingienne.

 

          La présentation des peintures de l'église Saint-Michel est elle aussi précédée d'un historique des découvertes et d'une présentation de leur contexte architectural et d'un bilan historiographique, cette fois-ci bien plus clairs et concis. Avec quelques nuances et compléments, l'auteur fait sienne la lecture d'A. Grabar qui reconnaissait dans ces peintures une illustration de l'Ascension. L'iconographie est replacée dans un contexte de lutte contre l'hérésie adoptianiste en invoquant des arguments pertinents et convaincants. Elle aurait été élaborée pour renforcer l'ancrage « orthodoxe » de la région.

 

          Dans les conclusions générales sur ces deux ensembles peints (p. 395-406), C. Mancho revient sur leur valeur «polémique » : lutte contre l'hérésie adoptianiste d'une part, et manifeste anti-sécessionniste de l'autre. Dans un cas comme dans l'autre, l'évêque Frodoin est considéré comme le meilleur candidat au titre de concepteur de ces programmes. Par son appartenance aux élites carolingiennes, il était tout à la fois à même d'élaborer des programmes aussi complexes que d'être au fait des « dernières » innovations iconographiques, notamment romaines. Même si les deux œuvres présentent des différences formelles, l'une comme l'autre sont donc rattachées à son épiscopat.

 

          En dehors de ces considérations sur le sens des peintures, C. Mancho souligne l'originalité de la « mise en page » de ces deux œuvres : dans un cas comme dans l'autre, il est manifeste que l'on a transposé à des absides des programmes à l'origine prévus pour d'autres cadres.

 

          Un dernier chapitre est consacré aux « Questions stylistiques et formelles à Sainte-Marie et à Saint-Michel » (p. 406-419). C. Mancho revient sur les problèmes posés par la datation de l'œuvre, en exposant notamment les arguments avancés par J. Puig I Cadafalch (qui auraient été plus à leur place dans le bilan historiographique). Il souligne – à raison – que l'une des difficultés majeures pour l'analyse de ces œuvres réside dans leur piètre qualité qui empêche d'établir des parallèles convaincants. Il estime pour autant que les deux ensembles sont vraisemblablement en partie issus d'une même main, ce qui n'est pas réellement manifeste. C. Mancho reste assez discret sur la formation qu'il envisage pour ces praticiens.

 

          Vient ensuite un addendum consacré aux peintures de l'église de Saint-Pierre : alors que C. Mancho y avait à l'origine reconnu un ensemble du XIe siècle, il les rattache désormais aux deux autres ensembles peints. D'une manière générale, cette partie est difficile à lire du fait d'une traduction souvent approximative. L'auteur cherche à démontrer que les peintures qui ornent le « retable de pierre » occupant le fond de l'abside sont en partie contemporaines de cet aménagement. Or ce dernier ne peut être lié qu'à une importante modification liturgique. L'hypothèse la plus probable serait alors de le relier à une arrivée de reliques. L'évêque Frodoin ayant manifesté un intérêt certains pour ces dernières – à Barcelone, son épiscopat est marqué par l'invention des reliques de sainte Eulalie – il est jugé comme le meilleur candidat au titre de commanditaire de l'ensemble. Les reliques seraient celles de Pierre et Paul, que l'auteur pense avoir réussi à identifier sur les peintures. Les mosaïques de sol associées à cet ensemble, qui avaient été datées des environs de l'an mil par X. Barral I Altet, sont ici considérées comme carolingiennes. Cela viendrait conforter la validité de cette hypothèse et ferait donc de ces peintures le troisième ensemble commandité par Frodoin pour le complexe de Terrassa. La démonstration est à vrai dire très loin d'être convaincante.

 

          Le second chapitre de cette partie porte sur les peintures de Campdevànol. Il s'agit d'un ensemble aujourd'hui disparu et mal documenté développant un cycle de la Genèse. Pour dater l'ensemble, l'auteur se sert de plusieurs éléments : un acte de 987 qui évoque une église sur ce territoire et le fait que les fresques ont été recouvertes par un mur érigé à l'occasion du voûtement de l'édifice, intervenu au XIIe s. Rien n'assure que les peintures appartenaient aux phases les plus anciennes de cet édifice, mais un argument archéologique plaiderait en ce sens : une niche a été creusée au sein des parties peintes avant d'être recouverte par le mur roman. Les fresques sont donc antérieures à ce mur, mais aussi au percement de la niche. Le mur étant du XIIe, la phase antérieure liée au percement de la niche serait du XIe. Donc, logiquement, les peintures seraient encore plus anciennes, probablement du Xe siècle, puisqu'une église existe à cette date.

 

          Du point de vue de l'iconographie, grâce à la documentation conservée, l'auteur met en évidence une très probable filiation avec les productions enluminées du scriptorium de Tours : la mise en page adoptée pour la nef de cette église catalane est en effet très proche de celle qui prévaut pour ces manuscrits. Par conséquent, il faut concevoir la présence de manuscrits issus de la tradition tourangelle dans la région. Or, seul le monastère de Ripoll était alors assez important pour avoir pu abriter un tel manuscrit. Si l'importance de cette bibliothèque est connue depuis longtemps, la nouveauté résiderait dans le fait que ce programme attesterait que le fonds s'était déjà bien constitué dès le Xe siècle et non au XIe comme cela est généralement admis. Sur ce point, toutefois, la démonstration apparaît très fragile : comme le concède d'ailleurs l'auteur (p. 489), faire du percement d'une niche une véritable phase architecturale est bien audacieux. En réalité, c'est surtout l'intime conviction de l'auteur que les peintures sont contemporaines de la construction de l'église et que celle-ci est bien celle qui se trouve évoquée dans l'acte de 987 qui justifient cette datation haute.

 

          La troisième partie se termine par une étude des anciennes peintures de Saint-Cyr de Pedret (Les limites de l'étude de la peinture. Où doit-on placer les vestiges picturaux anciens de Saint-Cyr de Pedret ? p. 491-586). Rappelons que ces peintures ont été retrouvées sous un ensemble peint roman, qui reste à vrai dire mal daté (entre le dernier quart du XIe siècle et le XIIe). Après une présentation des contextes historique et architectural, C. Mancho évoque les débats qui se sont cristallisés autour des peintures romanes. Les œuvres préromanes quant à elles se présentent sous la forme de médaillons isolés à l'exécution assez fruste. Comme le montre C. Mancho, cette rusticité a déclenché deux attitudes contradictoires chez les chercheurs. Certains ont eu tendance à négliger ces œuvres jugées très pauvres, d'autres ont au contraire cherché à palier l'apparente simplicité du « programme » en surinvestissant chaque détail d'une importante charge symbolique. Ces dernières tentatives sont fort justement réfutées par l'auteur. Plus modestement, ce dernier s'efforce avant tout d'identifier correctement les figures représentées. Il s'agirait de saint Jean d'une part et, vraisemblablement, de saint Maurice de l'autre. Ce dernier serait accompagné d'une allégorie de l'hiver et d'une figure de donateur. À vrai dire, les identifications proposées, si elles restent plausibles, ne sont pas entièrement convaincantes comme l'auteur le reconnaît lui-même (l'iconographie de saint Maurice serait tout à fait inusuelle pour l'époque). Mais c'est surtout l'interprétation de l'ensemble qui nous paraît problématique. Ces éléments seraient les seuls vestiges d'un ensemble plus ambitieux : « Les différents éléments et leur interprétation nous ont permis, on l'a vu, d'avancer une proposition de lecture de ce qui subsiste du programme iconographique », p. 579. Mais il nous semble difficile de parler de programme iconographique pour ces images dont la réelle portée demeure mystérieuse : sorte d' « icônes » isolées ou vestiges d'un véritable programme peint ? En dehors de ces remarques, c'est surtout les questions de datation qui laissent perplexes. L'auteur affirme : « Après avoir étudié cet ensemble, notre perception globale de la question nous incline à penser à une datation du début du XIe siècle, même si nous n'en avons aucune certitude », p. 586. C'est-à-dire qu'il privilégie une date qui sort du cadre chronologique imparti à son étude...


          La conclusion, très brève, revient sur plusieurs points évoqués dans le corps du texte. L'auteur insiste notamment une fois encore sur le rôle fondamental de l'évêque Frodoin, auquel les trois ensembles de Terrassa mais aussi le fragment peint de Barcelone sont attribués. Comme le laisse deviner la lecture du livre, la bibliographie est riche et très complète.

 

          Si cet ouvrage de C. Mancho est incontestablement le fruit d'un travail considérable et fournit de très nombreuses conclusions et pistes de réflexion fort intéressantes, il n'en souffre pas moins de plusieurs faiblesses. Tout d'abord, un évident déséquilibre entre les parties : la troisième représentant à elle seule 485 pages pour à peine une trentaine pour chacune des deux autres. Et au sein de cette troisième partie, Terrassa l'emporte largement. Par bien des côtés, l'ouvrage s'apparente en réalité à une monographie de Terrassa. Cela d'autant plus qu'il manque une véritable partie synthétique dans laquelle seraient mis en parallèle tous les ensembles étudiés. En outre, il faut également revenir sur les problèmes de datation : il n'est pas exclu que le fragment peint provenant du palais épiscopal de Barcelone soit pré-carolingien, l'appartenance des peintures du retable de Saint-Pierre de Terrassa à l'épiscopat de Frodoin est loin d'être évidente, les arguments invoqués pour situer les peintures de Campdevànol au Xe siècle plutôt qu'au XIe sont faibles, et l'auteur concède lui-même qu'une datation au début du XIe siècle est plausible pour Pedret... En réalité, il apparaît que le cadre chronologique retenu pour le titre n'est sans doute pas le plus pertinent. « Les environs de l'an mil » aurait sans doute été un bornage bien plus prudent.

 

          Autre point faible, la forme : le propos est trop souvent confus, et l'auteur se perd dans de longues digressions dont l'intérêt est parfois discutable et qui égarent le lecteur : au milieu d'un tel foisonnement, il est parfois difficile de savoir quelle est en définitive l'interprétation privilégiée par l'auteur. Il est évident que l'ouvrage souffre d'un problème de traduction, et sans doute aurait-il été plus judicieux de le publier dans la langue de l'auteur en l'absence d'un véritable travail de relecture (on relèvera en particulier les trop nombreuses fautes qui ponctuent la conclusion).

 

          Enfin, même si l'auteur n'est pas responsable des contraintes imposées en matière d'illustrations, on ne peut que déplorer la très mauvaise qualité des reproductions, par ailleurs légendées de manière incomplète, pour certaines d’entre elles. Trop souvent, il est impossible de savoir exactement à quoi se réfère l'auteur dans le corps de son ouvrage.

 

          Du point de vue des analyses iconographiques, les propositions sont en majorité très intéressantes et témoignent d'un impressionnant travail d'observation. L'analyse historique nous semble par contre plus difficile à accepter : nous suivons à grand peine C. Mancho dans sa volonté d’attribuer à l'évêque Frodoin les trois cycles peints de Terrassa et le fragment de Barcelone. Le style raffiné de ce dernier n'a rien à voir avec la rusticité des premiers et on a du mal à imaginer que l'ensemble est issu de la commande d'un même personnage. Surtout, au sein de Terrassa même, autant le cycle de l'abside de Sainte-Marie développe un message pleinement d'actualité au temps de Frodoin – un appel à l'unité dans un contexte sécessionniste – autant l'insistance sur la double nature du Christ que l'on devine dans le cycle de Saint-Michel paraît répondre au conflit adoptianiste. Or ce dernier a surtout marqué les tournants des VIIIe-IXe siècle et était quelque peu passé de mode dans la seconde moitié du IXe siècle. Quant au programme de Saint-Pierre, si son lien avec une arrivée de reliques est plausible, rien ne permet réellement de rattacher l'évènement à l'épiscopat de Frodoin, les mouvements de reliques étant somme toute assez courants durant la période envisagée.


          En définitive, il s'agit d'un ouvrage très utile, fruit d'un impressionnant travail, mais qui aurait amplement gagné à être plus concis et à proposer des illustrations de qualité afin de devenir l'ouvrage de référence sur la peinture préromane de Catalogne.