Castiglione, Marianna - Poggio, Alessandro (a cura di): Arte-Potere: forme artistiche, istituzioni, paradigmi interpretativi. Atti del convegno di studio tenuto a Pisa, Scuola Normale Superiore, 25-27 Novembre 2010. Archeologia e arte antica, 388 p., ISBN 978887916503, € 78.00
(LED Edizioni, Milano 2012)
 
Recensione di Martin Szewczyk, Centre de recherche et de restauration des musées de France (Paris)
 
Numero di parole: 2490 parole
Pubblicato on line il 2014-11-12
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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          On ne peut pas dire que l’étude des relations entre art et pouvoir soit une nouveauté, surtout dans le domaine de l’art et de l’archéologie antiques. Toutefois, les actes du colloque Arte-Potere tenu à Pise du 25 au 27 novembre 2010 démontrent qu’il y a encore beaucoup à faire et beaucoup à étudier dans ce champ de la discipline. Le sous-titre de l’ouvrage, « Forme artistiche, istituzioni, paradigmi interpretativi », donne une juste idée de la richesse de cet ouvrage, ainsi que de la grande profondeur que recèle le thème auquel il s’attaque. Le volume rassemble vingt-deux contributions, dues en majeure partie à des chercheurs italiens, mais également français, anglais, américains et autrichiens. Du point de vue matériel, on signalera la grande qualité de l’impression, ainsi que celle de la plupart des illustrations, toutefois exclusivement en noir et blanc.

 

         Avant de commencer la critique des articles pris individuellement, il nous faut signaler l’effet de bigarrure produit par le rassemblement de l’ensemble des contributions, effet qui tient tant au calibrage inégal de celles-ci, à la grande diversité – chronologique, géographique, sociologique – des sujets traités, et enfin à l’absence d’un appareil conceptuel partagé qui aurait permis d’unifier les contributeurs et leurs contributions autour d’une représentation commune de la relation entre art et pouvoir – ce dernier point tenant, évidemment, au format particulier du colloque. De manière générale, on est étonné par la rareté de l’outillage sociologique mobilisé par les contributeurs, à l’exception de l’idéologie, dont on ne sait comment la comprendre, et de l’expression charismatique du pouvoir, conception qui doit, dans le champ de notre discipline, plus à Paul Zanker qu’à Max Weber. Cela n’est certainement pas étranger au fait que le champ de l’histoire de l’art antique est largement dominé, depuis la fin des années 1970, par le modèle sémantique de la communication, sous-produit, dans un champ spécifique et spécialisé, de la domination par le structuralisme et la linguistique dite « interne » de l’ensemble du champ des sciences humaines.

 

         Une grande partie des articles insiste ainsi sur la communication visuelle mise en place par le pouvoir au moyen des formes artistiques. C’est le cas de deux contributions dépassant le cadre de l’Antiquité classique pour étudier les moyens par lesquels la royauté proche-orientale se met en scène, dans le domaine syro-hittite pour celle de S. Mazzoni, avec une insistance sur le contexte cultuel des représentations, et chez le roi de Perse, pour celle d’A. Poggio, qui étudie la diffusion et la transformation d’un modèle iconographique – celui de la chasse royale – et de son usage. F. Santi traite pour sa part de l’usage des images sur l’Acropole d’Athènes à l’époque archaïque, en particulier au VIe siècle. Il insiste sur les limites de la théorie – déjà ancienne et déjà remise en cause – de J. Boardman, qui associait étroitement la figure d’Héraklès à la tyrannie des Pisistratides. L’auteur préfère y voir une figure représentant à la fois, avant Pisistrate, la société aristocratique  et après lui, incarnant une forme de consensus communautaire trouvant notamment son expression dans les scènes de gigantomachie : à l’origine des Panathénées, la victoire des Dieux sur les Géants  qui se trouve en abondance sur la céramique trouvée sur l’Acropole, décorait également le péplos remis à la déesse et triomphait enfin sur le fronton de la fin du VIe siècle. Il remarque également la présence importante d’Héraklès dans les gymnases de la cité et lui reconnaît ainsi un caractère civique ; cependant la présence du héros dans ce contexte n’est pas une spécificité athénienne. On ne s’éloigne guère de ces problématiques avec le texte de M. de Cesare, qui traite également de l’utilisation, par les Pisistratides, de l’iconographie, en particulier vasculaire. Mais elle renverse la perspective en préconisant de se poser d’abord la question des utilisateurs et des utilisations dans un contexte fonctionnel riche (artiste, commanditaire ou destinataire, culture iconographique, politique, pratique du vase…). F. Prost signe un bon article sur le monument des Néréides de Xanthos, plus particulièrement sur les frises figurées : après une introduction méthodologique distinguant les différentes explications sociologiques de la relation entre art et pouvoir (faste, charisme, propagande), il explore la manière dont les frises déclinent, en mêlant traditions grecques et orientales, avec une très forte inflexion du côté de l’hellénisme, l’identité du dynaste Arbinas, héritier, conquérant et homme cultivé. Il interprète la forme artistique du monument comme un moyen de construction d’un pouvoir charismatique, ce qui semble néanmoins hasardeux à propos d’un édifice isolé. C’est également le paradigme de l’interprétation sémantique qui domine la contribution d’E. Ghisellini sur l’art à la cour des Ptolémées. Sur le temps long, cette fois, l’auteur détaille la manière dont les différents média diffusent auprès de la cour et, plus loin, dans le royaume, les thèmes forts de l’idéologie royale, en particulier les formules stylistiques et iconographiques structurant le portrait royal lagide : la référence à Alexandre, l’assimilation aux divinités tutélaires, l’utilisation simultanée du réalisme de la portraiture grecque traditionnelle et des formules pathétiques et expressionnistes de la sculpture hellénistique, contribuant à forger et reforger une image charismatique du souverain, général vainqueur et roi aux capacités presque divines. M. Paoletti voit également dans le programme iconographique de la tombe des Julii de Glanum  les ambitions politiques d’une famille de notables locaux : analysant en termes iconographiques les quatre reliefs du monument (la discussion entre tombeau et cénotaphe est bien résumée et argumentée), il met en relation l’utilisation des mythes, réfutant tout caractère biographique à trois des reliefs, et la volonté des fils des Iulii (le père et le grand-père des dédicants étant les parentes honorés par le monument et statufiés au sommet) de souligner de manière érudite leur place prépondérante dans la cité. C’est également dans cette catégorie que j’évoquerais le texte de H. Maehler, étudiant la commande poétique des epinikia par les tyrans, en particulier siciliens.

             

         Mais on se situe ici à la frontière d’un second ensemble d’articles focalisés plus particulièrement sur l’artiste, et notamment sur la relation, dont la compréhension est essentielle, entre celui-ci et le ou les commanditaires, couple formant ce que l’on désignera sous le nom de « producteurs ». G. Adornato développe une hypothèse selon laquelle Skopas aurait travaillé à la cour des Argéades dans la seconde moitié du IVe siècle.  Il en fait notamment l’architecte du Philippeion d’Olympie en comparant les modénatures, l’emploi des demi-colonnes et du chapiteau corinthien avec le temple de Tégée, attribué à Skopas. Il reconnaît également des formules stylistiques scopasiques sur les ivoires ainsi que sur la peinture de la tombe II de Vergina. La chose ne me  semble pas assurée, et l’on doit constater de plus que la relation entre art et pouvoir n’est guère abordée ici. E. Falaschi fait le point sur le procès intenté à Phidias et sur sa fortune à l’époque impériale, comme topos littéraire et rhétorique.

             

         La question des modèles iconographiques est abordée d’abord par l’article de M. Castiglione sur le monument 13ES de la nécropole de Porta Nocera à Pompéi. Cette tombe sur podium présente en effet un décor unique, en stuc, reproduisant une panoplie militaire (probablement celle d’un eques) autour d’un clipeus à décor végétal figurant un barbare souffrant. Les modèles de cette représentation sont à chercher dans l’art triomphal romain : les clipei d’inspiration hellénistique, par exemple ceux du Forum d’Auguste, ou encore les boucliers pris par Marius aux Cimbres, peints et exposés sur le Forum Romain. Nous sommes là, en effet, face à un bel exemple de diffusion des modèles officiels romains. Le second, par M. de Bernardin, également fort intéressant, explore l’utilisation de l’image d’Hercule dans un but d’autoreprésentation entre Trajan et les Sévères. L’utilisation de la numismatique apporte tous ses fruits à la démonstration : on comprend bien dans quels contextes l’image herculéenne a pu être déployée par les empereurs, des dieux tutélaires rappelant les origines de ceux-ci  (Hercule Gaditanus pour Hadrien, Hercule et Liber Pater associés comme à Leptis Magna pour Septime Sévère) en passant par les références à l’histoire de Rome (Hercule et Cacus lors du 9e centenaire de la fondation de l’Urbs célébrée par Antonin) ou aux mobilisations philosophiques d’Hercule comme prototype du vrai roi chez Dion de Pruse (avec une référence à Prodicos) ou dans le Panégyrique de Pline, jusqu’au processus d’imitation, progressif, devenant une identification, sous le règne de Commode, qui refonde Rome et l’Empire sous les auspices du héros, rebaptisant les mois de l’année et frappant une monnaie le représentant, paré de la léontè, traçant le sillon du fondateur, avec la légende HERCVLES ROMANVS CONDITOR. On ne reprochera à cet article stimulant que de faire un usage trop lâche du concept de propagande.

             

         Une série de contributions se penche plus spécifiquement sur l’urbanisme de certaines cités. Celles de K.W. Arafat et de R. Dubbini traitent de Corinthe archaïque, entre Bacchiades et Cypsélides. Le premier évoque le développement du sanctuaire de l’Isthme et l’apparition d’offrandes ostentatoires. Le  second est focalisé sur les développements urbanistiques de la cité, en ayant à l’esprit le rôle central conféré à l’espace sacré comme espace de compétition. L’usage des mythes et de l’espace urbain contribue in fine à définir la mémoire culturelle collective. C. Marconi étudie l’autel de l’Olympieion d’Agrigente et ses rapports avec la tyrannie de Théron, conçu comme une grande scénographie destinée à la mise en scène du pouvoir à travers la pratique religieuse, dans le cadre d’une sorte d’émulation entre les tyrans siciliens. Nous sommes au cœur de la problématique des relations – dynamiques – entre l’art et la pratique du pouvoir. Enfin, G. Cifani explore les premiers siècles de l’histoire de Rome, notamment la période royale correspondant à ce que l’on appelle en Grèce les tyrannies. Le modèle tyrannique, que l’on applique à l’Étrurie méridionale et en particulier à Caere, est ici décliné et met en évidence la formulation d’un langage figuratif qui institue une relation de nature charismatique entre le tyran et le peuple.

             

         Deux articles se distinguent par le point de vue adopté : se plaçant du point de vue du « consommateur » plus que de celui du « producteur », ils abordent la question sous l’angle des pratiques culturelles. L’étude d’A. C. Cassio porte sur l’ « epigraphic habit » à l’époque archaïque, notamment entre Chypre et la Crète, où les lois écrites, conservatoire public des privilèges d’une aristocratie, abondent. Dans tous les contextes, la pratique de l’écrit est étroitement liée au mode d’exercice du pouvoir : le système législatif fondé sur la thémis, la loi divine, révélée et même sollicitée, se transforme en règne de dikè, justice fondée sur le nomos, loi universelle et immuable, publique et donc écrite (le parallèle avec l’épisode de la loi des Douze Tables comme codification écrite d’une justice coutumière et réservée). On trouvera également le plus grand intérêt à lire l’excellente contribution d’E. Lippolis, sur les rapports étroits entre certains aménagements architecturaux et la distribution du matériel des tombes et les régimes oligarchiques de Grande Grèce. L’auteur souligne avec raison la moindre visibilité des régimes oligarchiques par rapport, en particulier, aux tyrannies. L’identité collective des régimes aristocratiques, la représentation de la classe sociale aristocratique, trouve une expression dans la pratique du banquet. L’étude des contextes funéraires entre le VIIe et le Ve siècle démontre l’existence de critères stricts d’usage et de planification de l’espace funéraire : exaltation des pratiques du banquet (matériel funéraire et modèle de l’andrôn) et de l’athlétisme, avant l’uniformisation des tombes intervenant à partir de 475 av. J.-C. et du développement des institutions aristocratiques. S’ensuit une étude passionnante sur certains établissements de la chora tarentine, oikia correspondant à des petits sanctuaires privés, que l’auteur rapproche des syssitia spartiates et dans lesquelles de petits groupes devaient se réunir pour adopter des comportements distinctifs spécifiques. Les tombes à chambres seraient construites à l’imitation des oikia dédiés à la commensalité masculine. Les tombes du Ve siècle semblent plutôt tournées vers la culture égalitariste du gymnase, en réaction à la culture élitiste de l’athlétisme. F. de Angelis entend pour sa part explorer l’infrastructure économique de la relation entre art et pouvoir. L’application du modèle de W. Rostow à la chronologie des fondations sur la côte orientale de la Sicile est passionnante mais n’a guère de lien, si ce n’est lointain, avec le sujet de cet ouvrage.

             

         E. Polito fait pour sa part le point sur les études portant sur l’art augustéen, une période qui est bien entendu au cœur des études entre art et pouvoir dans l’Antiquité. Un courant, qui porte sur la constitution de l’imagerie impériale, étudie la dynamique entre la commande et la réalisation ; un autre privilégie la fonction et l’aspect idéologique des œuvres. Les études marquantes sur le sujet sont analysées avec une critique et mises en relation.

             

         Le texte que l’on doit à A. Johnston entend étudier le rôle du féminin dans la dynamique du pouvoir dans l’art grec archaïque. L’article, qui n’a rien à voir avec son titre, ne nous apprend guère sur un sujet (la production et la reproduction des genres comme catégories sociales) dont l'analyse sérieuse est pourtant cruciale dans l’étude des relations de pouvoir dans la cité grecque.

 

         Enfin, L. Faedo se penche sur l’utilisation des antiques à Rome au XVIIe siècle et l’identification des lieux de pouvoir à Rome avec les grands lieux de la Rome antique.

 

 

Sommaire :

 

Introduzione

S. Mazzoni. Il re e la communicazione del potere nell’arte siro-ittita (XI-X sec. a. C.) (p. 11-31)

A.C. Cassio. Scrittura e potere nella Grecia arcaica : il caso di Creta e Cipro (p. 33-43)

K.W. Arafat. Bacchiads, Cypselids and Archaic Isthmia (p. 45-56)

R. Dubbini. I signori di Corinto e l’arte della città. La formazione della polis sotto le dinastie bacchiade e cipselide (p. 57-76)

A. Johnston. Observations on Feminity and Power in early Greece (77-86)

F. Santi. Myth and Images on the Acropolis of Athens in the Archaic period (87-95)

M. de Cesare. Pittura vascolare e politica ad Atene e in Occidente : vecchie teorie e nuove riflessioni (p. 97-127)

G. Cifani. Società, architettura e immagini all’origine dell’arte romana (p. 129-146)

E. Lippolis. Oligarchie al potere : gnorimoi e politeia a Taranto (p. 147-172)

F. de Angelis. Art and Power in Archaic Greek Sicily. Investigating the economic Substratum (p. 173-184)

H. Maehler. Greek Choral lyric Poetry and the Symbols of Power (p. 185-193)

C. Marconi. Altari e potere (p. 195-205)

E. Falaschi. L’artista alla sbarra : il processo a Fidia. Distorsioni storiche, invenzioni letterarie (p. 207-225)

A. Poggio. Immagini venatorie e monumenti dinastici : l’Impero Persiano tra centro e periferia (p. 227-241)

F. Prost. Lycian Dynast, Greek Art : the two small Friezes of the Nereid Monument at Xanthos (p. 243-257)

G. Adornato. Skopas alla corte macedone? Motivi stilistici skopadei tra Grecia e Macedonia (p. 259-272)

E. Ghisellini. Immagini e potere alla corte dei Tolomei (p. 273-300)

M. Paoletti. La tomba dei Giulii a Glanum (St. Rémy-de-Provence) in Gallia Narbonensis. Le ambizione politiche del programmo iconografico (p. 301-324)

M. Castiglione. Modelli urbani per forme di autorappresentazione locale. Il monumento funerario di un eques pompeianus a Porta di Nocera (p. 325-338)

E. Polito. L’arte augustea negli studi attuali : una nota (p. 339-345)

M. de Bernardin. Ercole : l’immagine del potere (da Traiano ai Severi) (p. 347-360)

L. Faedo. Signa come segni. Riletture dell’antico per I Barberini (p. 361-379)