Trézin, Christian: Grignan. Du castellum au palais d’Apolidon. Les mutations d’un château provençal (XI-XVIIIe siècles). 454 p., ISBN : 978-2-7535-2822-2, 45 €
(Presses universitaires de Rennes, Rennes 2013)
 
Recensione di Alain Salamagne, Université François-Rabelais, Tours
 
Numero di parole: 1706 parole
Pubblicato on line il 2016-11-22
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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          De manière paradoxale, mais heureuse, l’ouvrage s’ouvre par l’histoire de la destruction du château de Grignan et de sa restitution au tout début du XXe siècle par sa propriétaire Marie Fontaine et son architecte Joseph Meffre. Cette introduction est le prologue à l’analyse d’un site castral qui n’avait pas été étudié avant 1979. L’ouvrage est d’abord le fruit d’une thèse de doctorat de l’Université de Paris IV, soutenue par Christian Trézin en 2006, qui aboutit à un ouvrage remanié et consolidé par des réflexions nouvelles. L’exercice n’était pas des plus simples car les ajouts et modifications successives des différents siècles ont fait du château un véritable palimpseste, ne laissant apparaître des états les plus anciens que des éléments ponctuels, fragments de murs ou fenêtres, même si plusieurs campagnes de fouilles archéologiques sont venues éclairer les états fossilisés. L’étude monographique du château de Grignan s’inscrit dans la longue durée puisqu’elle s’étend sur près d’un millénaire, depuis les mentions du castellum en 1035 jusqu’à nos jours. Là réside la difficulté d’une telle recherche qui consiste à rechercher les traces de phases d’occupation disparues ou qui ne subsistent plus qu’à l’état fragmentaire pour les périodes antérieures au XVe siècle.

           

         La constitution du domaine seigneurial au XIe siècle se réfère au modèle bien connu de l’incastellamento méridional, une seigneurie implantée à cheval sur des frontières civiles (Dauphiné, Provence) et ecclésiastiques (évêchés de Die et de Saint-Paul-Trois-Châteaux). L’auteur reconstitue les phases initiales du développement du castellum aux XIe et XIIe siècles, en identifiant outre le « donjon » (le terme de tour maîtresse serait plus approprié) et la chapelle primitive Saint-Romain, les premiers éléments défensifs. Établi sur un site naturellement défensif — un plateau dominant de 45 à 50 m la plaine environnante dont le socle rocheux et les faces furent retaillées pour constituer une plate-forme quadrangulaire (de 44 x 42 m dans sa partie la plus élevée) —, le château s’apparentait à de nombreuses forteresses établies sur des reliefs stratégiques. Circonscrit par un mur d’enceinte, il était dans un premier temps accessible depuis l’ouest par une rampe, recoupée par les fouilles, creusée dans le rocher et datée de la fin du Xe siècle ou du début du suivant. L’enceinte (à l’appareil mixte, grand et moyen appareil) de 380 m de périmètre, épousant l’aplomb de l’escarpement, était dépourvue de flanquements : elle délimitait au sud une basse-cour qui, aux origines, a pu accueillir l’habitat paysan. Le castellum étant mentionné en 1035, la première séquence de la plate-forme et de ses édifices est située par l’auteur entre la fin du Xe siècle et les années 1035. La chapelle Saint-Romain, à chevet plat (de 4,60 m x 8,90 m), surplombant la rampe d’accès, existait avant 1119. Le donjon disposé à l’angle sud-est (8, 60 m x 8 m hors de l’œuvre, 6,40 m x 6,20 m dans l’œuvre), aux murs de petit ou moyen appareil, aux niveaux planchéiés, pourrait dater de la première moitié du XIIe siècle. Habitable, il apparaît néanmoins plutôt comme un élément symbolique

           

         Au pied du château se développa un bourg castral — dont Christian Trézin retrace l’évolution morphologique, du plan parcellaire aux îlots et parcelles) — entouré d’une première enceinte du milieu du XIIe siècle, puis d’une seconde antérieure au milieu du suivant. La dernière enceinte, entamée dès la fin du XIIIe siècle pour englober les quartiers nés de l’expansion du bourg, fut renforcée dans le cadre de la guerre de Cent Ans, époque de fortification à la suite des menaces des Grandes Compagnies descendant la vallée du Rhône .

           

         Le logis médiéval commence véritablement à apparaître au XIIIe siècle, tout au moins dans un ensemble de caractéristiques reconstituables par l’analyse architecturale ou les textes postérieurs.  Il était constitué autour d’une grande salle (de plan rectangulaire de 14 à 15,60 m x 8,70 m dans l’œuvre) construite au nord du donjon et qui s’élevait sur deux niveaux voûtés (à usage de stockage). Il s’agissait donc d'un ensemble aula-camera classique, les chambres côtoyant la salle.

           

         La modernisation du château fut réalisée à l’extrême fin du XVe siècle par Gaucher Adhémar, échanson en 1456 du futur Louis XI, qui épousa avant 1479 Diane de Montfort, fille de Nicolas de Montfort, comte de Campobasso au royaume de Naples. Les travaux conduits entre 1495 et 1516 consistèrent dans le doublement du corps de salle côté cour et dans la construction d’une galerie à un seul niveau, longue de 25 m et large de 8 m. La modénature générale de ses fenêtres (moulures à pénétration, bases polygonales des encadrements de baies, etc.) amène des comparaisons avec un certain nombre d’édifices de la vallée Rhodanienne. L’escalier d’honneur qui s’ouvre à la rencontre de la galerie et du corps de logis, ménagé dans une tour carrée, offre une solution assez originale puisqu’il est composé d’une rampe droite à retours, tandis que le décor de ses consoles mêle motifs gothiques et renaissants. L’œuvre de rénovation fut poursuivi par son fils Louis Adhémar de Grignan, né vers 1475, qui épousa en 1513 Anne de Saint-Chamond, fille de Jeanne de Tournon, sœur de François de Tournon, le futur cardinal. Il fit une brillante carrière au service du roi, après avoir probablement combattu en Italie en 1524 puis y avoir séjourné d’août 1538 à février 1540. Incarcéré à la mort de François Ier de 1547 à 1551, il bénéficia par la suite de l’appui de François de Lorraine, duc de Guise à qui, dès 1552, il promit Grignan pour prix manifeste de sa libération.

           

         On doit à Louis la construction entre 1535 et 1542 de la collégiale funéraire dédiée au Saint-Sauveur où les voûtes d’ogives à pénétration coexistent avec des chapiteaux antiquisants. La couverture en terrasse de la collégiale est bien connue des spécialistes en raison de ses dispositions (le dallage repose sur des murets parallèles bâtis transversalement sur les reins de la voûte, entre lesquels des toitures à deux pentes couvertes de tuiles reposant sur des formes de mortier renvoient les eaux vers des chéneaux), que l’on a rapprochées de la terrasse de Chambord. Une seconde campagne de construction concerna la fondation d’une nouvelle aile au sud à l’équerre de l’ancien logis seigneurial. Le bâtiment ayant été en très grande partie remonté de 1913 à 1920, l’auteur se livre à une analyse fine des parties authentiques et de leur décor, en particulier des panneaux de la frise de la cour du puits, et précise par un ensemble de comparaisons les sources d’inspiration de l’œuvre. La façade sud du corps principal, précédée de sa terrasse, devint donc la façade principale animée d’un jeu de colonnes et de niches qui révèle, avec son système des ordres, un contexte culturel nouveau. Christian Trézin se livre alors à une  recherche des sources, orientée à juste titre vers les chantiers de Picardie — grâce à la mention sur les chantiers de Grignan du maître maçon Anthoine Soysson (né en 1490 natif de Saint-Just-en-Chaussée et actif jusque 1553) — et en particulier les entreprises royales, dont Villers-Cotterêts. Anthoine Soysson a dû trouver ses modèles dans le paysage des châteaux édifiés autour de la région parisienne sur les chantiers desquels il avait pu recevoir sa formation.

           

         Les chantiers postérieurs, jusqu’à la tourmente révolutionnaire, seront limités (mais un ensemble de sources permet de retracer l’évolution des aménagements intérieurs de 1668 à 1672, puis de décrire les intérieurs, les décors de boiserie, d’étoffe, de tapisserie..) à la construction de l’aile « des prélats » (1684-1689) ;  le dessin de sa façade, qui a été rapproché des productions de l’agence de Jules Hardouin-Mansart, s’en éloigne quand-même en raison d’une série d’adaptations formelles aux caractères des bâtiments antérieurs.

 

         L’ouvrage est richement illustré et luxueusement édité. On regrettera uniquement des plans à l’échelle trop réduite et parfois insuffisamment légendés pour en permettre une lecture aisée. Le texte de l’auteur est sûr et ses réflexions s’appuient sur une riche documentation d’archives et sur des comparaisons qui viennent sans cesse étayer ses affirmations. Christian Trézin nous offre une monographie assurée et nécessaire d’un château qui n’est pas un grand édifice (un état des lieux de 1516 mentionne 14 chambres dont 9 suivies d’une garde-robe) mais reflète parfaitement les enjeux et interactions des modes culturelles. Faut-il pour autant ressentir avec lui, à propos de la galerie — dont la réception du thème dans le milieu provençal aurait mérité d’être questionnée —, un air d’Italie dans les baies régulièrement espacées, la dominante horizontale, le système ornemental répétitif, l’ordonnance claire ? En réalité, ses caractères sont purement gothiques et apparaissent déjà formés dans l’architecture du milieu du XVe siècle comme en attestent, entre autres, les compositions élaborées du palais Jacques Cœur à Bourges vers 1450. Nous ferons la même remarque à propos du système des terrasses de la collégiale que l’on dit inspirées d’Italie, mais sans preuve réelle.

           

         Enfin Rosmarino est-il Grignan ? C’est la question que pose Christian Trézin en y répondant par l’affirmative. Après avoir souligné les conditions favorables au sein du réseau de ses relations pour que Louis Adhémar ait connu Serlio dans ses fonctions de « paintre et architecteur ordinaire du roi » à partir de décembre 1541, il propose l’identification de Grignan avec le « Rosmarino » du Livre VII de Sébastiano Serlio, publié à Francfort en 1575, plutôt que Lourmarin jusqu’alors avancé. Étayée par de nombreuses sources inédites et prenant appui sur un examen attentif des plans de Grignan et Rosmarino, des comparaisons métriques, l’analyse des textes ainsi que la démonstration sont séduisantes, si l’on accepte l’idée d’un projet qui n’aurait pas abouti et auquel aurait pu participer, avec d’autres peut-être, Serlio.

 

 

 

Sommaire

 

Prologue en forme d’état des lieux, p. 12

Emergence et développement de la seigneurie châtelaine de Grignan, p. 34

Le château médiéval, p. 64

Le bourg castral du XIe au XVIe siècle, p. 114

Grignan : le château renaissant, p. 132

Grignan et son contexte au XVIe siècle, p. 232

Grignan : un palais d’Apolidon, p. 290

Sources et bibliographie, p. 344

Index, p. 370

Annexe 1, p. 378

L’annexe 1 concerne la présentation synthétique des fouilles archéologiques pratiquées sur des structures médiévales et modernes (la rampe d’accès, diverses constructions, la chapelle Saint-Romain, la poterne ouest, les logis nord et le fournil, les aménagements en périphérie des bâtiments).

Annexe 2, p. 440

L’annexe 2 est une traduction bilingue du latin et italien au français) du projet de Serlio de restauration de Rosmarino.