Bánffy, Eszter (ed.): The Early Neolithic in the Danube-Tisza Interfluve. Archaeolingua Central European Series 7. 189 pages, illustrated in colour and black and white, ISBN 9781407312125. £42.00.
(Archaeopress, Oxford 2013)
 
Recensione di Béatrice Robert, Université Toulouse Jean Jaurès
 
Numero di parole: 2554 parole
Pubblicato on line il 2015-05-26
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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          Cet ouvrage édité par les British Archaeological Reports concrétise le projet d’Eszter Bánffy de proposer un état des travaux menés ces dernières décennies sur les premières populations du Néolithique installées dans les vallées du Danube et de la Tisza. Onze chapitres (189 pages au total, bibliographie comprise), abondamment illustrés, s’intéressent tour à tour aux cultures de Körös et de Starčevo, toutes deux originaires du même « complexe balkanique », à leur répartition géographique, à leurs différences culturelles, aux contacts qu’elles ont pu, ou non, entretenir avec d’autres communautés indigènes. L’auteur y présente les dernières données de fouilles, les études de mobilier archéologique ou encore les analyses paléoenvironnementales obtenues sur le sujet.

 

          Le premier chapitre fait office de préambule ou plutôt d’exorde à l’ouvrage en suscitant la bienveillance du lecteur. L’auteur commence par rappeler l’objectif du travail et remercie les collègues qui l’ont encouragé dans sa démarche de publication tout en exposant brièvement les réticences de quelques autres. Elle souligne l’apport significatif des disciplines géoarchéologiques pour la compréhension des transformations sociales et culturelles en Préhistoire ainsi que l’intérêt porté par les chercheurs aux régions frontalières du Bassin des Carpates et aux modalités d’expansion des premières populations sédentaires du début du VIe millénaire BC, puis elle signale que la chronologie relative du Néolithique en Hongrie a considérablement évolué à la fin du XXe siècle avec les découvertes réalisées sur la culture de Körös. Enfin, elle indique que depuis 1990 le sujet connaît un nouvel essor grâce aux travaux de Nándor Kalicz et aux opérations de sauvetage conduites dans la région du lac Balaton.

 

          Dans le deuxième chapitre, Eszter Bánffy oriente son propos sur les cultures de Körös et de Starčevo et dresse un bilan historiographique. Elle revient sur les modalités d’émergence de ces groupes implantés dans la région. La culture de Körös s’étend sur la partie sud de la région de l’Alföld et se trouve limitée au nord par les cours septentrionaux du Danube et de la Tisza. Celle de Starčevo est circonscrite dans une aire limitée au nord par le lac Balaton, à l’est par le Danube, au sud et à l’ouest par la Drave. L’auteur rappelle que toutes deux sont issues du même noyau culturel et géographique et que le phénomène migratoire à l’origine de leur segmentation, au début du VIe millénaire BC, semble avoir été dicté par des modifications d’ordre climatique et/ou écologique. Elle présente ensuite un résumé des recherches réalisées sur le sujet depuis l’identification de la culture de Körös à la fin du XIXe siècle et précise qu’il faut encore attendre un siècle pour que soit identifiée celle de Starčevo. Elle témoigne du dynamisme de la recherche actuelle sur le sujet et cite les nombreux apports de la science sur les questions stratigraphiques et chronologiques. Enfin, l’auteur met l’accent sur le rôle joué par le Danube dans le morcellement du noyau balkanique originel et l’installation des différents groupes dans les vallées environnantes.

 

          Le troisième chapitre revient sur la répartition géographique des premières populations néolithiques. À partir des données archéologiques disponibles (notamment le mobilier lithique), l’auteur note que l’arrivée des premiers groupes, au tournant des VIIe-VIe millénaire BC cal., ne s’est pas faite au même rythme. La représentativité des cultures et la distribution des sites semblent dépendre de frontières naturelles, notamment des fleuves et des cours d’eau. L’auteur insiste sur le fait que la présence de ces zones frontières, mais aussi de zones d’interactions avec des populations indigènes (cas de la culture de Starčevo), a conditionné l’évolution de ces communautés et accentué leurs différences culturelles. Ainsi, elle définit l’aire géographique située entre le Danube et la Tisza comme étant un No man’s land au début du Néolithique. Qu’il s’agisse d’interprétations linguistiques ou hydrologiques, aucun élément ne permet pourtant d’expliquer le phénomène.

 

          Le quatrième chapitre, écrit par Pál Sümergi,  Sándor Gulyás, Gergő Persaits, Katalin Náfrádi et Tünde Törőcsik, propose une étude paléoenvironnementale de la zone d’expansion de la culture de Körös. Partant du postulat que cette culture s’étend aux régions de Kiskunság, Bácska et à l’aire comprise entre le Danube et la Tisza (hypothèse proposée par Eszter Bánffy sur la foi du seul mobilier céramique mis au jour dans la région de Bácska), les chercheurs du département de paléontologie de l’université de Szeged réalisent un examen minutieux des sédiments prélevés dans ces régions afin de savoir si l’installation de ces communautés correspond à un choix du milieu écologique et/ou géologique. Si le protocole mis en œuvre est parfaitement maîtrisé et bien détaillé, les résultats, prometteurs, ne peuvent répondre à une question d’ordre "processuel" en raison du cruel manque de données archéobotaniques, archéozoologiques ou géomorphologiques et d’un référentiel bien trop distant des sites archéologiques.

 

          Le cinquième chapitre, rédigé par Rozália Kustár, s’attache aux campagnes de prospection menées dans la région de Kalocsa Sárköz. Après avoir présenté un état des premières recherches dans la région et les méthodes d’investigation, elle décompte et détaille, planches céramiques à l’appui, pas moins de 52 sites caractéristiques de la culture de Körös, datés du début du Néolithique. Elle observe que nombre d’entre eux sont localisés dans une aire assez restreinte, drainée par des cours d’eau présents de manière permanente ou saisonnière, et que leurs dimensions demeurent assez variables : depuis la simple ferme jusqu’à de véritables "centres"  (le mobilier céramique renvoyant parfois à une forte densité d’occupation). Enfin, elle poursuit son étude en dressant un bilan synthétique des traits caractéristiques du mobilier du début du Néolithique attribué à la culture de Körös : vaisselle, objets en terre cuite, lithique, et tente de le replacer dans un horizon chronologique.

 

          Les chapitres 6 et 7 sont dédiés au site de Szakmár-Kisülés. Eszter Bánffy reprend la documentation archéologique des opérations menées dans les années 1970 et laissée par Ida Bognár-Kutzián, décédée en 2001. Elle présente aussi les résultats des études paléoenvironnementales menées par Endre Krolopp, Mária Miháltz-Faragó et József Stieber, également disparus. Si les données exploitées restent parfois partielles, car se référant aux notes des journaux de bord et aux documents de terrain, elles permettent tout au moins d’avoir une meilleure connaissance du site. Après avoir replacé celui-ci dans son contexte chrono-culturel, rappelé les objectifs des opérations, l’auteur donne un détail des zones d’intervention et présente de manière assez fournie le mobilier archéologique exhumé. Si la céramique prédomine dans le chapitre 6, il faut souligner l’attention portée au mobilier en terre crue ainsi que la place réservée aux figurines et autels en terre cuite qui sont une des spécificités des cultures d’Europe centrale à laquelle appartient celle de Körös. Le chapitre 7, quant à lui, complète le sixième en proposant une datation du site estimée entre 6030-5640 BC cal. (1 sigma) et en intégrant les résultats des analyses paléoenvironnementales : études anthracologiques et botaniques obtenues par József Stieber attestant de la présence prédominante de chênes pédonculés pour la construction des maisons ; études palynologiques de Mária Miháltz-Faragó confirmant non seulement les données anthracologiques mais aussi la présence de pins et conifères, de fougères, de tourbes (type sphaigne) et de céréales, à proximité du site et études conchylologiques d’Endre Krolopp indiquant  la présence de mollusques sur le site, principalement des bivalves d’eau douce.

 

          Dans le même esprit que le précédent chapitre, le huitième est consacré à une étude de caractérisation de la production céramique du site de Szakmár-Kisülés (47 tessons) à laquelle s’ajoutent quatre exemplaires provenant du site d’Alsómyék-Bálaszék-Mérnöki ainsi que trois fragments de torchis. Si l’échantillonnage paraît inégal, le matériel a été choisi en raison de la représentativité des deux sites (le premier pour la culture de Körös, le second pour la culture de Starčevo) et de la forte ressemblance technologique entre les deux productions. Les résultats des études pétrographiques conduites par Attila Kreiter, Ákos Pető, Péter Pánczelont, ainsi que les observations faites sur les cartes géologiques, rendent compte d’une tradition céramique, ou plutôt d’un savoir-faire technologique similaire, ainsi que de productions de provenance locale pour les deux sites. Les auteurs évoquent également la présence de deux groupes sur le site de Szakmár-Kisülés, alors que celui d’Alsómyék-Bálaszék-Mérnöki n’en comporte qu’un. Si ces résultats méritent d’être considérés avec intérêt, des réserves doivent être apportées en raison d’une mauvaise « représentativité d’échantillonnage » pour le second site et de l’absence de détail des contextes de découverte.

 

          Le chapitre 9, écrit par István Vörös, rend compte des résultats obtenus par l’étude archéozoologique du site de  Szakmár-Kisülés. L’auteur précise la provenance du mobilier étudié et souligne avec pertinence que seuls 197 fragments sur 811 sont attribués à la culture de Körös. Son étude, très efficace, confirme la présence de cinq espèces domestiques, majoritairement représentées par des bœufs et des moutons (ainsi que des chèvres, porcs et chiens), et celle d’espèces sauvages  parmi lesquels des aurochs, des cerfs, des chevreuils et des sangliers. Il note également que nombre d’ossements appartient à des animaux relativement jeunes très certainement  élevés pour la consommation de leur viande.

 

          Le chapitre 10 revisite les données anthropologiques relatives aux cultures de Körös et Starčevo grâce aux méthodes statistiques. Pour illustrer son étude, Zsuzsanna K. Zoffmann s’appuie sur 179 individus provenant de 47 sites également répartis entre les deux cultures. Elle remarque que, dans ces communautés, les morts étaient enterrés sur les sites d’habitat, parfois dans les maisons ou à proximité immédiate. Il s’agit le plus souvent d’inhumations secondaires ou de fosses dépotoirs, parfois de crémations (culture de Körös). Elle donne ensuite un résumé des différentes hypothèses phylogénétiques avant de conclure que les populations des cultures de Körös et de Starčevo se caractérisent par une diversité taxonomique si l’on se réfère aux méthodes traditionnelles d’analyse. L’approche biostatistique proposée dans ce chapitre repose sur ces mêmes données. Les résultats sont illustrés sous la forme de quatre dendrogrammes comparant successivement les populations du Bassin des Carpates à celles d’Europe centrale, d’Europe de l’est, et du sud-est de l’Europe ainsi que de l’Anatolie et du Proche-Orient. Si quelques filiations se dégagent à la lecture de ces analyses de grappes, elles ne répondent pas aux attentes des chercheurs, ni même du lecteur, en raison d’une collection ostéologique trop restreinte, d’attributions chronologiques de certains groupes non actualisées (population obeidienne placée au Néolithique par exemple en figure 14), mais aussi de données contextuelles souvent issues de fouilles très anciennes.

 

          Un onzième et dernier chapitre, rédigé par Eszter Bánffy, clôt l’ouvrage. Après être revenue sur les questions migratoires des premières populations appartenant au complexe balkanique, l’installation des premiers agriculteurs dans les différentes aires géographiques ainsi que la distribution des sites, elle passe en revue les contributions des autres auteurs pour en extraire les points essentiels. Elle s’attarde tout d’abord sur l’intérêt du site de Szakmár-Kisülés pour la connaissance de la culture de Körös tout en évoquant les limites chronologiques posées par ce site. Elle souligne ensuite l’absence de contact entre la culture de Körös et celles voisines, ainsi que le choix d’une installation dans une aire géographique située entre le Danube et la Tisza, qui paraît marginale et peu propice au développement de groupes humains. Enfin, elle termine en considérant la culture de Körös comme un interlude dans l’horizon néolithique. Le lecteur qui s’attache au mobilier retrouvé sur les différents sites archéologiques (parution du récent ouvrage sur les figurines de la culture de Körös d’Elisabetta Starnini) ne manque pas de s'interroger au sujet de cette dernière assertion, qui paraît peu convaincante à la fin du volume.

 

          The Early Neolithic in the Danube-Tisza Interfluve, édité par Eszter Bánffy est un important  ouvrage de synthèse des travaux menés sur le début du Néolithique et sur les premiers agriculteurs installés dans le sud de la Hongrie. Dès le début, la volonté de l’auteur de partager les données obtenues par des années de recherches et parfois laissées à l’abandon en raison de la disparition des directeurs d’opérations et/ou de certains membres d’équipes, est affirmée. À ce titre, son objectif est parfaitement atteint. Toutefois, nonobstant cette très belle intention d’Eszter Bánffy, certains détails ternissent l’ouvrage et ne répondent pas à ses ambitions ni aux espérances du lecteur. Trois critiques peuvent être émises. La première a trait à la documentation graphique qui reste de qualité très inégale selon les chapitres et pour laquelle la rigueur n’est pas toujours de mise. Autant les planches céramiques du chapitre 6 sont remarquables par le soin apporté aux dessins, autant l’absence quasi-générale de légendes, d’échelles ou d’orientations (particulièrement sur les cartes) peut agacer le lecteur (chapitres 3, 4 et 6 par exemple). Une carte générale précisant les frontières modernes, les fleuves et affluents ainsi que l’emplacement des cultures manque cruellement et devrait apparaître dès les premières pages. Aussi, il faut attendre le dixième chapitre pour comprendre la répartition des différentes communautés par rapport aux frontières actuelles. De même, si un réel effort est apporté à la présentation des relevés stratigraphiques, ceux-ci sont parfois imprécis. Certaines structures ne sont pas clairement délimitées (traits non terminés pages 78 et 79 ne répondant pas aux normes de représentation graphique) ni même géoréférencées (NGF manquants).

 

        La seconde critique porte sur les analyses paléoenvironnementales et les méthodes de caractérisation des matériaux qui, si elles présentent un intérêt fondamental pour ce type de recherche, ne sont pas toujours utilisées à bon escient.  Pál Sümergi, Sándor Gulyás, Gergő Persaits, Katalin Náfrádi et Tünde Törőcsik (chapitre 4) abordent ce sujet en discutant des limites de leur étude en raison d’un choix d’échantillonnage assez peu pertinent.

 

          Enfin, des réserves peuvent être émises quant à l’organisation de l’ouvrage. L’agencement des chapitres paraît parfois un peu aléatoire en raison, très certainement, d’un souci de précision pour chaque étude. Ainsi, les chapitres 2, 3 et 4, qui proposent tous trois un historique de la recherche et une remise en contexte, auraient mérité d’être regroupés et simplifiés. Les chapitres 6 à 9, relatifs au site de Szakmr-Kisülés, auraient gagné à être associés, ce qui aurait donné plus de force à la discussion.

 

          Au-delà de ces regrets, l’ouvrage édité par Eszter Bánffy offre une précieuse contribution à la communauté scientifique et ouvre de nombreuses perspectives de recherche quant à la connaissance des cultures du Néolithique danubien. Nous la remercions vivement d’avoir rouvert certains anciens dossiers afin d’en publier les données. Une telle démarche n’est pas chose aisée ni courante et le résultat est des plus honorables d’autant plus que ce travail a été réalisé avec beaucoup de respect, d’humilité et de persévérance. Les nombreuses références bibliographiques ainsi que les renvois systématiques à chaque auteur en témoignent.

 

 

 

SOMMAIRE

 

Chapter 1. Introduction (9) Eszter Bánffy

 

Chapter 2. The Körös culture in the southern Danube Valley and the Kalocsa Sárköz region (11) Eszter Bánffy

 

Chapter 3. The northern and western frontier of the Körös culture in the Danube-Tisza interfluve (15) Eszter Bánffy

 

Chapter 4. Palaeoenvironmental studies in the Danube-Tisza interfluve : possible contact between the Körös sites in the Tisza and Danube Valleys (23) Pál Sümergi – Sándor Gulyás – Gergő Persaits – Katalin Náfrádi – Tünde Törőcsik

 

Chapter 5. The Early Neolithic sites of the Danube region in southern Hungary in the light of the region’s field survey (31) Rozália Kustár

 

Chapter 6. Szakmár-Kisülés : The site and its finds (73) Eszter Bánffy

 

Chapter 7. The palaeoenvironmental samples from Szakmár-Kisülés (119) Eszter Bánffy

 

Chapter 8. Materialising tradition : ceramic production in the Early Neolithic Hungary (127) Attila Kreiter – Ákos Pető – Péter Pánczel

 

Chapter 9. The animal bone remains from the Körös settlement at Szakmár-Kisülés (141) István Vörös

 

Chapter 10. The Early Neolithic Körös and Starčevo populations : physical anthropological data (147) Zsuzsanna K. Zoffmann

 

Chapter 11. The first farmers in the Danube-Tisza interfluve (155) Eszter Bánffy

 

References