Vivas Sainz, Inmaculada : Egipto y el Egeo a comienzos de la XVIII Dinastía Una visión de sus relaciones, antecedentes e influencia iconográfica. ix+237 pages; 15 colour illustrations; in Spanish, ISBN 9781407312132. £40.00
(Archaeopress, Oxford 2013)
 
Reviewed by Renaud Pietri, Université Paul Valéry – Montpellier III
 
Number of words : 2351 words
Published online 2016-03-21
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2132
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          Les relations entre l'Égypte et le monde égéen au IIe millénaire avant J.-C. ont fait l'objet de nombreuses études ponctuelles et de quelques synthèses, mais les fouilles archéologiques et leurs lots de découvertes permettent régulièrement de remettre en question ou d'affiner certaines interprétations : ce livre s'inscrit dans cette optique.

 

         Le prologue nous apprend d'abord que l'ouvrage que l'on tient entre les mains est le résultat d'une thèse de doctorat soutenue en 2004 à Madrid. Les pages suivantes comprennent la première partie, en fait une introduction dans laquelle l'auteur présente son livre et en explique la raison d'être, à savoir la nécessité d'un réexamen des relations entre le monde égéen et l'Égypte au début de la XVIIIe dynastie ; celui-ci est motivé notamment par la découverte des peintures murales de Tell el-Dab'a. Quelques lignes rappellent ensuite les principales synthèses déjà publiées sur le sujet et le cadre géographique de l'étude, en particulier le monde égéen, est défini par l'auteur.

 

         La deuxième partie, limitée à quelques pages, est l'occasion d'exposer au lecteur quelques réflexions sur des questions incontournables lorsqu'on s'intéresse aux relations entre l'Égypte et l'Égée. L'auteur présente ainsi les quatre principales routes maritimes et commerciales reliant le Delta égyptien à la Crète : directement par la haute-mer ou par cabotage en suivant les côtes anatolienne et levantine, avec la possibilité de passer par l'île de Chypre. La question des vents et des courants est soulevée sans être particulièrement approfondie – mais ce serait s'écarter du sujet essentiel du livre –, puis l'auteur s'intéresse aux bateaux de l'Âge du Bronze Récent et rappelle au lecteur l'importance des épaves d'Ulu Burun et du Cap Gelidonya pour la connaissance du commerce de cette époque. Enfin, la nature de ce commerce est rapidement évoquée, l'auteur insistant sur le rôle fondamental joué par la côte levantine dans ces échanges. Le débat complexe de la localisation du port égyptien de Pérou-Nefer est aussi abordée : si l'auteur ne se prononce pas particulièrement en faveur d'une hypothèse ou de l'autre – Avaris ou Memphis1 –, il souligne que de toute façon Tell el-Dab'a/Avaris était une ville commerciale et cosmopolite ouverte sur l'étranger et comprenait sans doute un port important. La troisième partie, également de quelques pages, explique succinctement le contexte historique et politique de la période étudiée : d'abord en quelques lignes l'Égypte de la XVIIIe dynastie jusqu'au règne d'Amenhotep III, puis très rapidement le monde égéen contemporain, en particulier la Crète de l'époque néo-palatiale. La quatrième partie – un peu plus d'une page – est consacrée à la présentation des sources utilisées par l'auteur. Les sources archéologiques, tout d'abord, à savoir les productions égyptiennes trouvées en territoire égéen et inversement les productions égéennes trouvées en territoire égyptien ; puis les sources iconographiques, incluant à la fois des transferts de motifs ou des imitations et les représentations des étrangers eux-mêmes, par exemple les Keftiou des tombes thébaines ; les sources écrites, limitées principalement aux textes égyptiens mentionnant des ethniques liés aux Égéens, et en particulier, là encore, le terme « Keftiou ».

 

         La cinquième partie, bien plus longue, est consacrée aux sources relatives aux Égéens trouvées sur le territoire égyptien (partie V.A) et vice-versa (partie V.B). La partie V. A. commence donc par les sources archéologiques et notamment une présentation synthétique de la vaisselle métallique du célèbre trésor de Tôd : après être revenu sur l'épineux problème de la date de dépôt du trésor, l'auteur aborde la non moins controversée question de l'origine des différentes pièces qui y sont réunies. Les pages suivantes récapitulent les différents sites égyptiens ayant livré du matériel céramique égéen, principalement minoen, ou des imitations de ce type de productions. La céramique est présentée par ordre chronologique (Minoen moyen I et II, Minoen moyen III, Minoen récent), et pour chaque site sont détaillés le ou les objets découverts, le contexte, la datation et le cas échéant des explications reviennent sur des points de détail. Les sites mentionnés vont du Delta (Tell el-Dab'a) à la Nubie (Aniba, Kerma, Arminna), en passant par la Haute-Égypte (Abydos) et le Fayoum (Ghourob, Kahoun, etc.). L'auteur replace ensuite la question de la présence de cette céramique dans un cadre plus large, en s'attardant sur les découvertes de céramique égéenne au Levant. La présence en quantité relativement importante de céramique égéenne dans le Fayoum est interprétée et l'hypothèse d'une population étrangère installée localement envisagée. L'auteur continue sa sous-partie en mentionnant le textile – qu'on oublie souvent – et plus précisément la question de la laine et d'éventuels artisans minoens en Égypte. La deuxième sous-partie concerne les sources iconographiques et commence par analyser le motif de la spirale en Égypte et son origine égéenne, avec plusieurs études de cas proposées, dont celui d'un pendentif de Tell el-Dab'a ou encore ceux des plafonds de certaines tombes thébaines datées de la XIIe à la XXIe dynastie. Pour l'auteur, le motif s'est probablement inspiré de textiles exotiques importés du monde égéen par l'élite égyptienne. Puis c'est au tour du trousseau funéraire de la reine Ahhotep d'être évoqué : les armes inscrites au nom d'Ahmôsis présentent en effet des motifs souvent rapprochés de modèles, en particulier crétois2. La question des armes est particulièrement intéressante, puisque ce type d'objets fait souvent partie de cadeaux diplomatiques que s'envoient entre eux les souverains, une pratique bien attestée dans l'Orient de l'Âge du Bronze. Les représentations d'Égéens dans l'art égyptien ont fait couler beaucoup d'encre  : si la statuette du Brooklyn Museum antérieure au Nouvel Empire décrite par l'auteur est peu connue, les scènes de « tributs-jnw » figurant des Égéens dans les tombes thébaines de la XVIIIe dynastie ont en revanche été maintes fois commentées, et l'étude de référence de S. Wachsmann est d'ailleurs très régulièrement citée. L'auteur décrit ici les principales scènes comprenant des Égéens3, leurs vêtements, les objets qu'ils portent – s'intéressant spécifiquement aux vases métalliques –, et interroge l'historicité de ce type de représentations. La troisième sous-partie se réfère aux sources écrites. En premier lieu, le mot « Keftiou » et ses différentes attestations, principalement du Nouvel Empire, sont commentées ; puis, successivement, l'expression « les îles au milieu de la mer » (jw.w ry.w-jb n(y).w Wȝḏ-wr), le terme Mnws – dont la proximité phonétique avec Minos est considérée comme une simple coïncidence, probablement avec raison, rien ne venant étayer cette équivalence par ailleurs –, les Hȝ.w-nbw, le toponyme Tinay/Tanaya dont la localisation précise reste obscure ; et enfin les listes de toponymes du Kôm el-Hettan, maintes fois étudiées et qui font ici l'objet d'un développement assez long résumant les travaux précédents.

 

         Sur le même modèle, la partie V.B de l'ouvrage présente à l'inverse les sources relatives aux Égyptiens trouvées sur le territoire égéen. Pour commencer, les sources archéologiques et notamment la céramique égyptienne, là encore classée par ordre chronologique, mais moins abondante : une seule page y est consacrée. Suivent les vases de pierre égyptiens et leurs imitations minoennes, que l'auteur ne considère pas comme des produits de luxe mais plutôt comme des objets relativement ordinaires dont la technique de fabrication aurait été transmise de l'Égypte à l'Égée. Objets en faïence, verre, plantes, pierres, etc. sont également cités et discutés, ainsi que le larnax, dont le lien avec l'Égypte est loin d'être évident, l'auteur notant d'ailleurs que la question de l'origine de ces boîtes de terre cuite est très complexe. La deuxième sous-partie porte sur les sources iconographiques. En premier lieu, les scarabées et ovoïdes assimilés, ces petits éléments qui circulent beaucoup, font l'objet d'un développement de quelques pages, suivi d'une étude portant sur la déesse Thouéris et ses avatars égéens, un transfert avant tout d'ordre iconographique et dont la composante proprement religieuse reste difficile à évaluer. Images de singes, de chats et de crocodiles vus en Égypte ou importés par la cour minoéenne sont ensuite évoquées, suivies de quelques pages portant sur des témoignages divers de contacts entre l'Égypte et l'Égée : des statuettes, les mosaïques de Knossos, le sarcophage d'Hagia Triada, le motif de la procession dans l'art minoen, le sistre dans le monde égéen, le kouros de Palaikastro, etc. Pour conclure cette partie V.B, les sources écrites sont mentionnées : elles se résument principalement à la statuette en diorite d'un certain Ouser, datée de la XIIe dynastie, et aux mentions des termes désignant l'Égypte dans les tablettes inscrites en linéaire B de Knossos.

 

         La sixième partie est entièrement consacrée aux peintures minoennes découvertes à Tell el-Dab'a, qui ont conduit l'auteur à réfléchir à cette problématique des relations entre l'Égypte et l'Égée. Elle est d'ailleurs bien plus détaillée et les parties précédentes apparaissent alors comme une longue introduction et une contextualisation indispensable avant de présenter ces décors exceptionnels qui, malgré une bibliographie relativement abondante, restent encore trop peu connus.

 

         L'auteur commence par présenter le contexte archéologique de découverte de ces peintures et les différentes constructions palatiales à Tell el-Dab'a/Avaris de la fin de la période hyksôs au milieu de la XVIIIe dynastie, et indique que son analyse portera essentiellement sur les peintures murales des palais F et G de la période thoutmoside, avec quelques allusions au palais J. Après avoir évoqué les parallèles égyptiens de ces palais d'un point de vue architectural, l'auteur revient sur des questions relatives aux techniques employées dans la peinture murale de l'Âge du Bronze à la fois en Égypte et dans le monde égéen et en conclut que les techniques utilisées pour les peintures de Tell el-Dab'a les rattachent à une tradition minoenne, ce qui laisse ouverte la question de l'origine des artistes qui les ont réalisées. Une analyse des différentes thématiques présentes dans les peintures étudiées par l'auteur est d'abord proposée : lions, léopards, chiens, griffons4, puis paysages et décors végétaux font l'objet de paragraphes qui, après une description des fragments retrouvés, s'intéresse au caractère égéen ou éventuellement égyptien de chaque motif. Le même schéma est appliqué aux célèbres scènes figurant acrobates et taureaux et aux motifs de labyrinthes et de rosettes qui les accompagnent. Voltige et jeux impliquant des taureaux dans le monde égéen, en Égypte, en Syrie, en Anatolie sont ensuite décrits et mis en relation.

 

         Vient enfin la partie principale de l'ouvrage qui concerne l'interprétation des peintures d'inspiration égéenne, principalement minoenne, de Tell el-Dab'a/Avaris. L'iconographie et la portée symbolique des peintures sont examinées et l'hypothèse d'un mariage diplomatique égypto-égéen ayant conduit à l'élaboration de ces décors est discutée : l'auteur précise que dans l'état actuel de nos connaissances, les éléments à l'appui de cette hypothèse restent encore trop peu nombreux. La discussion suivante porte sur la circulation des artistes égéens en Méditerranée orientale et au Proche-Orient : des peintures retrouvées à Alalakh, Qatna, Mari (palais de Zimri-Lin), Milet et Tell Kabri – site auquel plusieurs pages sont consacrées –, sont rapprochées de celles de Tell el-Dab'a, avec lesquelles elles ont un certain nombre de points communs. Pour finir sa partie sur les peintures de Tell el-Dab'a, l'auteur s'intéresse à la persistance des motifs égéens dans la peinture égyptienne après la période étudiée, à savoir la XVIIIe dynastie. Ce sont en fait principalement les peintures du palais d'Amenhotep III à Malqata qui sont concernées dans ces derniers paragraphes, même si les peintures des palais d'Amarna sont aussi rapidement évoquées.

 

         La septième et ultime partie, limitée à quelques pages, correspond à la conclusion, qui résume les différents développements et hypothèses de l'ouvrage. Sur le plan de la forme, on regrettera simplement que les images soient finalement assez peu nombreuses : malgré quelques figures très utiles disséminées tout au long de l'ouvrage, les planches ne comportent que quinze illustrations réparties sur quatre pages, or le nombre conséquent d'objets et de scènes mentionnés notamment dans la cinquième partie aurait peut-être mérité plus de supports visuels. En revanche, une très riche bibliographie permettra au lecteur qui le souhaite de trouver certaines images ou d'approfondir certains points, même si celle-ci comporte quelques coquilles sans grandes conséquences, notamment pour les références en français.

 

         Pour conclure, cet ouvrage en espagnol, à la fois dense et clair, constitue une très bonne synthèse sur les relations entre l'Égypte et le monde égéen, non seulement au début de la XVIIIe dynastie, mais également aux époques antérieures, un état de la question qui résume les travaux précédents sur le sujet, réunit tout le matériel à disposition en 2013 et propose au lecteur d'aborder de très nombreuses problématiques dont les enjeux dépassent la période et la zone géographique concernées et qui pourront intéresser, sur des points de méthode ou de réflexion, des spécialistes d'autres civilisations en contact avec les cultures voisines. La circulation des artistes, des œuvres d'art et des marchandises, les contacts entre grandes puissances avec ou sans intermédiaires, le style « international » de l'Âge du Bronze en Orient, sont autant d'éléments – et on pourrait en citer beaucoup d'autres – qui mettent en avant le caractère « mondialisé » avant l'heure de l'espace méditerranéen oriental de cette époque, un sujet promis sans nul doute à d'intenses réflexions dans les années à venir et dont le présent ouvrage constitue un prélude très bien documenté. De nouvelles découvertes à Tell el-Dab'a ou ailleurs permettront immanquablement d'infirmer ou de confirmer dans un proche avenir certaines hypothèses ou interprétations qui y sont présentées.

 

 

1On ajoutera aux références citées la contribution récente au débat de I. Forstner-Müller, « Avaris, its harbours and the Perunefer problem », Egyptian Archaeology 45, 2014, p. 32-35

2Il faut ajouter à la bibliographie donnée par l'auteur sur Ahhotep et la panoplie d'Ahmôsis les références suivantes : N. Couton-Perche, D. Robcis, M. Aucouturier, J. Langlois, « Une dague au nom d'Ahmôsis : une réhabilitation ? », Memnonia XXII, 2011, p. 135-147, pl. XXV-XL ; S. Wachsmann, « Ahhotep's Silver Ship Model: the Minoan Context », JAEI 2, 2010, p. 31-41

3On pourra ajouter à la bibliographie l'article récent de A. H. Gordon, « A premilinary look at Theban Tomb 119 and its scene of “foreign tribute” », JAEI 6, 2014, p. 7-19.

4Sur le griffon égyptien, le lecteur peut maintenant consulter la synthèse de S. Gerke, Der altägyptische Greif: von der Vielfalt eines "Fabeltiers", BSAK 15, 2014.

 


N.B. : Renaud Pietri est doctorant en égyptologie à l'Université Paul Valéry - Montpellier III. Son directeur de thèse est Luc Gabolde.