Ziadé, Raphaëlle : Les icônes du Petit Palais. 71 p., 15,1 cm × 20,9 cm × 0,7 cm, ISBN 978-2-7596-0218-6, 12 €
(Paris Musées, Paris 2013)
 
Rezension von Olga Medvedkova, CNRS-ENS
 
Anzahl Wörter : 844 Wörter
Online publiziert am 2014-08-26
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2146
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          Responsable du département byzantin du Petit Palais, spécialiste du christianisme oriental, Raphaëlle Ziadé prépare actuellement le catalogue raisonné des icônes de ce musée. Le guide de 70 pages qu’elle vient de publier en donne un avant-goût. Il s’agit d’une collection importante de soixante-treize icônes post byzantines (de la fin du XVe à la fin du XVIIIe siècle), crétoises, grecques, russes, balkaniques, melchites, etc., réunies par Roger Cabal (1929-1997) et léguées au Petit Palais en 1998. Les musées français ne possédant que peu de collections d’icônes (on peut bien sûr, mis à part celle du Louvre, évoquer, par exemple, la collection du musée de Rouen), celle de Roger Cabal prend toute son importance. Étudiée, cataloguée, mise en valeur, elle pourrait devenir le lieu de mémoire par excellence de l’art des chrétiens d’Orient, souvent, comme l’écrit Raphaëlle Ziadé, « mal compris en Occident pour son caractère trop rapidement jugé comme répétitif et sans imagination » (p. 18). Et cela d’autant plus que le Petit Palais possède déjà une collection remarquable d’œuvres byzantines léguées par les frères Dutuit au début du XXe siècle, dont plusieurs ivoires célèbres font notamment partie.

 

          Le guide que Raphaëlle Ziadé choisit de publier avant son catalogue raisonné est un petit ouvrage de vulgarisation. Par conséquent, l’auteur commence sa présentation par l’explication abrégée et simplifiée du sens de l’art des icônes. Ce chapitre d’introduction intitulé « L’icône, fenêtre sur l’au-delà » expose les bases de la théologie de l’icône chez les pères de l’Eglise ; Raphaëlle Ziadé présente ensuite le courant de l’iconoclasme ; elle explore, enfin, les raisons de la place particulière de l’image iconique dans le culte orthodoxe.

 

         Quelques pages sont consacrées au collectionneur Roger Cabal. Fils d’agriculteur de l’Oranais, diplômé en droit à Alger, il parachève ses études à Paris pour entamer une carrière d’industriel. Sa collection d’icônes prend naissance dans les années 1960 et s’accompagne d’études poussées dont témoigne sa bibliothèque, également léguée au Petit Palais. Ses nombreux voyages en Russie, en Grèce, au Mont Athos, etc. lui permettent de se familiariser avec la culture orthodoxe.

 

         Dans la partie principale de l’ouvrage intitulée « Parcours de la collection », les icônes sont séparées en trois chapitres iconographiques qui sont consacrés aux icônes du Christ, de la Mère de Dieu et des saints. A l’intérieur de chaque chapitre, les icônes sont rangées également par sujets et non pas par époques ou par écoles. Ainsi la partie « Le Christ » commence par la Sainte Face (icône russe du XVIe siècle) et se poursuit par les icônes classées par ordre des événements de la vie du Christ : La Nativité (école créto-vénitienne de la fin du XVe siècle), Le Baptême du Christ (icône bulgare du XVIIIe siècle), La Déploration sur le Christ mort (Crète, XVIIe siècle), la Pietà (école créto-vénitienne de la fin du XVe siècle) et Le Christ de pitié (école créto-vénitienne de la fin du XVe siècle).

 

          Dans les notices, les icônes sont décrites d’abord du point de vue de leurs sujets iconographiques, puis du point de vue formel, évoqué en termes de « style ». Aucune discussion, même simplifiée, n’est avancée concernant la provenance, la datation ou l’attribution des œuvres à telle ou telle école. Le lecteur est censé faire une confiance absolue aux indications qui figurent sous les titres, tels que : « École des palais des Tsars, XVIe siècle », ou  « Yaroslav (Russie), 1781 », « Macédoine ou Serbie, XVIIe siècle », « Russie centrale, 1795 », « Région de Novgorod (Russie), seconde moitié du XVIIIe siècle ». Le lecteur non initié aurait tendance à prendre ces informations pour certaines, les considérant comme le fruit d’un savoir sûr, d’une science à laquelle il n’a pas accès. La réalité est que la plupart de ces attributions dérivent d’un compromis entre ce que les spécialistes savent et ne savent pas, peuvent ou ne peuvent pas savoir. L’évoquer, ne serait-ce qu’en quelques mots, ne pourrait en aucun cas nuire à la vulgarisation : quand la science – tout en restant fidèle à ses fondements – se tourne vers le public, elle a l’obligation de jouer cartes sur table.

 

           Dans le cas des icônes, il ne s’agit pas seulement de rester fidèle aux principes de la « science ouverte ». La question de la datation et de l’attribution des icônes à une école, surtout pour les icônes postérieures au XVe siècle, est à la fois difficile et primordiale pour la compréhension de cet art. Car l’icône évolue dans le temps et se déplace dans l’espace d’une manière bien particulière : en acceptant les nouveautés, mais aussi en préservant ses principes et en revenant régulièrement à ses origines temporelles ou spatiales. L’intégration des éléments nouveaux s’accompagne dans ce domaine d’une stylisation archaïsante délibérée. Dans le cas d’un art canonique qui se poursuit sur une très longue durée et embrasse un vaste territoire, la datation et l’attribution à une école n’est donc pas seulement une question pour ainsi dire interne du connoisseurship des spécialistes, mais celle du sens même de cet art, inséparable, comme l’auteur le souligne, des formes du culte des chrétiens d’Orient.

 

          Ainsi, tout en voulant corriger le regard du spectateur occidental sur les icônes comme sur un art « répétitif et sans imagination », le petit guide de Raphaëlle Ziadé risque de l’entretenir. Utiliser les icônes pour illustrer une sorte de catéchisme abrégé paraît, en effet, une ambition un peu trop limitée. Mais sans doute le catalogue raisonné complet de la collection comblera les lacunes de ce petit guide et deviendra le premier du genre dans le contexte français.