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Compte rendu par Thomas Penguilly, Université de Bretagne occidentale Nombre de mots : 3745 mots Publié en ligne le 2014-09-17 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2152 Lien pour commander ce livre
Fruit d’un colloque organisé à Genève les 30 et 31 mars 2012 dans le cadre d’un projet international consacré à la construction des identités culturelles en Lombardie entre le XIVe et le XVIe siècle, ce volume vise à combler une lacune, comme le rappellent les deux éditeurs, M. Natale et F. Elsig, dans leur brève introduction (p. 7-13). En effet, en regard de l’histoire politique ou littéraire, l’histoire de l’art peut paraître quelque peu déficitaire dans l’étude des complexes relations franco-italiennes à la Renaissance, et c’est précisément ce qui justifie la pertinence de l’approche proposée par ce recueil d’articles, qui invite à envisager l’étude des dynamiques d’échanges artistiques au travers de « foyers particuliers ». Le Duché de Milan et les territoires qui lui sont affiliés à l’époque de la domination française (1499-1521) constituent sans nul doute l’un de ces lieux privilégiés d’échanges artistiques entre France et Italie, d’autant plus que l’étude des commanditaires d’œuvres d’art s’était jusqu’ici essentiellement concentrée sur la famille de Charles II d’Amboise, gouverneur de Milan de 1501 à 1511, ou sur la fascination des Français pour l’œuvre de Léonard, notamment pour la Cène de Santa Maria delle Grazie. Plus particulièrement, les contributions réunies dans ce livre, consacrées à l’architecture, à la sculpture, à l’enluminure comme à la peinture, tentent d’offrir quelques éléments de réponse à la question de l’impact des commanditaires français ou francophiles sur la production milanaise et sur les choix techniques ou iconographiques des artistes lombards, mais aussi, en retour, à celles de la présence d’artistes d’Italie du Nord en France ou de l’assimilation par les artistes français du modèle lombard.
Le volume s’ouvre sur deux contributions qui se penchent sur les cas de l’architecture et de la sculpture, la première, due à F. Repishti (p. 15-39), proposant une réflexion générale sur le rôle des commanditaires français dans l’art monumental milanais, et la seconde, sous la plume de G. Extermann (p. 41-78), une étude de cas. F. Repishti passe ainsi au crible un certain nombre de stéréotypes de l’historiographie, qui évoque traditionnellement la période de la domination française sur le Milanais comme une rupture, voire une « stase » dans l’histoire de l’architecture milanaise, entre l’époque des Sforza et l’arrivée de Ferrante Gonzaga. En matière urbanistique, la France s’est pourtant comportée dans la continuité des Sforza, introduisant quelques nouveautés sur le plan des fortifications ou élaborant le projet de rendre navigable l’Adda pour relier Milan au lac de Côme. Néanmoins, du point de vue de l’architecture, les interventions royales ne furent qu’épisodiques et surtout de nature militaire, même s’il ne faut pas perdre de vue le fait que prélats et fonctionnaires français commandaient aussi à des sculpteurs milanais des monuments ou des éléments décoratifs qui étaient ensuite importés en France, sans oublier les chantiers résidentiels de commanditaires français ou italiens occupant des palais milanais, ni les nombreux chantiers mis en œuvre dans des édifices religieux. F. Repishti clôt cette intéressante mise en perspective par l’examen des principales ruptures intervenues à l’époque de la domination française. Ainsi, la France n’aurait jamais eu la volonté de se substituer aux Sforza, conséquence d’une cour qui ne réside pas dans la ville et qui préfère investir dans les chantiers militaires et les biens mobiliers : c’est précisément cette absence de l’autorité d’un grand commanditaire laïc qui explique que, dès lors, les ordres religieux deviennent les « principaux protagonistes de la scène architecturale milanaise ». D’autre part, cette période voit également la délocalisation des sculpteurs lombards vers Gênes pour des raisons stratégiques, afin d’être plus près de Carrare et au centre des échanges entre Rome, la France et l’Espagne. Enfin, durant la première décennie du XVIe siècle, apparaît un véritable « tournant linguistique » dans l’architecture milanaise, qui évolue vers des modèles plus normés, alors que perdurent ailleurs les modèles de la fin du Quattrocento : c’est l’époque de Cristoforo Solari et de Bramantino qui voit la naissance d’un nouveau langage que s’appropriera la génération suivante, celle de Cristoforo Lombardo, et que l’on retrouvera jusqu’au milieu du siècle.
L’article de G. Extermann porte quant à lui sur les décorations sculptées de la chapelle de Francesco Lomellini dans l’église de San Teodoro de Gênes, détruite en 1870 ; jusqu’ici, en effet, celles-ci n’avaient pas fait l’objet d’une étude précise, au contraire de la fameuse pala de Filippino Lippi, qui ornait l’autel de la chapelle. Si l’on possède encore le contrat de commande passé en mars 1501 entre le commanditaire et les sculpteurs Antonio della Porta, dit Tamagnino, et son neveu Pace Gaggini, nulle source écrite ne nous en avait laissé la moindre description. C’est donc à une reconstitution subtile de cette chapelle que se livre l’auteur, qui analyse avec précision les monuments, proposant ainsi d’attribuer la Résurrection à Tamagnino et la Nativité à Gaggini, puis étudie les médaillons représentant les pères de l’Église (Jérôme, Augustin, Ambroise et Grégoire), qu’il qualifie de « nouveauté la plus intéressante des marbres Lomellini », ainsi que les reliefs héraldiques. Il suppose également que Francesco Lomellini aurait modifié l’aménagement de la chapelle de son parent Filippo en supprimant sa décoration pour la remplacer par un programme sculpté, comme cela avait été le cas pour la chapelle de Saint-Jean-Baptiste de la cathédrale de Gênes une dizaine d’années plus tôt, lorsqu’il avait été décidé, notamment à l’initiative de Francesco Lomellini lui-même, de remplacer la décoration à fresque, due à Vincenzo Foppa, par une décoration sculptée. G. Extermann précise également que cette chapelle de San Teodoro constituait un véritable « manifeste d’excellence artistique » susceptible de susciter l’intérêt de commanditaires français : de fait, Tamagnino et Gaggini réalisèrent plusieurs œuvres pour des dignitaires français, peut-être par l’entremise de Lomellini, important magistrat en relation avec la France.
Les quatre contributions suivantes se concentrent en revanche sur la peinture, en étudiant les commandes de personnalités françaises ou francophiles réalisées par des artistes lombards (livres enluminés, portraits), mais aussi sur l’engouement des commanditaires français pour certains peintres du Duché, en particulier pour Léonard de Vinci. L’article de P. L. Mulas (p. 79-106), consacré aux livres enluminés à Milan à l’époque de la domination française, relève qu’au début du Cinquecento, la seule bibliothèque milanaise qui pût offrir un reflet, quoique modeste, des collections de l’époque des Sforza était celle du maréchal Gian Giacomo Trivulzio, qui possédait quatorze livres enluminés, sans compter les registres de comptes. Les onze exemplaires ayant été l’objet d’une commande personnelle – les trois autres étant des exemplaires offerts – ont été enluminés par quatre artistes : le Maître B. F., celui des Heures Landriani, celui de l’Épithalame de Giasone del Maino et celui de l’Antiphonaire D. R. 1 de Busto Arsizio. C’est d’ailleurs exclusivement à ce dernier artiste, qu’il est possible d’identifier avec Francesco Binasco, l’enlumineur du duc Francesco II Sforza, qu’eurent recours, à une exception près, les rares commanditaires français qui firent enluminer leurs livres à Milan, ce qui atteste bien l’existence d’un circuit francophile. En effet, dans son inventaire, P. L. Mulas relève qu’il s’agit surtout d’exemplaires d’hommage offerts par des écrivains à de potentiels mécènes français. Se trouvent ainsi examinées les bibliothèques du président du Sénat milanais Geoffroy Carles (neuf manuscrits, dont aucun ne fut l’objet d’une commande personnelle) ainsi que celle du trésorier Jean Grolier (onze livres imprimés). De fait, selon l’auteur, le seul livre enluminé à la demande d’un commanditaire français est un exemplaire de l’Apocalypsis noua d’Amedeo Menez da Silva, commandé par le futur cardinal français François de Tournon et réalisé par Giovanni Giacomo Decio vers 1515-1517.
L’étude de L. Fagnart (p. 107-126) porte sur l’admiration qu’en 1499-1500, le roi Louis XII avait éprouvée pour la Cène peinte entre 1494 et 1498 par Léonard de Vinci dans le réfectoire du couvent de Santa Maria delle Grazie. Après avoir rappelé que les premières relations attestées entre Léonard et la France, qui aboutirent à son installation dans le royaume de François Ier en 1517, ne datent pas de la période de la domination française sur le Duché, mais remontent aux temps du séjour des troupes de Charles VIII dans le Milanais, en 1494, l’auteur évoque le projet qu’aurait eu Louis XII de détacher la fresque de Léonard du mur du réfectoire pour la faire transporter en France, anecdote rapportée par Paolo Giovio dans sa Leonardi Vincii uita (vers 1527), puis reprise par Francisco d’Olanda dans son Da pintura antiga (1548) et par Vasari dans la seconde édition des Vies. Si cette anecdote relève probablement de la légende, avec toutefois un fond de vérité historique, il n’en demeure pas moins que la renommée de l’œuvre est bien documentée par les nombreuses copies commandées par des Français. L. Fagnart dresse ensuite un inventaire de ces « copies souvenirs » destinées à garder la mémoire de l’une des plus célèbres peintures italiennes et témoignant d’un vif engouement qu’il faut certainement lier au roi Louis XII lui-même. Ainsi, dès 1503, le trésorier général Antoine Turpin avait commandé une copie de la fresque de Léonard à Bramantino, mais il ne nous en reste que l’acte de commande ; avant 1510, le cardinal Georges Ier d’Amboise en avait commandé une pour le château de Gaillon, mais celle-ci fut perdue après 1550 et L. Fagnart la distingue clairement de la Cène aux armes de Gabriel Gouffier due à Marco d’Oggiono, commandée en 1506 et peut-être réalisée pour le compte du cardinal de Rouen. S’y ajoutent la tapisserie de la Cène aux armes de Louise de Savoie et de François d’Angoulême, datant d’avant 1514-1515 et offerte plus tard au pape Clément VIII, ainsi que la Cène du réfectoire du couvent des Cordeliers de Blois, qui n’est pas une copie fidèle de l’œuvre de Léonard, mais s’en inspire fortement, et qui pourrait être une commande de Louis XII.
Consacrée elle aussi au goût des Français pour l’œuvre de Léonard, la contribution d’E. Villata (p. 127-144) part d’une copie très fidèle de la Vierge aux rochers de Londres provenant de la basilique de San Sebastiano de Biella, dont il attribue l’exécution à Bernardino de Conti et la commande à Sebastiano Ferrero, général des finances du duché de Milan au tournant du siècle : l’auteur propose ainsi de dater approximativement cette copie de 1508-1510, à l’époque où Ambrogio de Predis réalise une autre copie fidèle de l’œuvre de Léonard. L’article reprend ensuite la chronologie complexe du carton de Burlington House représentant la Vierge et l’Enfant Jésus avec sainte Anne et saint Jean-Baptiste, souvent daté de la fin 1499 et considéré comme un hommage à Anne de Bretagne et une commande de Louis XII. Selon E. Villata, Léonard s’intéresse au motif de sainte Anne au printemps 1501 et produit deux dessins grandeur nature : l’un, perdu, est évoqué par Pietro Gavasseti da Novellara dans une lettre d’avril 1501 à Isabella d’Este et a été transformé en tableau, la fameuse Vierge à l’Enfant avec sainte Anne du Louvre ; l’autre, décrit par Vasari, correspond au carton de la National Gallery de Londres. Louis XII n’aurait donc joué aucun rôle dans la genèse complexe de ces deux œuvres et n’aurait pas eu une connaissance « effective » de la peinture de Léonard avant le début de l’année 1507, leurs relations ayant davantage été liées auparavant à des questions militaires ou d’ingénierie. Cette reconstruction chronologique souligne en dernier lieu que la commande de Sebastiano Ferrero, qui revendique en 1508 un même goût pour la peinture de Léonard que le roi de France, était certainement en rapport avec l’affirmation de ses allégeances politiques.
Enfin, M. C. Passoni (p. 145-179) s’intéresse à la figure de Bernardino de Conti, généralement considéré par la critique comme un peintre médiocre, mais dont les portraits étaient fort appréciés par l’élite milanaise : si celui-ci avait commencé sa carrière à la cour du More à la fin du Quattrocento, il jouissait d’une faveur plus grande encore sous la domination française. L’article propose donc une « galerie des commanditaires » des portraits réalisés par Bernardino entre 1494 et 1519, un catalogue détaillé et précis de ces portraits accompagné de propositions de datation et d’identification des sujets comme des commanditaires, notamment grâce à l’étude des inscriptions figurant sur les tableaux.
Les trois articles suivants sont consacrés, entre autres, à l’impact des commanditaires français ou francophiles sur la production milanaise et, plus largement, lombarde, notamment sur l’iconographie. Dans une contribution dense, érudite et convaincante (p. 181-235), E. Rossetti étudie les commandes milanaises du cardinal Bernardino López de Carvajal (1456-1523) dans ses rapports avec le couvent jésuate disparu de San Girolamo in Porta Vercellina. Après avoir brièvement rappelé l’histoire de la congrégation des Jésuates, fondée au XIVe siècle par Giovanni Colombini et supprimée en 1668 par Clément IX, la première partie de l’article reconstitue scrupuleusement la construction et l’organisation des bâtiments du complexe de San Girolamo, bâti entre 1463 et 1472, ainsi que le quartier de Porta Vercellina, jusqu’à l’époque de l’arrivée à Milan de Carvajal. Ce dernier, ambassadeur des rois d’Espagne à Rome, où il fut impliqué dans plusieurs chantiers, notamment ceux de San Pietro in Montorio et de Santa Croce in Gerusalemme, vécut en effet à Milan à l’époque du concile de Pise, organisé à l’initiative de Louis XII avec l’appui de Maximilien Ier pour déposer le pape Jules II. Carvajal, à la tête du groupe de cardinaux schismatiques, séjourna à San Girolamo lorsque le concile s’installa à Milan, ce choix s’expliquant notamment par les nombreux points de convergence sur le plan des idées religieuses qu’il pouvait entretenir avec la spiritualité jésuate. E. Rossetti examine ensuite les commandes milanaises du cardinal espagnol mises en œuvre à San Girolamo et formule la convaincante hypothèse que la Crucifixion de Brera de Bramantino aurait été commandée par Carvajal en 1511 pour l’autel majeur de San Girolamo, se fondant notamment sur la présence d’un titulus crucis trilingue, rare dans la peinture lombarde de la Renaissance et lié à la fameuse relique découverte en 1492 à Santa Croce in Gerusalemme, dont l’Espagnol était le cardinal-prêtre. Enfin, l’article se clôt sur un certain nombre de perspectives sur l’héritage milanais du séjour de Carvajal, notamment à travers le cas de la décoration de la chapelle de San Girolamo dont Gualtiero Bascapè avait ordonné la construction par testament en 1508 : celle-ci était ornée selon plusieurs sources écrites d’un Saint Jérôme que l’on attribuait à Albrecht Dürer ou au jeune Titien ainsi que d’une Circoncision que l’on attribuait à Bramantino mais qui, selon la démonstration, est en réalité la Circoncision de Bernardo Zenale conservée à la Privatbank de Genève. En appendice figure en outre « Una nota in margine alla commitenza filo-francese a Milano negli anni 1509-1511 » (p. 224-226), qui traite des commandes passées par les Français à Bramantino.
C. Quattrini (p. 237-265) étudie quant à elle le chantier de reconstruction de Santa Marta à Milan, décidé en 1511 avec l’appui financier de Louis XII : de cette église aujourd’hui détruite, il nous reste de l’époque Renaissance les marbres de la tombe de Gaston de Foix dus à Agostino Busti, dit Bambaia, la pala des Trois Archanges de Marco d’Oggiono, une Annonciation et quatre fresques attribuées à Bernardo Zenale, ainsi que deux fragments de fresques dues à Bernardino Luini et datées de 1514-1516 : une Vierge à l’Enfant avec sainte Marthe, saint Jean l’Évangéliste et une moine augustinienne (peut-être la prieure Arcangela Panigarola), mais aussi un Christ bénissant endommagé. L’article reconstitue notamment la complexe histoire des deux chapelles de l’église : celle dédiée à la Vierge suscita d’abord l’intérêt de la grande famille française des Briçonnet, proche de la prieure, avant que le gouverneur de Milan Odet de Foix, comte de Lautrec, ne choisisse d’utiliser cette chapelle pour la tombe de son neveu Gaston, demeurée inachevée en 1521 ; deux années plus tard, par testament, Bernardino Bascapè demandait à son tour la réalisation d’une chapelle à la Vierge, pour laquelle furent sans doute peintes entre 1523 et 1526 les œuvres attribuées à Zenale. L’autre chapelle, dédiée à saint Michel, comprenait les Trois Archanges de Marco d’Oggiono, commandés par l’un des fils du poète Gaspare Ambrogio Visconti, Paolo, qui y fut enterré en 1519, comme d’autres membres de sa famille. Tout en soulignant l’aura et l’influence de la fameuse prieure du couvent, Arcangela Panigarola, l’auteur attribue néanmoins le premier rôle quant au choix des artistes ayant travaillé au chantier de Santa Marta à son frère Ottaviano, dont la compétence était reconnue par Cesare Cesariano et qui avait un rôle important à la Fabbrica del Duomo. À travers son étude des rapports entre Santa Marta, le milieu des « vitruviens » de la cathédrale et certaines familles patriciennes, elle met clairement en évidence les liens existant entre les artistes travaillant pour les religieuses augustiniennes à cette époque : Zenale, Bambaia, Bernardino Luini, Marco d’Oggiono et le mystérieux Gerolamo Zavattari.
L’article de C. T. Gallori (p. 267-286), qui étudie les Noli me tangere lombards dans leurs rapports avec le culte magdalénien, part de la fresque de Bramantino provenant de l’église franciscaine de Santa Maria del Giardino Cristo, dans laquelle le Christ pose ses doigts sur le front de la Madeleine et qui avait d’ores et déjà été reliée par la critique à une relique de la sainte conservée à Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, en Provence. Cette dernière, retrouvée au XIIIe siècle par Charles II d’Anjou, avait la particularité de conserver un morceau de chair recouvert de peau sur le côté droit de la tempe, à l’endroit qu’avaient touché les doigts du Christ ressuscité, conformément au texte de l’Évangile de Jean. Par ailleurs, le culte de la Madeleine, patronne de la famille d’Anjou, fut perpétué par les rois de France lorsque la Provence passa en possession de Louis XI, notamment par Charles VIII, Louis XII et François Ier. Après avoir rappelé que Saint-Maximin était un lieu de pèlerinage bien connu en Italie et visité par de nombreuses personnalités de la péninsule, de Pétrarque à Isabella d’Este, C. T. Gallori dresse un inventaire des autres Noli me tangere lombards dont l’iconographie fait clairement allusion à la relique de Saint-Maximin, recensant ainsi une illustration du Specchio de anima de Giovanni Pietro Ferraro (1498), une fresque de Floriano Ferramola pour Santa Maria del Carmine à Brescia (vers 1525) et une autre de Bernardino Luini pour l’église de San Maurizio au Monastero Maggiore de Milan, sans préjuger d’autres œuvres dans lesquelles la main du Christ est très proche du front de la Madeleine et qui sont qualifiées par l’auteur de « quasi Noli me tangere ». De fait, les références iconographiques à cette relique dans le Milan du début du Cinquecento peuvent, selon le contexte, révéler un usage politique de la figure de la sainte, notamment à l’époque de la domination française, mais aussi des motivations religieuses liées à la réforme spirituelle.
Les deux dernières contributions du volume s’intéressent in fine à la présence lombarde en France et à l’importation d’artistes ou d’œuvres sur le sol français. C. Gaggetta (p. 287-321) consacre d’abord une étude détaillée aux fresques décorant les voûtes, les tribunes et les chapelles latérales de la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi, qui offrent selon elle le « programme décoratif le plus précoce et le plus vaste en style Renaissance réalisé en France par des Italiens ». Le commanditaire de ces fresques, Louis II d’Amboise (1477-1517), qui succéda à son oncle Louis Ier en tant qu’évêque d’Albi en 1503, avant d’être nommé cardinal en 1506, était un membre de l’auguste famille du cardinal Georges d’Amboise, premier ministre de Louis XII, dont les historiens ont fort bien étudié le mécénat, en laissant quelque peu dans l’ombre celui de son neveu Louis II. Principalement consacré au décor de la voûte achevée en 1511, l’article en propose une lecture politique et identitaire plutôt qu’iconographique, relevant notamment des motifs architecturaux et ornementaux italianisants ainsi que des détails renvoyant à la couronne de France et au commanditaire : ils démontrent indéniablement la visée politique des fresques, qui mettent en exergue l’alliance de la monarchie et de l’Église et visent à la glorification de la famille d’Amboise. Si l’origine italienne des peintres est assurée, un seul cependant peut être identifié avec certitude : Francesco Donella da Carpi, qui fut sans doute le responsable de l’entreprise. C. Gaggetta démontre à cet égard des liens obvies, d’un point de vue décoratif, iconographique et stylistique, entre les fresques d’Albi et celles du palais du seigneur humaniste de Carpi, Alberto III Pio, dues à Bernardino Loschi et Giovanni del Selga. Cette influence de la production de Carpi, jointe à celles de la gravure, de l’enluminure et de la culture lombardes, soulève évidemment la question des intermédiaires ayant permis l’émigration d’artistes italiens en France. Plutôt qu’à Louis II, l’auteur pense à Charles II d’Amboise, gouverneur de Milan, qui avait été en contact avec un autre artiste de Carpi, mais surtout avec le francophile Alberto III, qui aurait pu lui suggérer certains noms d’artistes.
L’épilogue de F. Elsig (p. 323-341) propose non pas une conclusion générale à l’ensemble des contributions de l’ouvrage, mais une série de notes sur la réception française de l’œuvre de Léonard de Vinci. Il se penche en premier lieu sur le peintre Jean Poyer, qui apparaît comme une sorte d’hapax dans la galaxie des artistes français de l’époque de Louis XII, au cours de laquelle la peinture de Léonard demeure fort peu connue en France : relevant un écho de la Cène de Santa Maria delle Grazie dans la section centrale d’un triptyque peint entre 1500 et 1502 par Poyer pour l’église des Cordeliers de Nozeroy, l’auteur suppose que cette connaissance du modèle n’était possible que grâce à un séjour milanais du peintre, qui aurait pu avoir en retour une certaine influence sur la production lombarde, notamment sur Bramantino. En réalité, le « léonardisme » ne se développe véritablement en France qu’à partir de la venue de l’artiste sur le territoire (1516-1519) et est principalement représenté par des peintres originaires des anciens Pays-Bas, qui copient les œuvres du maître ou transposent dans des contextes variés certaines motifs léonardesques. C’est notamment le cas du triptyque de l’église Saint-Symphorien de Saint-Pantaléon, près d’Autun (1520), qui s’inspire de la version londonienne de la Vierge aux Rochers et dont l’auteur est identifié par F. Elsig comme étant Grégoire Guirard, un parent d’Érasme lié au réseau des prélats français. Or, l’influence de certains modèles sur l’œuvre de Guirard dès 1518 suppose également un séjour italien, vers 1516-1518, sans doute en compagnie d’un autre peintre, Bartholomeus Pons. L’article se clôt sur une analyse de la Sainte Cène de la cathédrale de Troyes, copie datant de 1520 environ et réalisée par un autre peintre hollandais appartenant au même milieu que Guirard et Pons.
Ce livre dense et édité avec beaucoup de soin remplit parfaitement l’objectif que lui ont assigné ses maîtres d’œuvre : ouvrir de nouvelles pistes de recherche sur les échanges artistiques entre France et Italie à l’époque de la domination française sur le Milanais en étudiant les relations entre artistes et commanditaires français ou francophiles en France comme en Italie septentrionale. On pourra toutefois regretter l’absence d’une conclusion générale qui aurait pu proposer une synthèse de l’ensemble des recherches présentées et permis de compenser par une vue perspective la relative hétérogénéité des articles, bien qu’il s’agisse là d’un fait propre aux actes de colloque. Malgré cette légère réserve, la diversité des approches proposées, la variété des domaines artistiques étudiés et la grande qualité des contributions en font un ouvrage enrichissant et fort utile aux historiens de l’art de la Renaissance, et dont la consultation est par ailleurs facilitée par un précieux index nominum.
Sommaire
Frédéric Elsig et Mauro Natale, « Introduction » (p. 7-13) Francesco Repishti, « La cultura architettonica milanese negli anni della dominazione francese. Continuità e innovazioni » (p. 15-39) Grégoire Extermann, « Les décorations sculptées de la chapelle Lomellini à Gênes par Tamagnino et Pace Gaggini » (p. 41-78) Pier Luigi Mulas, « I Francesi nel Ducato : riflessi nei libri miniati » (p. 79-106) Laure Fagnart, « ‘Le roi Louis, en admiration devant le repas du Christ à Milan’. Les Français et la Cène de Léonard de Vinci » (p. 107-126) Edoardo Villata, « Da Bernardino de Conti a Leonardo. Piccole note sulla moda leonardesca nella Milano francese » (p. 127-144) Maria Cristina Passoni, « La ritrattistica di Bernardino de Conti. Alcune precisazioni sulla committenza » (p. 145-179) Edoardo Rossetti, « Uno spagnolo tra i francesi e la devozione gesuata : il cardinale Bernardino Carvajal e il monastero di San Girolamo di porta Vercellina a Milano » (p. 181-235) Cristina Quattrini, « Il cantiere di Santa Marta a Milano fra secondo e terzo decennio del Cinquecento (p. 237-265) Corinna Tania Gallori, « Il Noli me tangere e il culto della Maddalena nel primo Cinquecento » (p. 267-286) Claudia Gaggetta, « Louis II d’Amboise et les fresques de la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi » (p. 287-321) Frédéric Elsig, « Épilogue : quelques remarques sur la réception de Léonard en France » (p. 323-341) Index des noms et des lieux (p. 343-354) Crédits des illustrations (p. 355)
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |