Midal, Alexandra : Design, l’Anthologie. 554 pages, 26 cm x 19.5 cm, 978-2-912808-55-4, 45 €
(Co-éditions : EPCC Cité du design - ESADSE et HEAD 2013)
 
Reseña de Sophie Derrot, Bibliothèque nationale de France
 
Número de palabras : 1301 palabras
Publicado en línea el 2016-10-21
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2171
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          Imprimé à l’encre vert foncé, cet ouvrage propose 94 textes, de longueur variable (entre 1 et 10 pages), parfois tronqués, complétés par un index. Ces textes sont présentés de manière chronologique, sur une période allant de 1841 à 2007, avec une forte représentation des années 1950 et 1970. Dans la courte introduction, l’auteure souligne le vide historiographique autour du design comme discipline mais ne donne volontairement aucune définition de l’objet ici illustré, les textes devant d’eux-mêmes en faire ressortir les lignes de force. On regrettera peut-être, au vu de la date précoce des premiers textes, que le choix des bornes chronologiques n’ait pas été davantage explicité.

 

         Design, l’anthologie se positionne donc dans la littérature française sur le design comme « sans précédent », puisque, si la matière anglo-saxonne est riche de ce type d’ouvrages, il s’agit de la première anthologie en français sur le sujet. L’objet est ici de participer à la construction d’une culture historique du design. Cet ouvrage fait d’ailleurs pendant à Design, introduction à l’histoire d’une discipline, publié par la même auteure en 2009. Il ne s’agit pas ici de se rattacher à une histoire des formes ou des styles — les illustrations sont d’ailleurs rares et anecdotiques —, mais de mettre en place les bases amenant à considérer l’étude du design sous les angles théorique et critique.

 

         Publiés en Europe et aux États-Unis, ces textes ont pour auteurs des théoriciens et des designers et font pour certains l’objet d’une première traduction. Tout comme les analyses extérieures, les manifestes ont volontairement été laissés de côté, ayant plus de chance que ces textes critiques d’avoir été traduits et publiés par ailleurs. Chacun des textes est introduit par une notice bibliographique complète et une courte et précieuse présentation de l’auteur et du contexte de publication.

 

         Le dialogue entre les textes fait ressortir plusieurs des grandes questions qui rythment le design sur la période, dans sa pratique comme dans son étude. Il en est ainsi de la notion de modernité, régulièrement abordée, que ce soit sous l’angle du style, notamment dans les premiers temps (« L’éloge du gothique » de John Ruskin, mais également « Les formes priment la droite » de Camille Bourniquel), ou sous l’angle du caractère rationnel que doit adopter l’habitat dit moderne (« La nouvelle économie ménagère » de Christine Frederick), faisant ressortir une vision parfois hygiéniste (« L’organisation de l’habitat minimum » de Victor Bourgeois). En liaison avec le thème suivant, les auteurs s’interrogent également sur la relation du design aux procédés mécaniques et à ses implications esthétiques (« Du design et du mobilier moderne » de Henri Van de Velde).

         

         Figure en effet au centre des réflexions la relation fondamentale du design avec le monde industriel. Il est abondamment question du rôle du design dans la production de masse à bon marché, à destination des classes populaires. L’interrogation autour d’une inflexion esthétique et pratique des produits industriels par le design se lit assez tôt, notamment dans trois textes qui se répondent, à la fin des années 1910 (« De bonne qualité et bon marché » et ses deux réponses), mais va en évoluant dans le temps (« Propos sur la pratique du design et son avenir en France » de Roger Tallon). Peu à peu intervient (ou revient) l’idée de faire sortir le design du monde industriel et capitaliste (« Montrer. Quelques remarques à propos de l’exposition Assembled in Ivry… » de Jean-Pierre Nouhaud). Le design apparaît comme attaché à l’industrie et par conséquent à la société de consommation qu’elle encourage ; la critique de celle-ci touche donc celui-là (« Lettre aux designers » de Ettore Sottsass Jr.).

 

         Le rôle du designer est régulièrement abordé, interrogé sous les nombreux aspects de son métier et de son processus créatif. La place qu’il doit ou devrait avoir dans les procédés de fabrication industriels est une constante, qui révèle la difficulté de positionnement du geste créatif visant à la meilleure ergonomie dans un contexte commercial (« Envisageons des solutions » de Herbert Read, « Le designer et le client » de Misha Black). Son rôle social, voire moral et politique, transparaît particulièrement dans les textes des années 1970, comme ceux de Viktor Papanek (« Huile de serpent et thalidomide) ou de Ettore Sottsass Jr. (« Tout le monde dit que je suis méchant »).

 

         Plusieurs textes sont consacrés à l’objet lui-même, en tant que centre des attentions (« Vivre avec les choses : contre une culture immatérielle » de Abraham A. Moles, « Théorie de l’information… » de Gillo Dorfes). Les supports extrêmes de la réflexion sur le design sont questionnés, depuis les matériaux eux-mêmes (bois, métal, inox), le mobilier, omniprésent (« Besoins-types, meubles-types » de Le Corbusier ou « La chaise comme modèle idéologique » de Andrea Branzi), jusqu’à la notion de design total (« Qu’est devenu le design total ? » de Mark Wigley). Ce caractère englobant du design peut aller jusqu’à la considération d’un design pensé pour l’humain (« Joe et Joséphine » de Henry Freyfuss), voire de l’humain (« Le Streamline et l’eugénisme » de Christina Cogdell). Les retombées écologiques du design sur son environnement, conséquence logique des réflexions sur la production de masse, sont également pensées à plusieurs reprises (« Consommation ostentatoire : design et environnement » de Viktor Papanek ou « Artefacts » de Ezio Manzini).

 

         Plus généralement, le design est lui-même examiné de manière ontologique, surtout à partir des années 1950-1960 (« Qu’est-ce que le design ? » de Verner Panton), jusqu’à des études de prononciation et d’étymologie (« Comment désigner le “design” ? » d’Étiemble). Ainsi, le rapport du design avec le décoratif et l’ornement fait l’objet de plusieurs réflexions (de « L’ornement comme crime » d’Adolf Loos à « Le décoratif » de Jacques Soulillou), tout comme le constant rapport forme/fonction. La définition du design se pose à plusieurs reprises en regard avec l’architecture (« Face à face : architecture et design » de Claude Parent), avec laquelle il peut avoir des lignes de force communes (« Architecture radicale » de Georges Celant ou « Une grâce perdue » de Andrea Branzi). Globalement, il ressort une nécessité de positionnement du design face à l’art et au geste artistique (« Design comme art, art comme design » de Dan Graham) ; revient en particulier l’idée que l’aspect technique du design n’est pas à négliger et que le design ne doit pas être confondu avec une démarche artistique (« Préface » de Bruno Munari), qu’un produit diffère d’une œuvre (« Où il est question d’objets, d’œuvres et de produits » de Yves Deforge).

 

         Nous ne détaillerons pas ici tous les sujets ressortant des textes ; si certaines de ces questions semblent plus spécifiquement propres à une époque, d’autres traversent largement la chronologie. Peu à peu, une vision historique du design se fait jour, orientant vers la production d’un ouvrage tel que celui-ci. Des textes comme « Introduction » d’Andrea Branzi ou « L’histoire du design » de Kjetil Fallan se retournent sur les théoriciens du design pour dégager l’histoire et l’étude du design comme une discipline à part entière. Les pères fondateurs (Gropius, Pevsner, Banham) reviennent de plus en plus régulièrement dans les deux dernières décennies abordées, qui semblent gagner en prise de recul sur le siècle précédent.

 

         Beaucoup de ces textes appellent et encouragent l’approfondissement, ce qui est l’un des rôles d’une anthologie. Cependant, c’est bien la lecture des textes mis en parallèle les uns avec les autres qui révèle les grandes idées autour desquelles se construit l’ouvrage et, par là, la vision du design et de l’histoire de la discipline par l’auteure. Il est à noter que les titres attribués aux textes ne sont pas toujours parlants, ce qui peut gêner l’utilisation compulsive de cet ouvrage pour une recherche thématique ; l’index, assez fouillé, peut cependant suppléer à ce point. Il s’agit d’un ouvrage très appréciable, amenant une vision globale sur le design occidental, laissant voir ça et là quelques spécificités géographiques (particulièrement françaises et américaines). Il permet d’aborder de multiples problématiques traversant une discipline encore jeune et constitue pour cela un outil très estimable.