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Compte rendu par André Buisson, Université Lyon 3 Nombre de mots : 931 mots Publié en ligne le 2014-09-25 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2193 Lien pour commander ce livre L’ouvrage de Cécilia Pédini est le résultat de recherches menées, dans le cadre d’une thèse de doctorat soutenue en 2008, sur les carrières de pierre de la région du Cap Couronne à quelques kilomètres à l’Est de Marseille, où affleure une imposante couche de calcaire de l'étage burdigalien. Cette approche « topographique » a été complétée d’une approche « régressive », celle due au Programme collectif de recherche (PCR) sur « Les matériaux de construction de la ville de Marseille, de l’Antiquité au 19e siècle », dirigé par Henri Tréziny. Par cette monographie, elle fournit à la ville de Marseille une étude comparable à celles menées sur les sites du Pentélique, de Délos ou de Thasos.
L'inventaire des carrières, qui forme la partie centrale de la recherche « topographique », livre une quantité considérable de renseignements, tout d'abord avec la carte de synthèse des dix-sept lieux d'extraction (fig. 2 p. 20), montrant le lien entre ces derniers et les sites littoraux d'embarquement. Chacun d'entre eux fait l'objet d'une étude précise, de la mise au net d'un plan avec le relevé des traces d'exploitation du matériau et, éventuellement, des éléments qui pourraient avoir subsisté d'un lien avec un quelconque moyen de transport (bittes d'amarrage, traces de voie à ornières...).
L'examen des modules peut-il fournir des marqueurs chronologiques ? L'étude menée en parallèle sur les chantiers marseillais montre que le très grand appareil daterait de l'époque grecque, que l'on retrouverait le module standard dans les sarcophages mérovingiens, que « cartiers » et « queyrons » médiévaux ont été retrouvés dans les constructions « en ville », et leur négatif se lirait encore dans les sols et fronts de carrières : le site de Baou Tailla est ainsi le plus parlant par les traces d'extraction laissées par les carriers, telles que les lignes de saignée réalisées à l'escoude, les marques et graffiti, les marques en T et en delta retrouvées par exemple dans la construction de l'église de La Couronne - financée en 1859 par les carriers eux-mêmes -, initiales BF... identifient trois périodes d'exploitation (les 2è-1er s. av.J.-C., les 18-19e s. et la période de l'occupation allemande) ; le site de la pointe de l'Arquet a, quant à lui, livré des traces d'une exploitation de dalles plates datables du 5e s.av.J.-C
La seconde partie est consacrée au transport des matériaux. On note la prédominance du transport maritime. Les carrières de La Couronne semblent avoir appartenu à la chora de Marseille dès le second siècle avant notre ère (Strabon les mentionne) et leur production s'est sans doute très largement tournée vers l'approvisionnement des chantiers de la ville dès cette période. Pour étudier le transport, l'étude repose sur l'examen des aménagements d'amarrage, l'analyse topographique de la côte et l'examen de la très opportune épave de Carry-le-Rouet (découverte en 1982) qui a livré 24 blocs de pierre et a été datée du second siècle avant notre ère. Cette épave fournit le trait d'union entre carrière et chantier de construction, d'autant que les marques de tâcheron trouvées sur les blocs transportés par le navire se retrouvent sur les chantiers marseillais. La cargaison montre également que les blocs voyageaient quasiment prêts à l'emploi, avec les aménagements nécessaires au levage (trous de louve). L'épave de Carry-le-Rouet ,déjà citée, et des épaves comparables découvertes aux Laurons prouvent l'existence d'un trafic de cabotage dans l'Antiquité, avec des navires jaugeant 13 à 33 tonnes. Plus tard, au Moyen Âge, des barques de 6-7 t effectuaient ce travail, puis à l'époque moderne, ce furent les célèbres tartanes, d'une capacité de 70 t environ.
Le transport terrestre, quant à lui, se cantonnait à l'acheminement des blocs extraits vers les points d'embarquement, au moyen de charrettes, car la distance ne semble jamais avoir été supérieure à 1 km. Pourtant, il a nécessité l'aménagement de chemins (voies à ornières, fig 127 et 132), d'un réseau de chemins spécialement affectés (fig 126), d'un réseau de voies convergentes vers la mer, corroborées par le cadastre de 1817.
La troisième partie étudie la mise en œuvre du calcaire de La Couronne. Le chantier marseillais en fut le plus gros consommateur : à l'époque hellénistique, la construction du rempart en nécessita à lui seul de 20 à 30 000 m3 ! Ce calcaire est donc très bien représenté dans la construction publique, comme il le fut également à l'époque romaine, pour le théâtre, le forum ou les quais du port. Durant le Haut Moyen Âge, cette pierre est présente dans les églises et, surtout, dans l'importante série de sarcophages mérovingiens ; il faut sans doute compléter cet inventaire avec les nombreux remplois dont ont dû faire l'objet les monuments antiques détruits. Le chapitre 3 dresse l'inventaire des « mises en oeuvre », qui montre une utilisation multiple et variée, quel que soit le faciès géologique précis, en concurrence avec des pierres d'autres origines, comme le calcaire de Saint-Victor, celui de Ponteau ou celui de Cassis, le travertin... (carte 172 p. 200).
La quatrième partie est consacrée aux carriers. Il s'agit d'une enquête passionnante, délaissant le matériau pour envisager l'homme qui l'a travaillé. Les prospections et les études d'archives montrent que l'occupation des sites n'a jamais complètement cessé, même si elle a d'abord été liée à l'activité des chantiers marseillais : la preuve est fournie par le lien étroit entre la reprise de l'activité édilitaire à Marseille et Toulon sous Louis XIV et l'installation définitive d'un village de carriers à La Couronne. A partir du 17e s., la population de carriers se sédentarise, une chapelle d'abord, puis une église est construite, un prêtre est établi et des gens naissent, vivent et meurent sur place.
L'ouvrage est complété par un dossier d'annexes, formé principalement d'extraits de documents d'archives, mais également des statuts de Marseille, puis d'un glossaire et d'une bibliographie.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |