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Compte rendu par Alexandra Dardenay, Université de Toulouse Jean-Jaurès Nombre de mots : 2708 mots Publié en ligne le 2018-05-30 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2196 Lien pour commander ce livre
L’ouvrage est composé de deux volumes de 700 pages au total. Le premier (469 p.) est un catalogue regroupant la totalité des pavements dégagés et conservés à Herculanum. Cet inventaire est suivi d’une exégèse de l’analyse typologique (p. 393-447), par catégorie d’œuvres. Un dernier chapitre intitulé « Remarque conclusives » rédigé par F. Guidobaldi dresse un bilan « historique » de la partie analytique, en mettant en perspective l’exemple herculanéen vis-à-vis de l’exemple pompéien.
Le second volume rassemble les planches photographiques, ainsi que quelques annexes. Les photographies sont de qualité et suffisamment nombreuses. De plus l’appareil iconographique est enrichi de plusieurs ortho-photographies de pavements, réalisées dans le cadre du programme DHER de l’Università di Bologna (A. Coralini dir.) qui réalise un inventaire photogrammétrique de tous les enduits peints et pavements ornés d’Herculanum[1]. La publication de ces documents, généreusement concédée par les responsables du programme DHER, contribue énormément à la qualité scientifique du volume de planches.
Le lecteur regrettera toutefois, d’un point de vue pratique, que les planches (vol. II) soient assez mal articulées avec le volume de catalogue et de synthèse (vol. I). En effet, les figures (qui suivent les numéros du catalogue et donc le classement topographique des habitations) ne sont pas proposées dans l’ordre numérique, mais selon des regroupements analogiques. Cette mise en page est utile et intéressante, et permet de rendre compte efficacement des rapprochements typologiques. En revanche, il manque une table de concordance figure-planche, qui permette de retrouver rapidement, à la lecture des synthèses, le numéro de planche où est publiée la figure. Dans l’état, on est obligé de revenir au catalogue pour trouver le numéro de planche, ce qui rompt la fluidité de la lecture des synthèses.
Cette monographie comble une importante lacune dans les études sur la cité d’Herculanum. Jusqu’ici, il n’existait aucun inventaire systématique des revêtements de sol de ce site enseveli lors de l’éruption du Vésuve de 79 p. C.. Tous les pavements et revêtements pariétaux « non peints » (placages de marbre, mosaïques pariétales) y sont répertoriés, de manière systématique. Seule manque la villa dei Papiri, qui n’était pas accessible au moment de l’inventaire.
Le catalogue (vol. I) est organisé par insula, puis maison par maison. Quarante-deux édifices sont ainsi présentés, sous la forme d’une longue « fiche ». Chacune offre un inventaire de tous les pavements et revêtements pariétaux non picturaux conservés. Quand un sol est détruit, ou de fabrication moderne, il n’est pas mentionné. La présentation de chaque maison est organisée de la même manière. D’abord un plan, redessiné par une collaboratrice du volume, d’après les plans officiels confiés à l’équipe par la Direction du site d’Herculanum. Ensuite une brève présentation des données publiées sur l’histoire architecturale de la maison. Suit la présentation d’une fiche par pièce/sol selon une numérotation continue depuis le début du volume. Elle commence par une brève description matérielle du pavement. Tous les matériaux sont identifiés par observation directe, aucune analyse archéométrique n’ayant été entreprise, ainsi que le précisent les auteurs (p. 20-22 pour la justification des modalités de rédaction des fiches). Cette description matérielle est assortie de remarques sur l’état de conservation et la présence d’éventuelles restaurations.
Les dimensions générales ne sont pas données, seules sont mentionnées les dimensions des tesselles dans le cas d’une mosaïque et de quelques motifs significatifs. Ceci constitue un des points faibles de l’inventaire. Le lecteur doit déduire les dimensions des sols en mesurant lui-même les dimensions des pièces sur les plans publiés en tête de chaque maison. Ce qui est pour le moins fastidieux. Vient ensuite une description de la composition et des décors du pavement, assortie d’une bibliographie, quand celui-ci n’est pas inédit. Enfin une troisième et dernière partie propose des comparaisons et s’achève par une datation stylistique. La mention de la phase stylistique (du Ier au IVe style pompéien) auquel les auteurs proposent de rattacher le pavement conclut chaque fiche.
Ce choix de la datation stylistique d’après les « Styles pompéiens » définis par A. Mau au XIXe siècle est assez contestable. En réalité, la méthode de datation des pavements n’est pas vraiment explicitée (seulement quelques phrases p. 22). A priori, aucune tentative de datation archéologique n’a été mise en œuvre, par le biais de sondages par exemple. La datation proposée pour chaque pavement est uniquement stylistique et la grille utilisée est celle des quatre styles pompéiens, élaborée, on le sait, pour dater les peintures murales romaines. Ici, la datation proposée pour les pavements dépend donc directement de celle (traditionnelle) des décors peints. L’ouvrage récent de D. Esposito sur les peintures en question offre une synthèse précieuse qui organise les peintures murales d’Herculanum selon de grandes phases successives de réalisation[2]. Dans le présent ouvrage, les auteurs datent les pavements en fonction des phases de restructuration et rénovation du bâti[3] et de réfection des enduits peints. Cette méthode s’articule bien entendu, par analogie, avec la datation stylistique traditionnelle, c’est-à-dire communément admise, des pavements romains d’Italie. La méthodologie appliquée dans cet ouvrage pour la datation des pavements présente donc plusieurs écueils et limites.
D’une part, il n’est pas forcément légitime de dater les pavements d’après les peintures. Cela nécessite en tout cas la mise en œuvre de l’étude archéologique du lien mur/sol. Or à Herculanum cette entreprise est, sans doute, vaine. En effet, toutes les peintures d'Herculanum ont été détachées des parois pendant les fouilles de A. Maiuri, restaurées, et replacées sur les murs. Avec parfois des décalages nettement perceptibles. Autrement dit, aucune peinture d'Herculanum n'est archéologiquement in situ. Dès lors, que peut-on attendre d'une étude des liens murs/sols, puisque toutes les jonctions ont été détruites ? On ne peut donc reprocher aux auteurs de l’ouvrage de ne pas avoir procédé à cette vérification systématique, pourtant souhaitable.
L’autre limite tient à la validité des datations stylistiques traditionnelles. Le raisonnement qui les fonde apparaît un peu circulaire. En effet, si les datations stylistiques traditionnelles ne sont pas étalonnées régulièrement par des datations archéologiques absolues, comment fonder leur fiabilité ? C’est pourtant par la mise en œuvre de datations stratigraphiques des pavements que l’on peut s’assurer que tel phénomène décoratif (par exemple l’introduction des inclusions de marbre coloré) ne s’est pas produite plus tôt qu’on ne l’imaginait jusqu’ici ou « traditionnellement ».
Voici un exemple qui montre, me semble-t-il, les limites de ce type de raisonnement. Dans la casa di Nettuno ed Anfitrite (vol.I, p. 283- 291), le pavement en cementizio, très grossier, des fauces et de l'atrium est daté IVe style par les auteurs. La datation repose sur un double argument : d’une part les auteurs remarquent que la présence d’inclusions de marbres polychrome dans le pavement de « cementizio a base fittile (cocciopesto) » n’est pas documentée en contexte privé avant la fin du Ier siècle a.C. D’autre part, les décors peints des fauces et l’atrium relèvent du IVe style pompéien (soit de la deuxième moitié du Ier siècle). Donc ils estiment que le pavement peut être légitimement daté du IVe style pompéien, tout comme les peintures. En effet, ils peuvent être contemporains de la dernière phase de réfection de la maison, tout comme ils peuvent être bien plus anciens, et dater de la phase augustéenne correspondant à la reconstruction de la maison et à un premier état de décor peint attesté… D’autant plus que, durant les dernières années avant l’éruption, cette maison faisait l’objet d’une ambitieuse et luxueuse rénovation (fastueuses peintures scénographiques, installation d’un laraire entièrement recouvert de marbre, aménagement d’un nymphée orné de mosaïques pariétales, etc.)[4] … qui n’était pas achevée. En effet, le grandiose décor peint de l’atrium n’était pas complètement terminé. Ne peut-on supposer dès lors, que le grossier pavement de mortier qui se trouvait dans les fauces et l’atrium était destiné à être recouvert d’un sol plus luxueux, après l’achèvement des peintures ? La question mérite, quoi qu’il en soit, d’être posée. La contradiction éclate d’ailleurs, dans l’analogie stylistique proposée pour la datation du pavement de l’atrium. Pour justifier leur datation IVe style, les auteurs renvoient à la comparaison avec le pavement de l’oecus 20 de la casa di Argo (sic). Je cite p. 284 : « Anche in questo caso, dunque, si propone une datazione al IV stile, inserendo l’esecuzione del pavimento tra i rifacimenti decorativi attestati per quest’epoca nella domus. ». Reportons-nous maintenant à la notice correspondante, dans la section dévolue à la casa d’Argo, oecus 20, p. 126 : « Per quanto riguarda la datazione, dunque, il nostro pavimento mostra caratteristiche techniche e stilistiche proprie dei pavimenti appartenenti al periodo compreso tra il tardo I sec. a.C. e la prima età imperiale, e la sua esecuzioneche potrebbe risalire alla radicale ristrutturazione che ebbe la domus in età augustea. III stile ». Donc, d’après les auteurs, le pavement IIIe style de l’oecus 20 la casa d’Argo confirme la datation IVe style du pavement de l’atrium et des fauces de la casa di Nettuno ed Anfitrite….. On voit comme ces datations stylistiques sont fragiles, et les raisonnements, circulaires….
L’analyse typologique qui constitue la colonne vertébrale de l’argumentation de cet ouvrage est commentée, et l’analyse du corpus explicitée, dans la synthèse qui suit le catalogue, p. 393 à 447. Grâce aux travaux de l’AISCOM et au dynamisme de F. Guidobaldi et des chercheurs de l’Association - parmi lesquels il convient de citer F. Ghedini, initiatrice de la base TESS[5] - une typologie des pavements romains a vu le jour en contexte italien. Cette typologie définit trois grandes catégories : cementizi (autrefois dit opus signinum ou cocciopesto et traduit en français aujourd’hui par « sols en béton » ou « sol en mortier », selon la nature de la charge) /mosaici / sectilia.
Les auteurs remarquent que la zone dégagée d’Herculanum a livré très peu de mosaïques pariétales et de revêtements marmoréens (pl. CXLI à pl. CLVIII). De leur aveu, aucune classification typologique n’a été mise en œuvre, étant donné le peu d’exemplaires attestés.
Dans une première partie de cette synthèse typologique, les auteurs envisagent tous les types de cementizi attestés (p. 395 à 413), offrant quelques remarques d’ordre typo-chronologique pour chacun d’entre eux. Puis sont évoquées les mosaïques. Les auteurs observent, en règle générale, la grande sobriété iconographique des pavements herculanéens : un seul emblema figuré a, en effet, été mis au jour, dans une salle à manger de l’étage de la casa Sannitica. De facture modeste, et déjà restauré dans l’Antiquité, il figure des motifs dionysiaques sur fond monochrome blanc (pl. XCIV). En revanche, plusieurs « pseudoemblemata » (emblemata à composition géométrique) sont attestés, presque tous dans des triclinia, ou dans l’antichambre d’un cubiculum. Le plus ancien provient d’une exèdre de la casa di Granianus et relèverait stylistiquement de la fin du IIe style. Les auteurs remarquent ensuite le nombre important de mosaïques avec insertions de marbre, dont nombre d’exemplaires se trouvent dans des couloirs : les plus anciens exemples remontent au IIIe style et sont caractérisés par un fond noir et des inclusions irrégulières. Les insertions semblent devenir régulières à la fin du IIIe style (par exemple dans les fauces de la casa dello Scheletro) ; au IVe style, toutes ces mosaïques à inclusions sont à fond blanc.
Les sectilia sont ensuite étudiés. Contrairement à ce qui a été mis en œuvre pour les sols de mortiers et les mosaïques, la typologie n’est pas fondée sur les compositions et les dessins mais sur les catégories de matériaux utilisés. Les auteurs justifient cette approche en affirmant que les matériaux permettent de fonder une chronologie relative. Puis, les mosaïques pariétales et les incrustationes sont brièvement évoquées (p. 441-447), sans approche typologique.
Dans ses remarques conclusives (p. 451-459), F. Guidobaldi évoque en premier lieu les limites et perspectives de l’analyse typo-chronologique mise en œuvre dans cet ouvrage. Il souligne ensuite, à juste titre, à quel point la confrontation entre le modèle herculanéen et l’exemple pompéien est acrobatique, tant les cités étaient dissemblables. De plus, si le PPM (Pompei Pitture Mosaici) [6] recense, en principe, tous les pavements mis au jour à Pompéi, il n’en existe aucune étude typologique et analytique selon des critères analogues à celle menée par les auteurs à Herculanum. En effet, le corpus des pavements de Pompéi a été établi et publié avant la codification de la nouvelle terminologie de description des pavements, établie sous le haut patronage de l’AISCOM. Dès lors, comment comparer les deux corpus ? F. Guidobaldi, fort conscient des limites du procédé analogique - qu’il détaille consciencieusement – propose de commencer par recenser les « manques » : quels types de pavements sont attestés à Pompéi, mais pas à Herculanum, et réciproquement ? Ces observations doivent cependant être auréolées de toute la prudence nécessaire, comme le rappelle l’auteur, puisque ni Herculanum, ni Pompéi, n’ont été fouillées exhaustivement. Il remarque pourtant l’absence à Herculanum des décors de scutulatum (compositions à cubes en perspective), lesquels, toutefois, sont largement documentés à Pompéi et caractéristiques de la phase stylistique de la fin du Ier et début du IIe styles. Par ailleurs, il souligne, encore une fois, la rareté à Herculanum des emblemata (un seul exemplaire figuré et quelques exemplaires en sectile) qui sont très diffusés à Pompéi pendant le IIIe style et ensuite. Ce qui ne signifie pas qu’il n’existe pas à Herculanum de pavement Ier style : seize édifices ont livré des sols en mortier de facture modeste, contemporains de cette phase, sur les quarante-deux étudiés dans le corpus. Une autre particularité de l’échantillon herculanéen est la rareté absolue des mosaïques de pavement polychromes (une seule attestation, dans la casa di Primigenius Granianus qui présente une gamme chromatique restreinte). En revanche, l’auteur relève la surabondance d’autres formes de revêtements décoratifs, comme les mosaïques monochromes blanches à bordure périphérique noire (ou l’inverse) : plus de quatre-vingt cinq exemplaires sont attestés, soit environ un quart des pavements de la zone dégagée d’Herculanum.
Toutes ces observations incitent l’auteur à émettre prudemment l’hypothèse d’une inversion progressive du prisme de prospérité sociale des deux cités. Ainsi Herculanum aurait connu des débuts fort modestes et sa population de la fin de l’époque républicaine et du début de l’époque impériale aurait vécu dans des habitations moins luxueuses que celles de la cité de Pompéi à la même époque (Ier –IIIe style). Le schéma s’inverse à partir du milieu du Ier siècle p.C. (IVe style), quand on voit que les élites d’Herculanum s’entourent d’un luxe ornemental beaucoup plus raffiné que celles de Pompéi (sectilia pavimenta, incrustationes). À cette époque, la petite cité d’Herculanum serait donc devenue le site privilégié pour le séjour des classes sociales les plus élevées. Ainsi que F. Guidobaldi l’écrit pour résumer son paradigme : « Il n’y a rien qui ressemble, à Herculanum, à la casa del Fauno et rien d’équivalent à la casa dei Cervi à Pompéi ». Il observe donc, entre les deux cités, un panorama décoratif qui ne coïncide pas.
Cette synthèse contribue à la valeur de l’ouvrage, mais repose sur une datation stylistique de la typo-chronologie dont on a évoqué plus haut les faiblesses. Elle nécessiterait donc d’être confirmée par une révision générale de la chronologie archéologique absolue (et non pas seulement relative) des pavements d’Herculanum. En dépit de ces réserves liées à l’analyse, ce corpus offre un outil attendu et indispensable à l’étude de l’ornatus des édifices d’Herculanum, et rendra de très grands services. On ne peut que remercier les auteurs d’avoir mené à bien, en dépit de toutes les difficultés rencontrées, ce travail documentaire fondamental.
[1] Coralini A. (dir.), DHER: Domus Herculanensis rationes : sito, archivio, museo, Bologne, 2011. [2] Esposito D., La Pittura di Ercolano, (Studi della Soprintendenza archeologica di Pompei 33). Rome: ‘L'Erma’ di Bretschneider, 2014. [3] Plusieurs synthèses existent sur l’archéologie du bâti à Herculanum : Ganschow Th., Untersuchungen zur Baugeschichte in Herculaneum, (Antiquitas 3, 30) Bonn, 1989 ; De Kind R., Houses in Herculaneum. A new view on the Town Planning and the Buildings of Insulae II and IV, Amsterdam, 1998 ; Monteix N., Les lieux de métier : boutiques et ateliers d’Herculanum, Rome 2010 (BEFAR 344) [4] Dardenay A. et al., « Herculanum. Des archives aux restitutions architecturales et décoratives », Chronique des activités archéologiques de l’École française de Rome, 2016. URL : http://journals.openedition.org/cefr/1588 ; DOI : 10.4000/cefr.1588 [5] http://tess.beniculturali.unipd.it/web/home/ [6] PPM. Pompei PItture e Mosaici, coord. Ida Baldassarre, Istituto dell’Encyclopedia Italiana, Rome, 1990-2003.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |