Sérié, Pierre : La peinture d’histoire en France, 1860-1900. 584 pages, relié, format 24 x 32 cm, 700 illustrations dont 194 en couleurs, ISBN : 978-2-903239-52-7, 128 €
(Arthena, Paris 2014)
 
Rezension von Elodie Voillot, labex CAP
 
Anzahl Wörter : 2164 Wörter
Online publiziert am 2016-06-28
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2241
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          Dans sa présentation, l’ouvrage de Pierre Sérié, La Peinture d’histoire en France 1860-1900, pose l’ambition de son sujet. Le volume est imposant, l’étude – issue de la thèse de doctorat soutenue à l’université Paris-Sorbonne par l’auteur en 2008 –, édifiante.

 

         Comme l’indique Bruno Foucart, qui signe l’avant-propos de l’ouvrage, il est à la fois question de la survie et des métamorphoses de la peinture d’histoire. Par cette approche, Pierre Sérié se place dans la lignée du travail fondateur de Jean Locquin, La peinture d’histoire en France de 1747 à 1785, le prolongeant dans la seconde moitié du XIXe siècle. En effet, la décennie 1860 – avec le Salon de 1863 et l’irruption de la peinture moderne de Manet, ainsi que la mort d’Ingres en 1867 – constitue une période charnière qui marque un tournant complexe. Ce que met clairement en évidence Sérié, c’est que la « mort » de la peinture d’histoire, et ses diverses tentatives de résurrection, n’est pas aussi évidente, ou aussi linéaire, que l’on voudrait bien le croire. Si un épuisement est sensible dans les années 1880, le genre fait encore preuve d’une grande vitalité entre 1867 et 1886, ne serait-ce qu’en s’appuyant sur le décompte du nombre de tableaux exposés au Salon. Ce n’est qu’après 1900 que la notion de peinture d’histoire perd toute pertinence.

 

         Cette lente désagrégation, largement parcourue de brillants soubresauts, a fait l’objet depuis plusieurs années, grâce à des expositions souvent ambitieuses, d’un regain d’intérêt significatif (nous pouvons penser aux monographies consacrées à Luc-Olivier Merson à Rennes (2008-2009), à Alexandre Cabanel à Montpellier (2010-2011), à Jean-Léon Gérôme au musée d’Orsay (2010-2011), à Rochegrosse à Moulins (2013-2014) ou encore à Jules-Elie Delaunay à Nantes (exposition virtuelle, 2012-2014)). Sérié s’inscrit donc dans un courant de fond qu’il vient compléter non seulement par son analyse mais aussi par un très important matériel documentaire. En effet, l’une des qualités de l’ouvrage est son organisation en deux grandes parties. La première, théorique, est une analyse de la peinture d’histoire de 1860 à 1900. La seconde, un répertoire des tableaux d’histoire exposés aux Salons et aux Expositions universelles et nationales à Paris entre 1867 et 1900, constitue un apport considérable pour l’étude de ce sujet. Nous ne détaillerons pas ce répertoire mais signalons toutefois qu’outre les informations d’usage sur les œuvres sont également mentionnées les autres expositions auxquelles elles prirent part, les reproductions ainsi que les caricatures dont elles ont pu faire l’objet. Informations précieuses qui témoignent de la rigueur de la méthode de l’auteur. À cela s’ajoute en annexe la liste des peintres admis en loges pour le concours Chenavard, le nombre de tableaux d’histoire aux Salons de la Société des artistes français et de la Société nationale des beaux-arts.

 

         La partie théorique se divise en trois grands chapitres ou sous-parties qui successivement abordent la peinture d’histoire dans ses constituants, dans ses relations avec le monde artistique et institutionnel et enfin la pluralité des styles.

 

         Dans la première, Sérié pose une question, pour ne pas dire « la » question centrale pour ce sujet : « Qu’est-ce que la peinture d’histoire ? ». Dans cette tentative de définition du tableau d’histoire, il étudie point par point chacune de ses facettes. La première, la plus évidente et indispensable, qui identifie par nature un tel tableau, c’est le sujet. De l’ambition classique traditionnelle – à savoir qu’un sujet d’histoire doit « susciter la réflexion, enseigner, éduquer » (p. 22) –, à l’apparition de tendances nouvelles, telles que le sensationnel, l’érudition et le « philosophisme » (p. 25), Sérié envisage les différentes arcanes par lesquelles le peintre peut passer, voire se perdre. Une course à l’érudition qui pousse parfois à peindre des tableaux dont le public ne parvient pas à comprendre l’histoire. Quant à l’allégorie, elle glisse alors vers le symbole pour, à la fin du siècle, s’émanciper totalement de la peinture d’histoire et rejoindre le camp de l’idéalisme dont les premiers signes sont déjà perceptibles chez Gustave Moreau. Puis vient le style, une notion qui conduit à réfléchir tant à la  représentation de la figure, et plus que toute autre, de la figure nue, qu’au rapport entre dessin et couleur. Et Sérié de reconnaître alors le primat du premier sur le second, même si les tiraillements entre les deux sont loin d’être résolus. Le souci de l’exactitude historique, le souci de « faire vrai » et le goût des accessoires accentuent encore la scission entre les tenants du sujet et ceux du style, ce qui conduit Sérié à envisager le genre de la « peinture de style », c’est-à-dire une peinture qui n’est plus déterminée par son sujet mais par la manière dont il est traité. Il faut à ce moment-là reconnaître que les concepts et les catégories stylistiques dégagés par Sérié ne sont pas toujours d’une identification facile. Si le sujet continue malgré tout à prévaloir sur le style, l’auteur relève plusieurs tentatives pour concilier les deux, telles celles de Gustave Moreau et sa recherche de la forme la plus belle pour des sujets violents. La réflexion menée par Sérié sur la manière dont la théâtralité peut être envisagée comme un critère de modernité, notamment en raison du regard porté par les artistes sur le mélodrame contemporain, est particulièrement intéressante. Le peintre se fait metteur en scène. La comparaison qu’il fait entre Gérôme et Moreau met en lumière l’élaboration, dans les années 1860, de deux manières de concevoir le tableau d’histoire. L’une qui joue avec la temporalité, décentre le moment de l’action et joue des conséquences plastiques de ce décentrement tant dans la composition générale de la toile que dans l’organisation des figures, l’autre, au contraire s’échappe de l’action et de sa temporalité. Une autre manière de jouer avec le temps consiste à recourir aux sujets modernes, voire à des sujets d’histoire sociale, comme alternative à la peinture d’histoire. Cette veine, qui trouve en Gervex et Alfred Roll deux de ses plus dignes représentants, ramène au problème du type de représentation le plus adéquat pour élever un fait d’actualité au rang de la peinture d’histoire, donc au style, in fine. Enfin, Sérié étudie les formats dont les variations, tant dans le rétrécissement que l’agrandissement – des agrandissements qui peuvent aller jusqu’à des proportions gigantesques –, renseignent tout autant sur les ambitions attachées aux œuvres que, dans le second cas, sur leur glissement progressif vers le décor qui est au cœur du dernier moment de cette partie.

 

         Sérié y analyse les relations entre peinture d’histoire et décoration au travers de la notion de Grand Art. S’appuyant sur les travaux de Pierre Vaisse sur la manière dont l’Académie jugea avec mépris la peinture décorative durant la première moitié du siècle, Sérié montre pour sa part comment, dans la seconde moitié du XIXe siècle, « elle prend son indépendance en regard de la peinture d’histoire au point de lui disputer sa prééminence. » Il s’arrête notamment sur les enjeux et les risques que constitue ce détour par la peinture murale pour légitimer la peinture d’histoire. Vers 1860, la décoration murale devient un signe de distinction pour le peintre d’histoire, dans un mouvement de (re)découverte de la peinture murale que le néoclassicisme avait largement rejetée au profit du tableau. Sérié met en évidence l’évolution d’une quasi absence des travaux de ce type à leur surreprésentation dans les salons de la fin du siècle. Le signe de ce changement est le passage de ces travaux de la section des Monuments publics à celle des peintures. Cette évolution connaît son apogée en 1886, lorsque Puvis de Chavannes présente le triptyque destiné au musée des Beaux-Arts de Lyon à côté des travaux d’Ernest de Liphart et de Diogène Maillart. Il faut dire que cet engouement pour la décoration murale bénéficie du soutien de Philippe de Chennevières, pour qui la peinture monumentale est seule capable de restaurer le grand genre. Toutefois,  une dichotomie entre « peinture monumentale » (ce qui est encouragé par l’État) et  « peinture décorative » (privilégiée par les peintres et les critiques) aura pour conséquence la séparation définitive entre peinture d’histoire et peinture décorative. Cela se traduit notamment par la recherche, entre 1860 et 1880, d’un style propre à la peinture décorative, dont on peut résumer les tendances principales dans l’opposition Puvis de Chavannes et Paul Baudry. La dernière rupture se produit à la toute fin du siècle quand, grâce à des artistes comme Maurice Denis, « la peinture ne parle pas encore exclusivement de ce qui la constitue mais elle ne parle déjà plus que par ce qui la constitue. » (p. 102).

 

         L’important pour Sérié, c’est que même, voire surtout, quand elle est décriée et contestée, la peinture d’histoire, ou plus exactement le tableau d’histoire, est ce autour de quoi le « discours s’articule » (p. 103). Elle conserve tout au long du siècle sa « qualité référentielle » (p. 103). Si l’on perçoit aisément les motivations de Sérié, qui tente une déconstruction de la peinture d’histoire pour en révéler les contours, la méthode a les défauts de ses qualités, en tentant d’établir des catégories les plus fines qui soient, l’auteur n’est pas à l’abri de quelques contradictions, si ce n’est de contresens.

 

         La deuxième partie du livre s’intéresse aux artistes et aux institutions. Revenant sur les étapes obligées du peintre d’histoire en devenir (l’École des Beaux-Arts, le Grand Prix de Rome, les commandes de copies,…), Sérié développe l’idée que l’exécution d’un tableau d’histoire est un rite de passage. Ces étapes constituent le moyen pour de jeunes artistes de se faire connaître, elles sont le « moment charnière d’une carrière » (p. 117). Endossant presque les habits d’un jeune peintre d’histoire, Sérié retrace toute l’élaboration d’un tableau d’histoire, de sa genèse souvent très longue – car il s’agit comme vu plus haut de trouver le bon sujet –, au choix du bon client quand il se présente (vendre à l’État ou à un particulier), en passant par les difficultés financières qui peuvent accompagner l’exécution de l’œuvre, ainsi que les campagnes de publicité et l’animation de réseaux pour s’assurer de sa bonne réception. Sérié envisage aussi l’évolution des structures de production artistique. D’une manière générale, entre 1860 et 1900, l’administration centrale se désengage progressivement. Plusieurs institutions intermédiaires prennent le relais sans toutefois parvenir à enrayer la chute des achats de l’administration des Beaux Arts, fortement accentuée dans les années 1890. Des récompenses apparaissent cependant, comme le prix du Salon ; de même, des bourses de voyage sont créées par la direction des Beaux Arts. Ces bourses traduisent un changement dans la conception du séjour en Italie. Désormais celui-ci n’est plus tant dévolu à la création (les envois) qu’à « l’observation ». Autrement dit, ce temps est mis à profit pour la constitution d’un matériel documentaire et la formation d’un œil. En ce qui concerne l’exposition de la peinture d’histoire, alors qu’elle est quasiment absente de la Société nationale des beaux-arts, elle trouve refuge au Salon des artistes français. Sérié étudie la scénographie et la topographie de ces expositions, ainsi que celles d’un certain nombre en province, une accumulation d’informations qui brouille parfois la lecture.

 

         La troisième et dernière partie tente le difficile exercice de répertorier et d’analyser les différents styles, Sérié prévient d’ailleurs son lecteur : « La question du style relève, naturellement, d’un discours plus traditionnel de l’historien de l’art et le lecteur pourrait aborder ce chapitre avec moins d’enthousiasme que les précédents » (p. 153). Absolument pas, c’est au contraire là que toute la richesse, la diversité et les ressources de la peinture d’histoire s’expriment. Mais somme toute, l’approche de Sérié commence de manière traditionnelle : partant d’une division entre disciples de Raphaël (Cabanel, Bouguereau) et continuateurs de Michel-Ange (Chenavard) chez les classiques, puis entre dessinateurs (Merson, Blanc, Lehoux) et coloristes chez les anticlassiques, il établit des filiations et fait ressortir des personnalités plus singulières. Il envisage ensuite les « réalismes », d’une part ceux qui tournent leur regard vers le passé, et d’autre part ceux qui tentent des expériences, tant du point de vue de la narration et de la composition (Gérôme, Laurens), que du décorum (Rochegrosse) et du choix du sujet (Cormon, Luminais). Enfin, l’auteur étudie les répercutions de l’avant-garde sur la peinture d’histoire, par exemple celle de l’impressionnisme.

 

         De 1860 à 1900, la peinture d’histoire est donc passée de centre de la vie artistique à portion congrue. Toutefois, sa fin n’engage pas pour autant celle du « Grand art » qui lui survit sous la forme du décor. Le décorateur se substitue au peintre d’histoire, prend sa place dans les rangs de l’Académie et dans les ateliers des Beaux Arts. Pour Sérié, le décor constitue le « contrepoint à la modernité sans lequel on ne saurait comprendre tout un pan de la peinture (et même de la sculpture) des XIXe et XXe siècles » (p. 262) et apparaît comme une clé de lecture de l’art occidental, objet de tentation ou de rejet. 

 

         Nous ne pouvons que saluer l’ambition de Pierre Sérié. Embrasser totalement un aussi vaste sujet et en apportant, notamment grâce à une méthode alliant approche quantitative et qualitative, une lecture plus fine constitue un outil extrêmement précieux. Seule l’absence des dates de réalisation dans les légendes des figures importune quelque peu une lecture par ailleurs relativement aisée. Le plaisir de l’auteur à observer et à comprendre ces œuvres est absolument communicatif.