Timbert, Arnaud: Restaurer et bâtir. Viollet-le-Duc en Bourgogne. Coll. "Architecture & Urbanisme". 553 p., 16 x 24, ISBN : 978-2-7574-0438-6, 40 €
(Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve-d’Ascq 2014)
 
Rezension von Jean-François Luneau, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand
 
Anzahl Wörter : 875 Wörter
Online publiziert am 2014-11-14
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2249
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          Il n’est guère usuel de commenter un ouvrage en commençant par ses annexes. Pourtant, le livre d’Arnaud Timbert ne saurait se comprendre sans les nombreux textes concernant les chantiers bourguignons où Viollet-le-Duc est intervenu, textes édités dans de volumineuses annexes. L’auteur produit successivement les lettres de Viollet-le-Duc au président de la Commission des Monuments historiques, au président de la Commission des Bâtiments civils, au ministre de l’Intérieur et aux préfets (annexe 1, p. 309), les rapports de Viollet-le-Duc à la Commission des Monuments historiques (annexe 2, p. 339), les lettres de Viollet-le-Duc à Émile Amé, un des architectes inspecteurs qui le seconda à partir de 1846 sur les chantier d’Autun, Montréal, Vézelay et Saint-Père-Sous-Vézelay (annexe 3, p. 419), les lettres de Viollet-le-Duc aux maires d’Aillant-sur-Thollon et Semur-en-Auxois (annexe 4, p. 501), deux lettres d’un inspecteur, Jean-Jacques Grosley, à Viollet-le-Duc (annexe 5, p. 517), et enfin quelques documents complémentaires (annexe 6, p. 519).

 

          Ce n’est pas la première fois qu’on publie des lettres de Viollet-le-Duc : un premier ensemble de lettres fut publié par son fils en 1902, quelques missives envoyées à Mérimée ont été réunies en 1927 par Pierre Trahard et republiées en 2001 par Françoise Bercé, alors que ses Lettres d'Italie, 1836-1837, adressées à sa famille, ont été éditées par Françoise Viollet-le-Duc en 1971. Arnaud Timbert lui-même a publié en 2005 la correspondance de Viollet-le-Duc avec son premier architecte inspecteur (de 1840 à 1846), François-Nicolas Comynet. La publication des textes inédits ici réunis présente à nos yeux un triple intérêt. D’une part, elle facilite l’accès aux sources et leur lecture. Bien que tous les documents proviennent de fonds public, leur réunion en un même volume ménage la tâche du chercheur à qui on évite de longs séjours dans les dépôts d’archive. La transcription est également la bienvenue car les billets écrits par l’architecte au cours de ses déplacements en malle-poste sont parfois à la limite du déchiffrable (p. 95-96). D’autre part, tous ces textes de Viollet-le-Duc, lettres ou rapports, concernent la Bourgogne. C’est dans cette région que la carrière de l’architecte restaurateur a commencé, avec le chantier de Vézelay. C’est également une région où il a beaucoup travaillé : de 1840 à 1865, Viollet-le-Duc y a conduit 14 chantiers de restauration pour le compte des Monuments historiques, auxquels s’ajoutent quatre constructions neuves. Cette terre d’élection est d’ailleurs très présente, comme le rappelle l’auteur (p. 87), dans de nombreuses illustrations du Dictionnaire raisonné de l’architecture française comme dans les Entretiens sur l’architecture, preuve que son paysage monumental a vivement impressionné Viollet-le-Duc. Enfin, les sources éditées sont avant tout des textes techniques touchant le suivi des chantiers de l’architecte.

 

          C’est précisément à la question du travail de l’architecte qu’Arnaud Timbert consacre la longue synthèse de 200 pages qui précède les annexes. En se fondant sur les sources publiées dans ces annexes ainsi que sur de nombreux documents d’archives cités en notes, l’auteur commence par narrer l’histoire des chantiers de restauration conduits par Viollet-le-Duc (p. 31-87), avant d’analyser les rapports de l’architecte avec les hommes du chantier, inspecteurs, entrepreneurs, sculpteurs ou peintres verriers (p. 89-134). Le troisième chapitre est consacré aux matériaux et aux techniques de restauration (p. 135-164), le quatrième, plus bref en raison de la discrétion des sources à ce sujet, à l’économie du chantier (p. 165-175). Enfin, la dernière partie envisage les quelques chantiers de construction réalisés par Viollet-le-Duc en Bourgogne (p. 177-199). L’ouvrage est encore complété d’une riche illustration (60 figures en noir et blanc insérées dans le texte), d’une bibliographie (p. 539-547) et d’un index fort utile (p. 548-553).

 

          Cette analyse minutieuse permet ainsi à l’auteur de dresser le portrait convainquant d’un architecte parisien dont l’agence comportait peu d’employés et qui rédigeait lui-même sa correspondance : seuls ses rapports officiels sont mis au net d’une autre main que la sienne (p. 97). Il montre aussi un architecte de terrain, voyageur, surchargé de travail, dont le regard archéologique est parfois un peu rapide lorsqu’il s’agit de donner l’état sanitaire d’un édifice (p. 54-55, p. 99-100). Il révèle enfin l’architecte praticien, meneur d’hommes, passionné de la transmission des savoir-faire techniques et des gestes. Comme le souligne avec humour Arnaud Timbert, Viollet-le-Duc semble incarner l’idéal ruskinien de l’architecte « travaillant dans la cour du maçon, avec ses ouvriers » [La nature du gothique] (p. 134).

 

          La comparaison paradoxale avec Ruskin pourrait encore se poursuivre lors du bilan des restaurations de Viollet-le-Duc que dresse l’auteur : en Bourgogne, loin des « délires du système » mis en œuvre ailleurs, l’étude des chantiers de l’architecte révèle un restaurateur prudent, pragmatique, dont les interventions sont finalement assez mesurées. D’ailleurs, à l’encontre de ceux qui s’érigent facilement en juges des restaurations du XIXe siècle et voudraient faire de la morale en histoire de l’art, Arnaud Timbert rappelle qu’une restauration « est moins l’œuvre d’un homme que celle d’une administration et de son époque » (p. 203).

 

          On ne saurait trop remercier Arnaud Timbert de mettre ainsi « Viollet-le-Duc à la disposition des chercheurs » (p. 201). L’ambition de l’auteur, annoncée dès l’introduction (p. 29-30), est de publier un second volume pour les chantiers bourguignons de Viollet-le-Duc dirigés dans le cadre du service des édifices diocésains. Son exemple pourrait être suivi et, à l’exemple de ce livre stimulant, ce type de publication pourrait s’étendre à d’autres chantiers de Viollet-le-Duc et à d’autres régions.