Fara, Giovanni Maria: Albrecht Dürer nelle fonti italiane antiche (1508-1686). Biblioteca dell’«Archivum Romanicum» - Serie I: Storia, Letteratura, Paleografia, vol. 426, cm 17 x 24, xii-590 pp.,ISBN: 9788822262974, 58 €
(Olschki, Firenze 2014)
 
Compte rendu par Juliette Ferdinand, EPHE
 
Nombre de mots : 955 mots
Publié en ligne le 2015-08-24
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2254
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          Comment l’œuvre artistique et théorique d’Albrecht Dürer fut-elle perçue, divulguée et interprétée en Italie aux XVIe et XVIIe siècle ? Voici quelques-unes des questions auxquelles l’ouvrage intitulé Albrecht Dürer nelle fonti italiane antiche 1508-1686 ( Olschki, 2014) apporte de nouveaux et précieux éléments de réponse. Il faut préciser, avant toute autre considération, que Giovanni Maria Fara est sans doute à ce jour le plus important spécialiste de Dürer en Italie, comme le démontrent ses nombreuses publications à cet égard, en particulier ces trois ouvrages fondamentaux : Albrecht Dürer teorico dell’architettura. Una storia italiana (1999) ; Albrecht Dürer. Originali, copie, derivazioni (2007) ; et enfin l’édition critique de la traduction par Cosimo Bartoli de 1537 du traité de géométrie Institutiones geometricae (2008).

 

         Dans le préambule de son dernier ouvrage, Fara énonce clairement l’objet de son étude, celui de montrer comme « Dürer était connu en Italie par les artistes, les scientifiques, les érudits, qui ont observé, lu, collectionné, copié ses œuvres ». Pour atteindre son objectif, l’auteur a collecté et analysé, de la manière la plus exhaustive jamais réalisée, les sources italiennes qui, entre 1506 et 1686, mentionnent l’artiste nurembergeois. Grâce à ce catalogue inédit, Fara entend aller au-delà des monographies classiques – à partir de Moriz Thausing, Heinrich Wölfflin et Erwin Panofsky-, et donner voix aux protagonistes des XVIe et XVIIe siècles.

 

         Le volume débute par une longue introduction qui aborde certaines questions méthodologiques et historiographiques encore débattues. La première partie offre des points de comparaison entre la réception de Dürer à Venise et à Florence : Fara y revient sur le séjour à Venise de 1505 à 1507 environ, le possible séjour à Padoue, la réception de la Vierge de la fête du Rosaire qui conféra au peintre Dürer une notoriété essentiellement vénitienne. Puis est abordée la réception toscane, quelques années plus tard, concernant les traités et les œuvres gravées. Excluant tout voyage à Florence, l’auteur revient sur la présence – virtuelle - de Dürer dans les sources écrites et dans les œuvres peintes, particulièrement forte pendant les années 1520-1530. Les reprises des gravures étaient courantes, et donnaient parfois des résultats extrêmes, comme dans le cas peu connu d’un panneau, cité ici par l’auteur, représentant le couronnement d’épines, entièrement construit sur des citations de Dürer et Lucas van Leyden. Fara met toutefois en garde contre une attribution trop généralisée de certains motifs aux inventions du peintre nurembergeois, soulignant l’importance de s’en tenir aux reprises exactes plutôt qu’aux inspirations incertaines. Il réfute par exemple toute référence à Dürer dans le cas du retable de la Vierge en trône de Ridolfo del Ghirlandaio, daté de 1503 et conservé au musée du Cenacle de Fuligno à Florence. L’introduction se penche également sur le célèbre cas de Jacopo Pontormo, blâmé par Vasari pour avoir adopté la « maniera tedesca », et identifie les références aux gravures de Dürer dans les fresques de Christ devant Pilate et la Résurrection de la Chartreuse de Galluzzo.

 

         La deuxième partie de l’introduction se penche sur les variations du nom dans les sources, d’ « Albertum Durerum » à « Alberto Durero » ou « Alberto Duro », au cours des décennies prises en examen. Une évolution qui reflète selon Fara la disgrâce qui touche le nurembergeois, du « Durero » ami de Raphael selon l’édition vasarienne de 1550, à « Duro » ( « dur » en italien) dans l’édition de 1568, un phénomène de manipulation qui serait voué à servir la cause du primat florentin, en particulier de Michelangelo. Enfin l’introduction offre une réflexion sur les traductions des traités de Dürer, celui de géométrie Unterweisung der Messung (1525), celui d’architecture militaire Unterricht zu befestigung der Stett, Schlosz unnd Flecken, et les quatre livres sur les proportions, les Vier Bucher von menschlicher Proportion. Ce sont les versions latines qui furent les plus étudiées, comme en témoignent de nombreux écrits théoriques, depuis les écrits de Paolo Pino et Niccolò Tartaglia, à ceux de Daniele Barbaro ou Giulio Mancini. La première version italienne du traité des proportions n’est publiée qu’en 1591, traduite et illustrée par Giovan Paolo Gallucci. Cette traduction permit une diffusion encore plus vaste de cet ouvrage, au point de devenir le plus connu et lu de tous les écrits de Dürer, supplantant le traité de géométrie qui avait été tant apprécié au XVIe siècle. À la suite de l’introduction est proposé le catalogue, riche de ses 198 documents, présentés et commentés par l’auteur, qui offrent d’innombrables pistes de réflexions qu’il serait ici impossible d’énumérer. En dernier lieu Fara prend en examen tous les exemplaires de traités qu’il a trouvé dans les bibliothèques italiennes, et les publie accompagnés des annotations de la main des anciens propriétaires italiens. La majeure partie de ces exemplaires est constituée par les éditions latines et par l’édition italienne du livre sur les proportions. Ces commentaires nous donnent, selon les mots de Fara, un « portrait vivant, véridique, et bien nuancé » du phénomène de traduction artistique représenté par les œuvres de Dürer.

 

         Avec cet ouvrage, Giovanni Maria Fara ajoute une importante pierre à son travail de longue haleine sur Dürer et l’Italie. Cette étude aussi complète que rigoureuse offre un instrument de grande valeur pour le lecteur intéressé au peintre nurembergeois, mais soulève également des questions fondamentales sur la formation d’une théorie de l’art construite à partir de Vasari sur l’opposition entre le « Nord » et le « Sud ». Ainsi, à travers la réception de l’artiste allemand, c’est la construction de la théorie de l’art italienne qui est en jeu essentiellement, sous la forme d’un dialogue direct entre les sources.