Eldem, Edhem: Mendel-Sebah. Müze-i Hümayun’u Belgelemek / Documenting the Imperial Museum (turc et anglais), catalogue d’exposition, Musées archéologiques d’Istanbul, à partir du 12 septembre 2014. 103 p., ISBN 978-975-17-3726-7, 40 €
(İstanbul Arkeoloji Müzeleri Yayınları, Istanbul 2014)
 
Reviewed by Martin Szewczyk, Centre de recherche et de restauration des musées de France (Paris)
 
Number of words : 985 words
Published online 2015-05-19
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2268
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          Ce petit catalogue, de facture très soignée, édité en anglais et en turc, accompagne une exposition qui a pris place au Musée archéologique d’Istanbul, en 2014. Cette exposition faisait suite à un premier évènement organisé à Paris, à l’Institut national d’histoire de l’art (INHA), par Martine Poulain (INHA) et François Queyrel (EPHE), assistés de Gérard Paquot. Il s’agissait de présenter le fonds photographique des collections du Musée archéologique d’Istanbul conservé dans la collection Jacques Doucet, et dont les tirages, signés Sebah & Joailler, ont servi à Gustave Mendel à la conception du grand catalogue des sculptures de ce qui était à l’époque les Musées impériaux ottomans. Il est dû à la plume d’Edhem Eldem, de l’Université du Bosphore (Istanbul), dont les travaux sur l’histoire de l’archéologie dans l’Empire ottoman sont bien connus.

 

          Les collections du Musée d’Istanbul, constituées principalement dans la seconde moitié du XIXe et au début du XXe siècle, sont d’une importance considérable du point de vue de l’archéologie et de l’histoire de l’art antique, en particulier les sculptures, et proviennent du territoire, très large, de l’Empire ottoman : de Thasos à Sidon en passant par Cyrène et, bien entendu, le territoire de l’Asie Mineure. L’histoire des catalogues du Musée est d’un intérêt certain dans le cadre de l’histoire de l’archéologie couvrant la deuxième moitié du XIXe et la première moitié du XXe siècle. La collection commence à être constituée en 1846. Le premier « catalogue » est un article d’Albert Dumont, publié dans la Revue Archéologique de 1868, qui décrit et inventorie les objets du musée. Une notule de Dumont, citée en exergue, donne une idée de la situation de la collection, alors exposée à Sainte-Irène, au palais de Topkapı. Le second catalogue est dû à Edward Goold en 1871. Ce catalogue, usant des images à des fins d’illustration uniquement (des estampes sans véritables qualités de reproduction), est, pour citer l’A., inutilisable d’un point de vue scientifique. Il faut attendre le mandat d’Osman Hamdi Bey à la tête des Musées Impériaux pour constater une impulsion sérieuse du côté de la publication des collections : Salomon Reinach en 1881 puis André Joubin en 1893 publient les collections, mais sans aucune illustration. C’est la raison pour laquelle Hamdi Bey va faire appel, au début du XXe siècle, à Gustave Mendel, détaché de l’École Française d’Athènes aux Musées Impériaux Ottomans à partir de 1905 pour en constituer un catalogue qui est beaucoup plus complet et de meilleure qualité que les précédents. Osman Hamdi Bey défend la nécessité d’un catalogue précis des objets et juge important le  caractère scientifique et systématique de la connaissance des collections, à la manière des musées européens. Comme le souligne cette publication, l’attention accordée par Gustave Mendel aux provenances des objets est majeure et ce savant a toujours visé, semble-t-il, la certitude absolue en la matière. Malheureusement, les témoignages sur les provenances, notamment, étaient et demeurent toujours très incertains. Il faut ajouter que les archives du musée sont, d’après l’A., sporadiques avant 1870 voire 1880. Par ailleurs, et il s’agit là d’un des apports principaux de ces recherches en cours sur l’histoire des collections du Musée archéologique, les archives d’État, inaccessibles à Mendel, disponibles aujourd’hui, permettent de documenter un certain nombre de trouvailles. D’autre part, Mendel va faire un usage très important de la photographie pour l’établissement de son catalogue. Ces images ne sont pas destinées à la publication en tant que telles mais devaient être utilisées pour réaliser les dessins qui serviront à l’élaboration du catalogue. Cet usage de la photographie comme base de travail pour l’établissement des notices témoigne également du souci de précision et de détail qui animait Gustave Mendel, ce qui rend son monumental catalogue toujours parfaitement utilisable aujourd’hui.

 

          C’est Osman Hamdi Bey qui avait signé un contrat, en 1882, avec le photographe Pascal Sebah, afin de documenter les collections du Musée. Les deux hommes, nous apprend l’A., avaient déjà collaboré à l’occasion de l’Exposition Internationale de Vienne en 1873. Presque rien ne semble être conservé des premières photographies de Pascal Sebah. Le flambeau sera repris ensuite par le studio Sebah & Joailler (fondé par le fils de Pascal Sebah, Jean et par Polycarpe Joailler) à partir de 1887 (Pascal Sebah décède en 1886). Une campagne massive de prise de vues se tient en 1892. C’est probablement à cette campagne que l’on doit les photographies dans la collection de Jacques Doucet aujourd’hui conservées à l’INHA. Ces photographies ont joué un rôle remarquable dans l’élaboration par Mendel des trois volumes de son catalogue. Les dessins furent confiés à un imprimeur français, Georges Payraud. Il faut souligner leur excellente qualité. Entre temps, Gustave Mendel avait publié en 1908 deux catalogues, celui du Musée de Bursa (Brousse) et celui des terres cuites des Musées Impériaux et avait pu expérimenter son usage des photographies et des dessins dans un cadre similaire.

 

          Le travail effectué pour cette exposition repose sur une exploitation intense et minutieuse des documents d’archive et des publications anciennes. L’intérêt est évident : mieux connaître l’histoire des collections du Musée archéologique d’Istanbul est primordial afin de préciser notre connaissance des objets eux-mêmes et notamment des sculptures. Une série de photographies anciennes, montrant les objets entreposés de manière très dense dans ce qui est aujourd’hui le pavillon des arts islamiques, est publiée ; chaque œuvre est identifiée sur la photo, légendée, avec le numéro du catalogue de Mendel et le numéro d’inventaire, la date d’acquisition et la provenance. Par la suite, le catalogue de l’exposition développe dix cas d’étude, choisis en dehors des objets les plus fameux du musée mais sélectionnés en fonction de la pertinence du dossier iconographique et archivistique.

 

          En conclusion, l’on peut dire que la recherche actuellement menée entre Istanbul et Paris sur l’histoire des collections est d’une importance considérable pour l’archéologie et l’histoire de l’art. Cette exposition et ce catalogue, qui ont livré une partie de ses féconds résultats, laissent présager de nombreuses découvertes ou redécouvertes passionnantes.