Shapiro, H. A. - Iozzo, Mario - Lezzi-Hafter, Adrienne (eds.): The François Vase: New Perspectives (2 vols.). Papers of the International Symposium. Villa Spelman, Florence, 23-24 May, 2003. 21 x 27 cm. 192 Seiten mit 84 s/w Abb., ISBN 978-3-905083-33-0, 57 €
(Akanthus, Kilchberg, Zurich 2013)
 
Recensione di Maria Paola Castiglioni, Université Pierre Mendès-France, Grenoble
 
Numero di parole: 2632 parole
Pubblicato on line il 2015-05-26
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2292
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          The François Vase : New Perspectives, publié en 2013 et édité par H. A. Shapiro, M. Iozzo et A. Lezzi-Hafter, réunit les actes d’une rencontre internationale qui a eu lieu en mai 2003 à Florence. Cette rencontre était entièrement consacrée au célèbre cratère à volutes attique découvert en 1844 par Alessandro François à Fonte Rotella, dans la région de Chiusi, et conservé au Musée archéologique de Florence. Comme le précise H. A. Shapiro dans le premier article (« The François Vase : 175 Years of Interpretation »), qui fait office d’introduction, ce volume a pour objectif de présenter un bilan de l’état actuel des études sur le vase François, sans se limiter à son iconographie, aspect traditionnellement privilégié dans la vaste bibliographie sur cet objet[1], mais en s’attachant aussi aux questions relatives au lieu et aux circonstances de sa découverte (réception étrusque du vase, destination funéraire), à ses conditions et techniques d’exécution, et au contexte social, politique et culturel de sa création et de sa première utilisation. Cette volonté de faire place à ces multiples objectifs justifie l’ordre choisi par les éditeurs pour les contributions qui se concentrent d’abord sur les questions liées à l’arrivée du vase en Étrurie, où il a été mis au jour, aux détails techniques de fabrication et de réparation et finalement aux aspects plus proprement iconographiques.

 

          L’article de Maria Grazia Marzi («Was the François Crater the only Piece from the Dulciano Tomb ?») s’attache à reconstruire les activités de fouille d’Alessandro François entre 1842 et 1845 à travers le dépouillement de sa correspondance avec la baronne Giulia Spannocchi Piccolomini, épouse d’Alessandro Sergardi, propriétaire latifondiaire dans la région de Chiusi et co-financeur des activités archéologiques de l’érudit. Ces documents permettent de mieux situer la fouille de la nécropole de Fonte Rotella, à partir de septembre 1844, et de se faire une idée du tombeau dans lequel le vase a été retrouvé (il n’en existe malheureusement aucun plan, même s’il est possible de conclure, sur la base des descriptions, qu’il était constitué d’un dromos et de deux chambres funéraires), ainsi que du mobilier qui accompagnait le vase : deux kantharoi samiens – conservés aujourd’hui au musée de Berlin – et un plat à figures noires (à la manière de Lydos) avec la représentation du jugement de Pâris (objets datables, comme le cratère François, du deuxième quart du VIe s. av. J.-C.), mais aussi  des vases à figures rouges, qui révèlent que le tombeau a connu deux phases d’occupation successives.

 

          La contribution suivante, de Christoph Reusser (« The François Vase in the Context of the Earliest Attic Imports to Etruria »), s’insère en quelque sorte dans la continuité de la précédente : en mettant l’accent sur l’importance capitale de l’étude du contexte étrusque de la découverte, l’auteur situe le vase François dans le cadre plus général des premières importations de céramique attique en Étrurie. Celles-ci remontent à la première moitié du VIIe s. et sont la manifestation d’un intérêt précoce des Étrusques, notamment des élites de Cerveteri et Gravisca, pour la production attique. Le progressif élargissement géographique des importations attiques se manifeste par la présence de plus en plus massive des productions athéniennes dans l’arrière-pays étrusque et tout particulièrement dans l’ager Clusinus, relié aux centres névralgiques de Cerveteri et de Vetulonia. L’arrivée du cratère François à Chiusi s’explique donc à la lumière de ce commerce florissant, qui s’étend graduellement, à partir du deuxième quart du VIe s.,  des aristocraties aux classes moyennes, au point que, selon l’A., ce vase si richement décoré serait l’un des derniers exemples d’offrandes funéraires dans un tumulus princier, avant une phase de « démocratisation » des importations (reflet probable de changements sociaux et politiques dans ces régions). Ces observations le conduisent à partager la thèse, déjà avancée par Cornelia Isler-Kerény[2], d’une lecture étrusque du vase, qui aurait donc été commissionné par des acquéreurs étrusques désormais familiarisés avec la lecture des scènes mythologiques qui décoraient les vases attiques, ainsi qu’avec les pratiques du banquet grec, opinion qui, comme on le verra, n’est pas partagée par les auteurs des articles sur l’iconographie du vase.

 

          Les détails techniques sont en revanche au cœur de la contribution de Mario Iozzo (« The François Vase : Notes on Technical Aspects and Functions »). L’A. s’interroge ici tout particulièrement sur la fonction des quatre trous circulaires en correspondance des bases de chaque anse et des deux orifices au-dessus des anses qui furent aperçus lors de la restauration du cratère en 1973. Ces trous, qui remontent à l’époque ancienne et qui ont été réalisés après cuisson, seraient à interpréter comme le résultat de la réparation d’une cassure du vase, probablement provoquée par une tentative de le soulever par ses anses (ayant une capacité de 79 litres et pesant, vide, 22 kilos, le cratère pouvait atteindre un poids supérieur à 100 kilos une fois rempli, ce qui rendait son déplacement particulièrement délicat). L’étude de la surface interne du cratère montre en outre les traces d’utilisation d’ustensiles de métal pour mesurer et mélanger le vin. Ces éléments permettent de déduire que le vase fut dans un premier temps utilisé pour les banquets et que seulement après la cassure (et la réparation), une fois perdue son étanchéité, il fut destiné à une fonction rituelle et funéraire en Étrurie. Aucun indice ne permet en revanche de savoir si l’objet quitta l’Attique avant ou après la réparation.

 

          Jasper Gaunt (« Ergotimos epoiesen : the Potter’s Contribution to the François Vase ») s’interroge quant à lui sur le rôle du céramiste Ergotimos. En effet, le caractère extraordinaire du vase François est lié non seulement à sa riche décoration, mais aussi à sa forme élégante et harmonieuse, caractérisée par des éléments d’originalité dans la tradition de la production de cratères à volutes, datable à partir de la seconde moitié du VIIe s. Par rapport à ses prédécesseurs, Ergotimos montre en effet une volonté assumée de concilier les proportions du vase avec des formes laissant un maximum de surface libre pour la décoration (par exemple, à travers la création d’un col à deux degrés). La collaboration entre Ergotimos et le céramographe Kleitias, connue pour d’autres cratères, laisse par ailleurs supposer une entente mutuelle entre le céramiste et le peintre et une complémentarité dont la trace explicite reste la signature des deux artisans sur le col et la panse du vase François.

 

          Le volume accueille ensuite une série d’articles sur la décoration iconographique du vase. Dans le premier, Mario Torelli (« The Destiny of the Hero – Toward a structural Reading of the François Krater ») livre une proposition de lecture du programme iconographique du vase largement influencée par l’approche anthropologique[3]. Il considère que  le commanditaire du vase François appartenait à l’aristocratie attique de l’époque de Pisistrate et revendique un parallélisme entre les modalités propres à la composition poétique élégiaque et lyrique des VIIe et VIe s. et la production iconographique contemporaine, censée répondre, elle aussi, à une construction programmatique s’appuyant sur une sélection de mythes. Les épisodes choisis par Kleitias (du géranos de Thésée, en passant par la chasse au sanglier de Calydon, la centauromachie, les jeux funéraires en l’honneur de Patrocle, le retour d’Héphaïstos sur l’Olympe et l’embuscade contre Troïlos, jusqu’à arriver à la scène principale, les noces de Thétis et Pélée, qui occupe entièrement la frise médiane de la panse du vase, sans oublier les décorations du pied et des anses) auraient renvoyé aux étapes et idéaux de la vie du jeune aristocrate athénien : l’athlon et la récompense-mariage, la métis et sa bonne ou mauvaise utilisation, la liminalité et la « belle mort » symboliseraient les épreuves et les passages qui étaient censés marquer la vie d’un citoyen modèle, de l’éphébie jusqu’à la mort héroïque. Les scènes du vase auraient par conséquent livré une vision paradigmatique de l’éthos aristocratique. L’A. n’oublie pas non plus de souligner que l’iconographie du vase est aussi dominée par quelques figures divines, notamment celle de Dionysos, qui occupe le centre de la panse et se trouve représenté de face : une position emphatique qui doit être mise en relation avec la destination symposiaque du vase.

 

          Les réflexions de Bettina Kreuzer (« Reading the François Vase : Myth as Case Study and the Hero as Exemplum ») sont globalement en accord avec celles de M. Torelli et apportent des éléments originaux pour l’enrichir. L’A. insiste tout particulièrement sur l’importance du contexte historique dans lequel le vase a été créé, celui de l’Athènes post-solonienne, à la veille de la tyrannie de Pisistrate, et sur la conscience, de la part du peintre-citoyen, des enjeux socio-politiques de son temps : tel le poète mégarien Théognis, l’Athénien Kleitias, « upholder of moral standards », aurait voulu livrer, à travers le cycle iconographique du vase, un message moral à ses concitoyens qui se servaient de ce cratère lors des banquets, occasion traditionnellement associée aux discussions politiques entre aristocrates. L’A. apporte en soutien à sa thèse les parallèles offerts par d’autres peintres contemporains (peintre de Prométhée, Archikles et Glaukytes) qui, pareillement concernés par l’actualité politique, auraient également mis en images les mythes privilégiés par leurs contemporains et choisi des héros exemplaires, bien identifiables grâce aux didascalies, afin de rappeler les valeurs fondamentales pour la stabilité de la polis. La marge de manœuvre du peintre doit cependant être confrontée avec la volonté des commanditaires : dans le cas du cratère François, il est impensable que l’œuvre ait été le résultat du libre choix de Kleitias, car il s’agit selon toute vraisemblance d’une œuvre commissionnée.

 

          Cette dernière question, celle de l’identification des commanditaires, constitue le noyau de l’article de Jenifer Neils (« Contextualizing the François Vase »), selon laquelle le compendium d’images mythologiques du vase François est intimement lié à un événement marquant de l’Athènes du deuxième quart du VIe s. La recherche d’une unité thématique s’avère pour elle stérile. Tout en faisant une distinction entre éléments narratifs et éléments purement décoratifs, qui ne doivent donc pas entrer en compte dans l’exégèse, elle considère que le vase se caractérise par l’émergence d’un thème dominant, celui des noces, et en conclut que le cratère aurait été commissionné pour célébrer un mariage athénien tel que celui de Mégaklès avec Agaristhé, la fille du tyran de Sicyone Clisthène (Hérodote, VI, 126-131), datable entre 575 et 571 av. J.-C. Le choix des scènes mythologiques aurait renvoyé toutefois non seulement au gamos, mais aussi à l’esprit agonistique (dans ce cadre, le mariage peut être interprété comme une récompense), le même qui, en 566, aurait trouvé une occasion d’épanouissement avec la création des grandes Panathénées. Encore une fois, comme dans les deux contributions précédentes, la centralité des valeurs de l’aristocratie athénienne de l’époque est considérée comme la clef de lecture du vase.

 

          Un élément d’analyse supplémentaire, allant dans la même direction, est proposé par Ralf von den Hoff (« Theseus, the François Vase and Athens in the Sixth Century B.C. ») qui s’intéresse tout particulièrement à Thésée. Dans la frise supérieure du vase, Kleitias récupéra de fait un thème conventionnel de la saga du héros : son voyage en Crète. Il laissa cependant à Thésée, faisant ici fonction de chorègos, une place marginale dans la scène du débarquement sur l’île, en mettant davantage en évidence les jeunes hommes et femmes qui l’accompagnaient et dont les noms renvoient à ceux des principaux génè aristocratiques de l’époque solonienne et post-solonienne. L’hypothèse d’attribuer la commande du vase à l’une de ces familles (les Philaïdes ou les Pisistratides) est donc dans ce cas confortée et expliquerait de surcroît la transformation de Thésée en héros national attique pendant le second quart du VIe s., peut-être dans le cadre d’un programme politique.

 

          Les deux derniers articles, de Judith M. Barringer (« Hunters and Hunting on the François Vase ») et d’Adrienne Lezzi-Hafter (« Where the Wild Things are the Side-Themes on the François Krater »), ont le mérite d’intégrer dans la lecture de ce vase des images qui ont moins retenu l’attention des spécialistes : les scènes de chasse pour la première et celles que l’on trouvait sur les anses pour la seconde. J.M. Barringer corrobore les thèses exposées dans les articles précédents en soulignant le lien étroit entre chasse, compétitions athlétiques et guerre, ainsi que leur relation avec les valeurs aristocratiques. A. Lezzi-Hafter intègre les sujets des anses (Ajax avec le cadavre d’Achille, Artémis-Potnia Therón et la Gorgone) à l’ensemble des autres images et propose une lecture structurelle de l’ensemble du vase (sur le modèle de celle de M. Torelli), où la mort et l’élément liminal et sauvage occupent une place prioritaire.

 

          À ce premier volume d’articles s’en ajoute un deuxième, un fascicule de 48 planches avec un riche apparat iconographique en couleur. La vision de chaque partie du vase s’avère ainsi très claire et permet la confrontation directe avec les descriptions et les renvois des contributeurs.

 

          En conclusion, cet ouvrage, issu d’un colloque dont on ne peut que regretter la publication tardive, n’est pas une monographie et n’en a pas l’allure, mais se veut en revanche une œuvre chorale, où chaque spécialiste, en partant de différents points de vue et des méthodologies qui lui sont familières, offre son apport à la compréhension d’un ou de plusieurs aspects de ce célèbre cratère. L’hétérogénéité des contributions permet néanmoins de tirer des conclusions qui semblent, en dépit de quelques divergences de détail, tout à fait concordantes : la clef d’interprétation du vase doit être recherchée dans l’Athènes post-solonienne, à laquelle appartenaient Kleitias et Ergotimos, et les scènes doivent être lues comme l’expression des valeurs et des idéaux de la culture aristocratique dont elles sont l’expression. La compréhension du contexte de création est donc fondamentale. De même, il est capital de mieux connaître le contexte de découverte et de se demander dans quel cadre ce vase a développé le volet étrusque de son existence : a-t-il servi pour des banquets avant d’être déposé dans une tombe étrusque ? Ses images ont-elles été sujettes à une re-sémantisation ? Malheureusement ces questions demeurent pour l’instant sans réponse, mais ce volume a le mérite de jeter une nouvelle lumière sur ce cratère au sujet duquel beaucoup d’encre a certes coulé, sans offrir, jusque-là, une tentative d’approche globale. Il serait souhaitable que de nouvelles études se penchent, avec les mêmes objectifs, sur d’autres exemples analogues, comme l’a récemment fait Matteo D’Acunto, dans sa monographie consacrée au « vase-frère (aîné) » du vase François, l’olpè Chigi[4]. Cela permettrait de disposer d’éléments de comparaison, de bâtir une sorte de base de données qui aiderait à saisir pleinement les fonctions et le message livré par cette précieuse vaisselle.

 

 

 

[1] Les références bibliographiques fondamentales sont données par Shapiro, qui renvoie tout particulièrement à : A. Minto, Il vaso François, Florence, 1960 ; M. Cristofani et al., « Materiali per servire alla storia del vaso François », Bollettino d’Arte, Serie speciale, 1, 1981 ; E. Simon, The griechischen Vasen, Munich, 1981; J.D. Beazley, The Development of Attic Black-Figure, Berkeley, 19862. Plus récemment : M. Torelli, Le strategie di Kleitias. Composizione e programma figurativo del vaso François, Milan, 2007 ; T. Hirayama, Kleitias and the Attic Black-Figure Vases in the Sixth-Century BC, Tokyo, 2010 ( compte rendu de Iozzo in RA, 2011, 2) ; M.B. Moore, « Kleitias, Dionysos, and Cheiron », BaBesch, 86, 2011, 1-13 ; G. Hedreen, « Bild, Mythos and Ritual Choral Dance in Theseus’ Cretan Adventure on the François Vase », Hesperia, 80, 2011, 491-510. Nous signalons également l’article de L.-M. L’Homme-Wéry, « L’Athènes de Solon sur le vase François », Kernos, 19, 2006, p. 267-290.

[2] C. Isler-Kerény, « Der François-Krater zwishen Athen und Chiusi », in : Athenian Potters and Painters. The Conference Proceedings, Oxford, 1997, p. 523-539.

[3] Étude qu’il a développée de façon plus ample dans la monographie Le strategie di Kleitias. Composizione e programma figurativo del vaso François, Milan, 2007.

[4] M. D’Acunto, Il mondo del vaso Chigi, Pittura, guerra e società a Corinto alla metà del VIIe secolo a.C., Berlin-Boston, 2013.