Henigfeld, Yves - Kuchler, Philippe (dir.): L’îlot du palais de justice d’Épinal (Vosges). Formation et développement d’un espace urbain au Moyen Âge et à l’époque moderne. Collection Documents d’archéologie française, 108. 216 pages, ill. en noir, 21 x 29,5 cm, isbn 978-2-7351-1518-1, prix 46 €
(Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris 2014)
 
Compte rendu par Raphaël Tassin
 
Nombre de mots : 1672 mots
Publié en ligne le 2015-03-04
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2303
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          Cet ouvrage présente la synthèse des résultats de deux campagnes de fouilles archéologiques préventives, réalisées en 1995 et 1999 dans le cadre du projet d’extension du palais de justice d’Épinal, chef-lieu du département des Vosges. Le délai assez long qui sépare les fouilles proprement dites de la présente publication s’explique par le volume du mobilier (céramiques, verre, métal, fragments osseux) et des prélèvements effectués, ainsi que par l’ampleur des données à analyser. L’étude se subdivise en quatre chapitres de longueur inégale, complétés par quatre annexes ainsi qu’une liste des sources et de la bibliographie. La première partie s’attache à présenter le site et à définir le cadre des fouilles, introduisant ainsi la restitution de l’histoire complexe du site constituant le second temps de l’ouvrage. Le troisième chapitre analyse les vestiges mobiliers issus des fouilles. Quant au dernier, qui sert de conclusion, il tente de synthétiser en sept pages l’apport global de ces deux campagnes.

 

         La ville d’Épinal fut fondée par l’évêque de Metz Thierry de Hamelant, probablement dans le dernier quart du Xe siècle, dans un cadre naturel favorable à l’établissement d’un site défensif : un éperon rocheux culminant à 375 mètres d’altitude et accueillant l’ensemble castral.  La cité s’est ensuite développée sur deux autres entités distinctes, d’une part en contrebas du château, sur la rive droite de la Moselle, le Grand-Bourg constituant le centre politique, économique et religieux ; d’autre part sur une île de la Moselle, le faubourg du Rualménil. On n’avait jusque-là que très peu d’indications archéologiques sur le développement de la ville entre le Xe et le XIIIe siècle, les documents les plus anciens remontant pour leur majorité seulement au début du XVIIe siècle. Ainsi, par exemple, le plan de Nicolas Bellot (1626) fournit-il des données très utiles pour ce qui est de la topographie du lieu à l’époque moderne, encore largement tributaire de l’organisation du Moyen Âge. Cependant la question de la formation et du développement de la ville médiévale et moderne, avant cette période, restait à peu près complètement ouverte.

 

         L’îlot du palais de justice, de par son implantation en plein cœur du Grand-Bourg, dont il occupe environ 10% de la surface, constituait un « emplacement potentiellement susceptible de correspondre au noyau pré-urbain » (p. 13). Progressivement investi par la Congrégation Notre-Dame entre 1619 et la fin du siècle, l’îlot fut réaffecté durant la Révolution entre les tribunaux, des casernes, une prison et une école. Des réaménagements marquèrent également le site durant une grande partie du XIXe siècle.

 

         Les objectifs de ces fouilles de grande échelle – 3 000 m2 – étaient multiples. Il s’agissait bien sûr de vérifier matériellement les données archivistiques disponibles pour la période allant du début XVIIe à nos jours, mais le défi majeur était surtout de collecter des informations sur le site pour les périodes antérieures, afin de mieux comprendre les phases successives de son occupation, voire de recueillir des données remontant à la fondation de la ville. Pour ce faire, sept zones de sondage furent définies, les deux plus vastes étant la zone 1 correspondant à l’emprise de l’ancienne maison d’arrêt et la zone 7 englobant les anciens bâtiments conventuels de la Congrégation.

 

         Sept différentes phases d’occupation ont pu être mises en évidence, depuis le VIIIe jusqu’au XIXe siècle (cf. les plans synthétiques p. 36-37). La plus ancienne se caractérise par des traces d’anthropisation pré-urbaines dès les VIIIe et IXe siècles et par du mobilier céramique peu abondant, qui rend par conséquent la datation approximative. La seconde phase, comprise entre le Xe et le XIIe siècle, époque de la fondation probable de la ville, a pu mettre en évidence les premiers aménagements et habitations en bois, notamment grâce à la mise au jour de structures en creux (trous de poteaux principalement). C’est au cours du XIIIe siècle que semble véritablement s’opérer l’urbanisation du site, d’abord au travers d’un habitat de bois et d’un aménagement des berges de la Moselle, avant l’apparition, dans un second temps, des premiers bâtiments sur solin de pierre et de témoignages d’activité artisanale liée au travail du métal. Cette époque correspond d’ailleurs à l’érection des premières fortifications de la ville, qui seront constamment remises au goût du jour jusqu’au XVIe siècle. À partir du XIVe siècle, dans les zones déjà occupées précédemment, le parcellaire commence à se structurer et l’habitat se densifie, évoluant sous forme d’immeubles dotés d’arrière-cours où se concentrent des stuctures comme des latrines, des puits ou des canalisations. L’évolution et le renouvellement de l’habitat se poursuivent au début du XVIe siècle par des corps de bâtiments plus imposants dotés de caves creusées en sous-sol.

 

         Le grand bouleversement du site s’opère dans la première moitié du XVIIe siècle avec l’installation d’un couvent de la Congrégation Notre-Dame en 1619, qui nécessite des réaménagements assez conséquents : on crée une chapelle orientée NE-SO en lieu et place d’une cours préexistante, ainsi qu’un cloître, les deux espaces devant également revêtir une fonction funéraire : ce ne sont pas moins de 64 sépultures, accueillant 85 individus, qui ont pu être recensées, dont 18 dans la chapelle et 46 dans le cloître, la majorité concernant apparemment des religieuses. Une restructuration du couvent dans le courant du siècle des Lumières modifie profondément l’apparence de l’édifice cultuel puisque l’ancienne chapelle devient le chœur des religieuses tandis que l’église elle-même est placée perpendiculairement dans le corps de bâtiment donnant actuellement sur la place Edmond-Henry. Des espaces abritant pensionnats et salles de classes sont aussi aménagés, étant donné la vocation d’enseignement de la Congrégation Notre-Dame.

 

         Les nouvelles affections des bâtiments à des administrations pénitentiaire et judiciaire après la dissolution des congrégations religieuses entraînent elles aussi de grands bouleversements. Les bâtiments de la clôture sont affectés aux tribunaux civil et criminel, le chœur constituant la salle d’audience. Dans les anciens jardins des religieux est construite la prison et son mur d’enceinte, dont les vestiges de l’aile nord apparaissent significatifs : deux groupes de cellules réparties de part et d’autre d’une chapelle à abside. Le recoupement des documents d’archives, écrits ou iconographiques, avec les structures retrouvées permet aux archéologues de dresser une chronologie fine de l’évolution des bâtiments entre 1799 et les années 1960 !

 

         S’agissant de l’étude matérielle du mobilier mis au jour, elle est particulièrement détaillée. G. Jouanin et J.-H. Yvinec ont pu mettre en évidence, pour le XIIIe siècle, une activité artisanale liée à des restes animaux : sans doute un atelier d’équarrissage de chevaux, ainsi que des traces de pelleterie à partir d’ossements canins et félins. Une activité métallurgique est également assurée à la même époque par l’existence de vestiges de fours, de moules et de déchets cuivreux. Il semble que les religieuses présentes à partir de 1619 aient côtoyé au moins pendant un temps une activité commerciale, probablement liée au change ou à la finance. Les monnaies et jetons identifiés sont principalement ceux du duc de Bar René Ier et des ducs de Lorraine Charles III, Henri II et Charles IV, auxquels s’ajoutent des jetons de Nuremberg. L’étude de la céramique, qui a souffert de l’absence de synthèse sur la région de la vallée de la Moselle, a permis un classement des vestiges selon 14 groupes techniques et une analyse de l’évolution du vaisselier sur une période de dix siècles. Entre le VIIIe et le XVe siècle, les céramiques sont principalement montées en techniques mixtes, perdant toutefois progressivement du terrain par rapport aux céramiques tournées, cette dernière prenant totalement le pas durant le XVIe siècle, avec en plus une plus grande diversité de formes et de fonctions. La présence d’une quarantaine de pots à pharmacie des XVIe et XVIIe siècles, sans doute d’origine lyonnaise, s’avère notamment intéressante, puisque constituant un ensemble assez complet de cette typologie. Concernant la vaisselle en verre, elle est conservée surtout à partir du XVIe siècle et se compose principalement de verres à boire. Quelques vestiges de verres plats viennent s’y ajouter. G. Jouanin, S. Preiss et J.-H. Yvinec apportent de leur côté une réflexion sur l’alimentation tant carnée que végétale des occupants du site.

 

         Parmi le petit mobilier retrouvé lors des fouilles, entre les objets de piété (médailles, croix, chapelets) ou du quotidien (pipes, petits récipients, aiguilles, accessoires vestimentaires...), signalons une enseigne de pèlerin datant de la seconde moitié du XIVe siècle, représentant le Volto Santo de Lucques, témoin probable des relations précoces entre la Lorraine et la péninsule italienne par le biais des pèlerinages.

 

         En définitive, les apports de cette étude sont multiples et répondent aux problématiques qui avaient été fixées. En premier lieu, elle a permis de clarifier les conditions de fondation de la ville, sur un site déjà anthropisé ; en second lieu d’éclaircir le processus de structuration de cet îlot, apportant un éclairage nouveau sur l’évolution d’une agglomération lorraine secondaire jusqu’au XVIIIe siècle ; enfin c’est une contribution des plus intéressantes à l’étude des conditions de vie d’une communauté religieuse durant l’époque moderne.

 

 

Sommaire

 

Préface p. 11 (Elise Faure-Boucharlat)

 

 Chapitre 1 
Présentation du site et des interventions archéologiques p. 13

1.1 Le cadre naturel p. 14

1.2 De l'agglomération préurbaine à la ville moderne : esquisse de

topographie historique p. 14

1.3 L'îlot du palais de justice p. 21

1.4 La problématique p. 27

1.5 Les interventions archéologiques et les méthodes adoptées p. 27

1.6 La publication p. 32

 

 Chapitre 2
 Les origines et le développement de l'îlot p. 33

2.1 Du viiie au xiie s. : l'occupation préurbaine p. 34

2.2 Du xiiie au xve s. : l'urbanisation de l'îlot p. 40

2.3 Du xvie au xviiie s. : le renouvellement de l'habitat et le

développement d’une occupation religieuse p. 60

2.4 Du xixe au xxe s. : les bâtiments administratifs p. 76

 

 Chapitre 3 
Aspects de la vie matérielle et spirituelle p. 83

3.1 La vie économique p. 84

3.2 La vie domestique p. 95

3.3 La vie spirituelle p. 163

 

 Chapitre 4 
L’apport des fouilles archéologiques p. 173

4.1 Avant le milieu du xiiie s., la formation de l’espace urbain p. 174

4.2 Du milieu du xiiie s. au xixe s. : l’organisation de

l’espace urbain et le développement de l’îlot p. 176

4.3 Les conditions de vie
 d’une communauté religieuse aux xviie et

xviiie s. p. 178

4.4 Une enquête à poursuivre p. 180

 

Annexes p. 181

Sources p. 195

Bibliographie générale p. 203