Sève, Michel - Schlosser, Patrice (dir.): Cyzique, cité majeure et méconnue de la Propontide antique. (Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire, Université de Lorraine, 51). 380 p., 52 fig. in texte et 2 fig. hors texte, in-8°, ISBN : 2-85730-058-1, 25 euros
(Centre de recherche universitaire lorrain d’histoire, Metz 2014)
 
Reseña de Stéphane Lebreton, Université d’Artois
 
Número de palabras : 2224 palabras
Publicado en línea el 2015-11-30
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2348
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          L’enjeu que se sont fixés Michel Sève et Patrice Schlosser en éditant cet ouvrage est contenu dans le titre : Cité majeure et méconnue de la Propontide, que l’on pourrait lire « cité majeure mais méconnue de la Propontide ». Ils expliquent leur démarche en introduction en déplorant que Cyzique, que tous reconnaissent pourtant comme importante, fût l’objet de si peu de travaux (p. 7). Depuis l’ouvrage de F.W. Hasluck, paru en 1910 et consacré à la cité et à sa région, Cyzique n’a pas connu les études qu’elle mériterait[1]. Les éditeurs ont saisi le prétexte d’une commémoration de la publication de F.W. Hasluck pour chercher à susciter un nouvelle intérêt en faveur de cette agglomération, d’abord en organisation une rencontre – qui s’est tenue à l’Université de Lorraine en mars 2011 -, puis en en éditant les actes. M. Sève et P. Schlosser expliquent ce manque d’intérêt pour la cité par la rareté des fouilles, trop peu importantes et concentrées sur le temple d’Hadrien (p. 11). La connaissance archéologique générale du site fait gravement défaut. Malgré ce handicap, les éditeurs ont souhaité tenter de renouveler les approches d’études de la cité et lancer de nouvelles directions de recherches.

 

         A voir le sommaire, les articles se succèdent sans autre fil conducteur que celui, diffus, de la chronologie mêlée à des approches thématiques. Les éditeurs n’ont pas fait le choix de les regrouper par parties. Quatre directions différentes se devinent cependant dans les études proposées. Quatre auteurs ont opté pour une entrée périodique, en discutant de l’évolution de la cité de la période achéménide au Haut-Empire : Frédéric Maffre (« Cyzique et le monde achéménide »), Franck Prêteux (« L’extension territoriale de Cyzique [IVe siècle av. J.-C. – Ier siècle apr. J.-C.] : reflet du prestige de la communauté civique ?), Michel Sève (« Cyzique et les Attalides ») et Julien Fournier (« Cyzique à l’époque de l’hégémonie romaine : un modèle d’intégration provinciale ? »). Deux articles adoptent une approche plus historiographique. Ludovic Laugier s’intéresse aux « antiquités de Cyzique au musée du Louvre ». Guy Meyer étudie les témoignages des voyageurs qui se sont intéressés au temple d’Hadrien (« Les ruines du temple d’Hadrien à Cyzique d’après les voyageurs »)[2]. A ce dernier travail fait écho celui de Nurettin Koçhan consacré aux acquis archéologiques sur le temple et aux hypothèses de restitution (« New proposal on Cyzicus Hadrian Temple »). A l’exemple de cette entrée archéologique, deux autres articles proposent un état par type de source. Christian Habicht dresse un bilan pour l’épigraphie (« The epigraphical évidence »). Patrick Marchetti s’intéresse au « statut particulier du "cyzicène" ». Enfin, quatre travaux présentent des études thématiques. Les trois premiers insistent sur les relations que la cité a entretenues au cours de son histoire avec la mer. Ainsi, Ludovic Thély s’est penché sur la question du « culte de Poséidon Asphaleios ». Patrice Schlosser a pris le parti d’étudier Cyzique comme une cité résolument maritime (« Cyzique et la mer »). Alexandru Avram analyse l’importance des relations entre cette agglomération et les communautés du Pont Euxin (« Cyzique et la mer Noire »). Un dernier article, celui de Madalina Dana, s’attache à comprendre la nature, l’étendue et la composition des réseaux culturels dans lesquels s’insère les Cyziciens (« Cyzique, une cité au carrefour des réseaux culturels du monde grec »).

 

         Les recherches sur Cyzique, telles qu’elles apparaissent dans cet ouvrage, s’orienteraient dans trois directions principales. La première est d’ordre historiographique. Comme l’indiquent les éditeurs en introduction, il importe de revenir sur l’histoire de la découverte et de l’identification du site. G. Meyer explique que des ruines sont connues à cet endroit dès le XVe siècle au moins. Depuis Cyriaque d’Ancône, les voyageurs et les érudits s’intéressent aux structures les mieux conservées, celles du temple d’Hadrien. Ces dernières ne sont cependant correctement identifiées qu’en 1861 par Georges Perrot et Edmond Guillaume (p. 38). Ainsi, les relations que les visiteurs européens, entre description et pillage, ont entretenues avec le site constituent une histoire propre qui a pu déterminer ensuite la façon dont l’historien a envisagé son objet d’étude. Il est donc nécessaire d’en faire l’analyse. Quel a été le processus d’élaboration de la représentation de Cyzique au cours du temps ? Dépend-on encore de cette image ? A lire les différents articles, on a l’impression que cette mémoire s’est cristallisée autour de trois sujets : le temple d’Hadrien, les antiquités transportées en Europe occidentale depuis l’Ancien régime et les cyzicènes. En effet, l’article de G. Meyer montre que, s’il y a bien une mémoire de Cyzique qui s’est imposée, c’est celle qui s’est trouvée associée au souvenir du temple d’Hadrien. Le fait qu’il a été considéré par certains auteurs anciens comme l’une des merveilles du monde a certainement joué dans cette identification. Il est d’ailleurs intéressant de noter à ce propos que, pour Aelius Aristide, le temple est si haut qu’il peut servir d’amer. Ce rapprochement entre l’un des bâtiments les plus prestigieux de Cyzique est la fonction de repère à la navigation peut sembler caractéristique de l’image que la ville a voulu se donner d’elle même, au IIe siècle, en s’appuyant sur sa vocation maritime. En restituant le parcours de soixante-dix objets (majoritairement des marbres : inscriptions et reliefs funéraires) répertoriés dans les collections du musée du Louvre sous la provenance de Cyzique, L. Laugier fournit une deuxième piste intéressante. L’image moderne de Cyzique a dû également s’élaborer à travers le regard porté sur les antiquités ramenées en Europe occidentale. Mais en contrepoint, le site a souffert de sa proximité avec Istanbul, devenant ainsi une proie facile pour les marchands d’objets anciens. G. Meyer évoque une autre « malédiction » : l’emplacement près du détroit des Dardanelles. Les marbres, de ce fait, ont été utilisés comme boulets pour les châteaux du détroit (p. 34 et note 26). Enfin, Cyzique est souvent citée pour les « cyzicènes », monnaies en électrum, frappées d’un motif au thon. Il est instructif, à ce sujet, de comparer les interprétations différentes de Fr. Maffre (p. 88-89), de Fr. Prêteux et de P. Marchetti (p. 127-149).

           

         La deuxième direction, prise par de nombreux auteurs, est de s’interroger sur les bases de la puissance de la cité. Trois indications ont été proposées. Tout d’abord, il semble que les autorités de Cyzique aient su, au cours de leur histoire, profiter des opportunités offertes par les événements. Fr. Maffre estime que la cité a réussi à faire de sa proximité avec la résidence achéménide de Phrygie hellespontique un atout, entre le VIe et le IVe siècles. Elle serait alors devenir non seulement le port de Daskyleion, mais également un atelier monétaire et une gazophylacie, tout en gardant sa spécificité de cité grecque (p. 90 ; 96). L’affaiblissement de Daskyleion à la suite de la conquête macédonienne est, à terme, bénéfique pour Cyzique qui ambitionne d’endosser le rôle de centre administratif régional (p. 96). M. Sève étudie ensuite les liens privilégiés que les Attalides entendent entretenir avec la cité, de façon à bénéficier à la fois d’un poste avancé vers le nord (en particulier face à la Bithynie) et d’un port leur donnant accès à la Propontide et au-delà au Pont-Euxin (p. 162 ; 164). Enfin, selon la formule de Fr. Prêteux, reprise par A. Avram (p. 241), « la hiérarchisation (accélérée) des cités les unes par rapport aux autres (…), aux Ier et au IIe de notre ère, (…) a abouti à mettre en avant Cyzique seule pour la Mysie et la Troade, alors que la partie bithynienne de la province de Bithynie-Pont voit la domination de Nicomédie, parfois concurrencée dans ses prérogatives par Nicée ». L’article de J. Fournier confirme cette évolution sans cependant passer sous silence deux crises que la cité rencontre dans ses relations avec Rome et qui auraient pu lui être fatales, en 20 av. n.è., puis en 15 de n.è. (p. 319-322). L’extension territoriale de Cyzique entre le IVe siècle av. n.è. et le Ier siècle de n.è., mise en lumière par Fr. Prêteux et par L. Laugier, est assurément une deuxième raison du succès de la cité. Le dernier atout, souligné bien souvent dans les articles, serait la position stratégique de la cité, non seulement sur les routes de navigation entre l’Egée et le Pont Euxin, mais aussi dans le passage entre les deux continents. De fait, l’ouvrage nous permet de disposer d’une synthèse appréciable de l’histoire de Cyzique entre le VIe siècle av. n.è. et le IIe siècle de n.è. On peut malgré tout regretter que les éditeurs n’aient pu disposer d’une étude sur la situation de la cité pour l’Antiquité tardive. Les données régionales semblent en effet changer à partir du IIIe siècle. Les luttes entre compétiteurs, prétendants à l’empire, et les incursions des Goths mettent en relief à la fois l’importance de la région dans les communications entre les deux continents et ses faiblesses. La nécessité de répondre activement aux problèmes militaires en établissant des résidences impériales de part et d’autre de la Propontide modifie l’équilibre régional, en accroissant l’importance du détroit du Bosphore. Enfin, l’affirmation définitive de Constantinople comme centre de pouvoir, à la fin du IVe siècle, parachève le mouvement. On aimerait connaître la place de Cyzique dans cette évolution. Quelles relations, par exemple, entretient-elle avec Nicomédie et Constantinople ? Parallèlement, la description de la situation de la cité comme stratégique sur les routes de navigation ou dans les relations ouest-est me paraît dans un certain nombre de cas partir d’un a priori issu de notre vision moderne de la cité, placée au centre géographique de la Propontide. Cette proposition mérite d’être interrogée, plus finement et par période. Pourquoi Cyzique aurait-elle une situation plus stratégique que les cités des Détroits ? En cela, l’étude d’A. Avram, toute en nuance, est particulièrement intéressante. Elle réussit à démontrer que les intérêts de Cyzique pour le Pont Euxin sont variables selon les périodes et que ses relations dans le secteur se développent surtout à partir de l’époque impériale. Il ne suffit pas qu’une cité soit bien placée géographiquement pour qu’elle profite de ses potentialités.

           

         La troisième et dernière orientation prise par les articles, répondant en cela aux vœux des éditeurs, est de chercher à développer des pistes nouvelles. Cette résolution se perçoit à travers l’ensemble des travaux. On peut toutefois noter l’effort de L. Thély dans l’étude du culte particulier de Poséidon Asphaleios. De la même façon, M. Dana propose un portrait intéressant de Cyzique à travers le paysage des réseaux culturels du monde grec.

 

         Au total, malgré la volonté des éditeurs de relancer l’intérêt pour l’étude de Cyzique, on ressort de la lecture de ce livre avec l’impression de n’avoir malheureusement saisi qu’une silhouette bien incomplète d’une cité qui échappe encore largement aux tentatives des historiens et des archéologues d’en apprendre davantage. Le portrait de la cité ne paraît se composer qu’en creux. Ce sont en effet bien souvent les mêmes dossiers, les mêmes références, traités différemment, qui réapparaissent dans un grand nombre d’articles. Le renouvellement de la documentation ne peut à présent provenir que d’une exploration archéologique. L’interrogation de P. Schlosser sur la nature et sur l’évolution du site, entre île et presqu’île, témoigne de l’étendue des incertitudes. Il est d’ailleurs étonnant que l’on ne puisse en savoir davantage dans ce domaine quand on connaît les résultats obtenus par des prospections géomorphologiques pour la plaine du Scamandre, les sites d’Ephèse et de Milet. Seul un véritable investissement archéologique permettra de sortir de cette situation. Souhaitons que cet ouvrage constitue effectivement un premier jalon dans l’approfondissement de la recherche et des connaissances sur cette cité encore trop méconnue de Propontide[3].

 


 

[1] F.W. Hasluck, Cyzicus : Being Some Account of the History and Antiquities of that City, and of the District Adjacent to It, with the Towns of Apollonia ad Rhyndacum, Miletupolis, Hadrianutherae, Priapus, Zeleia, etc., Cambridge, 1910, réimp. 2010.

[2] L’article est accompagné d’une chrono-bibliographie des voyageurs et des archéologues fréquentant le site entre 1431 et 1900 (p. 17-25).

[3] A ce propos, signalons la très intéressante communication de Bernard Mezzadri « De la péninsule au sumbolon et retour : la géographie épique, instrument d’une "logique du concret" ? » dans le cadre du colloque, organisé par Jérôme Gonzalez et Stéphane Pasquali, « Au-delà du toponyme. Approche interdisciplinaire de la territorialité. Egypte et Méditerranée anciennes », qui s’est tenu à l’Université Paul-Valéry, Montpellier 3, les 27 et 28 octobre 2015. Cette intervention a proposé une interprétation pertinente de la double halte des héros de l’Argo sur la péninsule de Cyzique, dans les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes. 

 

 

 

Table des matières

 

-Patrice Schlosser et Michel Sève : « Introduction ». 7

-Guy Meyer : « Voyageurs et archéologues à Cyzique : chrono-bibliographie, 1431-1900. 17

-Guy Meyer : « Les ruines du temple d’Hadrien à Cyzique d’après les voyageurs ». 27

-Frédéric Maffre : « Cyzique et le monde achéménide ». 63

-Frédéric Prêteux : « L’extension territoriale de Cyzique (IVe siècle av. J.-C. – Ier siècle apr. J.-C.) : reflet du prestige de la communauté civique ? ». 101

-Patrick Marchetti : « Le statut particulier du "cyzicène" ». 127

-Michel Sève : « Cyzique et les Attalides ». 151

-Christian Habicht : « Kyzikos : the epigraphical evidence ». 167

-Ludovic Thély : « Le culte de Poséidon Asphaleios à Cyzique ». 179

-Madalina Dana : « Cyzique, une cité au carrefour des réseaux culturels du monde grec ». 195

-Alexandru Avram : « Cyzique et la mer Noire ». 225

-Patrice Schlosser : « Cyzique et la mer ». 253

-Nurettin Koçhan : « New proposal on Cyzicus Hadrian Temple ». 279

-Ludovic Laugier : « Les antiquités de Cyzique au musée du Louvre ». 295

-Julien Fournier : « Cyzique à l’époque de l’hégémonie romaine : un modèle d’intégration provinciale ? ». 309