Burlot, Delphine: Fabriquer l’antique. Les contrefaçons de peinture murale antique au XVIIIe siècle. Collection "Mémoires et Documents sur Rome et l’Italie Méridionale", n.s. 7, (Avec une préface de F. Baratte et une postface d’H. Eristov), 347 p., ill. en noir et en coul., ISBN 978-2-918887-15-7, € 30,00
(Centre Jean Bérard, Naples 2012)
 
Compte rendu par Philippe Malgouyres, musée du Louvre
 
Nombre de mots : 653 mots
Publié en ligne le 2015-03-10
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2366
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          L’étude de la fortune de l’antique passe par la compréhension de ses falsifications. Les résultats des recherches réunis dans cet ouvrage mettent en lumière l’un des aspects les plus fascinants de cette production de contrefaçons : les fausses peintures murales, et plus particulièrement les peintures à l’encaustique. Tout amateur du XVIIIe siècle a présent à l’esprit la supercherie dont fut victime Winckelman lui-même, mais cette publication permet de mesurer véritablement l’ampleur de ce phénomène. Le point de départ de cette enquête est tout à fait original : c’est lors de la restauration d’un fragment de fresque conservé au département des antiquités grecques, étrusques et romaines du musée du Louvre, représentant une « scène égyptisante », que l’auteure, qui est aussi restauratrice, a découvert qu’il s’agissait d’un faux, qui reprend des motifs de la célèbre table isiaque du musée archéologique de Turin.

 

          Delphine Burlot, dans une copieuse introduction, propose une réflexion sur les logiques du faux, commerciales et intellectuelles. L’ouvrage est ensuite divisé en deux parties principales. La première (« Découvrir les antiquités, fabriquer l’antique ») réunit en fait, à travers sept chapitres, des questions de natures assez variées. Le premier chapitre, consacré aux achats du Grand Tour, dresse un tableau très évocateur de ces acquisitions de peintures antiques (ou peu s’en faut) par de grands collectionneurs européens. Le deuxième chapitre, en revanche, ne traite que de la personnalité de Giuseppe Guerra (1749-1761) dont « l’œuvre » est en fait au cœur de l’ouvrage, qui aurait pu porter son nom dans le titre. En effet, toute la seconde partie, sur laquelle nous reviendrons, est consacrée à l’étude des œuvres produites par ce faussaire et l’on trouvera encore en annexe au catalogue un tableau des productions que l’auteure lui attribue. Peut-être faut-il souligner ici une difficulté dans la lecture de ce livre : la densité des informations, répétées nécessairement à plusieurs endroits, mais sous des formes différentes, aboutit à des contradictions ou des imprécisions : par exemple, p. 41, il est question d’une fresque que Conyers Middleton « a probablement rapporté de son voyage à Rome en 1723-1724 » et la même œuvre, dans le catalogue (n° 4 p. 218) est dite « achetée par Middleton lors de son séjour à Rome », ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Il faut ajouter qu’un parti éditorial contestable en complique encore la consultation : quelques planches en noir et blanc se trouvent dans le texte, mais non numérotées, tandis que la plupart des autres illustrations sont rejetées dans un cahier non paginé à la fin de l’ouvrage, qui se clôt par quelques planches en couleur, également sans numéro. Il faut donc beaucoup de patience pour rassembler toute l’information fourmillante de cet ouvrage sur une œuvre donnée. Les cinq derniers chapitres de cette première partie sont dévolus à des études de cas, dont la célèbre Muse de Cortone et le sulfureux Jupiter et Ganymède qui berna le grand archéologue allemand. Le chapitre 5, consacré aux mosaïques en relief, est particulièrement fascinant.

 

          La seconde partie (« La fabrication des faux. L’exemple des peintures de Guerra ») nous fait pénétrer au cœur de ces « créations », par une analyse très précise de leur mise en œuvre, des modèles utilisés par le faussaire et enfin des rouages de leur diffusion et de leur mise sur le marché. L’ensemble des œuvres discutées dans l’ouvrage est à nouveau présenté sous la forme d’un catalogue, qui forme une sorte d’annexe. On y retrouvera sous une forme synthétique (parfois trop, comme nous l’avons dit) les informations plus complexes et plus nuancées données dans le corps de l’ouvrage. Malgré ces regrets, qui sont bien mineurs au regard des grands mérites de ce travail, le livre de Delphine Burlot est une somme définitive sur ce sujet passionnant, offrant aux érudits sous une forme monographique quantité d’informations inédites, ou qui n’étaient jusque-là disponibles que dans des publications dispersées (je pense aux nombreux articles pionniers de Mariette de Vos sur le sujet).