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Compte rendu par Michel Chossenot, Université de Reims Nombre de mots : 2236 mots Publié en ligne le 2015-06-09 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2380 Lien pour commander ce livre
La couverture géographique de la Gaule de la CAG se termine et le volume sur la Somme est donc l’un des derniers (133 volumes publiés entre 1988 et 2014). L’Auteur précise dans l’introduction les modalités de sa réalisation : cas presque unique dans l’histoire récente de cette publication, Tahar Ben Redjeb, ingénieur d’études au SRA de Picardie, a rédigé la totalité du volume : géographie etc., alors que généralement, les parties concernant cette dernière surtout, voire l’historique des recherches et les synthèses scientifiques par période ont été confiées à des spécialistes (deux exceptions relevées cependant dans ce volume : l’évolution géologique et géomorphologique avec la coll. de J. Fabre, p. 76-81 et l’index thématique par Bl. Pichon, auteur du volume « Amiens 80/1 », p. 775-796). Cette solution (un seul auteur) offre l’avantage de donner une unité à l’ensemble, au lieu de chapitres qui peuvent souvent apparaître comme juxtaposés et pas forcément « au service » du sujet, en particulier pour les chapitres de géographie physique.
La Somme comme beaucoup d’autres départements est couverte par deux volumes, le premier concerne Amiens (CAG 80/1 par Bl. Pichon en 2009) et le second, objet de ce compte rendu. Ce découpage, inévitable, compte tenu de l’importance des données, pose le problème évident des relations entre le chef-lieu de cité et son territoire, relations qui ne pourraient apparaître que dans les synthèses scientifiques. Mais comme le répète volontiers M. Provost, directeur de la publication : « Ce sont des pré-inventaires et non des synthèses ».
Dans l’avant-propos, l’A. retrace l’historique de son travail publié en 2012 : œuvre de longue haleine commencée en 1983, effectuée au sein du Service Régional de l’Archéologie de Picardie en utilisant toutes les données disponibles, regroupées dans les bases DRACAR et Patriarche de la Sous-direction de l’Archéologie. La part de l’A. a consisté à rechercher, retrouver et à traduire sous forme utilisable toute la documentation accessible provenant des publications, des musées, avec l’aide du CIRAS (Centre Interdisciplinaire des Recherches Archéologiques de la Somme) et à dépouiller les 704 rapports de fouilles disponibles au SRA. Il indique les limites de son travail : données perdues ou inaccessibles, imprécisions etc. et ses choix de présentation des 5 500 notices, le tout publié dans un volume de 840 pages en « petits » caractères.
Ce travail de dépouillement se retrouve dans l’imposante bibliographie qui va de la p. 9 à 71, dont une partie, appelée « bibliographie annexe », p. 56-71, comporte essentiellement les rapports de fouilles déposés au SRA.
Le cadre géographique (p. 72-82), le département de la Somme,a une forme sensiblement rectangulaire qui mesure 140 x 70 km pour une superficie de 6170 km2 ; il compte 782 communes dont la surface moyenne est de 7,89 km2. Il s’étend, jusqu’à la mer, sur sept régions naturelles de part et d’autre de la rivière la Somme, qui lui a donné son nom. Si l’A. décrit avec précision les conditions naturelles (données géologiques, physiques, relief etc.), il ne donne aucune précision sur leurs aspects attractifs ou répulsifs qui, sans faire de déterminisme, peuvent expliquer les conditions et l’importance éventuelle du peuplement. Pourtant il évoquera plus loin la position des sites : en fond de vallée, sur les pentes, sur les plateaux.
L’histoire de la recherche archéologique (p. 83-100) suit à peu près les étapes que l’on retrouve dans une bonne partie de la France ; aux XVIIe-XVIIIe siècles, les historiens recherchent sur le terrain les sites mentionnés par les auteurs anciens ; puis le XIXe siècle voit la création de deux puissantes Sociétés, celle des Antiquaires de Picardie et celle d’Émulation d’Abbeville qui joueront un rôle important dans la recherche, jusqu’à aujourd’hui. Le Service Régional de l’Archéologie a été créé en 1991 ; d’autres structures plus ou moins pérennes travaillent sur le terrain et assurent des formes d’animation : le service archéologique du Conseil Général avec le pôle archéologique de SAMARA, le Laboratoire de recherche de l’Université de Picardie (Ph. Racinet) et le CIRAS déjà mentionné. L’auteur insiste beaucoup sur les différents types de recherches pratiquées en Picardie et dans la Somme : la photographie aérienne et surtout les prospections pédestres. Le rôle de R. Agache, un des pionniers de la photo aérienne en France, est un peu trop rapidement évoqué (à peine une colonne, p. 93), car en 20 ans (1960-1980), il a découvert 2900 sites dont 1200 à 1300 enclos funéraires dans 225 communes, dans une région dont les sols, a priori, n’étaient pas favorables à ce type de recherche. Avant lui, en effet, on volait surtout à la fin du printemps, à l’épiaison des céréales, moment réputé le meilleur pour les contrastes de couleurs ; R. Agache a découvert que l’hiver, avec tous ses inconvénients pour le vol, était peut-être la meilleure saison ; l’Amiénois est devenu, grâce à lui, l’une des régions de l’Empire romain la plus dense en villae romaines ; il en a obtenu des plans complets où les deux parties, la pars urbana et la pars rustica des auteurs anciens, étaient nettement identifiables ; il a émis l’hypothèse qu’elles étaient des établissements spécialisés dans les productions spéculatives destinées à Amiens et aux légions du limes ; il a introduit le terme de « ferme indigène » (traduit de l’anglais « indigen farm ») pour les habitats gaulois s’étendant sur plusieurs hectares. Ses deux ouvrages, Atlas d’archéologie aérienne de la Picardie (1975) et La Somme pré-romaine et romaine…(1978) restent des publications inégalées dans le reste de la Gaule. L’A. s’attarde ensuite un peu longuement sur le rôle des prospections pédestres, de l’archéologie préventive et des grands travaux. Mais il est vrai qu’une bonne partie de la richesse du volume et de son illustration provient directement des très nombreuses heures de prospection effectuées par les membres du CIRAS.
Les prospections pédestres pratiquées depuis longtemps ont été réorientées ces dernières années avec des intentions précises à l’échelle d’un terroir communal, d’une micro-région ou d’un canton et en fonction aussi d’hypothèses concernant l’attractivité des terroirs (sols, exposition etc.) p. 94 ; les prospections préalables aux tracés linéaires ont permis de retrouver 1612 sites dont 751 connus déjà par R. Agache, mais plus de 70% des sites repérés par ce dernier n’ont encore fait l’objet d’aucune vérification au sol. Ces résultats montrent bien toute l’importance des prospections, mais aussi toutes leurs limites et la valeur que l’on peut leur accorder en matière d’occupation du sol.
Vient ensuite un bilan intitulé « De la Préhistoire à la fin de la période mérovingienne », (p. 101-118, fig. 31 à 38), en sept chapitres. Après une très courte évocation de la préhistoire (chapitre 1. « Les premiers arrivants »: de 450 000 à 800 av. J.-C. », p. 101), l’auteur aborde aussi rapidement, au chapitre 2, « La Protohistoire ancienne », soit l’âge du Bronze et le premier âge du Fer en moins d’une page (p. 101-102). On aurait aimé voir une carte des 1200 à 1300 enclos funéraires photographiés par R. Agache dans 225 communes car le nombre de sites de l’âge du Bronze final de la fig. 31 paraît bien réducteur en comparaison, même si tous ces enclos ne sont pas datables de cette période. Il consacre ensuite huit lignes à La Tène A et B (p. 102). Il développe plus longuement dans le chapitre 3 (« Fin IVe-Début IIIe siècle : L’histoire belge ? ») qui traite de La Tène Moyenne (p. 102-105), avec 89 sites, nombre particulièrement faible par rapport aux centaines de fermes indigènes photographiées par R. Agache ; en fait beaucoup n’ont pas été prospectées ou n’ont pas fourni une datation suffisamment précise. Cette dernière partie paraît un peu squelettique en rapport avec la masse de documentation disponible.
Ces exploitations agricoles seraient donc une création des Belges, venus d’Outre-Rhin pour s’installer dans le Nord-Ouest de la Gaule et dont l’arrivée a été signalée par J. César ; le charnier de Ribemont-sur-Ancre serait l’œuvre des vainqueurs ; ce sont leurs descendants, les Viromandui à l’est et les Ambiani de part et d’autre de la Somme que César aurait rencontrés. Le chapitre 4 (« La Conquête et ses soubresauts ») est subdivisé en deux parties :
Chapitre 5 (« Le Haut Empire », p. 109-111) : la civitas Ambianorum est intégrée à la Gaule Belgique avec la création du chef-lieu Samarobriva qui semble due à la présence de légionnaires et d’auxiliaires gaulois en liaison avec la conquête de la Bretagne. L’archéologie aérienne donne une image remarquable du développement des campagnes (3000 « occurrences » dont la moitié a été prospectée et 253 ont été fouillées). 900 exploitations agricoles dont de nombreuses villae au plan classique ont été repérées par photo et dont plus de la moitié avaient des antécédents protohistoriques. Quelques bons exemples auraient pu être cités comme celui de Béhen, Le Haut des Royons, p. 194, fig. 136. On connaît maintenant une soixantaine de sanctuaires dont le plus célèbre est celui de Ribemont-sur-Ancre. Les données funéraires (132 sites dont 31 explorés depuis 2005) sont évoquées en 8 lignes ! Quant aux données économiques, l’auteur renvoie à une publication de 2004. Dans l’ensemble, cette partie est un peu squelettique par rapport à la masse de données utilisables, que ce soit la continuité des occupations déjà évoquée (le passage de la ferme indigène à la villa, avec des chronologies variables), les modifications et restructurations des plans, ou les activités économiques, etc. Le parti pris de l’auteur (« Les conclusions présentées en 2004 restent globalement d’actualité et je ne présenterai que les données nouvelles ») est un peu regrettable pour le lecteur (p. 110).
Chapitre 6 (Le temps des « invasions barbares », p. 111-113) : cette période bénéficie d’un développement plus important qui s’appuie à la fois sur les textes et les données de terrain ; Amiens est devenu un centre défensif important contre les Saxons (Litus Saxonicum), mais sur le terrain, on peine à reconnaître la présence des Lètes ou des armées régulières à partir des sépultures.
Le chapitre 7 (La période mérovingienne, p. 113-118) est divisé en cinq parties : A, le contexte historique, B, le cadre administratif, C, peuplement, D, le processus de christianisation (appelé C par erreur), E (appelé D), nécropoles et habitats ; ce chapitre s’appuie d’abord sur les textes ; les données archéologiques (D), 250 nécropoles ; 15 des 25 habitats étudiés sont à « l’emplacement ou en marge de sites antiques » ; ils ne durent qu’un ou deux siècles ; 3 seulement jusqu’au Moyen Âge classique. L’A. renvoit à une synthèse à paraître en 2013, ce qui est un peu gênant.
Dans le pré-inventaire et ses 5 500 notices, p. 119-774, on trouve pour chaque commune : sa superficie, les plus anciennes mentions écrites ; les notices archéologiques occupent l’essentiel du volume, soit 656 p. Elles suivent les règles de présentation de la CAG avec, par commune, une numérotation continue des sites, le nom du lieudit, une description des découvertes et la bibliographie les concernant. Les descriptions sont suffisantes pour une première approche avant d’effectuer des recherches plus approfondies si nécessaire. Les lecteurs, comme il a été dit plus haut, apprécieront la présentation des nombreux sites qui n’ont pas encore fait l’objet de publication détaillée et qui risquaient de rester totalement ignorés. C’est, certes, un des objectifs de la CAG que de restituer une documentation enfouie dans des dossiers plus ou moins accessibles, mais le fait de travailler au SRA a permis à l'A. de la consulter plus aisément et aussi de la « traduire » en données intelligibles.
Les illustrations sont au nombre de 1229, dont beaucoup sont en couleurs ! Ceci constitue l’ une des grandes richesses de l’ouvrage ; ce sont d’abord des illustrations classiques issues des publications anciennes, des collections des musées, mais surtout des plans de fouilles récentes effectuées lors des grands travaux, sur de grandes superficies, restées pour la plupart inédites, mis à part de courtes notices dans le Bulletin Scientifique Régional. À cela, il faut ajouter les centaines de magnifiques photographies aériennes, de R. Agache, (jusqu’à 6 ou 7 par page), en couleurs également. Les chercheurs disposeront là d’une masse extraordinaire de plans de fermes indigènes, villae, fana et tracés de voies romaines. On ne peut pas non plus passer sous silence le grand nombre de planches de mobilier ramassé lors des prospections pédestres, qui comportent une collection impressionnante d’instrumenta en bronze et en fer, d’objets de parure (fibules, bracelets…) et de toilette, de la maison (clefs, décors d’applique), de harnachement, etc., illustrés de dessins de qualité. Il y aura là de quoi amorcer la réalisation de catalogues spécialisés, d’études typologiques, etc.
La consultation de l’ouvrage « La recherche archéologique en Picardie, Bilans et perspectives, Revue Archéologique de Picardie, 2005, ¾ », auquel il fait fréquemment référence dans ce volume, nous a fourni une explication aux remarques que nous avons formulées ci-dessus concernant des développements que nous avons considérés comme un peu trop succincts. L’A. a largement participé à cet ouvrage et développé tous les points, sujets de nos remarques, en particulier sur l’apport de R. Agache. Il n’a pas jugé utile de les reprendre dans ce volume et c’est un peu dommage pour les lecteurs de la CAG 80/2, la Somme.
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |