Jeammet, Violaine: Comment reconnaître une porcelaine de Sèvres, 15x23 cm, 65 p., 50 illustrations, 15 euros, ISBN 978-2-7118-4987-1
(RMN, Paris 2007)
 
Reviewed by Fabrice Rubiella, Ecole du Louvre, Paris
 
Number of words : 1662 words
Published online 2010-03-13
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=239
 
 


          La collection « Comment reconnaître » des éditions de la Réunion des musées nationaux présente des productions de faïence et de porcelaine européennes. En 2007, elle s’est enrichie d’un volume consacré à la manufacture de porcelaine de Sèvres, signé par Violaine Jeammet. La célébrité de cette manufacture est attestée par une bibliographie abondante et variée la concernant : ouvrages techniques, ouvrages de synthèse, catalogues d’exposition, ouvrages de vulgarisation, catalogues raisonnés de musées. Le fascicule, dont il est question ici, vient en compléter la liste en abordant la production de la manufacture selon ses caractéristiques formelles – pâte, décor, formes. Cette grille d’analyse permet alors de reconnaître une porcelaine de Sèvres.

 

          Face à l’ampleur de la production de la manufacture, ce fascicule ne traite que du XVIIIe siècle. Cette période, où une fabrique de porcelaine est d’abord fondée à Vincennes en 1740 puis déménagée à Sèvres en 1756 (nous parlerons parfois de manufacture de Vincennes/Sèvres), fut le moment où les choix de production ont été orientés afin de faire de la manufacture un lieu de fabrication de porcelaines originales. Le contexte d’émulation entre les différentes manufactures européennes n’est pas étranger à cette orientation. Les choix formels qui en résultent sont déclinés au cours des quatre parties du fascicule.

 

          Dans la première partie est considérée la matière d’une porcelaine de Sèvres : la pâte argileuse. Au préalable, l’auteur resitue la production de la manufacture dans le contexte européen de l’époque. Les manufactures européennes produisaient, au XVIIIe siècle, de la porcelaine « tendre » à défaut de pouvoir fabriquer de la porcelaine « dure », recette extrême-orientale, utilisée pourtant à Meissen (Saxe) dès 1709 mais qui en garde le secret. La porcelaine tendre est inventée en Italie à la fin du XVIe siècle (porcelaine dite « des Médicis ») et n’apparait en France qu’à la fin du XVIIe siècle, à Rouen (1673) puis à Saint-Cloud (1678) et Chantilly (1730) : la manufacture de Vincennes, dès sa création (1740), produit elle aussi de la porcelaine tendre. Ses fondateurs, Gilles et Robert Dubois ainsi que Claude-Humbert Gérin, formés à Chantilly, ont ainsi facilité le transfert de cette technologie. La pâte tendre utilisée à Vincennes est constituée d’une fritte – mélange calciné de salpêtre, de sel de mer, de soude d’Alicante, de gypse de Montmartre et de sable de Fontainebleau – additionnée d’alun et mélangée à de la craie, de la marne d’Argenteuil et de l’eau. La cuisson s’effectue à 1100-1200 °C. Une couverte d’oxyde de plomb, de sable de Fontainebleau, de silex calciné, de potasse et de carbonate de sodium, est posée sur les objets cuits et fixée par une deuxième cuisson de l’ensemble, à 1000-1100 °C, réalisée en atmosphère oxydante (avec apport d’oxygène). Par la suite, la fabrication de porcelaine dure devient possible grâce à la découverte de carrières de kaolin – argile blanche nécessaire à la fabrication de la pâte dure – à Saint-Yriex (Limousin) en 1768. A Sèvres, est alors mise au point une recette constituée de 65 % de kaolin, de sable d’Aumont, de craie et de sable feldspathique. Les objets façonnés avec cette pâte sont cuits une première fois aux alentours de 900 °C – cuisson dite de « dégourdi » – avant d’être enduits d’une couverte à base de pegmatite de Marcognac et de quartz. La seconde cuisson se fait à 1380-1400 °C. Ainsi, la production de la manufacture de Vincennes/Sèvres au XVIIIe siècle se caractérise par l’adoption des deux pâtes à porcelaine – la tendre et la dure – et leur cohabitation, jusqu’au début du XIXe siècle, se justifie par des caractéristiques intrinsèques à chacune. La porcelaine tendre, d’un blanc laiteux et chaleureux permet l’utilisation de fonds colorés spécifiques – le turquoise et certains verts – et un décor délicat ayant fusé dans la couverte. La porcelaine dure, elle, résiste aux rayures et permet l’application d’un décor de grande précision, puisque les couleurs ne fusent pas dans la couverte, et l’or est posé en plus faible épaisseur.

 

          C’est surtout grâce à son décor que s’étend le renom de la porcelaine de Sèvres au XVIIIe siècle. Dans la deuxième partie du fascicule, l’auteur nous promène au cœur des décors peints et nous présente les différentes palettes de couleurs utilisées pour chacune des pâtes – tendre et dure. Les couleurs de fond et les couleurs à peindre – utilisées pour les motifs – ne sont pas de mêmes compositions et doivent être distinguées.

 

          Les fonds colorés sur pâte tendre sont transparents, de composition alcaline et majoritairement de petit feu. Quelques-uns ont fait la célébrité de la production de Vincennes/Sèvres : le « bleu lapis » qui est le seul fond coloré de grand feu, le « bleu céleste » (1753), le rose (1757). Tous sont appliqués sous la couverte. Quant à la porcelaine dure, la palette de fonds colorés est plus variée. On distingue les fonds de grand feu (cuits à 1350 °C) tous transparents mais appliqués sur la couverte. Dans cette gamme, on trouve le célèbre « bleu de Sèvres » – autrefois appelé « bleu du Roy » – mais également d’autres couleurs créées pour imiter différentes matières : le brun pour l’écaille ou le noir pour la laque. Les fonds de petit feu, réalisés à partir des couleurs à peindre mêlées de fondant, apparaissent à partir de 1772. Contrairement aux fonds de grand feu, ils sont opaques et peu brillants.

 

          Tout comme les couleurs de fond, les couleurs à peindre sont de compositions différentes selon la nature de la pâte. Pour la porcelaine tendre, elles sont constituées d’une part importante de fondant et de peu de colorants : il est alors nécessaire de les appliquer en épaisseur. En revanche, pour la porcelaine dure, leur faible teneur en fondant nécessite une application plus fine afin d’éviter les clivages et les écaillements du décor.

 

          La pose des rehauts d’or constitue la dernière étape du décor d’une porcelaine de Vincennes/Sèvres. Dès 1748, la manufacture de Vincennes utilise le procédé du frère Hippolyte – or broyé en poudre appliqué à l’aide d’un mordant. Les décors dorés sur pâte tendre se caractérisent par une application épaisse, généralement en deux couches, afin d’éviter la disparition du décor dans la couverte facilement fusible à la cuisson. En revanche, son application devient plus mince sur porcelaine dure.

 

          La troisième partie est consacrée aux différents types de décors – peints et sculptés – employés à la manufacture de Vincennes/Sèvres au XVIIIe siècle. Contrairement à la palette de couleurs, les motifs sont posés indifféremment sur porcelaine tendre ou dure, par des peintres spécialisés dans  des genres définis – figures, paysages, marines, fleurs, oiseaux, etc. – à partir d’un modèle donné par les directeurs artistiques ou tiré d’autres sources – dessins, tableaux, etc. En énumérant les types de décor et leur évolution, Violaine Jeammet nous montre que des influences diverses ont rythmé la production afin de répondre à des attentes particulières de la part des dirigeants de la manufacture et de la clientèle. Les premières productions de Vincennes furent réalisées dans l’objectif de concurrencer et imiter les porcelaines de Meissen et les porcelaines extrême-orientales. Mais petit à petit, un style personnel s’affirme : les fonds colorés et l’utilisation de cartels en sont des caractéristiques. Le décor floral est le genre le plus célèbre. Les bouquets sont produits en deux dimensions – c’est-à-dire en peinture – mais également en sculptures (fig. 26), fixées sur des tiges métalliques. Les scènes figurées sont également appréciées : paysages, scènes de genre, épisodes mythologiques, etc. Des motifs abstraits peuvent également orner les fonds, permettant aux motifs figurés de se détacher sur des fonds dits « cailloutés », « vermiculés » ou « œil de perdrix ».

 

          Dans la quatrième partie de l’ouvrage, l’auteur nous présente les catégories principales d’objets fabriqués au XVIIIe siècle. La manufacture produit de nombreux objets utilitaires parmi lesquels on distingue les pièces de vaisselle (p. 43 à 48), sans doute les plus nombreuses : les services ou pièces isolées destinés à la consommation des boisson exotiques – thé, chocolat et café – ont alors un grand succès, tout comme les grands services de table développés à partir du service en bleu céleste de Louis XV (1753). La porcelaine tendre, rayable par les couteaux, est souvent réservée aux assiettes à soupe et aux services à dessert. Les services dédiés à la boisson sont disposés sur un buffet à part. A côté de toute cette production majoritaire de vaisselle, la manufacture produit également des objets de toilette et autres pièces utilitaires – encrier, luminaire, tabatière et plaque de mobilier – tous de grand luxe. L’autre versant de la production concerne les objets décoratifs (p. 48 à 54). On y trouve les nombreux vases, aux formes variées et dont certains contiennent des fleurs, comme la caisse à fleur (fig. 42), de forme simple – un cube – ou le vase hollandais (fig. 43), plus complexe. Certaines formes, comme le vase Médicis (fig. 40), témoignent de l’inventivité de la manufacture qui sait créer des formes vouées à un grand succès pendant plus d’un siècle. Elle a su faire preuve d’originalité en donnant des noms à ses formes de vases, souvent en hommage au créateur de la forme ou à un de ses directeurs ou actionnaires. D’autres objets d’apparat ont fait la célébrité de la manufacture, comme les statuettes de biscuit de porcelaine – c’est-à-dire sans couverte – produites dès 1752 à l’initiative de Bachelier.

 

          Violaine Jeammet évoque, également, quelques marques apposées au revers des porcelaines de Sèvres du XVIIIe siècle et s’interroge sur les critères d’authenticité de tels objets. Quatre dessins et deux photographies de marques permettent de rendre compte de la variété de ce domaine, malgré l’utilisation constante du chiffre de Louis XV. Les trois paragraphes consacrés à la question du faux permettent de mettre en évidence que la meilleure façon pour juger de l’authenticité d’une pièce est d’en connaître ses caractéristiques techniques et esthétiques.

 

          Ce petit fascicule répond entièrement à l’objectif de la collection, celui de présenter les grandes caractéristiques formelles d’une production de céramiques. Son texte synthétique est clair et le propos est étayé par des exemples précis. Les illustrations, nombreuses, sont de très bonne qualité. L’auteur a choisi, pour certaines d’entre elles, des détails où l’on peut mesurer pleinement les effets de matières recherchés (épaisseur de la dorure, coups de pinceau, pénétration des couleurs dans la glaçure, etc.). Les dimensions de chaque objet sont mentionnées avec précision.

 

          Ses qualités, aussi bien scientifiques que formelles, en feraient presque oublier que ce fascicule est avant tout un ouvrage réussi de vulgarisation d’un domaine complexe.