Horsch, Nadja: Ad astra gradus. Scala Santa und Sancta Sanctorum in Rom unter Sixtus V. (1585–1590), (Römische Studien der Bibliotheca Hertziana 34), 384 Seiten mit 20 Tafeln in Farbe und 54 Tafeln in s/w mit insgesamt 231 Abbildungen (72 Abb. in Farbe, 159 s/w), ISBN: 978-3-7774-8071-8, 112 €
(Hirmer Verlag, München 2014)
 
Compte rendu par Emmanuel Lamouche, Université de Nantes
 
Nombre de mots : 1455 mots
Publié en ligne le 2015-10-08
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2408
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          Les études sur l'art à l'époque de Sixte Quint (1585-1590), et plus généralement sur l'art romain du dernier quart du XVIe siècle, sont relativement récentes et représentent aujourd'hui un champ de recherche très fertile. Dans le sillage de la grande exposition Roma di Sisto V organisée au Palazzo di Venezia en 1993, qui constitue le point de départ de toutes les recherches actuelles en histoire de l'art sur cette période, les études se sont multipliées depuis quelques années, que ce soit dans le domaine de la peinture, de la sculpture ou de l'architecture.

 

          Dans ce contexte historiographique, l'ouvrage de Nadja Horsch se présente d'emblée comme un jalon important. Il constitue en effet la première monographie de cette ampleur sur un édifice particulièrement emblématique de la politique édilitaire et urbanistique de Sixte Quint : la Scala Santa, à Saint-Jean-de-Latran. Le complexe du Latran a bénéficié, depuis l'ouvrage indispensable de Philippe Lauer en 1911 (Le Palais du Latran), d'un certain nombre d'études fondamentales, tant d'ordre général que sur des moments particuliers de son histoire ou sur ses décors peints[1]. Malgré quelques études antérieures, que Nadja Horsch énumère en introduction, il manquait encore un ouvrage de référence sur la Scala Santa, ce curieux bâtiment qui attire encore aujourd'hui les pèlerins les plus fervents, et moins les visiteurs plus pressés, qui ne l'aperçoivent pas toujours, à l'ombre de la vénérable basilique. On saluera donc la parution de cet élégant 35e volume des Römische Studien der Bibliotheca Hertziana.

 

          L'une des idées majeures des grands projets de Sixte Quint pour le Latran fut d'isoler la précieuse chapelle des papes du palais médiéval du Latran (Sancta Sanctorum), dans un nouvel édifice indépendant construit autour d'elle, avec pour accès principal l'ancien escalier d'honneur du palais. Considéré alors comme l'escalier du prétoire de Ponce Pilate à Jérusalem qu'aurait gravi le Christ en personne, l' « Escalier saint », qui donne son nom usuel au nouveau bâtiment, constituait une relique monumentale particulièrement précieuse pour le prestige du Latran et de l’Église romaine. Comme le rapporte Pompeo Ugonio dans son Historia delle stationi di Roma (1588), dont un extrait est publié en fin de volume (p. 326), les pèlerins se rendant au Latran, apercevant de loin le nouvel édifice de la Scala Santa, puis gravissant à genoux l'Escalier saint, pouvaient, grâce à l'aménagement de Sixte Quint, marcher dans les pas du Christ, les yeux levés vers la chapelle sacrée, et vers l'image vénérée du Sauveur qu'elle abritait sur son maître autel.

 

          C'est de ce reliquaire monumental que Nadja Horsch retrace ici l'histoire complète. Contrairement à ce que laisse penser son titre, l'ouvrage dépasse en effet largement les brèves années du pontificat de Sixte Quint, pour aborder dans une première partie (p. 19-93) toute l'histoire du Sancta Sanctorum et de l'Escalier saint jusqu'en 1585. Avant cette date, ceux-ci étaient indépendants l'un de l'autre, et l'auteur consacre à chacun près de la moitié de cette première partie. Pour bien comprendre le geste de Sixte Quint, il était en effet nécessaire de souligner les différentes significations qu'ont revêtu au fil des siècles tant la chapelle que l'escalier. L'escalier surtout : son histoire légendaire suscite légitimement bien des interrogations, de la même façon que les quatre colonnes de bronze de l'autel du Saint-Sacrement dans la basilique voisine, à propos desquelles les événements historiques et les récits légendaires se sont mêlés pour en augmenter le prestige et la fascination. L'auteur s'interroge notamment sur les origines de l'escalier en tant que « Scala Pilati » – un nom qui apparaît tardivement – et donc sur son statut de relique (p. 83-91). Plus qu'une simple introduction, cette première partie offre ainsi une relecture érudite et attentive de toutes les sources disponibles, tant archivistiques que littéraires et visuelles, permettant au lecteur de bien saisir l'importance acquise au fil du temps par la chapelle et par l'escalier et de se figurer le plus précisément possible leur état et leur disposition dans le complexe du Latran, des origines jusqu'à la fin du XVIe siècle.

 

          Pour aider le lecteur à y voir clair, Nadja Horsch propose en annexe un florilège fort utile de descriptions anciennes, du XIe au XVIIe siècle, puisées dans les récits de visiteurs (Giovanni Rucellai, John Capgrave…), chez les érudits romains et les auteurs de guides (Onofrio Panvinio, Pompeo Ugonio, Fioravante Martinelli…), ou dans les différentes éditions des Cose maravigliose (p. 321-327). Une douzaine d'illustrations, sous la forme de plans et de vues de différentes époques, permettent de suivre l'auteur dans cette description du Latran médiéval. À la lumière de cette  reconstitution virtuelle, les dessins bien connus de Maarten van Heemskerck (1534-1535) et la fameuse représentation du Latran par Filippino Lippi à Sainte-Marie-de-la-Minerve (1488-1493) prennent une dimension nouvelle.

 

          Dans la deuxième partie, consacrée au pontificat de Sixte Quint, Nadja Horsch propose une étude complète de la Scala Santa, depuis les différents projets jusqu'à la réception de nouvel édifice voulu par le pontife. Dans ce vaste champ d'analyse, trois chapitres sont particulièrement intéressants pour l'histoire de l'art et occupent la majorité des pages de cette seconde section. Il s'agit des chapitres consacrés aux projets de Sixte Quint pour le Latran (III), à la construction du nouvel édifice à proprement parler (IV) et au vaste programme de fresques qui ornent ses murs (V). Les travaux du pontife y sont replacés dans la perspective du programme édilitaire et symbolique bien connu que Sixte Quint entreprit dès son arrivée sur le trône de saint Pierre. Le Latran devint rapidement un lieu phare de sa politique de grands travaux. Dès 1586, il ordonna une vaste réorganisation du Campus Lateranensis : sous la direction de son architecte favori, Domenico Fontana (1543-1607), le vieux Patriarchium (le palais pontifical) fut entièrement détruit et reconstruit à neuf, la façade de la basilique totalement refaite, et un immense obélisque, dégagé des ruines du Circus Maximus, fut érigé sur la nouvelle place. De ce vaste programme est né l'édifice de la Scala Santa, dont on suit l'élaboration dans une étude approfondie tant sur le plan matériel (le déroulement du chantier) que spirituel (les interprétations contemporaines de l'escalier, de la chapelle, ou de l'image miraculeuse du Christ qu'elle abrite).

           

          L'étude architecturale que l'auteur développe est particulièrement bienvenue, alors que la figure de Domenico Fontana, véritable maître d’œuvre de la Roma sistina, suscite actuellement un regain notable d'intérêt de la part des historiens de l'architecture[2]. Nadja Horsch retrace ainsi avec précision l'évolution des projets et du chantier de construction (p. 134-144), en particulier grâce aux avvisi qu'elle reproduit en annexe (p. 329-331). Les analyses et comparaisons qu'elle propose avec de nombreux édifices, italiens ou non, que ce soit sous un angle architectural ou liturgique, sont extrêmement stimulants et seront probablement très utiles pour de futures réflexions sur les inspirations possibles de Fontana. Parmi les multiples fonctions de la Scala Santa, l'auteur étudie en détails la principale d'entre elles, celle de reliquaire, qui revient souvent dans l'architecture religieuse post-tridentine : en témoignent un autre grand projet de Sixte Quint et de Fontana, la chapelle Sixtine de Sainte-Marie-Majeure, qui contient l'ancienne chapelle de la Crèche, ou encore la basilique de la Santa Casa de Lorette, bâtie autour des reliques de la maison de la Vierge. Enfin, les historiens de la peinture romaine de la fin du XVIe siècle – si négligée pendant longtemps par l'histoire de l'art – trouveront des pages denses et complètes sur le programme iconographique des fresques de la Scala Santa, accompagnées de nombreuses et rares photographies en couleur, que plusieurs schémas et tableaux viennent compléter en annexes.

 

          L'ouvrage de Nadja Horsch constitue donc – et les quelques lignes qui précèdent ne peuvent  en donner qu'un bref aperçu – une étude exhaustive de la Scala Santa et du Sancta Sanctorum, analysés sous les angles les plus divers : historique, symbolique, liturgique, iconographique, urbanistique ou architectural. Enrichi de 25 pages d'annexes, de 30 pages de bibliographie et de très nombreuses illustrations en couleur et en noir et blanc, il représente ainsi une somme définitive sur le sujet, dont on espère qu'il fera des émules.

 

 


[1] En particulier, sans exhaustivité : C. Pietrangeli (dir.), San Giovanni in Laterano, Florence, 1990 ; Id., Il Palazzo apostolico lateranense, Florence, 1991 ; S. De Blaauw, Cultus et decor. Liturgia e Architettura nella Roma tardoantica e medievale. Basilica Salvatoris, Sanctae Mariae, Sancti Petri, 2 vol., Vatican, 1994 ; C. Mandel, Sixtus V and the Lateran Palace, Rome, 1994 ; J. Freiberg, The Lateran in 1600. Christian Concord in Counter-Reformation Rome, Cambridge, 1995 ; P. C. Claussen, Die Kirchen der Stadt Rom im Mittelalter 1050-1300. 2. San Giovanni in Laterano, Stuttgart, 2008 ; A. Ippoliti, Il Palazzo Apostolico del Laterano, 2008.

 

[2] Voir notamment G. Curcio, N. Navone, S. Villari (dir.), Studi su Domenico Fontana, Mendrisio, 2011.