Bruneau, Philippe - Ducat, Jean: Guide de Délos, quatrième édition refondue et mise à jour avec le concours de Michèle Brunet, Alexandre Farnoux et Jean-Charles Moretti Format 17,5 x 24 cm, 344 p., 113 fig. N-B et couleurs in texte, VIII dépliants ISBN 2-86958-210-2, 25 euros
(Ecole française d'Athènes 2005)
 
Reviewed by Frédéric Maffre, Montpellier III – Paul Valéry
 
Number of words : 2223 words
Published online 2008-02-12
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=242
 
 

Au premier abord, le Guide de Délos frappe par son poids et son format : 1130 g. pour une taille de 17 x 24 x 2 cm (l'ancienne version de 1983 ne faisait que 450 g., 15 x 22 x 1 cm et 280 pages mais les éditeurs ont adopté le format inauguré par le guide de Thasos). Ce sont deux caractéristiques surprenantes pour un livre destiné à être transporté sur le terrain. Pourtant il faut bien reconnaître que la qualité de l'illustration photographique (noir et blanc et couleur), ses huit plans, les propositions de restitutions et le contenu scientifique font rapidement oublier ces inconvénients mineurs.

L'École française d'Athènes a publié en 2005 la quatrième édition de son guide dans la collection intitulée Sites et Monuments. Nouvelle édition mais pas uniquement réédition, car une mise à jour et une refonte de l'ouvrage ont été entreprises. Ph. Bruneau, J. Ducat, M. Brunet, A. Farnoux et J.-Ch. Moretti proposent un plan en trois parties pour découvrir ou redécouvrir l'un des hauts lieux de l'archéologie française. La première (p. 27-64) est consacrée à la géographie, à l'histoire, aux légendes et aux cultes. La deuxième (p. 65-158) rassemble différents aspects de l'archéologie délienne : architecture, sculptures, céramiques, peintures, mosaïques, inscriptions, monnaies et autres objets mobiliers. Une étude du territoire rural y est également proposée. Enfin, un troisième ensemble considérable (p. 159-326) est consacré à la description des ruines explorées jusqu'en 2003 inclusivement.

Une bibliographie, parfois commentée, permet d'offrir à celui qui le souhaite le moyen d'approfondir certains sujets. Le livre se termine par un index, une table des plans-dépliants et figures, les crédits de l'illustration et la table des matières.

Le Guide de Délos, comme le soulignent les auteurs, peut être abordé immédiatement par la lecture de la troisième partie (173 pages), pour laquelle un mode d'emploi est proposé à la page 160. Nous suivrons donc leur conseil en commentant d'abord celle-ci. Retenons que sur le site archéologique, le visiteur pressé peut limiter sa lecture aux parties imprimées en gros caractères où l'essentiel est contenu. Les passages en petits caractères permettent d'approfondir les sujets ou d'aborder les monuments d'importance secondaire. Chaque édifice possède son propre numéro : par exemple dès la page 161, pour un phare (79.1). Le pictogramme renvoie à un autre paragraphe du livre plus développé sur la question des balises. La succession des descriptions se fait selon le principe des itinéraires définis par les auteurs.

Les huit dépliants sont indispensables pour s'orienter sur le site et pour avoir une vision globale des différents secteurs. On regrettera, cependant, l'oubli de l'indication du nord sur les dépliants III et IV, ce qui rend délicate la compréhension de la description p. 165 par exemple. De plus, il est paradoxal que le n° 49, qui débute la présentation d'un nouvel espace (les abords nord-ouest du sanctuaire d'Apollon et le quartier du lac), ne se trouve pas sur le dépliant III. Il faut revenir au premier dépliant pour le situer. Il aurait été préférable, tout en conservant la même mise en page, d'indiquer en tête de chapitre " dépliant I " pour les nos 49 et 50 (ce dernier [salle hypostyle] apparaît en entier sur le plan I et pratiquement pas sur le plan III) plutôt que de le signaler dans le texte en petits caractères uniquement pour le n° 49.

L'itinéraire proposé commence avec la visite des abords sud-ouest du sanctuaire d'Apollon. La maquette restituée (fig. 39) rend compte de la richesse urbanistique de cette zone et de la suivante. Le visiteur passe ensuite dans le sanctuaire d'Apollon, où l'oikos des Naxiens (6) est certainement l'un des édifices les plus remarquables. L'essentiel de la construction date du premier quart du VI e siècle. C'est la première fois à Délos et dans le monde grec que des bâtisseurs osent réaliser un toit et une charpente entièrement en marbre. Cette méthode est ensuite reprise pour l'édification de la Stoa des Naxiens (36). Il est possible aussi d'admirer les ruines des trois temples d'Apollon et les plans restitués. Enfin la forme du monument des taureaux est remarquable.

C'est sans doute avec la photographie aérienne (fig. 42) qu'il faut entamer l'étude du deuxième secteur, les abords nord-ouest du sanctuaire d'Apollon et le quartier du lac. On y localise aisément l'agora des Italiens et l'ancien lac. Tout ce secteur était densément occupé. La présence de plusieurs peintures murales retrouvées in situ rend encore plus intéressante la visite. Il suffira d'évoquer le bandeau de la " Maison des comédiens " (fig. 23 et 25), les fragments de la peinture murale représentant une guirlande végétale suspendue aux chapiteaux d'une colonnade corinthienne (fig. 24) dans la " Maison de l'épée " qui ne peut que ravir les yeux. Des mosaïques comme celles de la " Maison des Tritons " (fig. 30), des bronzes dans " l'îlot des bronzes " (fig.  34), des statues (fig. 14 par exemple), un tambour de colonne décoré (fig.  67) de la " Maison du Diadumène ", le moulin délien de la "Maison des sceaux" (fig. 66) et près de quinze mille pastilles d'argile portant chacune l'empreinte d'un ou plusieurs sceaux (fig. 36 et 37) sont d'autres productions de l'art grec redécouvertes au cours des fouilles. À titre de comparaison nous renvoyons à l'étude des sceaux de Daskyleion, capitale satrapique de Phrygie hellespontique, datés du Ve siècle pour l'essentiel : D. Kaptan, The Daskyleion Bullae : Seal Images from the Western Achaemenid Empire , Achaemenid History XII, Leiden 2002 ; F. Maffre, " À propos du livre de D. Kaptan, The Daskyleion Bullae : Seal Images from the Western Achaemenid Empire, Achaemenid History XII, Leiden 2002 ", REA 108, 2006, vol.  II, p.  641-656. S'il fallait encore choisir parmi les si nombreux thèmes mis en exergue, celui consacré à la voierie mériterait une attention toute particulière (notamment p. 237-238 ; 300-301 et 306, n° 121.1).

Le Quartier du Stade (dépliant IV sans indication du nord) : les numéros 73 à 75 ne sont sur aucun plan ; les numéros 87 et 88 apparaissent sur le dépliant VII. Au cours de la visite, on découvrira un autel jadis recouvert de scènes religieuses peintes (fig.  73) ainsi que des pressoirs du type « à coins » (fig.  74) à côté de quatre fourneaux utilisés pour fabriquer des parfums. On admirera la finesse des becs verseurs en forme de cœur avec un léger relief décoré de volutes. En se dirigeant vers la mer, on pourra apercevoir les restes de la synagogue (n°80), qui est la plus ancienne connue actuellement hors de Palestine.

En se promenant dans les abords est et sud-est du sanctuaire, on verra la basilique édifiée au Ve siècle ap.  J.-C., un des rares vestiges de l'époque chrétienne encore visible, où une dizaine d'inscriptions chrétiennes et byzantines ont été répertoriées (ID 2582-2588 bis).

Dans le quartier de l'Inopos et sur la terrasse des dieux étrangers (plan V) s'élève la " Maison de l'Hermès " que les auteurs considèrent comme tout à fait représentative de l'habitation délienne aux IIe et Ier siècles av.  J.-C. (fig. 77). Trois plans et une coupe de cette construction donnent une image du style local.

En se rendant sur le Cynthe (plan VI), on passe à proximité du sanctuaire d'Agathè Tychè et de l'antre du Cynthe. En revenant sur ses pas, on aura l'occasion de se diriger vers le quartier du théâtre (dépliants V et VII). Une des caractéristiques de ce secteur est la conservation partielle des murs d'une partie des bâtiments. La visite commence alors par la visite de la " Maison des dauphins " avec des mosaïques en bon état de conservation (fig.  88, 96 et 97). Précisons que sur les 350 mosaïques répertoriées sur tout le site, celles du rez-de-chaussée des maisons sont en général encore en place, tandis que celles des étages sont conservées au Musée. L'une d'elles est signée, un cas connu assez rarement dans le monde grec du IVe au Ier siècle. Dans la " Maison des Masques " (112), d'autres mosaïques ont été répertoriées, notamment un Dionysos sur un guépard (fig. 29), des masques, un silène dansant accompagné d'un joueur de double aulos. Une iconographie recherchée apparaît sur des frises peintes et sur quelques-unes de ces mosaïques : le trident ou l'amphore panathénaïque, un dauphin noir avec une ancre rouge (sans doute proche de la représentation connue par ailleurs, sur la figure 106) et un tapis à décor géométrique de la " Maison du trident " (n° 118 et fig. 103-104). Aux pages 128-129, les auteurs présentent les différents thèmes et les sujets figurés qui ont été réalisés en plusieurs exemplaires. Le théâtre (n° 114) marque de son empreinte le paysage de cet espace. Environ 6500 spectateurs s'y rendaient pour assister aux représentations. Il existe une autre particularité de cet édifice, sa citerne (n° 115) du III e siècle qui est toujours conservée. La figure 100 permet d'apprécier la qualité de cet ouvrage et la finesse des huit arcs de granit qui soutiennent l'ensemble. La restitution d'une huilerie (fig. 107) et une mise au point sur les pressoirs de Délos apportent un plus dans la visite de la demeure (n° 121.2).

Le sud de Délos (dépliant VIII) invite le voyageur à longer le littoral méridional de l'île. Des magasins y ont été construits ainsi que le mur de défense de Triarius (n° 69) - déjà identifié dans un autre secteur de la cité - et le Dioskourion (n° 123) pense-t-on.

Le guide propose aussi de passer dans les îles circonvoisines (cf. fig. 1), notamment celle de Rhénée, une annexe de la Délos antique, où les morts étaient enterrés car ils ne pouvaient l'être sur l'île d'Apollon.

La visite du site s'achève et pourtant à peine un peu plus de la moitié du livre a été consultée. En effet, répétons-le, il n'est pas nécessaire de lire les deux premières sections pour aller sur l'île et découvrir la cité grecque. Toutefois, les pages 27 à 158 livrent à l'esprit curieux un certain nombre de données sur une multitude de questions scientifiques peu ou pas véritablement évoquées dans les autres guides.

La première partie (37 pages) rassemble les éléments géographiques, l'histoire, les légendes et les cultes en rapport avec Délos. Si le premier chapitre se limite à quelques présentations très générales, les pages suivantes évoquent les grandes phases historiques de la cité. L'affirmation de Thucydide, I, 8, selon laquelle les plus anciens habitants de l'île auraient été des Cariens, n'a pas été confirmée par les données archéologiques modernes. On y voit plutôt des populations préhelléniques sans liens avec la Carie. La présence mycénienne est attestée sur cette île de Délos par au moins un tombeau. Vers le Xe siècle av. J.-C., les traces d'une occupation humaine se font rares, un phénomène connu aussi pour la Grèce de cette époque. Avec la période géométrique, la population semble se développer à nouveau. D'ailleurs, dans la deuxième moitié du VIIIe siècle, des offrandes coûteuses en bronze apparaissent en quantités significatives. À en croire l'hymne homérique à Apollon, les Ioniens y auraient été en nombre, et certains historiens en viennent à considérer Délos comme le lieu d'un culte commun à ce groupe humain, réuni dans la fameuse fédération dite du Panionion.

Il n'est pas question de reprendre ici le détail des phases postérieures. Soulignons seulement l'excellente idée d'avoir consacré un paragraphe aux voyageurs et aux fouilles, éléments intrinsèques de l'histoire de l'île. On ne peut explorer les ruines sans tenter de comprendre la religion grecque. Le chapitre consacré aux légendes et aux cultes permet de faire le point et de mettre en relation ceux-ci avec l'architecture locale. L’histoire des divinités, la répartition des sanctuaires dans l’espace délien, les rapports entretenus entre eux et la question du syncrétisme ne sont pas laissés de côté.

La partie suivante, intitulée «  Précis d’archéologie délienne » (93 pages) joue la même fonction (et il n'est pas indispensable de la décrire dans le détail une nouvelle fois ici)  : proposer au lecteur d’approfondir ses connaissances sur des sujets en liaison avec ce qui est perceptible sur le terrain, en particulier en matière d’art et de procédés artisanaux. Son principal intérêt est d'attirer notre attention sur ces objets ou ces techniques – bijoux, monnaies, réalisation des décorations intérieures -, évoqués à de multiples reprises mais qui ne peuvent pas être pleinement explicités au cours de la visite des ruines. Les auteurs ont su d'ailleurs illustrer de belle manière cette partie grâce à des clichés d'excellente qualité.

Conclusion : Il s'agit sans aucun doute d'un ouvrage indispensable à tous ceux qui souhaitent se rendre sur l'île de Délos et y visiter de manière intelligente les divers secteurs dégagés et étudiés par les archéologues français. En effet, la différence essentielle entre ce guide et les autres ouvrages, dont la vocation est de proposer des explications des sites, est d’aller plus loin qu’une simple présentation des édifices et des objets. Il y a une volonté de replacer chaque élément dans son contexte historique et dans l’espace grec afin d’en comprendre la logique interne. En ce sens, ce pari est à la fois osé et volontaire. On peut espérer qu'une telle démarche incitera un grand nombre d'utilisateurs potentiels, plus habitués à choisir un autre format et une autre approche, plus « touristique », à y prêter attention. En effet, peu de guides peuvent s’enorgueillir de pouvoir offrir tant de connaissances qui viennent des scientifiques eux-mêmes. Cela mérite d’être relevé et encouragé. Le désir de compléter les descriptions par des restitutions nombreuses donne tout son sens à cette publication. Les passionnés de la Grèce, les étudiants d’histoire, d’histoire de l’art, d’archéologie… et même les néophytes à l'esprit ouvert ne perdront donc pas leur temps à parcourir les ruines de Délos cet ouvrage en main. L’École française d’Athènes offre ainsi aux visiteurs un véritable guide.