| Diot, Martine: Cheminées. Étude de structures du Moyen Age au XVIIIe siècle, 31 x 22 cm, broché, 304 pages, 350 ill. (Coll. Album du centre de recherches sur les monuments historiques) ISBN 978-2-85822-942-0 (Editions du Patrimoine - Centre des monuments nationaux, Paris 2007)
| Rezension von Jean-François Belhoste, École pratique des Hautes Études (Paris) Anzahl Wörter : 1286 Wörter Online publiziert am 2009-03-23 Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=245 Bestellen Sie dieses Buch Cette publication de Martine Diot porte sur un objet courant - on
pourrait dire banal - et cependant peu étudié bien qu’il concerne,
comme on va le voir, des domaines très variés : l’architecture, la
technique, le mode de vie. L’ouvrage a pour point de départ une série
de relevés effectués par le Centre de Recherche des Monuments
Historiques aujourd’hui dépendant de la Direction de l’Architecture et
du Patrimoine (Ministère de la Culture). Le Centre conserve, en effet,
une remarquable collection, constituée depuis 1943, de dessins
d’éléments architecturaux du second œuvre tels que lambris, escaliers,
pièces de ferronnerie et donc aussi cheminées, réalisés à l’occasion de
travaux sur des éléments parfois ruinés, en tout cas mis à découvert,
dans des conditions telles qu’elles permettaient d’avoir accès à des
parties cachées et de pouvoir ainsi rendre compte de mises en œuvre et
dispositions initiales.
La collection comporte actuellement environ 20 000 dessins
soigneusement mis au net et minutieusement cotés, qui constituent un
matériau documentaire de premier ordre, une mine d’informations de
nature archéologique, susceptibles non seulement d’aider aux
entreprises de restauration - ce pour quoi elle a été constituée -,
mais aussi d’intéresser la recherche historique, ne serait-ce que parce
qu’ils portent souvent sur des objets aujourd’hui disparus ou
dénaturés. Dans cette collection, se trouvent donc un ensemble de
relevés de cheminées qui ont, du reste, déjà fait l’objet de cinq
publications, axées principalement sur les aspects décoratifs.
L’intérêt de ce nouveau volume est qu’il traite cette fois aussi des
aspects techniques et fonctionnels, donnant à voir par conséquent des
parties structurelles (foyer, conduits, souches....) et pas seulement
la partie la plus monumentale, le manteau. Pour la présentation de ce
corpus, l’auteur a, en outre, judicieusement tiré parti de descriptions
et explications trouvées dans la littérature : traités d’architecture,
depuis les premiers ouvrages italiens abordant la question (L’Art
d’édifier de Leon Battista Alberti, 1485; D’Architettura de Sebastiano
Serlio, 1537-1551), jusqu’au fameux Cours d’architecture de Blondel et
Patte (1771-1777) ; traités aussi de fumisterie et de « caminologie »
qui, eux, ne se développèrent qu’à partir du XVIIIe siècle (La
Mécanique du feu de Nicolas Gauger, 1713 ; Caminologie ou traité des
cheminées de Pierre Hébrard, 1756).
L’ouvrage en question présente ainsi des dessins d’ensemble et de
détail, plus quelques photos de 52 cheminées, réparties en cinq
catégories. La première est définie par un positionnement particulier
(cheminées dites à évacuation centrale), et les quatre autres toutes
murales, se suivent par ordre chronologiques : cheminées murales à
hottes jusqu’au XVe siècle, cheminées à hotte du XVIe siècle,
cheminées à hottes droites au XVIIe siècle, cheminées toujours à
hottes droites au XVIIIe siècle. Les régions concernées sont assez
diverses, les plus anciens spécimens étudiés se situent plutôt à
l’Ouest et dans le Centre, celles du XVIIe sont pour moitié du
Sud-Ouest. La plupart des cheminées anciennes appartiennent à des
abbayes et de châteaux importants comme le château royal de Senlis et
le palais des ducs de Berry à Bourges. Apparaissent ensuite quelques
édifices plus modestes, tels deux manoirs de la Sarthe du XVIe siècle
et une maison à Alloué (Charente) du XVIIe. La première catégorie,
celle correspondant aux plus anciennes dispositions, avec un foyer au
centre d’une pièce, surmonté d’une vaste hotte conique, constitue un
cas un peu à part. Elle rassemble, en effet, des cas trouvés dans des
abbayes des XIIe-XIIIe
siècles (Longpont dans l’Aisne, Bonport
dans l’Eure), dans d’importants châteaux (forteresse de
Montreuil-Bellay en Maine-et-Loire, palais des ducs de Bourgogne à
Dijon), mais
aussi dans des fermes montagnardes datant elles du XVIIIe siècle où
cette disposition a survécu pour des raisons d’économie (le « tué »
franc-comtois, la « bourne » savoyarde, équipant la salle commune et
servant à la fois pour le chauffage collectif et la cuisine). Quelle que
soit l’hétérogénéité du corpus, réuni en fonction des opportunités de
travaux, il permet à l’auteur de formuler toute une série de remarques
sur l’évolution d’un objet dont la fonction première était évidemment
de chauffer les habitations et de cuire les aliments.
Plusieurs séries d’observations sont, en effet, possibles. Les
premières ont trait aux techniques de construction et aux matériaux
utilisés. Bien que considérée comme relevant du second œuvre, la
construction de la cheminée était, en effet, étroitement liée au gros
œuvre, à la maçonnerie d’abord puisque les conduits y étaient intégrés
dès le début des chantiers, mais aussi à la charpenterie, à cause du
fait que pour protéger des incendies, il fallait l’isoler par la pose
de chevêtres dans le solivage. L’architecte avait aussi la possibilité
de jouer sur le positionnement des souches sur les toits, de les placer
perpendiculairement ou parallèlement à la façade, les réunir deux à
deux, décorer leur couronnement, étant entendu bien sûr qu’il
s’agissait d’abord d’assurer un bon tirage en les faisant suffisamment
hautes et bien orientées par rapport à la direction des vents. Les
dessins rassemblés ne permettent certes pas d’épuiser ces sujets,
documentés pour commencer par les traités d’architecture, mais de
vérifier l’adéquation des descriptions théoriques avec les observations
de terrain.
La cheminée s’avère être aussi un bon révélateur du confort
et du mode de vie. Au XIVe siècle, la grande cheminée devient ainsi
l’attribut majeur de la salle d’apparat, placée par conséquent au
milieu du mur gouttereau faisant face à la porte d’entrée. Dans les
nouveaux manoirs de la Renaissance, ce qui frappe ensuite, c’est
l’accroissement du nombre des cheminées, mais aussi leurs différences
de taille : monumentales dans les grandes salles, plus petites dans les
parties privées, avec une disposition nouvelle du mobilier (lit à
proximité, bancs placés dos au foyer...). La différenciation devient
encore plus accentuée aux XVIIe-XVIIIe siècles : grandes cheminées
dans les salons, galeries, cuisines (où une hotte pyramidale abrite
souvent un « fourneau potager »), moyennes dans les chambres et
antichambres, petites dans les cabinets et les garde-robes. Il reste
que la cheminée est avant tout un objet technique, et que de ce point
de vue, il est encore possible de suivre les grandes lignes d’évolution
: capacité et forme du foyer, efficacité du tirage, suppression de
l’enfumage... Ainsi fut mise au point au XVe siècle une cheminée à
foyer ébrasé, muni d’une plaque en fonte (matériau nouveau), posée
devant le contrecœur et servant à réverbérer la chaleur. Plus tard, à
la fin du XVIIe siècle, arrivèrent les conduits dévoyés, qui
permirent à la fois de superposer les cheminées aux différents étages
sans être obligé de les faire émerger du mur coffre, et d’aplatir la
hotte qui de tronconique ou pyramidale, devint plate et de moins en
moins émergente, offrant la possibilité d’y disposer un trumeau. Puis,
suite aux travaux de l’Américain Benjamin Rumford, s’imposa
progressivement, entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe
siècle, une cheminée à foyer encore amélioré, rétréci et davantage
ébrasé de façon à augmenter l’effet du rayonnement.
Dès le XVIe
siècle, la cheminée devenant monumentale, on prit aussi l’habitude de
sculpter les jambages en pierre ou bois, d’introduire des corniches
moulurées, avant qu’au XVIIe siècle, l’arrivée des hottes droites
permît de s’en servir comme supports de panneaux de bois sculptés et de
peintures. C’est alors que parurent les premiers recueils
d’ornemanistes, comme le Livre d’architecture et de cheminées de Jean
Barbet (1633). Dans les dernières années du XVIIe siècle, apparurent
les cheminées à grand trumeau de glaces, cheminées dite « à la royale
», « à la manière de France » ou « à la Mansart » parce qu’en effet, ce
sont Jules Hardouin-Mansart et son élève Robert de Cotte qui en
inventèrent vraisemblablement le principe sur le chantier du château de
Versailles et en propagèrent ensuite l’usage et le goût. Ainsi se
trouve mise en évidence une relation étonnante entre les progrès de la
caminologie (visant à l’obtention d’une douce température intérieure,
sans être enfumé) et une importante évolution de l’architecture
intérieure (ayant par la multiplication des miroirs un rapport direct
avec l’éclairage et les effets de lumière).
Certes l’ouvrage de Martine Diot, en se fondant sur un recueil existant
de relevés, ne permet pas d’illustrer par des exemples tous les aspects
de cette question aux multiples implications, qui ne sont pour partie
développés que dans l’introduction générale et la présentation des
catégories successives. Mais ce défaut, sensible notamment pour le
XVIIIe où le corpus ne compte que deux exemples des années 1690-1720
- du reste assez peu significatifs des changements décisifs intervenus
durant cette période -, démontre tout l’intérêt qu’il y aurait à
poursuivre et élargir cette recherche pionnière.
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