Sapin, Christian: Les Cryptes en France. Pour une approche archéologique, IVe-XIIe siècle. 320 p., ISBN 9782708409651, 76,00 €
(Picard, Paris 2014)
 
Rezension von Elisabeth Lorans, Université de Tours
 
Anzahl Wörter : 1213 Wörter
Online publiziert am 2020-06-29
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2452
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          C’est un livre remarquable que nous offre Christian Sapin avec la complicité de Jean-François Amelot, auteur des superbes photographies, très nombreuses, qui agrémentent cet ouvrage et contribuent, avec son grand format (22,5 x 28,5 cm), à en faire un « beau livre », de ceux que l’on peut offrir aux amateurs d’architecture comme aux chercheurs intéressés par cet espace crucial de l’architecture et de la liturgie chrétiennes qu’est la crypte et qui connut son âge d’or de l’Antiquité tardive au XIIe siècle.

 

         Cet ouvrage est composé de cinq parties, les quatre premières chronologiques, la dernière prenant la forme d’un inventaire des cryptes les plus remarquables de la France actuelle. Il se conclut par un index qui révèle d’emblée au lecteur que cette étude n’est pas confinée aux frontières de la France mais fait aussi appel à des constructions qui, à travers toute l’Europe occidentale, permettent d’éclairer ces réalisations situées dans des églises monastiques, des collégiales, des cathédrales ou de simples églises paroissiales.

 

         L’auteur traite une chronologie plus longue que celle qu’annonce le sous-titre de l’ouvrage puisque les derniers siècles du Moyen Âge comme les temps modernes et contemporains sont pris en compte dans la quatrième partie au titre très évocateur : « Chronique d’une fin annoncée (XIIIe-XXe siècle) », qui, à juste titre, est la moins développée de toutes.

 

         Dans une première partie, l’auteur essaie de démêler les fils complexes qui, pendant l’Antiquité tardive (IVe-VIe siècles), associent les cryptes aux mausolées, dont elles sont souvent issues, aux cryptoportiques et aux grottes. Plus que la fonction funéraire, le voûtement et l’insertion dans un système de circulation lui semblent caractériser la crypte, lieu privilégié du culte des saints et lieu de mémoire. C. Sapin nous rappelle aussi que les cryptes ne sont pas toujours des éléments souterrains placés à l’est de l’église mais qu’il peut s’agir de constructions placées à l’ouest et au rez-de-chaussée, comme ce fut le cas dans les belles églises occidentées de l’époque carolingienne, présentées dans la partie suivante.

 

         Cette deuxième partie met l’accent sur la place des corps saints et des reliques entre le VIe et le IXe siècle. En ce temps de fort développement du culte des saints, la crypte devient le lieu privilégié du passage entre un passé fondateur et un présent où doit agir la virtus d’un saint. À l’époque carolingienne, alors que les chœurs des églises monastiques sont fermés aux laïcs, les cryptes qui accueillent les reliques leur sont ouvertes, ce qui contribue à séparer de plus en plus lieux de culte et lieux de dévotion aux reliques. Sur le plan architectural, on note peu de cryptes annulaires en Gaule, si ce n’est dans des édifices dépendant d’hommes proches du pouvoir.

 

         À l’issue de ces deux premiers chapitres, la crypte du haut Moyen Âge est définie comme une architecture de médiation, comme un lieu de déplacement, alors qu’aux XIe et XIIe siècles la crypte devient « une église dans l’église », selon le titre de la troisième partie – la plus substantielle de l’ouvrage avec presque une centaine de pages. Cette période voit la forte prédominance des cryptes-halles placées sous le chevet, en s’étendant sous les absidioles puis sous le transept à partir des années 1020-1030. Dans le même temps, on assiste à l’élévation fréquente des reliques dans l’église haute. Les cryptes hors œuvre, rares en France, créent un espace quasi autonome pour rassembler autels et reliques. Parmi elles, les cryptes à rotonde constituent soit la base d’un reliquaire monumental soit le socle d’un édifice marial. Au sein des nombreuses cryptes de cette période, l’auteur analyse tour à tour la position des autels, plutôt à l’est, celle des niches-reliquaires, plutôt à l’ouest, la multiplication des chapiteaux sculptés et des décors peints, autant d’éléments qui font de la crypte un écrin, comme un immense ciborium, et un espace d’intériorité. À qui est-il d’abord destiné dans les églises de communautés ? Aux moines et aux chanoines ou aux pèlerins qui peuvent aussi visiter des cathédrales, telle Notre-Dame de Chartres, pourvues de cryptes à partir de l’époque romane ? Peu à peu la fonction liturgique de la crypte cède le pas à la fonction funéraire : les tombes de religieux ou de laïcs se multiplient et les autels permettent de célébrer des messes à la mémoire des défunts.

 

         Après le temps de l’apogée de ces constructions, vient le temps du déclin, amorcé au XIIIe siècle, voire dès la seconde moitié du XIIe siècle. Les changements liturgiques et architecturaux, avec l’élévation des reliques sur l’autel et le développement des chevets à chapelles rayonnantes, qui va de pair avec la multiplication des autels dans l’église haute, ont raison de l’espace plus intime qu’était la crypte : désormais c’est le chœur monumental qui est privilégié. Si la construction des grands édifices gothiques a parfois préservé les cryptes romanes, elle les a aussi souvent condamnées, de sorte que nombre d’entre elles n’ont été redécouvertes que lors de fouilles archéologiques aux XIXe et XXe siècles. Peu de cryptes véritables sont édifiées à l’époque moderne où le terme désigne le plus souvent une construction réduite à l’usage de caveau funéraire. Aux XIXe et XXe siècles, on a construit des chapelles souterraines plutôt que de véritables cryptes, des églises basses qui réunissent la communauté, notamment en hiver, et l’on a souvent changé de manière radicale la fonction des cryptes anciennes subsistantes, qui ont pu abriter, par exemple, les systèmes de chauffage.

 

         La dernière partie, intitulée « Le paysage des cryptes en France », est un catalogue de quelque 372 cryptes répertoriées par région en France métropolitaine (aucune n’étant connue en Corse), toutes faisant l’objet d’une notice parfois illustrée de photographies ou de plans. En introduction à cette section, qui ne prétend pas à l’exhaustivité, l’auteur souligne, par des cartes à l’échelle nationale, l’inégalité des répartitions, qu’il s’agisse de la nature des sols (les terrains jurassiques prédominent), de l’opposition nord-sud (on ne relève qu’un petit nombre de cryptes au sud de la Dordogne), ou encore de la chronologie, la très grande majorité du corpus appartenant aux XIe-XIIe siècles.

 

         Il convient avant de conclure de souligner la grande qualité des nombreuses illustrations (398 au total). Aux très belles photos, souvent en pleine page, déjà citées s’ajoutent des plans, des coupes et des restitutions axonométriques extraits pour la plupart des monographies les plus récentes parues à l’échelle européenne et qui à eux seuls permettent au lecteur d’actualiser ses connaissances en la matière. On peut seulement regretter que la provenance précise de ces illustrations, il est vrai souvent redessinées pour respecter une échelle commune, ne soit pas indiquée en légende. La bibliographie générale est très courte puisque les références sont pour la plupart égrenées au fil du texte.  

 

         C’est donc un ouvrage de référence, fondé sur la grande complicité que l’auteur a construite au fil des années avec les cryptes de France et les textes qui les évoquent, qui vit le jour en 2014 aux éditions Picard, un ouvrage qui était attendu de longue date, ce qui n’excuse pas le très long délai avec lequel paraît ce compte rendu, un retard dont je suis seule responsable.