Mulliez, Frank - Picard, Denis : Une France des châteaux. 27,5 x 32,5 cm, 416 p., 300 photographies couleur, ISBN-13: 978-2850886232, 89,00 €
(Citadelles et Mazenod, Paris 2014)
 
Rezension von Florian Besson, Université Paris-Sorbonne
 
Anzahl Wörter : 1317 Wörter
Online publiziert am 2015-04-15
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2456
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          Les éditions Citadelles & Mazenod consacrent ici un beau livre aux châteaux de France, avec des photographies aériennes prises par Frank Mulliez, célèbre photographe qui a déjà réalisé plusieurs livres, notamment sur Madagascar, la Corse ou encore l’Alsace, et des textes de Denis Picard, spécialiste du patrimoine français ayant longtemps travaillé au Centre des monuments nationaux. Le livre, d’un très grand format, propose près de quatre cents photographies, couvrant en tout cent soixante-douze châteaux. Un véritable effort a été fait pour proposer un parcours cohérent – évidemment non exhaustif – qui, sans oublier les châteaux les plus célèbres que sont Versailles, Chambord, et le Palais des papes d’Avignon, s’attache aussi à présenter des châteaux plus petits, moins connus, ou en ruine : ainsi de très beaux Crussol (p. 52), La Mothe-Chandeniers (p. 32), Le Duché (p. 154). Certains choix sont plus contestables : ainsi de la Villa Arnaga (p. 219), qui n’est en rien un château et n’a pas sa place dans cet ouvrage. À chaque fois, un bref texte présente le château et une grande photographie occupe l’essentiel de la double page. On connaît la qualité des éditions Citadelles & Mazenod et cet ouvrage ne fait pas exception à la règle : les photos sont très belles, très soignées, la mise en page bien faite et l’ouvrage invite ainsi à une agréable promenade au milieu du très riche patrimoine français.

 

         Les photographies aériennes présentent ici un double avantage. D’abord, elles offrent une vue relativement peu connue de châteaux souvent très connus : le changement d’échelle joue dès lors comme un véritable renouvellement du point de vue. Voir Carcassonne d’en haut  (p. 394) permet d’en mesurer toute la taille et d’admirer la complexité de l’enceinte, recréée, on le sait, par Viollet-le-Duc. Voir Château-Gaillard (p. 340), la puissante forteresse bâtie par Richard Cœur de Lion, c’est être frappé par l’épaisseur des murs, encore plus quand on se rappelle que la construction ne prit que quelques mois. Les châteaux forts médiévaux, bâtis en haut d’éperons rocheux pour mieux contrôler la région alentour, bénéficient particulièrement de ces vues aériennes : on voit d’un coup l’intérêt de leur emplacement stratégique, on réalise à quel point ces fortifications pouvaient être impressionnantes à l’époque. La double page consacrée à Puylaurens (p. 336-337) suffit à elle seule pour comprendre l’importance de cette forteresse de l’Aude qui fut assiégée tant de fois, dans le contexte de la croisade albigeoise, puis des guerres entre la France et l’Aragon, sans jamais être prise, tant elle est inexpugnable. Les autres châteaux pour lesquels la photographie aérienne s’impose comme une évidence sont ceux, plus récents que les précédents, qui s’ornent de grands parcs et jardins. Et ces jardins somptueux sont véritablement révélés par les photos aériennes : les parcs de Chamerolles (p. 294), Marqueyssac (p. 304-305), Villandry surtout (p. 326-329), apparaissent bien mieux vu du ciel. On réalise non seulement la taille de ces jardins, mais surtout la complexité de leurs décors : jeux de couleurs, de formes, labyrinthes, reprises de même motifs ou au contraire variations infinies...

 

         Les châteaux ne sont pas classés chronologiquement ou géographiquement, mais regroupés par thèmes : ce découpage est astucieux, et permet d’éviter l’effet de catalogue que produisent trop souvent ce genre d’ouvrages. On trouve ainsi treize chapitres, parmi lesquels « rêves médiévaux », « parcs et jardins », « au cœur des villes », « assauts et résistances »,... Si certains chapitres sont très classiques, d’autres sont plus originaux : ainsi, le chapitre « somptueux décor » se penche sur les châteaux investis par le cinéma, et rappelle ainsi, du Ridicule de Lecomte à la Princesse de Montpensier de Tavernier, de Vaux-le-Vicomte à Fort-la-Latte, la place de ces châteaux dans l’imaginaire contemporain. Ce chapitre est probablement l’un des meilleurs et des plus suggestifs : il contribue à rappeler que les châteaux ne sont pas que des coquilles vides, appartenant au passé, mais qu’ils sont en permanence réinvestis, réutilisés, mobilisés pour répondre à tout un ensemble de pratiques sociales. C’est également ce qui ressort du chapitre « les grands crus », représentant les châteaux qui sont au cœur des vignobles les plus prestigieux : le château d’Yquem bien sûr, mais aussi ceux de Malle ou de Loudenne. Bien souvent, ce sont ces châteaux qui viennent décorer les étiquettes des bouteilles de vin, devenant ainsi des logos : là encore, comme pour le cinéma, on comprend à la lecture de ces pages que le château est bien plus qu’un objet architectural, il est en lui-même un lieu de mémoire, porteur d’enjeux symboliques forts.

 

         On peut cela dit émettre plusieurs critiques. Sur le plan purement formel, l’ouvrage manque d’une table des matières, qui aurait rendu la lecture plus simple : il est, de ce fait, très difficile de retrouver un château précis, car ceux-ci ne sont classés que par départements, à la toute fin du volume. De même, le livre aurait pu bénéficier d’une bibliographie, qui, même courte, aurait rappelé l’importance du château dans l’histoire de France, depuis le château fort médiéval, cœur de la domination seigneuriale, jusqu’au palais des rois de la France moderne, vitrine de la puissance de la monarchie absolue. On regrette de même l’absence de cartes, puisqu’il n’y en a qu’une, reléguée qui plus est à la fin de l’ouvrage : au fil de la lecture, il est difficile de situer les châteaux, de les repérer les uns par rapport aux autres, sauf à se reporter systématiquement à cette carte, ce que le format du livre n’encourage guère. À noter d’ailleurs que ce format peut jouer comme un obstacle en soi : le livre est en effet très gros, et surtout très lourd, ce qui s’explique par la qualité des photographies reproduites, mais qui en rend la lecture fort peu commode.

 

         Les textes, surtout, sont critiquables. Très courts, ils sont souvent réduits à une brève notice qui se contente de présenter le château et d’en rappeler grossièrement l’histoire. Si Denis Picard sait parfois attirer l’attention sur telle restauration particulièrement réussie (La Rochepot, p. 35), il préfère la plupart du temps accumuler les anecdotes et historiettes, rappeler les légendes qui courent autour de ces châteaux, identifier les lieux par leurs plus prestigieux propriétaires plutôt que par leur histoire propre. Ce faisant, les châteaux sont arrachés à l’histoire qui est la leur – une histoire à la fois politique et architecturale – pour être réintroduit dans une vision patrimoniale, voire patrimonialiste, qui en fait des jalons d’une « histoire de France » aux relents quelque peu passéistes. De trop nombreuses affirmations sont anhistoriques, détachées du contexte qui seul pourrait les fonder : on ne peut pas, par exemple, affirmer que Fontainebleau a été la résidence privilégiée des rois de France (p. 90), car si certains l’ont en effet aimée, d’autres l’ont délaissée, parfois pendant de très longues périodes (par exemple sous François II, Charles IX et Henri III). On est ici plus proche du slogan touristique que de l’analyse ou même du commentaire. Critiquons aussi, pour finir, l’usage peu rigoureux de certains termes, notamment renvoyant au Moyen Âge : cela n’a ainsi aucun sens de dire qu’une tour a un « aspect féodal » (p. 201), car la féodalité est un type de régime politique, et non un style architectural. De même, parler de « tours médiévales » (p. 237) ou de la « silhouette médiévale » (p. 270) d’un château ne veut rien dire : le Moyen Âge est une période qui couvre au moins un millénaire, plus si l’on admet la vision de Jacques Le Goff d’un long Moyen Âge, et l’adjectif médiéval, s’il n’est pas explicité, ne renvoie donc à rien de précis. Ce ne sont que des défauts mineurs, les textes n’étant pas au cœur de l’ouvrage, mais qui sont suffisamment nombreux et répétés pour faire tiquer le lecteur, a fortiori si celui-ci est historien ou archéologue.

 

         Redisons-le, l’ouvrage est très beau, très agréable, et les photographies, magnifiques, permettant une réelle appréhension de ces châteaux. Tout au plus pourrait-on souhaiter que la partie texte n’ait pas été traitée si légèrement.

 

 

* Florian Besson prépare une thèse de doctorat sur les croisades et les États latins d’Orient sous la direction d’Élisabeth Crouzet-Pavan (Université Paris-Sorbonne).