Bergmann, Uta: Die Freiburger Glasmalerei des 16. bis 18. Jahrhunderts. Le vitrail fribourgeois du XVIe au XVIIIe siècle. (Corpus Vitrearum Schweiz: Reihe Neuzeit. Bd. 6). (Corpus Vitrearum Suisse: Époque moderne. Vol. 6). Band 1: Textband. Band 2: Katalog. 1069 S., zahlr. farb. Abb. ISBN 978-3-0343-1559-3, 75.80 €
(Peter Lang, Bern 2014)
 
Reseña de Raphaëlle Chossenot, Université Paris 1
 
Número de palabras : 2610 palabras
Publicado en línea el 2016-06-30
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2459
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          On ne peut que louer la qualité de cette somme remarquable fort complète et richement illustrée sur le vitrail fribourgeois du XVIe au XVIIIe siècle. En partie traduite en français, cette synthèse étoffée de comparaisons avec les secteurs géographiques proches permet au lecteur de bien saisir le contexte ainsi que les modalités de la commande et de la production de vitraux dans un secteur où la Ville, le Canton et la Confédération tenaient un rôle essentiel.

 

         Le canton de Fribourg, l’un des seuls à être catholique et bilingue dans la Confédération, a vu, comme d’autres, l’émergence d’une aristocratie locale fondée sur le commerce et l’industrie, laquelle a monopolisé le pouvoir, ce qui n’a pas été sans conséquence sur les processus de la commande et l’iconographie des vitraux. C’est d’ailleurs l’adhésion à la Confédération, en 1498, qui fut le principal moteur de la production locale de vitrail dont l’apogée se situe vers 1600-1620. En raison de l’absence d’un vivier local suffisant pour répondre à la demande au début du XVIe siècle, la ville tenta d’attirer des peintres-verriers extérieurs, comme Rudolf Räschi. Par la suite, il exista une véritable communauté de peintres-verriers organisée en corporation, et certains de ses membres étaient suffisamment réputés pour que leurs œuvres soient commandées par des nobles du Valais, des Pays de Vaud et de Genève.

 

         À Fribourg, le don de vitrail était une pratique liée à une volonté politique ou sociale ; elle était le fait d’une minorité de la population et des institutions politiques et religieuses en présence. Les armoiries constituent par conséquent le thème principal de l’iconographie des vitraux : elles occupent l’espace principal et sont parfois accompagnées d’une ou de plusieurs scène(s) historiée(s) , allégoriques ou narratives dans le registre supérieur.

 

         Aux différentes institutions correspondaient des iconographies stéréotypées : la cité-république était souvent représentée par un lion ou un hallebardier ; ce vitrail était parfois complété par un second, représentant les deux saints-patrons de la ville, Nicolas et Catherine. Certains vitraux aux armes des bailliages (Ämterscheibe), qui symbolisaient le pouvoir territorial de la ville sur des cantons, montraient le blason de la cité-république au centre, entouré de ceux des bailliages disposés en couronne tout autour. Quelques villes du canton firent également réaliser des vitraux en leur nom, comme Murat ou Payerne ; l’iconographie de ces verrières était assez similaire à celle des vitraux aux armes des grandes cités-républiques, avec un ou deux écus tenus par des figures animales ou humaines. Ce n’est qu’assez tardivement que l’on représenta des thèmes liés à l’histoire de la Confédération (légende de Guillaume Tell).

 

         À Fribourg comme dans toute la Confédération, le don de vitraux entre institutions était chose habituelle, de sorte que la ville en offrit à d’autres cantons et en reçut aussi de leur part. La ville, soucieuse de sa qualité architecturale, incitait ses habitants au don et à la pose de vitraux dans des édifices publics ou religieux importants (hôtel de ville, églises), mais aussi dans les lieux plus atypiques tels que les auberges ou les sièges des corporations. L’hôtel de ville, reconstruit au début du XVIe siècle, fut d’ailleurs l’objet de soins particuliers. Les municipalités et les communes pouvaient s’associer pour offrir des vitraux destinés à des édifices publics ou religieux, suivant des modalités diverses : tantôt, le donateur offrait le vitrail déjà fait, qu’il ait été réalisé dans sa ville d’origine ou non ; tantôt, le donateur versait une somme au receveur qui faisait réaliser le vitrail en son nom.

 

         Le même système existait pour les monastères et abbayes où les dons et contre-dons étaient courants, mais il en reste peu de traces concrètes. Du reste, les vitraux religieux représentaient les thèmes habituels de l’époque, narrant la Vie du Christ ou celle de saints, auxquels s’ajoutaient des éléments héraldiques liés aux donateurs. On peut s’étonner du petit nombre de vitraux religieux conservés dans une ville majoritairement catholique où de multiples communautés religieuses étaient installées (Augustins, Capucins, Cisterciens...).

 

         Les vitraux de particuliers étaient offerts essentiellement par des familles importantes (Fégely, Python, …) ; aussi, nombreux sont ceux qui présentent des armoiries ; d’autres mirent en image des scènes de batailles destinées à souligner les qualités chevaleresques du donateur, dans un contexte où le mercenariat était important.

 

         Très peu de vitraux furent financés par des femmes, sauf si celles-ci avaient des fonctions religieuses (abbesses…). De même, on n’observe que de rares représentations liées à des artisans et peu de ces vitraux dits de bienvenue (Wilkommenscheibe) qui étaient très répandus dans les secteurs ruraux de la Suisse centrale et orientale.

 

         Dans l’ensemble, on observe une hausse des thèmes liés à la morale et à la vertu dans la deuxième moitié du XVIe siècle et, un siècle plus tard, des vitraux de couples dits Allianzscheiben (deuxième moitié du XVIIe s.-XVIIIe siècle). La mode en perdura jusqu’à 1720 env., mais, à Fribourg, elle demeura l’apanage des classes supérieures alors qu’elle se démocratisa dans d’autres cantons (comme Zoug, par exemple).

 

         De manière générale, le nombre de vitraux conservés ne représente qu’un petit pourcentage de ce qui a été produit, les destructions ayant été nombreuses au fil du temps, qu’elles aient été liées à des faits de guerre (présence des Français en 1798), à l’évolution des goûts ou à des incidents météorologiques (orages, etc.). Heureusement, dès le milieu du XIXe siècle, des efforts furent faits pour tenter de conserver, d’inventorier et de racheter les vitraux dont nombre de propriétaires se défaisaient à l’époque. Cependant, le manque d’artisans fribourgeois capables de restaurer les vitraux amena à faire appel à des peintres-verriers extérieurs , tels L. Greiner et G. Giesbert. Reste qu’il manque aujourd’hui quelques grands cycles, comme celui de l’Hôtel de Ville, celui de l’église des Jésuites (collège Saint-Michel) et celui de l’église Saint-Nicolas.

 

         La majorité des œuvres conservées sont de petit format ; elles proviennent de demeures privées, de chapelles ou d’auberges. Malheureusement on ne connaît aucun carton signé par un peintre-verrier de Fribourg. En revanche, certaines esquisses faites à Berne pour la clientèle de Fribourg sont identifiées. Les techniques de réalisation des vitraux fribourgeois sont similaires à celles que l’on rencontre dans les contrées voisines à la même époque : le recours au vocabulaire artistique de la Renaissance et au classicisme tend à se répandre tout comme la notion de perspective ; les scènes placées dans des niches comportant des fonds damassés disparaissent au profit de fonds incolores, avec des colonnes sur les côtés. Les émaux sont utilisés de manière courante et ce d’autant plus que l’approvisionnement en verre de couleur se raréfia avec la Guerre de Trente Ans.

 

         La synthèse consacrée au métier de peintre-verrier, riche de comparaisons avec les villes avoisinantes, nous apprend que Fribourg comptait, au XVe siècle, peu voire pas de peintres-verriers autochtones. Toutefois une corporation des peintres, verriers, peintres-verriers, sculpteurs et menuisiers, placée sous le patronage de saint Luc, put s’y établir dès le début du XVIe siècle, à la suite d’une scission d’avec celle des Charpentiers. Le premier règlement, de 1505, n’est pas conservé, mais il est connu indirectement en raison de sa révision régulière. Celui-ci fixait les modalités d’accès, la manière de devenir peintre-verrier, le montant des droits d’accès, le nombre d’apprentis… Comme les autres corporations de la ville, celle de Saint-Luc possédait des missions économiques, sociales, religieuses et militaires et son emprise s’étendait sur la ville et les Anciennes Terres, mais pas sur les bailliages. Un règlement ultérieur, de 1666, et pris pour « les peintres, les sculpteurs, les vitriers et les gypsiers », comportait, outre les conditions d’accès au métier et des instructions encadrant les « bonnes pratiques » du métier, le prix des fenêtres ainsi que les modalités du commerce du verre, lesquelles étaient aussi régies par les autorités municipales.

 

         Comme ailleurs, le compagnonnage est mal connu et, en l’absence d’un registre tenu par le métier, sa connaissance repose surtout sur les contrats notariés. D’une durée de deux ans pour les vitriers (Glaser) et de trois ans pour les peintres-verriers (Glasmaler), il était, ou non, l’occasion de voyager, de découvrir les techniques d’autres maîtres, de copier des modèles. La ville elle-même accueillait de nombreux apprentis et compagnons venus majoritairement des régions alémaniques. Pour devenir maître, le compagnon devait présenter un certificat de naissance et d’apprentissage, faire un chef-d’œuvre sous la surveillance de trois maîtres et payer des droits. On sait qu’il existait trois types de verrières à effectuer comme chef-d’œuvre pour les vitriers, mais on ne sait ce qui était exigé des peintres-verriers. Une fois reçu, le maître peintre-verrier était tenu de se trouver une boutique et de se marier, de sorte que les veuves ou filles de veuves de peintre-verrier constituaient des partis fort attractifs.

 

         En 1639, la réglementation de l’ensemble des métiers fut revue par les autorités municipales en raison d’une part de droits trop élevés dus par les non-fils de maîtres en vue de leur intégration dans les corporations, et d’autre part des passe-droits accordés aux fils de maîtres. Ceci exigea le passage de la maîtrise pour chaque maître.

 

         L’affiliation à la corporation était théoriquement obligatoire, mais certains tentaient d’y échapper, en raison de son coût, ou s’inscrivaient dans d’autres corporations, plus adaptées à leur activité, comme celle des merciers pour ceux qui commerçaient principalement du verre et du plomb.

 

         Des conflits éclataient parfois en interne ainsi qu’en externe, vis-à-vis des autres confréries, en particulier celle des menuisiers, avec laquelle la confrérie de Saint-Luc entretenait des rapports étroits dus à la proximité de certains de leurs domaines de compétences respectifs, comme ceux de la fourniture et de la fabrication de cadres de fenêtres, sujet à querelles récurrent.

 

         Dans cette ville comme dans d’autres, on peine à définir l’activité concrète d’un Glaser. Le terme Glasmaler ne fut pas utilisé avant 1540. Auparavant, on peut penser que certains Glaser peignaient, faisaient des vitraux ainsi que des vitres. Au fil du temps, les métiers tendirent à se spécialiser, de sorte qu’il fallut payer double pour pouvoir exercer dans les deux spécialités ; les Glasmaler semblent avoir été plus polyvalents que ceux qui n’exerçaient que comme « vitrier », peut-être pour des raisons d’équipement ainsi que de compétences.

 

         Au XVIIIe siècle, la baisse de la demande en vitrail (avec tout de même hausse de la demande en verre blanc en raison d’un intérêt accru pour la lumière), le nombre de chevauchements et la diversification des activités se conjuguèrent dans un contexte économique dégradé pour les peintres-verriers. La ville les incita d’ailleurs à se reconvertir.

 

         Le répertoire biographique des peintre-verriers et des vitriers, des vendeurs de vitraux, des peintres-verriers du « plat-pays » ainsi que de ceux qu’il convient finalement d’exclure de la liste des peintre-verriers et des vitriers occupe un peu plus de 200 pages et concerne environ 150 personnes dont une vingtaine de familles.

 

         Ces biographies normalisées tentent d’établir, sources à l’appui (registres de naissances et de décès, registres de corporations), la vie, les carrières ainsi que les réseaux relationnels des peintres-verriers établis à Fribourg du XVIe au XVIIIe siècle. Elles livrent l’image d’un monde vivant, dont les femmes ne sont pas exclues. Dans l’ensemble, le rôle de celles-ci est assez mal connu : on sait qu’elles devaient participer de manière active à la gestion des ateliers, mais n’avaient pas le droit de tenir un atelier, sauf si elles étaient veuves ; dans ce cas, la durée de tenue de l’atelier n’était pas fixée. Elles constituaient des partis intéressants pour les compagnons désirant devenir maître. Celles qui ne se remariaient pas s’appauvrissaient très vite. Les patronymes des peintres-verriers rappellent la double appartenance culturelle de la ville, allemande et française.

 

         Au total, ces biographies confirment ce que l’on sait du métier via les règlementations : on « hérite » du métier ou on y entre par le mariage avec une fille de peintre-verrier et l’on se marie dans le même milieu social. Les peintres-verriers figurent parmi les artisans les plus pauvres de la société, ils sont fréquemment endettés et à la recherche d’autres sources de revenus (commerce du verre et du plomb, tenir une auberge…). Rares sont ceux à avoir réussi à s’élever socialement : cela se fit souvent par le biais de l’obtention d’une charge (bailli…), qui symbolisa aussi l’arrêt de leur activité de peintre-verrier. Les quelques peintres-verriers établis dans le plat-pays fournissaient en vitraux les nombreuses institutions religieuses du secteur (églises, abbayes) ; ils relevaient en général de la confrérie de Saint-Luc. Certains peintres-verriers pratiquèrent aussi la peinture sous verre (Hinterglassmalerei) et l’on peut regretter que ce sujet fort peu traité par la recherche n’ait pas été un tout petit peu plus développé ici. Les vendeurs de verre sont assez mal connus, mais on pourra citer le cas de Hans Jakob Bränli qui vendit, au milieu du XVIIe siècle, des milliers de fenêtres, dont certaines à la Fribourg, mais aussi en dehors du district.

 

         Le chapitre consacré à des cas particuliers nous introduit dans le monde des peintres-verriers d’une ville du canton fribourgeois, Murten/Morat dans celui du maître au monogramme VBL ainsi que dans l’évocation d’un peintre-verrier qui aurait servi l’évêque de Lausanne et travaillé dans les territoires savoyards du pays de Fribourg. Le cas du monogramme VBL est particulièrement intéressant car il permet d’évoquer un peu la peinture sous verre, art très pratiqué à l’époque dans ce secteur. Ce monogramme, présent sur des vitraux du début du XVIIe siècle et qui proviendraient de la chapelle Saint-Nicolas de Fégely, se retrouve sur des peintures sous verre conservées au Musée de Naples. L’analyse du corpus attribuable à cet artiste (environ 90 œuvres) montre qu’il était spécialisé dans la réalisation de panneaux de face pour les cabinets et avait été formé à Zürich dans l’entourage de Sprüngli. Il pourrait s’agir de Viktor Bieller/Büeler, membre d’une famille de peintres-verriers suisses de Zoug ou de Soleure, dont on retrouverait la trace en Espagne sous le nom (italianisé ?) de Vittorio Billa.

 

         La ville de Morat n’a pas hébergé de peintre-verrier installé durablement avant le milieu du XVIe siècle. Auparavant, les peintres-verriers qui y exerçaient venaient des environs, de Berne ou de Fribourg. Une corporation, copie de celles de Berne et de Fribourg, y fut érigée en 1584. En 1633 puis 1694, la situation était suffisamment tendue pour qu’on demande l’expulsion des peintres-verriers « étrangers » (notamment italiens) pour cause de concurrence déloyale ; la situation ne s’améliora pas.

 

         Quant au peintre-verrier qui aurait servi l’évêque de Lausanne et travaillé dans les territoires savoyards du pays de Fribourg, il pourrait être identifié, étude stylistique à l’appui, comme le peintre-verrier de Lausanne Étienne Chapuis.

 

         Le catalogue des vitraux occupe l’essentiel du second volume. Établi selon les normes du CVMA, il se divise en trois grandes sections : la première et plus grande partie concerne la Ville de Fribourg, puis viennent celle liée au canton et enfin celle des collections privées. Cette dernière n’a rien à envier aux deux autres, avec environ 70 vitraux inventoriés. Dans l’ensemble, commanditaires, thèmes, formes et techniques sont assez similaires, mais l’identification de l’origine de certains vitraux en mains privées est bien entendue plus compliquée quand le vitrail ne porte aucune indication quant à son auteur, son origine ou son commanditaire.

 

         Les annexes, fort complètes, comprennent une identification des signatures de peintres-verriers, l’édition de sources (extraits de comptes municipaux ou d’institutions religieuses, etc.) sur une longue période (XVIe-mil. XVIIe siècle en général) ainsi qu’un index détaillé des noms de lieu, de personne et des thèmes iconographiques, ce qui est à souligner car cela est rare de nos jours.