Girard, Alain: L’apothicairerie de l’hôtel-Dieu de Pont-Saint-Esprit. 160 pages, 70 illustrations, 29 x 24 cm, ISBN : 978-2-910567-61-3, 20 €
(Musée d’art sacré du Gard, Pont-Saint-Esprit 2014)
 
Compte rendu par Guillaume Comparato, Université Grenoble-Alpes
 
Nombre de mots : 1957 mots
Publié en ligne le 2015-10-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2462
Lien pour commander ce livre
 
 

 

          Cet ouvrage nous invite à pénétrer dans deux institutions médico-pharmacologiques, l’apothicairerie et l’Hôtel-Dieu de Pont-Saint-Esprit. Son titre semble – après lecture – presque réducteur. En effet, il promet une étude axée sur la seule apothicairerie, tandis que c’est toute l’histoire de la vie charitable et médicale de la région qui s’y déploie. Dès l’avant-propos, Alain Girard rappelle que les études d’histoire de l’art considèrent les poteries pharmaceutiques comme des œuvres mineures, exécutées en série. Or, selon lui, ces objets du quotidien doivent justement être reconsidérés et placés dans leur contexte originel. L’auteur nous explique qu’il convient de mener une étude sur la longue durée, pour conférer une valeur intelligible à ces objets du quotidien.

 

 

L’œuvre du Saint-Esprit et ses hôpitaux aux XIVe et XVe siècles.

 

          En 1309, la construction d’un premier pont au-dessus du Rhône ouvre une nouvelle voie aux marchands, aux voyageurs et aux pauvres de passage. Elle confère un nouveau nom à Saint-Saturnin du port, qui devient Pont-Saint-Esprit, en référence à l’œuvre du Saint-Esprit, une association de marchands locaux. On pressent, dès les premières lignes, que cette histoire de l’apothicairerie s’inscrit dans un contexte plus large, qui ouvre sur l’histoire régionale, médicale et religieuse du Gard, entre Languedoc et Dauphiné.

 

          L’œuvre du Saint-Esprit prend tout d’abord la forme d’une confraternité laïque, installée dans l’église de la ville qu’Alain Girard nous fait découvrir à travers des plans, des gravures et des clichés. L’Hôpital possède alors une petite réserve de produits enfermés dans l’armarium. L’institution sert des fonctions multiples, qui s’étendent au soin des malades ou des pauvres, à l’accueil des enfants et à celui des femmes en couche. La fraternité laïque obtient en 1448 une première consécration, des privilèges conférés par le Pape Nicolas V puis par le Pape Calixte III en 1457 ; ce dernier pontife confirme ces droits par une bulle modifiant l’organisation de l’œuvre, car dotée de prêtres. L’ouvrage nous propose une petite illustration de ce document important, que les amateurs d’archives auraient préféré admirer en pleine-page.

 

          L’auteur se concentre ensuite sur les vestiges de l’apothicairerie médiévale, en analysant les poteries conservées au Musée des Arts Sacrés du Gard. À partir de cette section, Alain Girard se livre à un véritable travail d’historien de l’art. Il étudie les pots en tant qu’œuvres à part entière. On apprend notamment que les motifs des faïences proviennent de modèles hispano-mauresques, un détail qui pointe une probable importation d’Espagne. Ces descriptions formelles s’accompagnent de photographies en pleine page qui permettent de comprendre les analyses stylistiques et de contrôler leur validité.

 

 

L’Hôpital à l’épreuve du XVIIe siècle.

 

          À l’époque des guerres de religions, Pont-Saint-Esprit devient un point stratégique, les deux camps affrontés désirant contrôler ce passage fluvial très fréquenté. Les forces huguenotes occupent par deux fois, en 1562 et en 1567, la ville qui subira de nombreuses modifications à partir de 1585. Le nouveau Gouverneur de la province du Dauphiné Alphonse d’Ornano est bien conscient de l’état de la cité qu’il administre. Il décide de déplacer l’Hôpital du Saint-Esprit et érige sur cet emplacement un fort propre à assurer la défense du pont. L’hôpital est alors transféré dans deux maisons de la ville, dont l’état délabré impose des travaux dispendieux dès 1616. Les réparations sont achevées en 1621, juste à temps pour l’agrandissement de la citadelle par Louis XIII. Le roi réquisitionne alors les deux maisons et provoque un nouveau déménagement de l’institution. L’Œuvre du Saint-Esprit doit louer maisons et granges afin de maintenir l’activité de l’Hôpital. Les pauvres et les enfants errent dans la ville, faute de place. Les recteurs ne s’avouent pas vaincus ; dès 1627, ils transforment ces lieux d’occupation peu satisfaisants. L’auteur nous montre, à l’aide de plans et de dessins d’époque, comment se présentait le projet du nouvel hôpital. Il spécifie les coûts de construction.

               

          La suite de cette partie porte sur l’organisation de la vie matérielle à l’hôpital. Alain Girard décrit méticuleusement les dépenses et le train de vie de l’institution, comme sa consommation de denrées. Il s’intéresse en outre au personnel et le détaille par des tableaux chrono-prosopographiques distinguant les « hospitaliers des pauvres passants », les « gouvernantes d’enfants » et les « chirurgiens », puis les « médecins » ayant travaillé à l’hôpital durant la seconde moitié du XVIIe siècle. Ici, une explication s’impose : page 45, l’auteur stipule que le chirurgien était alors subordonné au médecin. A l’époque en effet, la corporation des chirurgiens est rattachée à celle des barbiers et inférieure à celle des médecins ayant leur doctorat (médecins formés notamment à Paris et à Montpellier).

 

          Enfin, l’auteur termine l’évocation de ce siècle avec un tableau des besoins en médicaments de l’hôpital. Ces fournitures sont encore acquises auprès des apothicaires de la ville, sur toute la seconde moitié du XVIIe siècle. Notons ici que l’hôpital a besoin d’une aide extérieure, l’apothicairerie particulière de l’hôpital n’existant pas encore.

 

 

Le XVIIIe siècle : une apothicairerie au sein de l’Hôpital du Saint-Esprit.

               

          La fin du XVIIe siècle marque un tournant dans l’organisation de l’Hôpital. L’évêque d’Uzès décide d’incorporer des sœurs au titre de personnel soignant. L’intendant du Languedoc adresse une lettre au supérieur de la compagnie de Mission, pour solliciter cet apport de religieuses (archive illustrée par une photographie en pleine page). Trois « sœurs grises » reçoivent mission de rejoindre Pont-Saint-Esprit. Elles sont logées et payées « convenablement », nous précise l’auteur. Dès 1695, l’intendant du Languedoc désire reproduire le modèle de l’hôpital de Montpellier, en accordant une sœur apothicaire à celui de Pont-Saint-Esprit.

 

          C’est donc un véritable progrès qui s’amorce alors ; l’hôpital va enfin comporter sa propre apothicairerie et se passer d’intermédiaires extérieurs. Au fil du temps, l’hôpital, qui n’avait à l’origine que le profil d’une œuvre de charité, acquiert une autonomie croissante. Il se médicalise et ce progrès génère de nouveaux besoins, comme l’accès à l’eau courante et la création, au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, de latrines générales puis particulières à chaque service. On trie les malades, on les compartimente. L’organisation des services internes se rationalise. Selon l’auteur, l’apothicairerie se caractérise par un soin très poussé, et par une abondance de matériel. En 1747, le vieux local devenu trop exigu, les recteurs décident d’acquérir une maison supplémentaire auprès des sœurs qui la possèdent ; ils y installent deux pièces, un laboratoire et l’apothicairerie. Tout au long du siècle, les sœurs tiennent toujours l’apothicairerie : chaque sœur se charge non seulement des préparations, mais également du budget – les informations relatives à cette question sont soigneusement ventilées dans un tableau de trois pages indiquant la date de tel achat, le nom de la sœur apothicaire responsable, le prix d’achat et la référence au lieu d’acquisition, généralement la foire de Beaucaire ; parfois, quelques précisions accompagnent la note des achats effectués. Ce document nous permet d’estimer les besoins de l’hôpital  et de constater que la foire de Beaucaire demeure la place privilégiée des emplettes. Alain Girard se concentre ensuite sur les types de médicaments acquis à la foire, et, à partir d’un inventaire de la pharmacie, sur ce que l’hôpital conserve dans ses propres réserves. La majeure partie des produits est bien entendu allouée aux préparations médicamenteuses, mais l’auteur note toutefois la présence de fortifiants, qui  complètent heureusement la nourriture propre à soigner les pauvres.

               

          Enfin, l’auteur propose une analyse des pots de pharmacie du XVIIIe siècle, étude accompagnée de nombreux clichés en pleine page qui nous permettent d’observer ces productions artistiques et pratiques analysées par l’auteur. De plus, comme les poteries du XVIIIe informent sur leur contenance, Alain Girard dresse un inventaire des pots selon leur typologie, en nous renseignant sur leur contenant, et en mentionnant systématiquement leur numéro d’inventaire. L’auteur s’intéresse à la provenance de ces pots. Il note que les archives ne documentent pas leur acquisition ; cependant, l’analyse de ces faïences laisse penser qu’elles provenaient de Montpellier.

 

 

La pharmacie des XIXe  et XXe siècles : entre médecine et patrimoine.

 

          La Révolution amène des transformations administratives considérables. Les hôpitaux prennent le statut d’administrations publiques. En 1792, l’hôpital de ville est transféré dans le monastère de la Visitation de Sainte-Marie, un édifice construit en 1639. Au XVIIIe siècle, ce type d’institution vise à éloigner les foyers d’infection hors du centre-ville vers les périphéries, sur la base de nouveaux principes d’hygiène. Pourtant, une fois encore, le bâtiment se révèle inapte à recevoir des malades. En 1807, l’hôpital, privé de ses recteurs traditionnels ainsi que d’une partie de ses revenus (notamment ceux du sel), manque cruellement de moyens. On lui rattache la même année le bâtiment de la chartreuse de Valbonne. Le nom de l’institution devient l’ « hospice Saint-Louis ». La lecture de ce passage est parfois compliquée, car le lecteur ne dispose pas d’une carte explicative de la géographie des lieux.

 

          Ces nouveaux locaux doivent bien entendu comporter une pharmacie. En effet, l’ « apothicairerie » prend une nouvelle dénomination - « pharmacie » - en ce nouveau XIXe siècle. L’auteur nous explique à ce propos que la première salle prévue se révélant trop exiguë, on transfère la pharmacie dans l’ancien réfectoire du couvent. Un certain Victor Carrière s’occupe de récupérer d’anciens meubles et de les adapter à leur nouvel usage. Les pages 114-115 permettent, grâce une photographie en double-page, de concevoir l’aspect de cette pharmacie durant cette période. L’ancienne pharmacie a été détruite, ses meubles rapatriés au musée des arts sacrés du Gard. Alain Girard insiste sur ce fait : la pharmacie de l’hospice de la Visitation a été « soigneusement cachée pour éviter un classement au titre de Monument Historique » et elle a pu ainsi être détruite à la fin du XXe siècle. On ressent un peu d’amertume chez l’auteur, à propos de cet épisode.

 

          Ici aussi, Alain Girard présente et décrit les nouveaux pots de pharmacie qu’on ne confectionne plus en faïence, mais en porcelaine de Limoges. Puis il étudie l’organisation des armoires. Le XIXe siècle marque une période de rationalisation et de segmentation des sciences, et la pharmacopée ne déroge pas à cette règle. Les pots, d’une couleur neutre et blanche, désignent clairement leur contenu. Les armoires, méticuleusement étiquetées, s’apparentent à celles caractéristiques des herboristeries actuelles.

 

          Dans la mouvance du développement des sciences au XIXe siècle, la pharmacie acquiert la fonction d’une salle de réception, une mutation qui facilitera sa muséification. Au cours de ce siècle puis du suivant, on y rassemble des objets documentant les pratiques anciennes de la médecine, ou encore les portraits de donateurs ;  l’auteur consacre de brèves biographies aux figures portraiturées. Si un inventaire de 1911 montre que les armoires sont de moins en moins utilisées, le laboratoire continue de fonctionner jusque dans les années  1970. En effet, le 21 mai 1979, le conseil municipal de Pont-Saint-Esprit vote le transfert de l’ancienne pharmacie au Musée Paul Raymond ; les sœurs ont quitté l’hôpital quelques mois auparavant. Enfin, lorsque le Musée des Arts sacrés du Gard est créé, la pharmacie connaît son dernier transfert en 1994, presqu’un an avant l’ouverture du Musée, le 2 juillet 1995.

 

          Cet ouvrage documente l’évolution de la charité puis de la médecine au cours du temps. On peut regretter que certaines sources n’aient pas été citées  ou que les fonds d’archives relatifs à cette institution n’aient pas fait l’objet d’une enquête systématique, propre à enrichir une telle étude. Les ouvrages utilisés sont cités, mais aucune bibliographie sommaire n’accompagne cette publication ; une telle liste aurait été utile aux chercheurs en histoire de la médecine. La qualité des 86 illustrations, plans, documents et photographies se distingue par leur précision ; elles accompagnent de manière judicieuse les analyses stylistiques des céramiques et porcelaines, et permettent de mieux comprendre leur évolution au cours du temps. De nombreux tableaux, soigneusement exécutés, faciliteront les recherches d’histoire sociale dans ce domaine, même si aucune référence archivistique précise ne les accompagne.

 

N.B. : Guillaume Comparato est doctorant en histoire, sous la direction de Gilles Bertrand, professeur d'histoire moderne à l'Université Grenoble.