Gallet, Yves: La cathédrale d’Evreux et l’architecture rayonnante. XIIIe-XIVe siècles. (Annales Littéraires de l’ Université de Franche-Comté, vol. 9221. Série "Architecture" n° 7). 26 x 19,5 cm, 400 p., 272 ill. noir et blanc et couleurs, ISBN : 978284867, 42 €
(Presses Universitaires de Franche-Comté, Besançon 2014)
 
Rezension von Nicolas Trotin, EPHE
 
Anzahl Wörter : 3186 Wörter
Online publiziert am 2017-07-27
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2491
Bestellen Sie dieses Buch
 
 

        Publiée en 2014 comme septième numéro de la série « Architecture » des Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté, la thèse qu’Yves Gallet avait soutenue sous la direction d’Éliane Vergnolle en décembre 2000, reprend avec brio l’analyse d’un dossier que l’historiographie avait quelque peu délaissé, tant il est complexe et nécessite à la fois une parfaite maîtrise et une intime connaissance de ce monument façonné par des siècles d’histoire architecturale qu’est la cathédrale Notre-Dame d’Évreux. En quatre cents pages judicieusement illustrées et dotées d’un riche index et d’une abondante bibliographie, Yves Gallet inscrit sa réflexion dans le renouvellement des études consacrées au gothique normand tout en consacrant une véritable monographie à un édifice somme toute mal connu et peu étudié[1] depuis la monographie de Jules Fossey qui a fait autorité pendant plus d’un siècle. Or la datation des parties rayonnantes de la cathédrale variait considérablement selon les auteurs, ce qui ne permettait pas d’établir une chronologie franche du chantier ébroïcien ni de comprendre son rôle dans le développement de l’architecture rayonnante en Normandie et au-delà. C’est ce à quoi Y. Gallet tâche de répondre au fil des quatre parties qui structurent son travail.

 

         Après que le siège épiscopal d’Évreux avait été, au xiie siècle, occupé par de brillants prélats liés au pouvoir ducal Plantagenêt, il le fut par les prélats proches du roi de France dès la conquête de la Normandie par Philippe-Auguste ; mieux, durant la seconde moitié du xiiie siècle, les prélats furent des serviteurs des souverains capétiens. Après un recrutement dans les rangs les plus illustres de la cour, la situation fut moins brillante au xive siècle puisque les évêques d’Évreux ne furent plus alors issus que du clergé normand. Quoi qu’il en fût, les évêques ainsi élus furent de prestigieux commanditaires qui laissèrent dans la pierre et les vitraux de leur cathédrale une notable trace. À leur côté, le chapitre cathédral vit croître ses prébendes ; il se recrutait non seulement en Normandie mais encore dans l’ouest de l’Ile-de-France ; c’était à lui de gérer, depuis la fin du premier tiers du xiiie siècle, la fabrique de la cathédrale, qui était chargée de s’assurer du bon entretien des bâtiments et des travaux de construction. Disposant du fruit des amendes infligées aux chanoines, de dons et de legs de bienfaiteurs parfois très généreux, la fabrique n’a cependant pas laissé de livres comptables, ce qui ne permet pas de discerner avec précision quelle fut la part des différents évêques dans les choix qui déterminèrent la physionomie de la cathédrale. Tout au plus connaît-on les noms de quelques maîtres d’œuvre tels Jehan Le Roy au xve siècle ou Jean Cossart au siècle suivant, Nicole Le Féron n’ayant jamais été que le maître des œuvres du bailliage d’Évreux et non celui de la cathédrale. Le nom de Gautier de Varinfroy, actif sur le chantier ébroïcien en 1253, n’est attesté que par un acte capitulaire de Meaux, ce qui constitue l’un des points majeurs de la réflexion de l’auteur.

 

         Au xiiie siècle, Évreux formait une agglomération relativement modeste, concentrée autour du castrum gallo-romain à partir duquel eut lieu l’expansion urbaine, marquée par de nouvelles fondations religieuses telles que l’abbaye des moniales bénédictines Saint-Sauveur ou les paroisses Saint-Nicolas et Saint-Denis. La cité s’étendait jusqu’aux faubourgs suburbains où se situait l’abbaye des bénédictins de Saint-Taurin. Au cœur de cet ensemble, la cathédrale était le centre d’un véritable quartier, selon la topographie médiévale des ensembles cathédraux, avec palais épiscopal et maisons des chanoines. Comme elle se dressait non loin du mur d’enceinte gallo-romain, elle fut exposée à plusieurs incendies consécutifs aux sièges de la ville, notamment en 1194.

 

         Le retour de la paix permit que fleurissent nombre de chantiers dès le début du xiiie siècle : outre les fortifications et le château, il fallut reconstruire, dans la première moitié du siècle, non seulement les églises paroissiales endommagées ou détruites mais aussi les deux monastères de Saint-Sauveur et de Saint-Taurin. Dans la seconde moitié du xiiie siècle, l’activité des bâtisseurs fut assurée par l’installation à Évreux de couvents mendiants soutenus par les évêques (les cordeliers par Raoul Grosparmi, les Prêcheurs par Philippe de Cahors). Hélas, rien ne subsiste de ces chantiers qui furent sans doute soumis aux aléas des soulèvements urbains comme le fameux takehan des bouchers ébroïciens en 1244. Ce fut dans ce contexte très dynamique que furent entrepris les travaux de reconstruction de la cathédrale.

 

         Cette dernière, dont les origines remontaient au vie siècle, présentait alors un chevet à absidiole outrepassée, bâti en blocage et en petit appareil, selon les découvertes réalisées lors des fouilles archéologiques entreprises à la fin du xixe siècle. L’auteur, après avoir rappelé les différentes hypothèses de datation qui varient du xe à la fin du xie siècle, propose d’interpréter l’absidiole sujette à controverses, comme la chapelle axiale d’une crypte hors-œuvre, selon un modèle carolingien bien repéré à Saint-Germain d’Auxerre ou à Flavigny, ce qui coïnciderait davantage avec la bulle de Benoît VII, découverte dans un cercueil en 1895. Toutefois, quelle qu’ait été la date de ce chevet, il disparut dans l’incendie de 1119. L’évêque Audin (1119-1124), contraint par Callixte II de bâtir à neuf sa cathédrale, fut diligent, d’autant qu’il bénéficiait du soutien financier d’Henri Ier Beauclerc. Ainsi, la cathédrale fit l’admiration de Robert de Thorigny qui, en 1138-1139, considérait que le nouvel édifice « surpassait en beauté presque toutes les églises de Neustrie ». les travaux furent poursuivis pendant l’épiscopat de Rotrou de Beaumont (1139-1165) qui obtint une bulle d’indulgence d’Innocent II en 1143. Dotée de cinq vaisseaux, la cathédrale était achevée par un chœur dont l’abside se situait à l’aplomb de la troisième travée droite du chœur actuel. De cette cathédrale romane demeurent notamment les arcades en plein centre du premier niveau de la nef actuelle ainsi que la tour nord qui, à l’extérieur, a été rhabillée au xvie siècle selon une typologie d’esprit vitruvien.

 

         Avec le xive siècle vinrent les troubles politiques engendrés par les prétentions de Charles le Mauvais, comte d’Évreux. Poursuivi par Jean le Bon, l’ambitieux roi de Navarre se réfugia en 1356 dans sa ville comtale qui fut alors assiégée par les troupes royales. Ce fut dans ce contexte que la cathédrale fut incendiée, précisément au niveau de la croisée du transept et des deux premières travées du chœur. Les dégâts furent tels que l’évêque et une partie du chapitre durent quitter Évreux pour Vernon pendant une année entière. Toutefois, grâce à la générosité du roi Jean le Bon, la cathédrale fut rapidement mise en travaux, sans qu’on puisse les attribuer en aucune manière à Nicole Le Féron. En dépit de ces réparations, l’état de l’édifice se dégrada à un point tel que les chanoines en appelèrent à Martin V puis à Eugène IV. Ils fulminèrent des bulles d’indulgence qui permirent la reconstruction de la croisée du transept et de la tour-lanterne ; à cette date, Jehan Le Roy était le maître d’œuvre de la cathédrale. À la suite, les travaux se poursuivirent sous le règne de Louis XI qui fit bâtir la flèche de croisée, le bras sud du transept, la chapelle de la Mère de Dieu, la bibliothèque, le revestiaire, une partie du cloître et plusieurs arcs du chœur. Si Raoul du Fou veilla à la construction du bras nord du transept, les ultimes travaux furent menés sous l’épiscopat des évêques Le Veneur à qui la cathédrale doit l’essentiel de son achèvement au xvie siècle. Au début du xviie siècle, la tour nord fut reprise et achevée par Galopin. L’histoire monumentale de la cathédrale s’interrompit alors jusqu’aux vastes campagnes de restauration menées au xixe siècle ; calomnies et campagnes de pression eurent raison des arcs-boutants à deux volées de la nef, que Darcy reconstruisit en leur substituant des arcs simples. Les travaux et les modifications furent nombreuses mais furent anéantis par le bombardement du 11 juin 1940 : la charpente de la cathédrale, en flammes, détruisit les voûtes de la nef et se propagea de telle sorte qu’il ne fallut pas moins de trente ans de travaux pour rendre à la cathédrale son éclat.

 

         Au cœur de cette histoire monumentale mouvementée, la période de reconstruction rayonnante est relativement bien documentée par les cartulaires du chapitre et de l’évêché. L’auteur a convoqué une documentation étendue jusqu’aux chroniques, qui lui permet de reconstituer avec précision les différentes campagnes de travaux menés de la fin du xiie siècle au xive siècle.

 

         Démontrant que l’incendie de l’abbatiale Saint-Taurin en 1194 n’avait sans doute pas concerné la cathédrale, Y. Gallet conclut qu’à l’aube du xiiie siècle, la cathédrale était en bon état, ce que confirme la faible donation de cent sous, accordée au chapitre par Philippe Auguste entre 1200 et 1205, et qui ne put financer qu’une intervention très limitée. A contrario, les sources laissent entendre que d’importants travaux furent menés de 1233 à 1236 et, malgré le silence d’Eudes Rigaud que l’auteur refuse à juste raison d’interpréter comme la preuve que Notre-Dame d’Évreux n’était pas en travaux lors de ses visites canoniques, le contrat d’engagement de Gautier de Varinfroy, par le chapitre de Meaux en octobre 1253, fait la preuve que le maître était alors en charge de la fabrica Ebroicensi. Une analyse précise du contrat a permis à l’auteur de réévaluer les attentes des commanditaires – en l’espèce, les chanoines meldois – face à un architecte qui pouvait être appelé à se rendre à Évreux ou sur d’autres chantiers, et dont ils souhaitaient contenir les absences. Ceci dit, en l’absence de documentation ébroïcienne qui permette de déterminer la part de Gautier de Varinfroy dans le chantier de la cathédrale normande, l’auteur convoque d’autres sources grâce auxquelles il conclut que la reconstruction du chevet avait débuté avant 1264, que les chapelles du rond-point du chœur étaient achevées en 1288, que les voûtes du chœur furent lancées entre 1298 et 1310 et que les offices étaient célébrés dès 1299. Le chantier se poursuivit puisque de nouvelles verrières furent offertes entre 1335 et 1340 par l’évêque Geoffroy Faé tandis que les chapelles des bas-côtés de la nef étaient livrées avant 1340.

 

         Reprenant l’analyse fine des différentes parties de l’édifice mises en chantier à l’époque rayonnante, Y. Gallet souligne la proximité entre l’élévation des parties hautes de la nef ébroïcienne et le chevet de Saint-Père de Chartres, sans doute exécuté vers 1260-1270. D’ailleurs, ce sont les arcs-boutants chartrains qui fournissent le type le plus proche de ce que furent ceux d’Évreux avant qu’ils ne fussent remplacés au xixe siècle : structurés comme ceux de la cathédrale d’Amiens, ils devaient leur légèreté aux recherches menées sur le chantier du chevet de l’abbatiale Saint-Denis. Quant au triforium de la nef ébroïcienne, c’est à Châlons-en-Champagne que l’auteur en trouve de semblables, dérivés d’un prototype strasbourgeois. Après avoir démontré comment cet élément architectonique avait été traité d’une manière assez proche tant en Angleterre qu’en Auvergne, l’auteur montre combien le prototype véritable est à situer dans le lavabo de la Sainte-Chapelle parisienne d’où fut extrait le dessin des fenêtres hautes, plus tard employées à Chartres. La technique de mise en œuvre de la galerie et des claires-voies du triforium de la nef, par modules préalablement taillés selon un gabarit standardisé, est identique à celle de Saint-Gatien de Tours. Toutefois, un examen attentif des moulurations permet de distinguer deux périodes et deux maîtres actifs sur le chantier des parties hautes de la nef, commencées par les travées situées à l’est, vers 1240 et rapidement achevées puisque Philippe de Cahors (1270-1281) y put faire installer un vitrail armorié.

 

         À l’époque de la mort de l’évêque Jean de la Cour d’Aubergenville († 1256), était commencé le chantier du chevet proprement dit, développé autour d’un chœur de quatre travées droites achevé par un hémicycle à sept pans, et ceint d’un déambulatoire qui dessert des chapelles séparées par un mur de refend. L’élévation très élancée est ponctuée par un triforium dont les dispositions originelles ne sont guère conservées que dans la première travée méridionale du chœur, les travaux entrepris sous Louis XI ayant modifié le dessin de la galerie. Une première campagne de travaux concerna les chapelles du rond-point du chœur ainsi que les piles de tête de la chapelle d’axe ; une seconde campagne consista à construire les murs de refend ornés de remplages aveugles. En 1264, la chapelle était achevée. Au cours d’une troisième campagne furent maçonnées les piles du rond-point du chœur, ce qui permit aux bâtisseurs de voûter le déambulatoire. Une quatrième campagne fut nécessaire pour élever les piles des quatre travées droites du chœur avant qu’une nouvelle tranche de travaux ne permît de construire les chapelles droites du chevet, sans doute près d’être achevées vers 1275. Les chapelles nord et sud de la quatrième travée furent élevées lors d’une sixième étape du chantier avant qu’on n’élevât les trois premières chapelles septentrionales et la troisième chapelle au sud. Ainsi, en 1288, chapelles et déambulatoire étaient terminés.

 

         Restaient à construire les parties hautes du chevet : ce fut l’objet d’une huitième campagne menée à la fin des années 1280. Les armes épiscopales de Geoffroy de Bar et de Matthieu des Essarts, peintes aux voûtes de la quatrième travée du chœur, permettent de les dater au plus tard de 1310, même si le chœur était livré au culte dès les années 1300-1301.

 

         Reprenant alors les datations proposées par Françoise Gatouillat qui s’était fondée sur une interprétation fallacieuse des sources, Y. Gallet démontre qu’elles doivent être révisées et qu’il faut privilégier l’hypothèse d’une première vitrerie réalisée dès la fin des travaux de maçonnerie et peu à peu remplacée au cours de la première moitié du xive siècle, notamment sous l’épiscopat de Geoffroy Faé, cela pour répondre au bouleversement politique que connut alors Évreux élevé en apanage royal puis en pairie avant que les comtes d’Évreux ne ceignissent la couronne de Navarre.

 

         Le chœur achevé, le chantier se transporta dans la nef où furent construites dix chapelles entre les culées des arcs-boutants. Achevées avant 1340, elles sont séparées par des refends laissés nus et leurs baies reçurent les verrières qui avaient constitué la première vitrerie du chevet.

 

         Une fois établie la chronologie des travaux rayonnants de la cathédrale d’Évreux, Y. Gallet reprend le dossier de ce qu’il convient d’attribuer à Gautier de Varinfroy. Il l’identifie avec le second maître d’œuvre actif au chantier des parties hautes de la nef où il sut parfaitement poursuivre le parti qu’un autre avait arrêté avant lui. Comme P. Kurmann, l’auteur voit dans Gautier de Varinfroy un technicien réputé pour ses compétences techniques, capable de sauvegarder de grands édifices tout en y introduisant avec subtilité le vocabulaire rayonnant. Par conséquent, sans doute fut-il celui qui définit le plan et les élévations du chevet rayonnant. Puisqu’il était encore en vie en 1266, il est raisonnable d’imaginer qu’il vit construites la chapelle axiale et les chapelles rayonnantes. Toutefois, Y. Gallet est plus dubitatif quant à l’attribution des piles du rond-point du chœur qu’il donne à un architecte anonyme, nommé par convention le Maître de l’abside.

 

         Restait encore à examiner la place de la cathédrale d’Évreux dans le gothique rayonnant normand. D’emblée, Y. Gallet insiste sur le caractère novateur du chantier ébroïcien au sein de l’ancien duché, en cela qu’il emploie le style rayonnant né sur les grands chantiers de l’Ile-de-France vers 1230, alors que la Normandie cultivait toujours son style propre, le gothique normand. « Brutale mutation », le chevet d’Évreux devait ouvrir la voie aux travaux menés à la cathédrale de Sées, au transept de Bayeux, aux façades du transept de la cathédrale de Rouen et au chevet de l’abbatiale rouennaise de Saint-Ouen. Pourtant, ce n’est pas tant en Normandie qu’il faut chercher l’influence des travaux ébroïciens mais en Ile-de-France, en Beauce et en Touraine. Au-delà du chevet de Notre-Dame de Mantes qui doit assurément sa conception au chantier d’Évreux, le chevet de la cathédrale de Tours présente de fortes analogies constructives avec Évreux, grâce à l’emploi de modules standardisés servant à monter le triforium ; le fait que l’évêque d’Évreux, Jean de la Cour d’Aubergenville avait été doyen du chapitre de Saint-Martin de Tours, n’est certainement pas étranger à ces similitudes. En outre, les travaux ébroïciens sont à rapprocher du chevet de Saint-Père de Chartres, attribué au même architecte anonyme que celui qui commença les élévations hautes de la nef d’Évreux. En fait, dans les rapports étroits qui lient ces trois chantiers, Y. Gallet voit l’origine de la « cohérence verticale » dont M. Schlicht avait repéré le principe au croisillon méridional de Notre-Dame de Paris, construit par Pierre de Montreuil. Ainsi, la nef d’Évreux apparaît comme le prototype de l’un des caractères les plus essentiels de l’architecture religieuse de la fin du Moyen Âge.

 

         Quant au chevet de la cathédrale, il est singularisé par la présence d’une importante chapelle axiale, certes d’inspiration picarde, mais redessinée avec une ampleur alors peu commune à l’échelle de l’Europe (les comparaisons possibles, Altenberg et Naples, sont bien éloignées d’Évreux). De même, le plan du chevet, s’il rappelle Saint-Étienne de Caen ou l’abbatiale de Mortemer, doit, une fois encore, être rapproché de celui de la cathédrale tourangelle ; il essaima ensuite aux cathédrales de Clermont-Ferrand, Limoges, Narbonne, Toulouse et Rodez, et aux abbatiales de Marmoutier et du Bec-Hellouin. Le principe d’une élévation à trois niveaux est à rapprocher des principes de l’architecture beauvaisine, région avec laquelle les évêques d’Évreux cultivèrent des liens et d’où était originaire Gautier de Varinfroy. C’est auprès de lui que l’architecte des grandes cathédrales méridionales, Jean Deschamps, puisa nombre des principes qu’il mit en œuvre dans ses propres chantiers.

 

         Ainsi replacée au cœur des plus prestigieux chantiers des xiiie et xive siècles, la cathédrale d’Évreux apparaît désormais comme l’un des monuments gothiques rayonnants les plus aboutis, à l’instar de Saint-Urbain de Troyes. Cette réévaluation de la place incontournable du chantier ébroïcien est à mettre au crédit de l’érudition fine d’Y. Gallet qui a également publié en annexe le dossier de pièces justificatives rassemblées par lui depuis la bulle d’Innocent II (1143) jusqu’au mémoire présenté par l’architecte Georges Darcy lors des restaurations qu’il diligenta au début de la IIIe République.

 

         Au sortir de cette monographie écrite avec une science consommée de l’architecture médiévale et un art entendu de l’écrire, on ne peut qu’espérer que d’autres grands chantiers normands – pensons à la cathédrale de Sées – et de plus modestes réalisations (les églises du Roumois, par exemple) soient l’objet d’études renouvelées qui réévalueront la place du gothique rayonnant dans l’architecture religieuse normande.

 


[1] Il faut signaler la monographie très synthétique d’Anne Gosse-Kishinewski et de Françoise Gatouillat, La catéhdrale d’Evreux, Evreux, Hérissey, 1997.

 


N.B. : M. Trotin prépare actuellement une thèse de doctorat sous la direction de Mme Sabine Frommel (EPHE) ayant pour sujet "La sculpture religieuse de la Renaissance en Normandie orientale."