Kassab Tezgör, Dominique: Tanagréennes d’Alexandrie. Figurines hellénistiques des nécropoles orientales. Musée gréco-romain d’Alexandrie, Etudes Alexandrines 13, 508 p., 2 plans et 87 planches, 20 x 27,5 cm, ISBN 978-2-7247-0462-4, 55 euros
(Institut français d’archéologie orientale du Caire [IFAO] 2007)
 
Compte rendu par Stéphanie Huysecom-Haxhi, CNRS
 
Nombre de mots : 2561 mots
Publié en ligne le 2008-08-19
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=250
 
 

Fouillées dans la première moitié du xxe siècle, les nécropoles orientales d’Alexandrie (Chatby, Ibrahimieh, Hadra et Ezbet-el-Makhlouf) ont fait connaître un grand nombre de figurines en terre cuite grecques ou d’inspiration grecque, essentiellement des dames debout drapées appelées Tanagréennes, qui constituent aujourd’hui une source d’information non négligeable aussi bien sur les goûts et les pratiques funéraires de la clientèle grecque que sur le fonctionnement de l’artisanat coroplathique, particulièrement florissant durant la période hellénistique à Alexandrie. Ce sont les résultats des recherches effectuées sur ce matériel par Dominique Kassab Tezgör dans le cadre de sa thèse d’état, soutenue en 1993, qui sont présentés dans ce très beau volume des Études Alexandrines. L’objectif de l’auteur, clairement énoncé dès les premières lignes de l’introduction, est de proposer une synthèse sur la coroplathie grecque d’Alexandrie, à travers l’étude de quelque 272 statuettes, dans la plupart des cas inédites, ce qui explique la place centrale du catalogue dans le découpage de l’ouvrage (partie II, p. 39-203), après l’introduction de rigueur sur le matériel et le fonctionnement du catalogue (p. 1-10) et une première partie sur les contextes de fouille (partie I : p. 13-35), mais avant l’étude d’ensemble sur les divers aspects de l’artisanat coroplathique alexandrin (partie III : p. 207-365). Ce texte s’accompagne de plusieurs annexes : un glossaire (p. 367-375) donnant la définition des termes techniques employés par l’auteur, une bibliographie (p. 377-381) et des index (p. 383-397). L’illustration, placée à la fin de l’ouvrage, comprend 6 planches en couleur, 81 planches en noir et blanc, et 2 plans des nécropoles, l’ensemble des photographies présentées étant le plus souvent de très bonne qualité.

 

Le premier chapitre est l’occasion pour l’auteur de faire rapidement le point sur la question de l’origine et sur la datation des tanagréennes. D’après les recherches récentes (V. Jeammet, Tanagra, Mythes et Archéologie [2003], p. 124-125), ces dames drapées auraient été créées à Athènes vers 340-330, très certainement dans des ateliers qui produisaient, dans la première moitié du IVe siècle, des vases-figurines sur lesquels étaient appliqués des décors moulés. Puis ces décors, dont « les danseuses au manteau », ont très rapidement été fabriqués et diffusés sous la forme de figurines indépendantes. En ce qui concerne les nécropoles d’Alexandrie, peu d’informations exploitables nous sont parvenues. Mais en se fondant sur les livres d’inventaire, les rapports de fouilles et les publications anciennes de E. Breccia (Necropoli di Sciatbi [1912] ; Terracotte figurate greche e greco-egizie del Museo di Alessandria [1934]), l’auteur est parvenue à reconstituer le mobilier funéraire de 80 tombes, dont 44 renfermaient une ou plusieurs terres cuites : 109 figurines ont ainsi pu être replacées dans leur contexte d’origine. La période d’occupation de chaque nécropole a été déterminée à partir de la datation du matériel céramique déposé dans les tombes (331-200 avant J.-C. pour Chatby, 275-225 pour Ibrahimieh, 275-200 pour Hadra et 250-100 pour Ezbet el-Makhlouf), fournissant par là même une fourchette chronologique pour la production des figurines.

 

Le chapitre II est intéressant parce qu’il rend compte de la place des figurines au sein du mobilier funéraire. En effet, l’auteur donne la liste exhaustive de toutes les catégories de matériel recueillies dans les sépultures contenant des figurines. Ces sépultures, appelées ensembles, sont présentées par nécropole : tout d’abord Chatby (nos 1 à 19), puis Ibrahimieh (nos 20 et 21), Hadra (nos 22 à 40), et enfin Ezbet el-Makhlouf (nos 41 à 44). Tous les objets y sont désignés par leur numéro d’inventaire, avec ajout pour les terres cuites du numéro de catalogue. Ce dernier est structuré d’après l’organisation de ce chapitre : le catalogue comprend ainsi 4 sections (chapitres III à VI), chacune réunissant les figurines d’une même nécropole, elles-mêmes classées en deux sections. La première comprend toutes les figurines au contexte connu, présentées par ensevelissement, ainsi que toutes celles hors contexte, mais relevant des mêmes types que les figurines au contexte connu. La deuxième section regroupe, par classe iconographique, les autres figurines dont on ne connaît pas le contexte. L’intérêt de ce classement, comme le souligne l’auteur, est d’avoir permis de réunir les figurines d’une même série, puisque certaines tombes pouvaient renfermer plusieurs exemplaires d’un même type. Mais en fait ces regroupements n’ont pu être possibles qu’à l’intérieur d’une même nécropole. Or il arrive que des séries soient attestées dans plusieurs nécropoles. Par conséquent, avec ce type de classification, les figurines d’un même type mais provenant de différentes nécropoles se retrouvent dispersées dans le catalogue, ce qui ne facilite pas la lecture des commentaires, encore moins les comparaisons entre objets. Pour chaque exemplaire catalogué, le lecteur dispose de la traditionnelle fiche d’identité qui donne le numéro d’inventaire, la date de découverte, l’état de conservation, les dimensions conservées, la qualité et la couleur de la terre utilisée, les caractéristiques techniques (fabrication, facture, engobe, polychromie). Suivent, selon les cas, les références bibliographiques pour les figurines déjà publiées ou citées dans des publications, une brève description du type, et les commentaires annoncés par des signes (carré, losange, cercle) qui en précisent la nature, technique, stylistique ou iconographique. Un autre système de signes est employé pour désigner la place des figurines à l’intérieur des séries :  + pour indiquer que deux figurines qui se suivent dans le catalogue appartiennent à la même série ; + 1 pour signaler un surmoulage, et // quand deux figurines sont tirées d’un même jeu de moules. Tous ces signes auxquels s’ajoutent de nombreux renvois, évidemment nécessaires puisque les statuettes ne sont présentées ni par série ni par thème iconographique, rendent la consultation du catalogue parfois difficile.

 

La troisième et dernière partie réunit en 6 chapitres (VII à XII) les diverses informations que l’auteur peut tirer de l’étude des tanagréennes pour caractériser la production coroplathique des ateliers d’Alexandrie à l’époque hellénistique.

Le chapitre VII est consacré aux thèmes reproduits dans le répertoire alexandrin, ainsi qu’à leur origine et leur interprétation. Le monde profane domine très largement, avec surtout de nombreuses dames drapées, quelques enfants, des musiciens et deux pleureuses. Quant à leur interprétation, l’auteur ne fournit aucun élément nouveau, leur attribuant une signification funéraire, et n’abordant la question de l’identification des personnages représentés que dans le cas des garçonnets à la causia, pour lesquels elle rappelle les principales hypothèses déjà avancées, sans prendre de position. Quant aux divinités, elles sont peu représentées : on compte une Artémis, un Héraclès, un Éros, deux Hermaphrodites et  une Nikè.

Dans le chapitre VIII, sont clairement expliqués tous les procédés mis en œuvre dans la fabrication des figurines : le modelage, le moulage au moyen d’un moule bivalve ou univalve, avec utilisation ou non d’abattis (ici appelés composants), le démoulage, les évents, la finition, la cuisson et l’application de la polychromie. Parmi les principales caractéristiques des figurines produites à Alexandrie, on relève l’emploi fréquent du moule simple pour la réalisation de l’avers contre lequel était collée une plaque modelée, la présence à l’intérieur de la tête d’une balle de pâte, l’utilisation habituelle d’un tenon d’insertion qui prolonge les têtes fabriquées séparément et s’insère dans la masse du corps, la forme irrégulière des trous d’évent, en général circulaires et souvent entourés d’un bourrelet de pâte. Notons enfin que les moules en plâtre ont été très tôt adoptés à Alexandrie, dès la fin du IIIe siècle, pour la fabrication des figurines dites post-tanagréennes. Mais leur usage n’a jamais été fréquent. Ce chapitre se termine sur les caractéristiques de facture qui permettent parfois de comprendre les gestes de l’artisan et reconnaître ses outils de travail. 

Dans le chapitre IX sont adordées les questions stylistisques, limitées d’ailleurs aux thèmes les plus abondamment représentés dans le répertoire, les dames drapées et les garçonnets. En fait l’auteur intègre également des éléments techniques, et aussi d’ordre chronologique, qui, ajoutés aux détails stylistiques, lui ont permis de classer les figurines en trois catégories. Les pré-tanagréennes sont certainement les plus anciennes figurines fabriquées à Alexandrie, à partir de moules ou de statuettes importés. Elles conservent des caractéristiques anciennes (revers modelé découpé d’une large fenêtre, base haute), tout en intégrant des éléments annonciateurs des futures tanagréennes (himation entourant le buste et retombant sur le bras gauche). Les tanagréennes constituent pratiquement la seule production alexandrine des trois premiers quarts du IIIe siècle. Elles se distinguent par des drapés sophistiqués, des visages de type praxitélien, et des coiffures originales. Le groupe des post-tanagréennes montre des différences notables. D’un point de vue technique, les figurines sortent désormais tout entières d’un moule bivalve, parfois en plâtre, au revers convexe et peu détaillé. Leur taille ne varie que de 12 à 15,5 cm. La lourdeur des corps, la plénitude des visages qui ne ressemblent plus du tout à ceux des tanagrénnes, et la simplication des drapés tendent à montrer que les types dérivent désormais de prototypes créés dans les ateliers locaux, réinterprétant librement les modèles grecs.

 

J’avoue avoir rencontré quelques difficultés pour suivre les explications données dans le chapitre X sur le processus de création et de production des séries. Il me semble donc utile ici de résumer rapidement la situation et de revenir sur certains points de détail. Tout commence par un modèle d’inspiration, habituellement appelé archétype, lequel est la première représentation d’un type iconographique. Les diverses interprétations de ce type sont appelées des versions, chacune reproduisant l’image d’un prototype initial retransmise par les figurines qui en dérivent. L’ensemble des versions, donc en fait l’ensemble des prototypes initiaux qui s’inspirent d’un même archétype, constitue ce que l’auteur nomme le groupe iconographique. À partir de là, la situation se complique, tout simplement parce que l’auteur introduit les notions inhabituelles de moule-mère (MM), de moule de Travail (MT), et de prototype intermédiaire. Le MM serait le premier moule d’une série, le seul à avoir été pris directement sur le prototype et destiné à être conservé dans les archives de l’atelier. De ce MM, étaient ensuite tirées des figurines, appelées prototypes intermédiaires, que l’on pouvait retoucher ou non, avant la prise de nouvelles empreintes, appelées des MT. Cette reconstitution repose tout d’abord sur l’hypothèse selon laquelle le prototype était utilisé cru, et non cuit, si bien qu’en raison de sa fragilité, il ne pouvait servir que pour une seule prise d’empreinte. Si le coroplathe souhaitait introduire des modifications dans l’image du type dès la première génération, il ne pouvait le faire qu’au coup par coup sur chacune des statuettes. Or l’auteur a relevé que des statuettes de première génération d’une même série présentaient des différences iconographiques qui relevaient du moule et non de transformations ponctuelles. Elle en a donc déduit que la production des terres cuites alexandrines devait fonctionner de la même manière que celle des santons de Provence aujourd’hui, pour lesquels on utilise un moule-mère, des prototypes intermédiaires et des moules de travail. Des modifications pouvaient être introduites à partir de prototypes intermédiaires, tirés du moule-mère et sur lesquels étaient pris ensuite les moules de travail destinés à la production de masse. L’un des problèmes de ce système est que l’auteur ne prend pas en considération, dans le comptage des générations, celle attestée par le MM et les prototypes intermédiaires (première génération correspondant à une phase occultée), et fait donc commencer toutes ses séries à partir de la deuxième génération de moulages. Que des figurines au mieux de deuxième génération montrent des différences iconographiques peut tout à fait s’expliquer, même sans la restitution de moules de travail et même s’il n’existe au départ qu’un seul moule de première génération pris sur un prototype cru. En effet, de ce premier moule, on pouvait extraire plusieurs figurines de première génération dont certaines pouvaient servir de prototypes secondaires pour fabriquer de nouvelles versions, tandis que d’autres, reproduisant l’image du prototype, pouvaient très bien déjà être mises en circulation. Sur les prototypes secondaires pouvaient ensuite être pris de nouveaux jeux de moules (de deuxième génération) dont certains pouvaient être retouchés avant cuisson. Les statuettes issues respectivement de ces moules, donc des moulages de deuxième génération, présentaient entre elles des différences puisqu’elles dérivaient de prototypes secondaires ou de moules (ou les deux d’ailleurs) retouchés. La production de masse pouvait donc débuter dès la fabrication d’un moule de première génération, et non pas comme le suggère l’auteur à partir des moules de travail. Et pour finir, rien de toute façon n’indique que les prototypes initiaux étaient utilisés crus, comme le suggère d’ailleurs l’auteur, p. 258 ; et même s’ils n’étaient pas cuits, le simple séchage devait leur garantir une solidité suffisante pour la prise de plusieurs moules.

 

Le chapitre XI est consacré à l’étude d’une quarantaine de séries, inégalement réparties en 10 groupes iconographiques. Chacun d’entre eux comprend des séries d’origine grecque, essentiellement béotiennes, mais aussi attiques, que l’auteur a reconstituées à partir des figurines qui lui étaient matériellement accessibles : celles des musées d’Athènes (Agora, Acropole, Musée National) et celles du Musée du Louvre. L’auteur fournit également une liste de tous les exemplaires de ces séries qu’elle a pu reconnaître dans diverses publications. Les séries pouvant être des imitations ou des copies locales sont toujours présentées à la suite de ces séries étrangères. C’est à partir du numéro de catalogue de la première figurine cataloguée pour la première série alexandrine étudiée que les groupes iconographiques ont été nommés : I/66 désigne le premier groupe, VII/91, le septième, etc… La généalogie des figurines étudiées est indiquée sous forme d’un code, selon moi un peu compliqué. Par exemple, pour la statuette 78, on dispose du code PR D. Gén n + 2. SMT D. n 1.1.1 indiquant que la statuette en question dérive du prototype D et appartient à la deuxième génération de surmoulages (Gén n + 2 : soit la quatrième génération en réalité). Elle a été tirée du surmoule de travail de deuxième génération portant le numéro 1 dans cette génération et dérivant du surmoule de travail de première génération (Gén n + 1) portant aussi le n° 1, d’où la notation SMT D. n 1.1.1. L’étude de chaque série est complétée par des tableaux qui permettent de comparer les dimensions des exemplaires, et de plusieurs schémas de filiation. En ce qui concerne la distinction entre les prototypes à l’intérieur d’un groupe iconographique, j’émettrais, dans certains cas, quelques réserves, ne voyant qu’un seul prototype là où l’auteur en distingue plusieurs. Ainsi pour le groupe III/59 dont les prototypes A, B et C ne font qu’un à mon avis : les différences, qui se situent uniquement au niveau du plissé de l’himation enveloppant le haut du corps, alors que le drapé sur les jambes est strictement le même, peuvent en effet avoir été introduites par le biais de prototypes secondaires, sur lesquels les plis majeurs ont pu être accentués, des plis secondaires lissés, sans compter l’altération de la qualité, et donc des surfaces, due à la pratique du surmoulage. Le prototype D en revanche est bien un exemple d’imitation locale d’un type étranger.

Le dernier chapitre fait brièvement le point sur les ateliers connus en Egypte, sur le statut des artisans, qui sont très certainement des Grecs, puisque la clientèle, les nécropoles, le répertoire et les techniques sont grecs, et enfin sur la destination des figurines, achetées sans doute aux abords des nécropoles, parfois sous forme de lots, pour être déposées auprès du défunt au moment de l’ensevelissement.

 

Les quelques remarques émises sur la reconstitution des séries et l’organisation du catalogue, ne sauraient guère diminuer l’importance des recherches effectuées et la qualité de l’ouvrage qui peut être considéré comme une référence aujourd’hui incontournable sur la coroplathie hellénistique d’une manière générale, mais aussi et surtout sur la coroplathie d’Alexandrie.