Frommel, Sabine : Giuliano da Sangallo. 408 p., ISBN: 9788879706261, 77 €
(Edifir, Firenze 2015)
 
Compte rendu par Olga Medvedkova, CNRS
 
Nombre de mots : 1023 mots
Publié en ligne le 2016-06-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2509
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          Le livre de Sabine Frommel Guliano da Sangallo est publié aux éditions Ente Casa di Risparmio de Florence. C’est un magnifique volume de 404 pages, illustré de 225 reproductions de dessins, plans et photographies en noir et blanc, avec une attention tout à fait particulière au détail, ainsi que de quarante-trois planches en couleur. Il se compose d’une préface, d’une introduction et de neuf chapitres, accompagnés d’une bibliographie exhaustive et d’un index des noms propres.

 

          Mort il y a cinq cents ans, Guliano da Sangallo fut l’un des principaux architectes de la fin du Quattrocento et du début du Cinquecento, l’un des artisans majeurs de la création de l’architecture florentine à la cour de Laurent le Magnifique, puis de son transfert à Rome, sous le pape Léon X, fils de ce dernier. Et pourtant, comme Sabine Frommel le souligne, la dernière monographie, celle de Giuseppe Marchini, consacrée à cet artiste, date de 1942. Et, ajoutons-nous, en France, le livre de Georgij Loukomski, Les Sangallo, leur vie, leur œuvre, date de 1934 ! Ce ne sont pas tant les études partielles qui manquent, que ce que l’auteure appelle une nouvelle réflexion organique, au fait des dernières recherches et découvertes. Il s’agit essentiellement de l’architecture religieuse et privée du maître ; celle, militaire, obéissant, selon l’auteure, à une autre logique, exigerait d’ajouter à celui de Giuliano, le parcours de son frère Antonio. L’approche par Giuliano de la théorie architecturale est, dans ce livre, également mise en sourdine, car le plus important a été, pour Sabine Frommel, de développer la compréhension de Sangallo artiste, architecte et bâtisseur praticien, compréhension fondée sur une exceptionnelle connaissance des sources archivistiques. Chaque chapitre de l’ouvrage se termine, en effet, par une liste exhaustive des sources, pas forcément inédites, mais toujours vérifiées et purgées de nombreuses erreurs. Puisqu’une exposition de dessins de Giuliano doit s’ouvrir cette année aux Offices de Florence, et puisque l’étude de ces dessins est loin d’être finie, l’ouvrage y accorde moins de place, en n’invoquant que ceux qui sont en rapport avec les projets de l’architecte, ainsi qu’avec ses études de l’antique.

 

          Giuliano da Sangallo, héritier en ligne droite de Brunelleschi, Alberti et Michelozzo, fait partie d’une pléiade d’architectes, tels Giuliano da Maiano, Francesco di Giorgio, Bramante ou encore Baccio Pontinelli, qui ont déterminé les voies empruntées par l’architecture italienne au passage du XVe au XVIe siècle. La place occupée par Giuliano, dans ce concert de génies, est liée au fait qu’il devient l’architecte par excellence de Laurent le Magnifique et formule, tout en étudiant les écrits d’Alberti, la version architecturale de la pensée néoplatonicienne. Il fait cela en produisant, comme le souligne Sabine Frommel, une synthèse hautement personnelle du langage issu de ses études de la Rome antique et de l’idiome local, florentin, qui s’incarne dans les chefs-d’œuvre tels que l’église Santa Maria delle Carceri et la villa médicéenne de Poggio a Caiano à Prato. Après la mort de Laurent en 1492, à côté de Bramante, Giuliano arrive à produire sa propre version  du langage classique, plus matérielle et ornée, qui plaît à Léon X et aux autres Florentins de Rome.

 

          L’étude du parcours et de l’œuvre de l’artiste pose, selon Sabine Frommel, plusieurs problèmes méthodologiques. Premièrement, il s’agit de confronter le récit vasarien, hérité de Francesco, fils de Giuliano, lacunaire et erroné, avec  les documents d’archives. À cela s’ajoute la destruction totale ou partielle, ou encore l’altération, d’un nombre important des œuvres du maître, de même que sa collaboration avec d’autres architectes qui parfois efface les contours de sa personnalité artistique et empêche une lecture claire de son œuvre.

 

          L’une des stratégies face à ces problèmes méthodologiques se trouve dans la prise en compte du fait que Giuliano fut un praticien, parfaitement rompu aux méthodes constructives et juridiques du chantier. Ayant débuté comme charpentier, à l’atelier de Francione, il fut ensuite un architecte qui précisait ses idées sur de nombreux modèles, ainsi que dans les constructions éphémères ; mais même pensée ainsi, la question de sa personnalité reste parfois ouverte, car les historiens ont souvent du mal à préciser les rôles des ouvriers ou des commanditaires dans les solutions finales. Certes, selon Sabine Frommel, grâce aux études récentes, nous connaissons mieux le fonctionnement des ateliers renaissants : celui des Sangallo avait selon toute vraisemblance un rapport plutôt versatile avec la main d’œuvre, y compris les maçons. L’exceptionnelle précision des dessins de Giuliano d’après l’antique permet de supposer son intervention personnelle au niveau de chaque détail décoratif. La quête continuelle de l’antique est une autre constante qui permet de tracer le portrait de Giuliano, même si cette dernière ne se reflète pas toujours, selon l’auteure, directement dans son œuvre : c’est davantage une toile de fond, comme ses propres collections antiques, réunies dans sa maison du Borgo Pinti à Florence, qui incarne l’ascension de l’artisan au grade de l’humaniste.

 

          À l’introduction qui résume le parcours de l’artiste à travers ses périodes florentine et romaine, succèdent les neuf chapitres suivants:

1. La « mystérieuse » formation de Giuliano da Sangallo.

2. Les débuts tus par Vasari : Palazzo Scala e Palazzo Cocchi.

3. « Comment sa renommée s’est autant accrue… »

4. La contribution de Giuliano da Sangallo au renouveau de l’architecture sacrée.

5. Les demeures urbaines de Filippo Strozzi et de Giuliano Gondi.

6. La ville idéale dans les tableaux de Berlin, d’Urbino et de Baltimore : le miroir de l’évolution stylistique de Giuliano da Sangallo.

7. Le défi, les nouvelles dimensions et la recherche du dialogue.

8. Le pontificat de Jules II : « crois-tu qu’on n’en trouve pas des Giuliano da Sangallo ? »

9. Giuliano da Sangallo sous le pontificat de Léon X : entre Rome et Florence.

 

          L’une des particularités de ce nouveau livre de Sabine Frommel est l’attention que cette dernière porte, une fois de plus, à la fois au contexte historico-culturel et à la réalité matérielle des œuvres, notamment à l’analyse des détails qui se reflète dans la façon dont le livre est illustré (voir par exemple le détail du chapiteau au palais Della Rovere, p. 194, dû au photographe Saverio De Meo). Les listes précises des sources en font un outil précieux. Il va sans dire qu’il serait plus que souhaitable que ce livre soit publié rapidement en traduction française.