Le Roux, Patrick: Espagnes romaines. L’empire dans ses provinces. Format : 16,5 x 24,5 cm. Nombre de pages : 714 p. ISBN : 978-2-7535-3434-6. Prix : 28 €
(Presses universitaires de Rennes, Rennes 2014)
 
Recensione di Benoît Rossignol, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
 
Numero di parole: 1491 parole
Pubblicato on line il 2015-08-27
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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          Après La toge et les armes (voir compte rendu sur ce site : http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=1613), Espagnes romaines. L'empire dans ses provinces est le second volume de scripta varia de Patrick Le Roux. Réalisé par la même équipe d'élèves et d'amis, dont le regretté Bertrand Goffaux, ce deuxième volume, à peine plus mince, présente la même qualité et le même intérêt que le premier : textes recomposés, présence de post-scriptum après chaque article, bibliographie générale et index. Comme l'indique le titre, le cadre du propos est au premier abord plus resserré et consacré à l'espace provincial de prédilection de Patrick Le Roux ; l'ouvrage, qui compte deux études en castillan, sera donc un passage obligé pour qui s'intéresse à la péninsule ibérique à l'époque romaine. Toutefois, comme le sous-titre l'indique, les perspectives générales ne sont jamais perdues de vue. De fait, les enseignements des études ici rassemblées parleront immédiatement aux spécialistes des autres régions de l'empire comme à qui voudrait l'aborder de manière globale, non seulement parce qu'à l'occasion la zone géographique concernée est étendue au-delà de la péninsule ibérique (IV), mais aussi car plusieurs études ont une portée générale (ainsi les articles consacrés au droit latin, XXIV-XXV) ; enfin surtout par l'abondance des réflexions sur les cadres romains, en particulier juridiques, et la pertinence des enseignements méthodologiques. Comme pour le premier volume, la qualité des articles sélectionnés, la cohésion de leur ensemble et le travail éditorial de mise en valeur font de l'ouvrage un véritable outil de travail. Cet aspect est renforcé par la présence de traductions de textes épigraphiques juridiques importants dans le chapitre XXXV, auquel il faut ajouter l'annexe III du chapitre VIII : il s'agit des traductions de la lex Irnitana, du sénatus-consulte de Cnaeo Pisone patre, des nouveaux fragments de la lex coloniae Genetiuae Iuliae et de la lex riui Hiberiensis. Initialement publiées dans les livraisons annuelles de l'Année Épigraphique, ces traductions rappellent le travail considérable, mais pour l'essentiel impossible à rassembler dans un tel volume, mené par Patrick Le Roux au sein de cette revue. Surtout elles permettront, rassemblées ainsi, un premier accès facilité à ces textes incontournables, mais souvent difficiles, et dont l'intérêt dépasse complètement le cadre régional.

 

         La nature de l'ouvrage - rassembler des contributions scientifiques publiées antérieurement et ailleurs - est l'occasion de rencontres entre des articles écrits à des époques différentes, permettant d'apprécier l'évolution de la documentation mais aussi du regard historiographique. C'est le cas pour la ville, où les chapitres IX et X se répondent à plus de dix ans d'intervalle. C'est le cas surtout pour les deux articles consacrés aux sénateurs originaires de Citérieure (XX-XXI), séparés par presque un quart de siècle. Les obscurités de la documentation ont rarement été dissipées entre-temps, mais le second article insiste sur les questions de méthode, la nécessité du doute, avant d'interroger la pertinence du cadre provincial, retrouvant des réflexions qui parcourent tout le recueil et concluant justement sur « l'étroitesse du monde sénatorial à l'aune de la dispersion de ses recrutements » (p. 400). Ainsi, comme en lisant les post-scriptum, le lecteur est invité à réfléchir aux évolutions et tendances de la discipline, à les mettre à distance sinon toujours en cause, à suivre aussi le cheminement personnel de l'auteur, souvent fertile en déplacements de regards.  

 

         Cinq parties organisent le rassemblement de ces études. « Constructions provinciales » interroge la définition de l'Hispania, son invention progressive par la géographie, par l'investissement romain, sa réalisation possible à travers la mise en place de cadres administratifs divers. À cet égard c'est à juste titre que l'avant-propos insiste sur l'intérêt des chapitres consacrés à la question des conventus et au pagus (VI et VIII). La question de la gestion des territoires et leur appréhension par Rome revient tout au long de ces huit premières contributions. La seconde partie, « Pouvoirs urbains », interroge le fait urbain et ses liens avec les institutions civiques et sociales. Deux études de synthèse, dont l'une construite autour d'une enquête historiographique, précèdent des études plus spécifiques. La confrontation de l'histoire à l'archéologie est particulièrement présente dans cette partie. À cet égard on attirera l'attention sur l'étude XI interrogeant ce que l'on peut savoir sur les centres monumentaux à partir de l'exemple de Baelo Claudia et d'une réflexion sur les statues et leur emplacement. L'étude suivante, conduite à partir d'une riche inscription de Singili Barba qui concerne précisément l'érection d'une statue, permet de saisir en action l'évergétisme et la culture municipale en les replaçant dans leur évolution historique. C'est sans surprise, connaissant les travaux de Patrick Le Roux, que l'on retrouve l'armée romaine dans une quatrième partie nommée « Des soldats et des provinciaux ». Les problèmes abordés sont nombreux, dont l'insertion des soldats dans les cadres locaux, que ce soit celui d'une statio ou de Tarragone, mais aussi leur lien à l'histoire politique, comme pour le miles otonianus. La dernière étude de la partie est consacrée à Mars dans la péninsule ibérique, toutefois les soldats ne sont pas dominants dans le tableau qui ressort. La quatrième partie conduit le lecteur vers des études d'histoire sociale, institutionnelle et religieuse. Les cas examinés sont divers et le lecteur est invité à passer des élites locales du Nord-Ouest hispanique difficiles à saisir à travers une documentation archéologique et épigraphique modeste (chap. XIX) aux deux études consacrées aux sénateurs que nous avons déjà évoquées. L'étude suivante, cherchant à éclairer le destin des élites au IIIe et IVe siècle, retrouve les réflexions sur les élites, sur les méthodes pour les connaître, dont la prosopographie, et questionne la signification de l'intégration des élites provinciales dans l'élite impériale. Les trois chapitres suivants (XXIII-XXV) concernent le droit latin, choix restreint, l'auteur considérant que le thème avait été « exagérément grossi » (p. 10). Là aussi, le lecteur peut saisir des évolutions, surtout il se voit constamment confronté aux difficultés du dossier et invité à prendre ses distances avec les critères modernes pour mieux saisir une institution avant tout tournée vers l'intégration sélective des indigènes à la citoyenneté. Cette question, ainsi que la vie des communautés locales et leur transformation, est à cet égard interrogée par plusieurs biais, depuis la pratique religieuse jusqu'aux revenus des cités. Malgré cette diversité, nombreuses sont les remarques qui se font écho, ainsi de la difficulté à cerner les évolutions après l'époque antonine (p. 419, 499, 541), dégageant progressivement pour le lecteur le portrait de la région et de ses habitants. La dernière partie, « Mémoires de pierre et de bronze », se consacre à des documents épigraphiques retrouvant souvent des questions de méthodes abordées dans le premier volume, en particulier la nécessité de contextualiser les données et donc de replacer les inscriptions dans un ensemble archéologique et local lorsque cela est possible : « il n'y a d'épigraphie que locale » (p. 584). 

 

         Comme le premier volume des scripta varia de Patrick Le Roux, avec lequel il dialogue constamment, Espagnes romaines intéressera de nombreux lecteurs aux horizons variés, les conviant à venir découvrir des expressions régionales de la romanité, à réfléchir aux intégrations des sociétés indigènes, à travailler à construire des représentations des institutions passées qui rendent justice à leur exotisme : les provinces n'étaient pas les préfigurations des nations européennes.

 

 

 

Table des matières

 

Première partie : Constructions provinciales

L'invention de la province romaine d'Espagne Citérieure de 197 av. J.-C. à Agrippa

Géographie péninsulaire et épigraphie romaine

L'émigration italique en Citérieure et Lusitanie jusqu'à la mort de Néron

Regards augustéens sur les Gaules et la péninsule Ibérique ou le récit d'une construction provinciale

Les colonies et l'institution de la province romaine de Lusitanie

La question des conventus dans la péninsule Ibérique d'époque romaine

Cités et territoires en Hispania : l'épigraphie des limites

Le pagus dans la péninsule Ibérique

Deuxième partie : Pouvoirs urbains

La ville romaine en Hispania

Les villes de la péninsule ibérique romaine : un siècle d'historiographie

Dans les centres monumentaux des cités de la péninsule Ibérique au Haut-Empire : à propos de statues

Cité et culture municipale en Bétique sous Trajan

Le juge et le citoyen dans le municipe d'Irni

Troisième partie : Des soldats et des provinciaux

AE, 1988, 788 (Clunia, Hisp. Cit.) et le s.-c. de Cn. Pisone Patre, l. 55-57

Statio Lucensis

Soldados hispanos en el ejército imperial romano

Armée et société à Tarragone sous l'Empire

Mars dans la péninsule Ibérique au Haut-Empire romain

Quatrième partie : empreintes romaines

À la recherche des élites locales : le Nord-Ouest hispanique

Les sénateurs originaires de la province d'Hispania Citerior au Haut-Empire romain

Les sénateurs originaires d'Espagne Citérieure (2) : un bilan 1982-2006

La « crise » des élites hispano-romaines (IIIe-IVe siècles)

Municipium Latinum et municipium Italiae : à propos de la lex Irnitana

La question des colonies latines sous l'Empire

Rome et le droit latin

La tessère de Montealegre et l'évolution des communautés indigènes d'Auguste à Hadrien

Deus Aernus : CIL, II, 2607 = 5651 reconstitué

Vectigalia et revenus des cités en Hispania au Haut-Empire

Cultos y religión en el Noroeste de la Península Ibérica en el alto Imperio romano: nuevas perspectivas

Cultes indigènes et religion romaine en Hispania sous l'Empire

Cinquième partie : Mémoires de pierre et de bronze

Autour de la notion d'inscription fausse

Aux frontières de l'épigraphie juridique : l'inscription d'Asadur, Orense (AE, 1973, 317 = 1974, 394)

Oriunda Mauretania

Hapax ou question d'épigraphie locale ? Municipalis à Aquae Flaviae (AE, 1973, 305)

Inscriptions juridiques sur bronze : traductions et addenda.