Hollweg, Pia: Anton Raphael Mengs’ Wirken in Spanien, Peter Lang, Frankfurt am Main, Berlin, Bern, Bruxelles, New York, Oxford, Wien, 421 s., nombreuses illustrations (Europäische Hochschulschriften, Reihe 28 : Kunstgeschichte Bd. 427). ISBN 978-3-631-56263-5 br.
SFR 99.00 / * 68.50 / ** 70.40 / 64.00 / £ 41.60 / US-$ 82.95 (* comprend la TVA - uniquement valable pour l’Allemagne, ** comprend la TVA - uniquement valable pour l’Autriche)
(Peter Lang, Berne 2008)
 
Reseña de Jan Blanc, Université de Lausanne
 
Número de palabras : 1842 palabras
Publicado en línea el 2008-11-05
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=256
 
 

Issu d’une thèse soutenue à l’Université de Kiel en 2006, sous la direction de Lars Olof Larsson, l’ouvrage consacré par Pia Hollweg aux activités artistiques, théoriques et didactiques d’Anton Raphael Mengs (1728-1779) en Espagne constitue, sans nul doute, l’une des études les plus marquantes publiées sur le peintre d’origine allemande, depuis les études de Thomas Pelzel (Anton Raphael Mengs and Neoclassicism, 1979) et de Rosanna Cioffi Martinelli (La ragione dell’arte. Teoria e critica in Anton Raphael Mengs e Johann Joachim Winckelmann, 1981), jusqu’aux recherches plus récentes de Mercedes Erhart del Campo (Les plafonds d’Anton Raphael Mengs au Palais royal de Madrid, 1990) et de Steffi Röttgen (Anton Raphael Mengs, 1728-1779, 1999-2003).
Si, grâce à ces études, la carrière, les œuvres et les écrits de Mengs sont aujourd’hui connus et accessibles, ses séjours madrilènes, de 1761 à 1769, puis de 1774 à 1777, ont été curieusement délaissés, ou éludés, y compris par les ouvrages les plus récents. Très complet, bien écrit, et fondé sur une documentation renouvelée ou enrichie (p. 248-263), ainsi que sur un précieux corpus iconographique (p. 265-385), le livre de Pia Hollweg contribue à combler ce manque, en montrant que la période espagnole de Mengs n’est pas seulement une parenthèse dans la carrière du peintre, marquée par les soucis de santé et les intrigues, mais aussi une période d’intense activité artistique et théorique. Cinq chapitres principaux composent cette analyse. Le premier (p. 25-90) fait le point sur la carrière de Mengs, en expliquant comment, de façon très détaillée et convaincante, le peintre a été amené à s’installer à Madrid (p. 39-90). L’explication, habituellement avancée pour expliquer la venue de Mengs – le choix, consciemment fait par Charles III, d’un nouveau « style néo-classique », après avoir employé le talent « rococo » de Tiepolo – est assez largement battue en brèche (p. 43) : après la mort de ce dernier, il s’agissait simplement, pour le monarque espagnol, d’engager le meilleur artiste européen disponible.

Le deuxième chapitre (p. 91-144) dresse la liste des principaux collaborateurs de Mengs à la cour d’Espagne, et tente de rendre compte leurs relations, parfois difficiles à établir, tandis que le cinquième (p. 221-243) renvoie aux peintres espagnols, en partie ou totalement formés par Mengs, que ce dernier choisit d’emmener avec lui à son retour en Italie. Dans ces deux chapitres, sans doute les plus intéressants de l’étude, Pia Hollweg ne se détache pas tout à fait des conceptions téléologiques de l’influence, en cherchant notamment à la définir, pour ce qui concerne Francisco Bayeu y Subías (p. 91-118) et Mariano Salvador Maella (p. 119-142). Dans le détail, les analyses sont toutefois plus subtiles : tandis que Bayeu retient de Mengs ses procédés de conception et de fabrication des œuvres, ainsi que sa manière, dans les décors de grandes dimensions, notamment au Palacio Real, Maella  s’intéresse davantage aux petits formats et aux portraits produits par Mengs. Ces deux apprentis, parmi les plus connus, traduisent, par eux-mêmes, la diversité d’une manière que la notion, sans doute fallacieuse, de « néo-classicisme » tend à écraser ou à réduire. La question des apprentis romains de Mengs est sans doute plus complexe. Manuel Napoli (p. 229), Francisco Agustín y Grande (p. 227-228, 234-238), Buenaventura Salesa (p. 226) ont beaucoup étudié les modèles de leur maître, mais ils ont produit trop peu d’ouvrages d’importance pour qu’il soit aisé, voire possible, d’étudier de façon fine et détaillée les écarts de ces peintres par rapport à la manière et aux conceptions de leur maître. Le cas de Francisco Javier Ramos y Albertós (p. 224-225) est plus riche, et aurait peut-être mérité une étude plus approfondie – ou une prochaine étude : ayant d’abord étudié de façon très attentive la manière et les leçons de Mengs, il s’est ensuite tourné vers la peinture d’Anton von Maron, parvenant ainsi à une double reconnaissance à son retour en Espagne.
Dans le troisième chapitre, consacré à la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando (p. 145-196), Pia Hollweg évoque d’autres compagnons de route de Mengs, qui n’appartiennent pas nécessairement à son atelier, mais étudient ses œuvres et ses textes. C’est le cas, notamment, de Gregorio Ferro (p. 185-189) qui, enseignant à l’Academia, cite systématiquement les textes et les modèles de Mengs, participant, sans doute consciemment, à la formation d’un corpus et d’un canon local. Il forme alors Vicente López y Portaña (p. 193-194) et José de Madrazo (p. 190-192) qui deviennent, comme le montre justement l’auteur, des élèves de Mengs « au deuxième degré ».
Les arguments de Pia Hollweg sont convaincants. Mengs a visiblement souhaité, après ses départs d’Espagne, en constituer autour de lui un cercle d’artistes proches, à Madrid, qu’il place, ou fait placer, à des postes importants, afin qu’ils puissent contribuer, après son retour en Italie, à la diffusion de sa manière, mais aussi de sa réputation, en Espagne comme en Europe. La participation de Mengs à la manufacture de tapisseries de Santa Bárbara, analysée dans le chapitre IV (p. 197-220), relève d’une même logique de diffusion des modèles et de glorification de l’art de Mengs par le luxe.

L’étude de Pia Hollweg n’évite pas certaines antiennes sur Mengs – la comparaison avec Goya (p. 209-219), quoique compréhensible, n’ajoute rien à ce qui était déjà su. Mais elle a un immense mérite, qui constitue la principale qualité de cette étude : s’inscrivant dans une tradition historiographique dominée par des historiens d’art espagnols, et où n’est jamais contredite l’idée selon laquelle Mengs aurait été le fondateur de la peinture « classique » hispanique, Pia Hollweg parvient, non sans nuances, à souligner les failles et les limites d’une telle interprétation. Certes, elle ne renonce pas complètement à l’usage de cette notion de « classicisme » ou d’« art académique », qu’il aurait sans doute mieux valu évacuer, dès l’introduction (p. 11-24), afin de tenter de mieux qualifier les pratiques et les théories de Mengs. (Ceci constitue, sans doute, le point faible d’une étude renvoyant trop, à notre goût, à des concepts forgés a posteriori, et qui ne permettent pas complètement à l’auteur de se distancier des thèses qu’elle critique par ailleurs de façon très convaincante.) Allant à l’encontre des thèses d’Alfonso Pérez Sánchez (« Pintura de los siglos XVI al XVIII en la colección del Banco de España », in José María Viñuela éd., Colección de pintura del Banco de España, Madrid, 1988, p. 15-91) et de José Luis Morales y Marín (Mariano Salvador Maella. Vida y Obra, Saragosse, 1996), l’auteur montre de façon très persuasive que les arguments avancés, jusqu’à présent, pour décrire le « classicisme » de Mengs, remontent, pour l’essentiel, à la réévaluation de son œuvre proposée après Goya, à une époque où il s’agissait, pour les théoriciens romantiques, de construire et de légitimer une pratique contre des institutions et des autorités plus anciennes. Les « couleurs froides » de ses peintures, l’absence de vie de ses figures, la sécheresse de ses contours et le manque d’originalité de son invention sont autant de thèmes qui, s’ils ont aussi fait l’objet de critiques du vivant de Mengs (Sir Joshua Reynolds), ont permis aussi à ses successeurs de reconstruire un symbole sensiblement éloigné de la réalité historique.
Pia Hollweg n’élude d’ailleurs pas ces critiques, adressées, assez tôt, à l’art de Mengs, en Italie comme en Espagne, même si le sujet choisi pour cette étude a considérablement réduit la place que l’auteur consacre à ces débats et, notamment, à la réception européenne, considérable mais nuancée, des différentes éditions des textes théoriques écrits par le peintre. L’idée, qu’elle développe à plusieurs reprises, dans son ouvrage, selon laquelle l’art de Mengs est très souvent, en Espagne, un art de « seconde main » ou, pour reprendre l’expression de Reynolds, un « art de lieux communs » (a common-place art), qui reprend et recycle habilement mais massivement des modèles antérieurs, est fort intéressante. Elle permet de se défaire en partie de la notion, trop ambiguë, d’« éclectisme », que l’auteur utilise toutefois, et de façon parfois confuse. Cette suggestion aurait toutefois mérité, elle aussi, d’être plus explicitée – le lecteur ne comprend que confusément que l’auteur définit ainsi l’« académisme » du peintre.

Ces discussions sont liées aux distinctions, assez nettes et habiles, auxquelles Pia Hollweg procède entre la théorie et la pratique de Mengs. La première, nourrie des discussions avec les cercles romains de Winckelmann, place l’imitation de l’antique et des maîtres de la première Renaissance au centre des exigences de l’imitation. Mais la pratique du peintre est loin de correspondre aussi clairement aux prescriptions et aux règles évoquées par le peintre, si bien que la distinction, proposée par Herbert von Einem (Anton Raphael Mengs Briefe an Raimondo Ghelli und Anton Maron, Göttingen, 1973), de différentes « périodes stylistiques » dans la carrière de Mengs, se heurte à la difficulté d’établir une continuité d’un œuvre sans cesse tiraillé entre des fins théoriques exigeantes – pour ne pas dire idéalistes – et des moyens techniques assez limités, ou, pour le dire autrement, entre des modèles, pour l’essentiel, italiens et anciens, et les demandes d’un public espagnol dont l’œil a été formé par les grands portraits royaux de Velázquez. Cela ne signifie pas que Mengs n’ait pas cherché à adapter sa peinture aux demandes et aux conventions proprement locales des représentations du pouvoir et du portrait de cour. Tandis que les tableaux produits à Rome par Mengs s’orientent assez clairement vers les modèles italiens (Raphaël et le Corrège, bien sûr, mais aussi certains Vénitiens comme Titien) et antiques, les œuvres conçues ou exécutées par le peintre à partir de son arrivée à Madrid, et notamment ses fresques, sont plus largement marquées par les modèles italiens (Tiepolo) et espagnols (Giaquinto) de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe siècle, mieux connus de la cour et des spectateurs locaux. Plus tard, Mengs semble s’être d’ailleurs davantage imprégné des modèles les plus appréciés sur place, comme Velázquez. Selon Pia Hollweg, ces choix relèvent moins d’une stratégie que d’une nécessité : ne pouvant avoir, devant lui, d’aussi grand nombre d’antiques à Rome, Mengs se serait tourné vers les modèles les plus disponibles. Cette analyse, intéressante, élude toutefois l’existence des recueils contenant la description et les reproductions gravées des antiques romaines, suffisamment nombreux au milieu du XVIIIe siècle pour qu’un peintre comme Mengs, dont la culture visuelle est par ailleurs déjà largement formée, n’ait pas nécessairement besoin d’être présent en Italie pour en faire usage. La question semble être davantage celle du goût et de la réception de ses œuvres, peut-être moins sensibles aux modèles antiques et italiens qu’à ceux qu’on pouvait voir dans le palais de l’Alcazar ou les églises madrilènes. Conscient de la nécessité de plaire, Mengs choisit visiblement les modèles les plus susceptibles de rencontrer les attentes de ses spectateurs.

Si l’on peut regretter la mauvaise qualité de certaines illustrations, visiblement de seconde main, et l’absence que quelques photographies en couleur, l’étude de Pia Hollweg sur Anton Raphael Mengs en Espagne constituera vraisemblablement un nouveau repère dans la bibliographie, de plus en plus importante, consacrée au peintre italo-allemand, et il faut espérer qu’elle encouragera les jeunes chercheurs francophones et les spécialistes du XVIIIe siècle à se tourner davantage vers les productions espagnoles, trop souvent délaissées, à quelques glorieuses célébrités près.