Lasserre, Jean-Marie: Africa, quasi Roma 256 av. J.-C. – 711 apr. J.–C. 780 pages, 115 figures, 9 planches couleur, ISBN : 978-2-271-07673-1, 45 €
(CNRS Editions, Paris 2015)
 
Compte rendu par Catherine Lochin, CNRS
 
Nombre de mots : 5804 mots
Publié en ligne le 2019-08-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2572
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          L'A. a divisé la période choisie pour son étude (256 av. J.-C.-711 apr. J.-C.) en trois parties ; dans ces chapitres, il a choisi d'inclure des développements concernant des faits de civilisations (société, religions, institutions, divisions régionales, arts) qui ne respectent pas le strict cadre chronologique.

 

 

I La construction de l'Afrique romaine

 

1. L'Afrique, ses premiers habitants et leurs traditions. L'ouvrage s'ouvre sur une présentation physique de l'Afrique (hydrologie, flore, faune), dresse un tableau de l’évolution du climat durant l'Antiquité, des populations (langue, religion, structure politique et sociale) et offre un panorama de la vie sociale, puis aborde les phéniciens avec le développement de la civilisation carthaginoise.

 

2. Les états libyens à l'époque des guerres puniques. L'A. présente l'organisation et la situation politique des différents états de l'Afrique à l'époque des guerres puniques ainsi que leurs relations avec Carthage et Rome.

         

         Ces deux premières parties offrent un tableau complet de la situation complexe en Afrique au moment des premiers contacts avec Rome.

 

3. Rome, Carthage et l'Afrique. L'A. revient sur une partie de la période exposée dans le chapitre précédent en se focalisant sur le conflit entre Rome et Carthage et le rôle joué par Massinissa.

 

4. L'Afrique sous le gouvernement du Sénat. L'A. détaille l'installation d'une administration romaine dans la nouvelle province (Africa) en commençant par la centuriation des terres, l'installation du-commerce en particulier à Utique (ville qui s'était ralliée à Rome et devenue capitale), fondation d'une nouvelle colonie aux abords immédiats de Carthage et installation sur l'ager publicus de colons romains. Ces « installations » se font en parallèle avec le maintien de royaumes indigènes. Installation qui se poursuit en Numidie à l'issue de la défaite de Jugurtha et l'alliance avec le royaume de Maurétanie.

 

         L'A. évoque les influences hellénistiques amenées par Carthage qui ont servi « de terreau à la romanisation ».

 

5. César et l'Afrique. L’A. expose là la suite du déroulement de la campagne de César en Afrique et de sa victoire sur Pompée, sa politique avec la nouvelle répartition des territoires entre ses alliés (Bocchus et P. Sittius) et la création de la nouvelle province de l'Africa Nova, importante installation de nouveaux colons.

 

6. L'Afrique sous Auguste. Pour la période précédant immédiatement le principat, l'A. souligne les problèmes soulevés par la création de la province d'Afrique à l'est et détaille la politique d'Octave en Maurétanie, qui après avoir établi une administration directe par Rome puis rétabli Juba II et Ptolémée (avec une cour fortement hellénisée, contrairement au reste du territoire), aboutit sous le règne de Tibère à la création de la province romaine de Maurétanie. L'A. met en avant le développement du réseau issu de l'installation des « colons », et les débuts du culte impérial d’initiative privée.

 

7. La poursuite de la main mise territoriale. Cette période est caractérisée par l'annexion définitive de la Maurétanie par Caligula puis la division du territoire en deux provinces, suivie de la promotion de nombreuses villes en colonies (et de municipes). A ce moment, les possessions de Rome en Afrique ont pratiquement acquis leur extension définitive et une période de stabilité s'établit. C'est aussi à cette période qu'a lieu l'organisation de la corporation des naviculaires pour le transport du blé vers Rome ; et aussi le développement du commerce entre les rives de la Méditerranée, marqué par exemple par le début de la présence de céramique gauloise en Afrique.

 

8. L'Afrique sous Néron et les Flaviens. L'A. souligne l'importance de l'extension des terres impériales et du développement de la céréaliculture permettant de régulariser le marché du grain et l'approvisionnement de l'annone. L'A. souligne le peu de retentissement qu'ont eu les troubles causés par la révolte de Macer et l'assassinat de Pison pour mettre en lumière l'équilibre des pouvoirs dans ces provinces. Les expéditions vers le sud sont complétées par une politique de défense dans le secteur des Aurès. La période est celle du développement de l'agriculture, de la culture des céréales et de celle, systématique, de l'olivier. On assiste à la constitution de propriétés foncières mais pour l'A. la surface d'un seul tenant reste moyenne ; c'est aussi la création du prototype du domaine impérial grâce à la confiscation de terres sous Néron. L'A. détaille le statut du personnel exploitant ces terres. L'expansion de la culture de l'olivier entraine la construction d'huileries familiales ou industrielles. Cet essor économique entrainant un enrichissement est accompagné du début de la production de céramique. Cette époque est aussi, comme dans le reste de l'empire, celle de réformes administratives (bornage de la Fossa Regia, révision des limites de territoires des tribus), du développement du réseau routier, de l’installation de garnisons et d'un peuplement italien (colonie, municipe avec pour pilier les vétérans) ; c'est le début du développement urbain. La romanisation, dont l'armée est un vecteur important, se manifeste par l'usage du latin au moins par les élites, par l'adoption de la toge. On constate aussi l'abandon des sacrifices d'enfants, les modifications des lieux de cultes locaux, l'installation des divinités romaines et du culte impérial.

 

 

Il L'apogée de l'Afrique romaine.

 

         L'apogée de l'empire, au IIe s, caractérisée par une expansion économique et l'harmonisation de la société avec la généralisation de la citoyenneté romaine, beaucoup plus durable en Afrique que dans les autres provinces, perdure jusqu’au IVe s.

 

9. L'équilibre territorial et institutionnel. Le IIe s. et le début du Ille sont des périodes de stabilisation ; Trajan poursuit la politique des Flaviens avec la mainmise de Rome sur la «Numidie militaire» suivie de mesures d'organisation (transfert de la IIIe légion à Lambèse, fondation de la colonie de Thamugadi, ouverture de routes stratégiques créant un quadrillage routier autour du massif des Aurès et développement considérable de la culture de l'olivier). Dans les Aurès, après l’étude sur le statut des tribus locales (Musulames) et la délimitation des territoires de Nybgenii et de Musunii, l’A. conclue qu’à la fin du règne de Trajan, la frontière définitive est pratiquement atteinte comme « l'équilibre entre l'expansion italienne » et la « résistance » des Libyens ». La volonté de romanisation se traduit par la promotion des cités. Hadrien poursuit la politique de Trajan. La situation dans les Maurétanies est différente, l'a. relève plusieurs incidents entre les Romains et les populations locales. Marc Aurèle et Commode en Proconsulaire poursuivront la politique de promotion des cités d’Hadrien. L'A. place l’origine de l'édification du limes au moment du voyage d'Hadrien en 128. Ce n'est pas une frontière séparant hermétiquement deux mondes mais un filtre avec comme fonction le contrôle des routes caravanières, « il faut la définir comme un réseau de voies et de pistes, c'est une zone de contact entre deux mondes. Matériellement, discontinue et constituée de plusieurs types d'ouvrages, cette limite a été remaniée à plusieurs reprises et étendu en Tripolitaine par Septime Sévère ; après l’étude province par province puis par type d'ouvrages, l'A. montre que le limes a contribué à la sédentarisation partielle des populations grâce aux travaux hydrauliques (retenues d'eau ou citernes). Malgré la difficulté de la détermination de l'effectif des troupes romaines, l'A. pense que ce contingent était relativement restreint, hors périodes exceptionnelles, par exemple sous Septime Sévère en Tripolitaine. La mainmise sur le sol se fait par l'intermédiaire de domaines impériaux où furent installés des vétérans, ce qui amène à une mise en valeur des terres et à « une occupation étroite du sol »

 

 

10. L'essor de l'économie. L’A. lie l’essor de l’économie à la politique territoriale de Rome et à la « paix romaine » ; après avoir cherché à déterminer l’importance de la circulation monétaire, il lie l’expansion démographique au développement agricole dû aux travaux hydrauliques favorisant la culture des céréales, l’oléiculture et la culture de la vigne ; il considère les autres domaines comme secondaires (élevage, chasse, pêche). Ce développement a comme pendant celui des villes. Les autres domaines de l’artisanat (carrières, céramique) ont une certaine importance, d’autres domaines (métallurgie, textile) sont moins connus. Bénéficiant d’une fiscalité modérée, les marchés se développent dans les villes. Le développement du réseau routier est aussi lié au progrès économique. Les exportations sont favorisées par les ports de diverses natures (naturels ou construits) pour la plupart d’origine punique.

 

11. Société et vie sociale. Dans cette population mixte, les Africains (Libyens) ont été influencés par les Phéniciens et Rome, mais l’apport ethnique romain n’est pas insignifiant. La culture romaine a laissé subsister une large part de l’héritage libyco-punique mais le prestige romain tend à s’imposer. La romanisation, définie comme assimilation ou créolisation, suivant les chercheurs, est différente suivant les domaines (culture, religion, droit). Pour les cités, la romanisation est marquée par l’évolution politique et est ancienne. Individuellement, elle est marquée par l’adoption du cognomen latin mais les langues locales restent vivantes dans les couches sociales populaires ; les traditions libyennes subsistent. Difficile à estimer, le nombre d’habitants s’accroit et l’ascension sociale est attestée avec l’accès à diverses charges de familles locales (premier chevalier africain sous Tibère, et des sénateurs dès les Flaviens) plus nombreux dans les régions portuaires, la Cirtéenne et l’Africa Nova. Pour les classes populaires, la documentation est moins abondante et d’une autre nature, l’épigraphie est beaucoup plus pauvre, une des principales sources est l’iconographie. L’A. évoque aussi la place dans la société des esclaves, affranchis, orientaux et juifs, mais souligne le manque de documentation à leur sujet. Après le monde urbain, il dresse le tableau du monde rural et les rapports saisonniers avec les nomades à l’occasion des travaux agricoles.

 

12. Les grands aspects de la civilisation des Romano-Africains. La civilisation des romano-africains est caractérisée par un héritage complexe (libyque, punique, grec, oriental) auquel s’ajoute la latinité. Une des caractéristiques est l’attrait des villes dans un monde principalement rural (développement des cités anciennes et fondations romaines). La maison romano-africaine est aussi le résultat de la fusion de ces influences diverses avec la recherche d’une adaptation au climat. Une autre composante de cette civilisation est le développement du goût pour les spectacles (théâtres, cirque, hippodrome). Pour les arts plastiques, l’A. voit comme un effet de la romanisation les « progrès » dans le réalisme de la représentation humaine. L’architecture est principalement romaine, celle des époques précédentes ayant laissé peu de traces visibles. Les statues ainsi que les bâtiments urbains et les temples suivent les canons classiques, répondant aux goûts des milieux dirigeants ; hors du cadre officiel, dans des œuvres privées, la veine libyque revient en particulier dans les motifs géométriques (reliefs, mosaïques). La culture latine se répand grâce à l’éducation, en particulier par la littérature comme en témoignent de nombreuses épitaphes ; mais il n’y a pas création d’une littérature propre aux romano-africains, les écrivains suivent les modes de Rome. 

 

13. Les religions païennes. La religion des romano-africains est l’héritage des multiples conceptions religieuses locales et de celle de Rome. L’A. étudie en particulier le passage du couple divin au dieu seul, l’évolution de Tanit vers Caelestis et de Baal vers Saturne que la combinaison de divers héritages (berbéro-africain, punico-oriental, romano-méditerranéen) a amené à être le dieu suprême. D’autres divinités romaines ont aussi été assimilées à des divinités locales. On assiste aussi à l’introduction de nombreuses religions par les militaires (Sabazios, cultes syriens, Mithra, cultes égyptiens). Le culte impérial, à l’origine privé et introduit anciennement, puis dans les cités dès la fin du Ier s. av. J.C., est le moyen de démontrer sa loyauté mais il est inégalement réparti dans les provinces. Les rites funéraires témoignent aussi de la variété des croyances. Le syncrétisme entre les dieux connaît plusieurs formes : assimilation, association. Les croyances sont aussi marquées par des courants philosophiques et le dieu suprême (Saturne) « tout puissant et omniprésent » annonce le monothéisme. L’A. consacre un bref passage au judaïsme principalement présent dans les zones portuaires et dans les villes, et dont les traces dans la magie sont dues à son origine orientale.

 

14. La christianisation de l'Afrique. Les débuts du christianisme, probablement introduit par les Grecs et les orientaux en Afrique, sont obscurs ; l’évangélisation est cependant romaine, il n’y a pas de texte avant le IIe s. et les sources archéologiques sont plus tardives encore. La conversion a touché le petit peuple des cités puis les campagnes ; pour les païens instruits dans la société favorisée, la situation est plus complexe que dans les familles mixtes. Les sources décrivent le développement des communautés, en particulier Tertullien à propos de l’organisation de l’église de Carthage et du culte. Très tôt les premières dissensions apparaissent, entraînant l’idée de conciles pour les résoudre. Les premières persécutions avec les premiers martyrs datent de 180, les difficultés viennent de la singularité des chrétiens (calendrier, pratiques, refus de certains rites, assistance aux spectacles). Les persécutions ne sont pas à l’initiative du pouvoir central mais comme ailleurs les rescrits de l’empereur viennent en réponse aux questions des autorités locales. Figure marquante de l’époque, Tertullien, après avoir fixé des règles strictes, finit par se séparer de l’église de Carthage

 

15. Les villes. En Afrique, les villes sont antérieures à la présence de Rome, mais elles se développent à cette période ; inégalement réparties, elles se raréfient vers l’est et le sud. Parmi les ports, l’A. étudie les plus grands : Carthage et Lepcis Magna, qui sont de fondation ancienne. Les villes les plus nombreuses sont les villes agricoles, à l’origine des bourgades indigènes (Tiddis, Madaure, Thugga) et les villes militaires (Theveste, Lambèse) de fondation plus récente et qui gardent une « ambiance plus romaine ». La ville est caractérisée par le même ensemble de constructions que dans les autres provinces (aqueducs, fontaines, thermes, forum, curie, capitole, temples, marchés, édifices de spectacles) dont les arcs sont de tradition purement romaine. La domus est le type d’habitat privilégié, le choix des matériaux est dépendant des possibilités de la région, riche en argile et pauvre en bois. Dans les nécropoles urbaines, l’incinération suivant le modèle romain prend le dessus sur les traditions locales.

 

16. Les institutions. Les institutions de l’Afrique antique sont complexes, elles diffèrent suivant le statut du territoire civique ou tribal. A côté des gentes, les cités sufétales, comme Calama, conservent ce statut jusqu’au IIe s. L’A. souligne la persistance des institutions « pré-romaines » au moins jusqu’au IIe s. avec l’accès au droit latin. Les cités jouissent d’une certaine autonomie dans leur gestion, les interventions du gouverneur sont rares. Les institutions provinciales : les limites des provinces dépendent de la volonté de l’empereur et leurs statuts sont différents (l’Africa sénatoriale, la Numidie gérée par un légat propréteur et les Maurétanies par des procurateurs équestres). L’organisation financière est encore en partie obscure mais dans les grandes lignes identique à celle des autres provinces ; les revenus sont difficiles à évaluer, que ce soit le revenu fiscal des cités ou le patrimonium impérial. En conclusion, on constate une acceptation de la coexistence des coutumes traditionnelles et de la pratique juridique romaine.

 

17. Les grandes divisions régionales. Ce chapitre met en lumière les particularités régionales, dues aux particularités géographiques et historiques, qu'une étude de synthèse aurait trop facilement gommées. Dans cette étude mêlant régions géographiques et historiques de l’Afrique romaine, l’A. reprend des éléments sur l’évolution de l’exploitation agricole de ces régions, productions agricoles et « industrielles » ou artisanales, urbanisation, et sur la description de cités, de divers aménagements (p. ex. hydrauliques), la nature des exploitations agricoles.

 

La Tripolitaine

La Steppe

Le Byzacium

Les « monts » de la Dorsale

La Zeugitane

Les campi Mauri

Le Haut- Tell

La Cirtéenne

L'Aurès

La Sitifienne

Les montagnes de la Césarienne orientale

Le sillon du Chélif

Le Limes : en Tripolitaine, le limes aurasien, le Hodna

La Tingitane

 

III Le temps des incertitudes

 

18. Le Ille siècle (238-285). Permanences et adaptations. L’Afrique est peu touchée par la crise du IIIe s., la période est marquée par la création de la province de Numidie. On recense quelques troubles. La « révolte de Thysdrus », partie d’Afrique, n’est pas spécifiquement africaine. Elle est organisée par l’aristocratie sénatoriale et terrienne. Un peu plus tard dans le siècle, d’autres éclatent en Césarienne, ce qui relèverait en fait du banditisme. L’A. s’appuie sur des textes témoignant d’une vision optimiste de la situation économique (agriculture et productions artisanales), ce qui est corroboré par l’accroissement de la population.

 

19. Le christianisme au Ille siècle. Organisation et persécutions. Pendant la première moitié du IIIe s., s’ouvre une période de paix pour l’Eglise ce qui favorise son extension (conversions, extension géographique, et pour son organisation complément de sa hiérarchie, multiplication des évêchés). Le primat de Carthage étend son autorité sur l’Eglise d’Afrique. Le milieu du siècle est marqué par une nouvelle persécution causée en partie par le refus du culte impérial. Elle est décrétée par un édit de Dèce et abandonnée à la mort de l’empereur mais elle laisse l’Eglise face au sort à réserver aux lapsi (réintégration ou nouveau baptême). Après les persécutions de Valérien (257-260), l’Eglise connaît une nouvelle période de paix (tombes chrétiennes et païennes dans les mêmes nécropoles, construction de basiliques) et le christianisme est presque toléré.

 

20. L'ouverture du IVe siècle (285-313). A la fin du IIIe s., des insurrections éclatent, entrainant le redécoupage provincial (création de la Maurétanie sitifienne, division provisoire de la Numidie, séparation de la Proconsulaire, Byzacène et Tripolitaine) et le redéploiement et renforcement de l’administration (réorganisation des services fiscaux) et de l’armée (retrait du sud de la Tingitane). A la suite des révoltes, les reges sont remplacés par des praefecti dépendant de l’autorité impériale, ce qui va à l’encontre de l’autonomie des communautés locales. Le commandement militaire est réorganisé : l’autorité est divisée entre deux comtes, une armée est spécialement dédiée au limes renforcé par un grand nombre de forts ; ces dispositions entraînent un alourdissement de la charge fiscale. La période est marquée par une nouvelle période de persécution contre les chrétiens sous Dioclétien. Elle commence comme la précédente par le refus du culte impérial, en particulier dans l’armée. Le bilan est peut-être moins lourd que les textes ne le disent. Le schisme donatiste en découlera de nouveau à propos des lapsi.

 

21. L'Afrique chrétienne — I. La mutation du IVe siècle. L’A. rassemble dans ce chapitre les modifications de la société au IVe s., les institutions de la cité subissent l’alourdissement des obligations curiales et aussi la mainmise de l’Etat ; les concilia régionaux sont maintenus mais il y a de plus en plus de fonctionnaires locaux comme les praefecti ; les pouvoirs des élites locales sont renforcés. Les cultes païens ne sont pas affectés mais l’Eglise acquiert un statut officiel. L’A. évoque des personnalités importantes de la chrétienté : Aurélius de Carthage, Alypius, de l’entourage de saint Augustin. Les régions ecclésiastiques sont calquées sur celles de l’administration civile. La christianisation progresse dans les campagnes, l’évêque acquiert un rôle judiciaire limité aux chrétiens puis l’évêque peut devenir patron. Le culte des saints et des reliques est codifié et se répand. Architecturalement, l’église dérive de la basilique civile, l’ornementation est à but pédagogique. Le monachisme est une spécificité chrétienne à partir du IVe s., probablement antérieure à Augustin mais celui-ci fonde un ordre monastique à Thagaste et rédige la règle. La multiplication des spéculations spirituelles ouvre la porte au « choc des confessions » (voir chap. XXIII) (pélagisme, manichéisme). La lutte contre le paganisme aboutit, mais le culte impérial se perpétue jusqu’à l’époque vandale. Les relations entre les communautés juives et chrétiennes se détériorent.

 

22. L'Afrique chrétienne — Il. Les félicités du siècle et leurs limites. L’A. dépeint un tableau « favorable » de l’économie africaine au IVe s. : blé, huiles destinés à Rome, produits pour l’anone ainsi que la céramique. L’activité édilitaire de construction reprend pendant le règne de Julien. Dans les cités, les curiales perdent leur autonomie et leurs charges s’accroissent (perception des taxes, réquisitions…). Une partie d’entre eux fuient vers leurs terres, d’autres sont exemptés de ces charges de par leurs fonctions. L’Album de Timgad permet à l’A. de dresser un état de la société avec une scission parmi les potentiores dont les moins fortunés rejoignent les tenuores (plebei). A la campagne, la tendance est à la concentration foncière privée ou ecclésiastique, entraînant une paupérisation des paysans et l’instauration du colonat liant les hommes à la terre. La pauvreté est probablement la cause de la révolte des circoncellions, qui reste limitée à la Numidie. La fin du chapitre est consacrée à saint Augustin.

 

23. Un siècle de désunion : le donatisme (312-411). Le schisme donatiste, dont les causes sont déjà évoquées dans un chapitre précédent (p.539), trouve son origine à la fin de la persécution de 303. L’A. relate les différents épisodes de la lutte avec les différentes interventions des empereurs (Constantin, Constant, Valentinien), de plus en plus directes, dans le domaine religieux. Il insiste particulièrement sur le rôle de saint Augustin dans la résolution du conflit et la défaite des donatistes ; enfin il fait le résumé des opinions des modernes sur cet épisode.

 

24. Le temps des tumultes (367-439). Face à l’Occident subissant l’installation de divers peuples étrangers, l’Afrique paraît privilégiée. Hors des cités, la situation socio-politique évolue, les responsables des tribus portent le titre de praefecti, le cumul de la propriété foncière, des magistratures et du pouvoir traditionnel aboutit à une sorte de suzeraineté. Certaines révoltes (Firmus, Gildon, Heraclianus) ont comme causes l’exploitation fiscale et les exactions des comtes (Romanus). Malgré ces événements, la réputation de richesse de l’Afrique demeure, alors que l’empire d’Occident s’effondre. Rome n’abandonne que peu de territoires (sud de la Tingitane et de la Tripolitaine). Malgré cette stabilité, il y a des signes de fragilité (cf. chap. 22) comme la puissance accrue des gentes berbères et la diminution des effectifs des garnisons.

 

25. Le royaume vandale. Les causes de l’installation des vandales ne sont rapportées que par des sources byzantines tardives. Après le détail des opérations militaires, l’A. détaille la nouvelle société marquée par l’adoption d’une nouvelle monnaie. Le régime politique est une monarchie absolue mais conserve une partie de l’administration romaine. La période est marquée par l’appropriation des sols et l’exil des propriétaires sur une zone relativement limitée. Dans le reste du royaume, les romano-africains conservent la gestion des cités moindres. Les relations entre le royaume et Byzance alternent entre alliances et conflits. La domination vandale se double d’un conflit religieux, les vandales ariens combattent le catholicisme (exil des évêques, confiscation des biens). Il n’y a pas de rupture brutale dans l’économie et la vie matérielle, mais la politique vandale tend à réduire les cités, avec des installations artisanales dans les centres monumentaux. Il n’y a pas de fusion entre les deux sociétés mais les vandales adoptent le mode de vie des romano-africains. Carthage au moins conserve sa réputation de ville remarquable ; la littérature témoigne de la persistance de la vie culturelle. La décadence du royaume a des causes intérieures (insurrections, ou invasion des « Maures ») mais aussi économiques : sécheresse, épidémie, augmentation des importations, diminution de la production et baisse des rentrées fiscales. Le pouvoir doit faire face à d’importantes révoltes des « Maures ». Hors du royaume, le pouvoir est aux mains des reges ; dans un contexte de persécutions, le catholicisme est interdit. Pour l’A., la période vandale est seulement une parenthèse ruineuse, les traditions romano-africaines ont été conservées.

 

26. Une autre Rome ? La période byzantine. La reconquête de l’Afrique, qui ne couvre pas la totalité des provinces, est le fait de Justinien, dans le but de reconquérir l’Occident et de rétablir l’orthodoxie religieuse. Elle est favorisée par la faiblesse de l’état vandale ; elle apparaît aux habitants comme le retour à l’empire romain. La réorganisation de l’administration est marquée par l’autoritarisme et le centralisme ; avec les tribus, Byzance établit une vassalité mais doit faire face à des insurrections. La création de l’exarchat, favorable à l’Afrique, indique, selon l’A., l’ingérence du pouvoir dans les affaires de l’Eglise et la contestation perpétuelle de l’autorité. Le principal but est de rétablir la richesse agricole mais le pays est surexploité au profit de Constantinople. Carthage reste une ville de première importance, jusqu’aux années 630/640 quand la présence arabe en Byzacène menace la ville ; la prospérité n’a guère duré qu’une génération ; le poids de la fiscalité devient considérable, entraînant le dépérissement des cités. La population diminue ; l’autorité se morcelle et les grands propriétaires fonciers se conduisent comme des seigneurs indépendants. Les travaux de restauration dans les villes témoignent du souhait de restaurer le mode de vie antérieur mais cela est vain. Pour l’A., certains jugements sur la dégradation de la vie urbaine doivent être relativisés.

 

         L’A. constate la permanence de la culture classique, réactualisée par une inspiration chrétienne mais les écrivains donnent « au total une littérature un peu décevante ». On retourne à l’organisation antérieure de l’Eglise, tous les autres cultes sont interdits. La progression du catholicisme chez les Berbères est la marque que l’évangélisation est au cœur de la politique impériale. Mais l’Eglise est en prise à la résurgence du donatisme dans certains diocèses de Numidie, au relâchement de la discipline et à la corruption. « La politique religieuse des empereurs finit par ruiner l’œuvre entreprise » en voulant imposer à tous une orthodoxie rompant avec la tradition romaine. « L’Afrique reste romaine par sa culture et par ses traditions, au sens où elle l’était au IVe s. – c’est l’empire qui, au milieu du VIIe s., ne l’est plus »

 

          Epilogue. « De Rome à l’Islam ». La conquête arabe annonce la fin de l’Afrique antique. Après le début de la conquête, Constant II tourne son attention vers l’Occident. Afrique citadelle du combat orthodoxe. Récit d’épisodes de la conquête. Fin car disparition du latin et abolition des institutions poliades.

 

         Le texte est complété par une chronologie (p.759-764) détaillée et une brève partie consacrée aux sources de l’histoire de l’Afrique, particulièrement didactique sur l’utilisation des sources variées qui doivent être rassemblées pour restituer une vision d’ensemble de l’état d’une « province ».

 

         Bien que l’ouvrage présente l’apparence d’un manuel, l’A. développe une réflexion personnelle sur l’importance de l’apport de la romanisation à l’Afrique, qui, sans effacer les particularismes régionaux, crée, dès les premières années, un équilibre et un enrichissement entre les traditions locales et le pouvoir romain dans tous les domaines, de la gestion des cités à la fiscalité. Il attribue la permanence du système fiscal au souci de l’administration romaine d’être la moins pesante possible. Il insiste sur l’importance de la culture humaniste dans l’Antiquité dans une société « fondée sur la primauté du savoir désintéressé, du goût et de la tolérance », amenée par Rome en l’opposant à notre époque où les sciences ont pris sa place.

 

         Il insiste sur la stabilité de l’Afrique, en particulier lors des événements du III s. qui ont touché les provinces du nord de la Méditerranée. Dans le même ordre d’idées, (chap. 24) l’A. s’oppose à l’idée que les révoltes sont des manifestations de nationalisme ou de séparatisme et (chap. 25) et insiste sur la persistance de la civilisation classique en Afrique après la période vandale en soulignant que l’Afrique n’a pas été germanisée par les Vandales.

 

         L’A. critique les théories des autres historiens (chap. 10) à propos de l’économie rurale. Ils ont, pour lui, « succombé aux pièges de l’idéologie ou à ceux de l’anachronisme ». Il critique les différentes théories sur la romanisation (chap. 11), sur le déclin de l’économie à la fin de l’Antiquité et le retour à l‘économie naturelle à cause de l’échec de l’économie monétaire (chap. 22) et conteste la date assignée au début du Moyen Age en Afrique (chap. 22 et 25). Il remet aussi en question l’objectivité des auteurs de l’Antiquité, principalement dans leur relation des persécutions contre les chrétiens, comme Tertullien et l’Histoire Auguste, qu’il convient de minimiser.

 

         Cette très riche et importante synthèse qui trace un panorama complet de l’Afrique à l’époque romaine est un ouvrage savant et didactique à la fois. L’auteur a eu le mérite de préciser des faits « bien connus de tous », de donner le texte de nombreuses inscriptions (le plus souvent en traduction) et des textes parfois d’un accès peu pratique comme le long développement à propos de la Passio de Perpétue et Félicité et le texte des interventions de Constantin à propos du donatisme ; cette disposition en fait un ouvrage de référence utilisable par les non spécialistes ou les étudiants. Cependant, il ne cède pas à la simplification et livre une recherche pointue sur les textes et les documents matériels comme sur des groupes sociaux moins mis en lumière par la recherche mais révélateurs de l’état d’esprit de gens « ordinaires » (lettre de Publicola, p.616) ou de communautés plus marginales comme celle des juifs ou des esclaves, et ne manque pas de signaler les lacunes de la documentation à leur propos, qui le conduisent à utiliser des sources postérieures à la période étudiée (Ch. 11 : Les juifs) ou à ne pas en citer (Ch. 13).

 

         L’ouvrage est « émaillé » de réflexions sur les précautions à prendre quant à l’utilisation des textes antiques (par exemple pour la traduction en latin des structures sociales et politiques « indigènes » (I, 1) et les textes d’époque chrétienne dans le domaine religieux).

 

         La répartition de la bibliographie par chapitre rend sa lecture aisée et cible les ouvrages importants pour chaque thème. Elle est complétée par un grand nombre de références supplémentaires, parfois accompagnées d’un court commentaire réparti dans les notes pour des points plus précis. Un ensemble très abondant de notes apportant de nombreuses précisions complète des points évoqués dans le corps du texte. La documentation est assortie de quelques listes : dynastie massyle [p.99], les fastes des provinces d’Afrique à l’époque républicaine [p.111-112] et une chronologie générale en fin d’ouvrage.

 

         L’absence d’index, expliquée dans l’avant-propos par le décès de l’auteur, se fait cruellement sentir en particulier pour les noms de divinités répartis dans tout l’ouvrage (surtout pour des divinités portant des épiclèses particulières) comme le manque de cartes, principalement celles des régions (chap.17), les modifications des frontières provinciales et les plans des villes (chap. 15).

 

         Le plan chronologique particulièrement adapté à la partie historique semble moins satisfaisant pour l’étude de la société (religion, usage des langues, architecture privée). Il amène un certain nombre de redites. Un sujet effleuré lors de son apparition est repris en détail au moment de son plein développement : apparition de la main-d’œuvre libre ou les relations des différents états de l’Afrique à l’époque des guerres puniques avec Carthage et Rome (chap. 2 et 3) ou des séparations parfois un peu artificielles entre les parties (chap. 6 et 7 : avec la poursuite de la mainmise sur la Maurétanie qui découle pourtant de la continuité de la politique romaine).

 

         Dans cet œuvre d’historien, une grande partie des images n’est donnée qu’à titre d’illustrations, sans analyse ni références précises (p.144 n.39 : mosaïque de Zliten figurant des captifs, relief avec le chameau de labour ; fig.45, p.221 : sans référence dans le texte à son utilisation dans l’économie rurale ; fig.44 p.220 : illustration d’un âne pour l’élevage mais pris dans une scène religieuse dionysiaque). Ces documents sont pour la plupart mentionnés sans références précises ou récentes (mosaïque d’Aspasios à Lambèse dont il n’est pas assuré que ce soit la signature du mosaïste, (chap. 12) mosaïque sans mention des études spécialisées sur la technique et des thèmes illustrés par ex. l’étude de J.-P. Darmon sur la maison des Nymphes de Nabeul, et les planches en couleurs jointes en fin de volume. L’étude des arts figurés (chap. 12) est succincte, par exemple à propos des thèmes figurés dans la mosaïque. Il ne perçoit pas les spécificités de ce répertoire iconographique et passe rapidement sur ce support si développé. Ce désintérêt amène l’A. à faire une analyse très rapide du décor sculpté des monuments officiels et de ses implications bien qu’il en signale l’importance (chap. 12).

 

         Quand elle existe, la réflexion sur les images est généralement peu rigoureuse. Ainsi (chap. 12) l’Hercule Massicault pris comme exemple de l’influence locale est une œuvre beaucoup plus tardive que la période étudiée et son apparence plus liée à sa datation qu’à sa provenance, citée de nouveau pour son arrière-plan philosophico-religieux (chap. 21).

 

         L’ampleur du propos entraine le survol de sujets qui auraient mérité plus d’approfondissement en particulier quand elles touchent à des spécificités locales tandis que de nombreux faits valables pour la totalité de l’empire sont remis en lumière comme (chap. 11) l’ascension sociale, conséquence de l’essor de l’économie, (chap. 12) le rôle de l’éducation et la transmission de la culture classique et l’importance de la culture littéraire.

 

         A de nombreuses reprises, l’A. décrit des faits ou des attitudes qui n’ont rien de spécifiques à l’Afrique et sont applicables à toutes ou d’autres provinces de l’empire. Il ne mentionne d’ailleurs pas de bibliographie spécifique. Pour l’élevage d’oiseaux, il ne cite que des agronomes romains (Varron, Columelle). Cette démarche se retrouve tout au long de l’ouvrage, pour l’ascension sociale comme conséquence de l’essor de l’économie avec l’émergence de catégories dans la société(chap. 11), l’éducation et la transmission de la culture classique et de la culture littéraire(chap. 12], l’évolution des diverses attitudes des Africains face à l’au-delà au travers d’épitaphes qui reprennent des thématiques habituelles (chap.13), les monuments introduits dans les cités sans mention de bâtiments spécifiques à l’Afrique (chap.15). Enfin pour les institutions (chap.16), l’A. reprend en détail le cursus et le fonctionnement de la cité, semblables à ceux du reste de l’empire, comme les pouvoirs du proconsul. Ces rappels ne sont pas inutiles, mais auraient pu, dans le contexte d’un manuel, être indiqués comme des généralités.

 

         La rigueur du plan chronologique est abandonnée dans les chapitres traitant de la société et des thèmes socio-politiques. Au chap.12 (IIe partie, L’apogée), l’A. inclut des développements concernant des faits de civilisation (architecture [en particulier privée sur les maisons], les religions [locales et romaines], arts plastiques) ; le manque de titres intermédiaires rend la lecture du passage confuse  (par ex. chap.12, p.303, passage sans transition de l’art à la culture ; p.558, entre le symbolisme des images dans les basiliques et le monachisme et p.562 monachisme/doctrine du pélagianisme). Ceci rend la lecture parfois chaotique, avec l’annonce d’événements futurs, puis leur reprise dans un chapitre postérieur (chap. 19 : persécution de Dèce puis annonce de la reprise de la persécution par Valérien pour retourner à la petite paix entre les deux).

 

         Sur le plan matériel, on peut regretter la mention à plusieurs reprises des mêmes documents sans renvois internes (l’autel de Carthage de la gens augusta p.129 et 329, le relief de Carthage conservé à Alger p.27 et 129 ; la dédicace d’un mausolée d’El Amrouni p.189 et 252), le manque de normalisation des noms de lieux, passant des noms antiques aux noms modernes, et la répétition d’un paragraphe entier p.631 et 647.

 

         L’ambitieux projet de l’auteur de dresser un tableau complet de l’Afrique romaine se heurte à la complexité de la tâche et à l’abondance du matériau. La volonté pédagogique l’a entraîné à développer des états de fait valables pour la totalité des provinces de l’empire, estompant une partie les spécificités africaines. La vision de l’historien est tout au long de l’ouvrage guidée par l’idée maîtresse que Rome a constamment cherché à maintenir un équilibre entre son apport et la civilisation préexistante.