Balty, Janine : Les mosaïques des maisons de Palmyre. Bibliothèque archéologique et historique, BAH 206. Inventaire des mosaïques antiques de Syrie (IMAS), B2. 28 x 22 cm, 70 p. ; 41 ill. NB et 14 ill. coul., ISBN : 978-2-35159-702-6, 38 €
(Presses de l’Ifpo, Beyrouth 2014)
 
Recensione di Gaëlle Dumont
 
Numero di parole: 1407 parole
Pubblicato on line il 2016-04-28
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2573
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          En 1977, Henri Stern publiait Les mosaïques des maisons d’Achille et de Cassiopée à Palmyre. À défaut d’une étude détaillée de ces maisons (architecture et décor), jamais menée à bien en raison notamment de l’instabilité dans la région, Janine Balty propose ici une remise en perspective de ces mosaïques à la lumière des découvertes archéologiques récentes – un pavement mis au jour à Palmyre en 2003 par la mission de Michel Gawlikowski mais également des parallèles découverts à Apamée, à Zeugma et à Nea Paphos – et des travaux dans le domaine de l’iconographie.

 

         Lors de ses recherches préparatoires en 2008, Janine Balty a pu localiser plusieurs fragments des mosaïques dans les musées de Damas et de Palmyre – dans ce dernier cas maladroitement restaurées. Tous les autres panneaux ayant disparu, c’est à la documentation photographique d’Henri Stern qu’elle a dû revenir. Il en résulte une illustration de l’ensemble de qualité plutôt moyenne.

 

         Les deux maisons contiguës dont il est question sont situées à proximité immédiate du temple de Bêl. Elles ont été partiellement fouillées par Raymond Duru entre 1939 et 1941 ; les archives de fouilles ont malheureusement disparu à Damas en 1945. En l’absence de recherches plus poussées, le rapport chronologique entre les maisons et les mosaïques reste inconnu, même si des indices laissent penser que ces dernières pourraient appartenir à une phase de réaménagement. Quoi qu’il en soit, on sait qu’elles sont antérieures à 273, date de la destruction de la ville par Aurélien.

 

         La mosaïque de la maison de Cassiopée occupe le sol d’une salle de 8,30 m × 8 m. Partiellement détruite par un incendie, elle n’est plus observable que sur la moitié de sa surface d’origine. Le panneau principal est un cercle inscrit dans un carré de 4 m × 4 m, comportant un médaillon central de 1,80 m de diamètre. Un panneau rectangulaire de 7,20 m × 1 m forme rallonge à l’avant, et le tout est encadré sur au moins trois côtés de bordures à motifs géométriques.

 

         Le médaillon central dépeint Poséidon présidant le Jugement des Néréides ; dans le cercle extérieur sont rassemblés les protagonistes du concours, avec Cassiopée en point de mire entourée de plusieurs Néréides, de créatures marines et d’Amours. La composition, qui prend d’ordinaire place dans un espace rectangulaire, est ici habilement adaptée pour un cadre annulaire. Le dynamisme et l’expressivité des figures sont remarquables. Dans les quatre écoinçons sont figurées les Tropai saisonnières, représentations des solstices et des équinoxes, mais seule celle du Printemps est conservée. Le tapis rectangulaire servant de rallonge porte une scène de Centaures chassant des panthères et des ours dans un paysage montagneux.

 

         Contrairement à la tradition classique, où Cassiopée est punie de son hybris par Poséidon, elle apparaît ici triomphante, dressée sur le même axe vertical que le dieu et dans l'axe de l'entrée de la salle. Son iconographie emprunte à celle d'Aphrodite Anadyomène, fort en vogue dans les provinces orientales de l'Empire.

 

         L’étude iconographique permet de donner une interprétation cosmologique à l’ensemble, à commencer par la composition qui évoque la transposition au sol d’une coupole. Le médaillon central, la zone annulaire en pourtour et les écoinçons sont en effet constitutifs des calendriers et zodiaques connus à Antioche et Palmyre notamment. Les Tropai, qu’Henri Stern considérait comme de simples motifs de remplissage, évoquent les changements de saisons et les mouvements du soleil dans le ciel. Poséidon figure au centre de la composition, à l'emplacement du char d'Hélios sur les zodiaques ou de l'allégorie de l'année sur les calendriers. Il n'a du dieu de la mer gréco-romain que l'apparence, mais occupe symboliquement la place d'un dieu cosmique. 

 

         La représentation de la victoire de Cassiopée et l'absence de représentation de sa fille Andromède, sacrifiée en punition de l'orgueil de sa mère, n'est pas en soi surprenante. Elle est également connue à Apamée et plusieurs textes rapportent que les deux mythes sont parfois dissociés et s'éloignent de la légende grecque. En revanche, dans la tradition locale, Cassiopée est apparentée au dieu Baal du Mont Cassius et de ce fait associée aux sommets. Sa victoire symbolise celle de l’ordre cosmique sur le chaos des flots, c'est-à-dire la victoire des dieux du ciel sur les dieux de la mer. Quant à Poséidon, malgré son iconographie classique, il personnifie ici Baal, dieu cosmique local, non pas le dieu grec de la mer mais celui qui la domine et la maintient dans ses limites.

 

         Outre cette lecture cosmogonique, un détail de composition permet également de livrer de cette mosaïque une interprétation philosophique. Aux pieds de Poséidon, un enfant ailé, le visage tourné vers le dieu, tient une amphore. Une mosaïque de Nea Paphos (Chypre) permet d'éclairer le rôle de ce petit personnage : on y voit le couronnement de Cassiopée face à un Poséidon identifié comme Aiôn, personnification de la notion d'éternité. À ses pieds, un enfant tire d'une jarre une petite pierre, un « lot » qui renvoie au mythe platonicien d'Er le Pamphylien, relatif à la destinée des âmes dans l'au-delà et à la réincarnation. En recevant la couronne d'immortalité, Cassiopée est libérée de la réincarnation, aspiration de l'âme du sage. Il est intéressant de noter la position en W des bras de Cassiopée sur la mosaïque de Palmyre, évoquant la position des étoiles de la constellation qui porte son nom. Non seulement cela renforce l'interprétation cosmogonique, mais rejoint également l'image évoquée par Proclus de l'âme rejoignant l'astre qui est le sien. Dans ce contexte, la frise de centaures fait sens et peut être interprétée comme le triomphe de l'âme sur la matière.

 

         Dans la maison d’Achille, la mosaïque prend place dans les quatre galeries d’un petit péristyle au sein d’une cour carrée de 3,80 m de côté. La galerie orientale est occupée par un grand panneau représentant Achille à Skyros, la galerie méridionale par trois tableaux figurés, liés par un décor géométrique. Dans les galeries ouest et nord, en mauvais état de conservation, n’est plus visible qu’un décor géométrique. Chaque angle est marqué par un médaillon portant un décor figuré. Les motifs décoratifs géométriques sont plus nombreux et élaborés que dans la maison voisine. Bien qu’ils relèvent du répertoire sévérien, on note de nouveaux motifs, une surcharge décorative et l’apparition du style dit « arc-en-ciel ».

 

         La galerie, plus profonde que les autres, est ornée d’un tapis représentant l’épisode d’Achille à Skyros. Fortement endommagée par un incendie, sa compréhension est facilitée par deux parallèles découverts à Zeugma. La galerie sud comporte les images d’Asclépios et d’Hygie contenues chacune dans un octogone étoilé. Entre les deux se trouve un panneau qui dépeint deux figures assises difficiles à identifier. Le décor de la galerie ouest est fortement endommagé. On y voit une tête de Gorgone au centre d’un bouclier. Quant à la galerie nord, elle est ornée d’un tapis à motifs géométriques. Enfin, trois des quatre médaillons d’angle sont conservés ; ils portent les figures de Dionysos, des Dioscures (?) et d’Hermès (?).

 

         L'interprétation symbolique peut être rattachée au programme de la maison voisine : l'épisode dépeint est celui où Achille se débarrasse de ses vêtement féminins pour suivre Ulysse et Diomède à Troie, allégorie de l'âme humaine se dépouillant de ses attaches matérielles pour vivre selon l'esprit.

 

         Dans les deux cas, de nombreux parallèles peuvent être faits avec des mosaïques d’Antioche et de Zeugma, les similitudes étant parfois telles qu’on peut supposer qu’elles ont été exécutées par les mêmes ateliers, probablement situés à Antioche. Elles témoignent en tout cas des modes en vigueur dans la région durant la première moitié du IIIe siècle.

 

         Plutôt que de voir dans ces deux mosaïques une succession de thèmes décoratifs, Janine Balty propose l’hypothèse d’une lecture néo-platonicienne, symbolisant l’âme qui se détache de la matière, le passage de la vie dans la matière à la vie dans l’esprit. Palmyre – tout comme Apamée – a en effet contribué au développement du néo-platonisme en Syrie, par le biais du philosophe Longin, qui y a résidé en 267-268.

 

         Pour conclure, saluons ce projet qui ravive celui d’Inventaire des mosaïques antiques de Syrie, pour lequel un seul fascicule était sorti à ce jour (J. Balty, La mosaïque de Sarrîn (Osrhoène), Paris, 1994). Un catalogue raisonné des mosaïques du musée de Ma‘arret en-No‘man et une étude synthétique de celles de Shahba-Philippopolis sont actuellement en préparation, rendus d’autant plus urgents que le patrimoine archéologique syrien est inexorablement démantelé ou détruit.