Sennoune, Oueded : Alexandrie dans les récits de voyage VIe - XVIIIe siècles. Documents pour l’histoire ou sources historiques ? 289 pages, CD-Rom, 15,5 x 24 cm, ISBN : 978-2-343-05977-8, 31 €
(Éditions l’Harmattan, Paris 2015)
 
Recensione di Marie-Cécile Bruwier, Musée royal de Mariemont
 
Numero di parole: 1715 parole
Pubblicato on line il 2015-09-25
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2578
Link per ordinare il libro
 
 

 

          Cet ouvrage est le résultat d’une étude de plusieurs années, extrait d’une thèse de doctorat en histoire, intitulée Alexandrie et les récits de voyage du VIe au XVIIIe siècles et présentée à l’Université Lumière Lyon 2 en 2008. Il se fonde sur une longue et méticuleuse compilation en bibliothèques et centres d’archives, suivie d’un important travail de traduction de textes pour dresser un corpus de 251 récits de voyageurs qui ont écrit sur Alexandrie. Cette base de données s’appuie également sur la connaissance du terrain égyptien, pays dans lequel Oueded Sennoune a séjourné plusieurs années, notamment au Caire et à Alexandrie, au Centre d’études alexandrines, dirigé par Jean-Yves Empereur. Elle y a accompli plusieurs missions et a participé à divers projets.

 

         Le livre sur lequel porte cette recension s’articule en deux parties : un volume et un dvd. Le volume comprend 289 pages. Après l’introduction, deux chapitres traitent de l’instrumentalisation du voyage et d’une sélection de cinq thèmes parmi ceux qui ont le plus intéressé les voyageurs. Quatre tableaux, une bibliographie de 32 pages et un plan d’Alexandrie complètent le volume. Le dvd contient le corpus de 758 pages, constitué de l’intégralité des textes concernant Alexandrie. Un index de 40 pages facilite leur consultation ; il se divise en trois parties : aspect naturel (géographie, faune et flore, air de la ville) ; aspect humain (personnes, vie quotidienne, économie, vie religieuse, production artisanale…) ; aspect urbanistique et architectural comprenant les collines, l’approvisionnement en eau, les lieux saints juifs, chrétiens et musulmans ainsi que les monuments antiques en ruines.

 

         Oueded Sennoune se donne l’objectif de « réunir tous les récits de voyage de l’apparition du genre, c’est-à-dire au Moyen Âge, jusqu’à l’époque Moderne ». Ce cadre chronologique implique que les dix premiers siècles de l’histoire d’Alexandrie depuis sa fondation jusqu’au début de l’expansion de l’Islam en Égypte ne sont pas pris en compte. Pas plus que les observations et les études des savants qui ont accompagné Bonaparte lors de l’Expédition d’Égypte (1798-1801) ne sont retenus. Leur caractère scientifique explique sans doute qu’ils sortent du champ d’étude de la littérature de voyage.

 

         D’emblée, l’auteure fait observer que la distinction entre les voyageurs dits « occidentaux », c’est-à-dire de langue latine, germanique, slave ou scandinave et les voyageurs dits « orientaux », de langue arabe, hébraïque, turque, perse, arménienne et chinoise n’est pas pertinente. Ainsi, par exemple, certains récits en hébreu sont issus de voyageurs originaires d’Europe. De même, divers locuteurs arabes viennent d’Andalousie. C’est pour cette raison qu’elle privilégie le classement selon les usages linguistiques. Elle constate l’écart important entre les récits des voyageurs dits « occidentaux » et ceux des voyageurs dits « orientaux ». La majorité des récits de langue arabe se situe entre les Xe et XIVe siècles, période au cours de laquelle les pèlerins sont peu nombreux. Les origines des voyageurs « orientaux » sont très variées. Deux Égyptiens, un chroniqueur et un gouverneur, comptent parmi eux. Mais la plupart viennent d’une zone géographique qui s’étend de l’Andalousie à la Perse. Un seul vient de Chine.

 

         Au fil des siècles, de très nombreux voyageurs principalement originaires d’Europe et d’Orient se sont rendus en Égypte à différents titres. Proportionnellement, un petit nombre d’entre eux a laissé un récit de voyage. Généralement, la visite d’Alexandrie n’est pas leur seul objectif ; parfois n’y passent-ils même pas. Selon Oueded Sennoune, les 251 récits dans lesquels il est question d’Alexandrie témoignent d’une triple motivation de la part des voyageurs. En premier lieu viennent les pèlerinages (126), qu’ils soient le fait de juifs, de chrétiens ou de musulmans. Ensuite, de nombreux étrangers sont chargés d’une mission. Celle-ci peut relever de la diplomatie ou de la recherche scientifique. Tel est le cas de 30 personnes originaires de régions d’Allemagne, de 25 autres d’Italie et de 21 Français. Enfin, c’est un projet personnel (36) qui incite à y séjourner, que ce soit par curiosité, pour le goût de la découverte de nouvelles contrées ou encore pour s’instruire. Alexandrie, ville portuaire, a accueilli une très importante population marchande. Elle observe que les auteurs de récits sont généralement des religieux (57). Ce sont aussi des hommes de lettres (36), parmi lesquels figurent des géographes, des chroniqueurs, des écrivains ou des hommes de sciences (17), par exemple, des naturalistes, des médecins, des mathématiciens, des entomologistes. Les voyageurs qui ont laissé des écrits sont aussi de hauts fonctionnaires (45) parmi lesquels se trouvent des ambassadeurs et parfois même des espions. D’autres sont des hommes d’armes (22), des hommes de loi (6), des marchands (12), des marins (5), de grands voyageurs (5). Une seule femme figure parmi les auteurs qui parlent d’Alexandrie. Il s’agit d’une anglaise qui accompagne son mari en Inde en 1779.

 

         Oueded Sennoune engage vivement à une approche critique des témoignages des voyageurs. En effet, certains d’entre eux reproduisent les textes de leurs prédécesseurs sans apporter d’informations nouvelles. Dans d’autres cas, des textes identiques sont publiés plusieurs fois mais sous des noms différents. L’auteure développe son point de vue sur l’instrumentalisation du voyage qui prend des formes variées selon les époques ; ainsi, au Moyen Âge, prévalent, selon elle, la dévotion mais aussi l’érudition alors qu’aux siècles suivants, la diplomatie se met en place ainsi que le souhait d’exploration ouvrant le champ à une politique d’expansion territoriale. Elle résume cinq thèmes parmi ceux qui retiennent l’attention des voyageurs. Elle exclut, dans ce cadre-ci, les descriptions ou évocations des monuments et ouvrages antiques qui ont immanquablement impressionnés les voyageurs d’autrefois comme, par exemple, la colonne dite de Pompée ou le phare d’Alexandrie. Elle opère une synthèse commentée de leurs points de vue sur les interdits, l’hygiène corporelle, les rites religieux, les constructions souterraines et l’environnement olfactif. Dans ce cadre, les voyageurs traitent de la sécurité de la ville, des ports, des portes de la ville, des fondouks et aussi des collines d’Alexandrie. Ils font état de leurs observations sur l’hygiène corporelle qu’elle soit à caractère sacré comme les ablutions avant la prière ou qu’elle soit à caractère profane avec l’usage des hammams et des bassins rupestres. Bien entendu, ils évoquent les comportements religieux tels la prière, le jeune, l’aumône, les cérémonies lors du baptême, du mariage ou du décès ainsi que les traditions ancestrales comme la circoncision. Ils commentent leurs perceptions des églises ou des mosquées et de leur accessibilité ainsi que des interdits alimentaires, par exemple de la consommation d’alcool et de viande de porc, mais aussi de l’interdiction de l’usage du cheval pour certaines catégories de la population.

 

         Cette recherche, déjà vaste, ouvre le champ à divers développements ultérieurs. Ainsi, il serait utile de confronter les informations personnelles et subjectives fournies par les voyageurs à celles des archives administratives et économiques fondées sur des chiffres. Il conviendrait également de joindre les illustrations que les auteurs ont transmises avec leur récit. Ainsi, par exemple, P. Belon propose un Vray portraict de la ville d’Alexandrie en Egypte dans son ouvrage : Les observations de plusieurs singularitez & choses mémorables, trouvées en Grèce, Asie, Iudée, Egypte, Arabie et autres pays estranges (1555). Une étude globale approfondie devrait intégrer aussi les cartes et les plans des atlas ainsi que les descriptions illustrées des cosmographies des XVIe et XVIIe siècles qui se fondent sur les récits des voyageurs pour transmettre une vision d’Alexandrie. Ces ressources iconographiques sont très instructives comme Oueded Sennoune en témoigne d’ailleurs dans son opuscule intitulé Les voyageurs occidentaux à Alexandrie. Des premiers pèlerins à l’arrivée des savants de l’Expédition de Bonaparte (Aix-en-Provence, 2013).

 

         Certes, tout ouvrage est perfectible. Nous nous bornerons ici à quelques remarques. La classification des auteurs de récits de voyage selon leur origine n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Oueded Sennoune s’en rend compte lorsqu’elle choisit de les répertorier par la langue utilisée dans le récit. Mais, là aussi, le critère n’est pas toujours clairement utilisable. Les récits de voyageurs de langue européenne ont, par exemple, connu un tel succès qu’il a entraîné leur diffusion et leur traduction dans différentes langues européennes. Ainsi, par exemple, Oueded Sennoune a eu accès à l’ouvrage de l’Anglais Thomas Shaw traduit en français. Idéalement, il faudrait consulter la publication originale et vérifier qu’il n’y a pas de variantes dans les traductions successives. Martin Seusenio, classé comme « Flamand » est, en fait, originaire de Seussen (Allemagne aujourd’hui) même si son récit est publié en néerlandais en Hollande. À ce propos d’ailleurs, il convient de clarifier la distinction entre les Flamands et les Hollandais même s’ils utilisent une langue apparentée. Ainsi, Cornelis de Bruyn, originaire de La Haye, est Hollandais et non Flamand1 de même d’ailleurs que Jan Sommer. Pour la distinction entre « Flamand », « Néerlandais » et « Hollandais » dans les récits anciens, on peut se référer au Voyage en Égypte du Père Antonius Gonzales 1665-1666 (traduit du néerlandais, présenté et annoté par Ch. Libois), dans Voyageurs occidentaux en Égypte 19 (Le Caire, 1977), tome 1, p. XXXII.

 

         Parmi les compléments utiles pour les lecteurs, il faudrait ajouter un index avec les variantes dans l’orthographe du nom des auteurs lorsque celui-ci est traduit selon la langue de la publication. Par exemple, Cornelis de Bruyn ou Corneille Le Bruyn peut apparaître avec la graphie Bruin, de Bruin, Le Brun ou encore Lebrun. De même Johann Michael Vansleb peut se transcrire Wansleben, Vansleben, Vanslebius, et son prénom Jean Michel voire Giovanni Michele.

 

         Quelles que soient les remarques ou les suggestions que nous pourrions apporter, il n’en demeure pas moins que l’auteure présente ici un outil de travail qui s’inscrit dans la lignée des corpora de textes de voyageurs tel, par exemple, celui qui a été publié dernièrement par l’Institut français d’archéologie orientale du Caire : Essam Salah El Banna, avec la collaboration de Stéphane Pasquali, Le voyage à Héliopolis Descriptions des vestiges pharaoniques et des traditions associées depuis Hérodote jusqu’à l’Expédition d’Égypte, RAPH 36, 2014.

 

         Oueded Sennoune a rassemblé tous les récits de voyages dans lesquels Alexandrie est mentionnée et elle propose la traduction des passages sélectionnés (85 traductions dans 9 langues différentes : allemand, anglais, arabe, catalan, espagnol, flamand, italien, latin, portugais). De ce fait, elle constitue une source d’informations et une base de données importante pour les recherches historiques, archéologiques et ethnographiques sur Alexandrie. Son ouvrage éclaire sur les échanges, le commerce et les relations diplomatiques entre les différents pays européens et le port ouvert sur la Méditerranée.

 


 

1 L’auteure reprend ici l’attribution erronée de J.-M. Carré, Voyageurs et écrivains français en Égypte, t. I, Le Caire, IFAO, 1956, p. 66.