AA.VV.: Programme et invention dans l’art de la Renaissance / sous la direction de M. Hochmann, J. Kliemann, J. Koering, P. Morel, actes du colloque Rome, Villa Médicis, 20-23 avril 2005, 350 p., 120 ill. (Collection d’histoire de l’art de l’Académie de France à Rome, 7), 16 x 24 cm - ISBN 978-2-7572-0012-4 / 25 euros
(Co-édition Académie de France, Rome / Somogy, Paris 2008)
 
Compte rendu par Isabelle Richefort, Archives historiques du ministère des affaires étrangères
 
Nombre de mots : 1321 mots
Publié en ligne le 2008-08-20
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=258
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Les actes du colloque « Programme et invention dans l’art de la Renaissance » organisé à la Villa Médicis du 20 au 23 avril 2005, publiés, sous la direction de Michel Hochmann, Julian Kliemann, Jérémie Kœring et Philippe Morel, dans la collection d’histoire de l’art de l’Académie de France à Rome, s’inscrivent dans la suite des recherches sur les questions de programme iconographique menées, depuis le début du XXe siècle, par les spécialistes de la Renaissance comme Aby Warburg, Erwin Panofsky, Fritz  Saxl, Edgar Wind et Ernst H. Gombrich, mais aussi dans le prolongement des travaux plus récents sur l’interaction entre artistes et hommes de lettres dans le processus créatif. Les rapports entre lettrés et artistes y sont examinés, tout comme la question de la confrontation des modèles historiques et poétiques avec la structure des décors.

 

Les contributions réunies dans ce volume s’articulent autour de six thèmes : les éléments de définition ; le programme en question ; le lettré et l’invention ; l’invention et l’agencement (modèles rhétoriques et philosophiques) ; l’artiste et l’invention ; les modalités de réception. Julian Kliemann analyse tout d’abord la notion d’invenzione, employée à la Renaissance pour caractériser le contenu d’une œuvre d’art, et propose de substituer ce terme à celui de programme. Antonio Pinelli essaie, pour sa part,  d’identifier, en croisant différentes interprétations de plusieurs cycles – la sala del Concistoro du palais public de Sienne, les stanze del Sonno et della Solitudine du palais Farnèse de Caprarola ou la galerie des Cartes du palais du Vatican –, les critères selon lesquels les programmes iconographiques étaient formulés et structurés (notamment par le recours aux modèles rhétoriques ou mnémotechniques) et d’apprécier la part respective du commanditaire, du lettré et de l’artiste.

 

Les rapports entre les écrits des auteurs de programmes décoratifs et les décors eux-mêmes sont l’objet de deux mises en garde méthodologiques. Réexaminant certaines interprétations iconologiques de la Sala Paolina (château Saint-Ange), de la stanza del Sonno (Palais Farnèse de Caprarola) et de la salle des Cent jours (palais de la Chancellerie), Michel Hochmann souligne que leur confrontation avec les invenzioni révèle une conception de la cohérence bien éloignée de la nôtre et que les parties d’un décor ne peuvent être ramenées à un seul message ou à une interprétation unique. Quant à Guillaume Cassegrain, il s’interroge, prenant comme principal exemple le cycle de l’Amour de Véronèse (Londres, National Gallery), sur la pertinence de certaines notions critiques régulièrement utilisées par les historiens de l’art et il explique en quoi la recherche des intentions et des textes-sources gomme toutes ambiguïtés des images.

 

Le rôle des lettrés dans l’élaboration des décors retient l’attention de Cristina Bragaglia Venuti et Claudia Cieri Via qui étudient l’influence de Pirro Ligorio, inventeur et dessinateur à la cour pontificale de Pie IV et à la cour d’Alphonse II d’Este à Ferrare, sur les artistes : considérations sur l’importance du Libro X dell’antichita pour la transmission des modèles iconographiques, d’une part, et  analyse iconographique comparée des décors du casino de Pie IV (Vatican) et de l’appartamento dello Specchio au castello Estense de Ferrare, d’autre part. Emmanuel Lurin s’intéresse de son côté au rôle joué par Onofrio Panvinio, frère augustin, bibliothécaire et théologien d’Alexandre Farnèse, l’un des meilleurs spécialistes des Antiquités romaines et de l’histoire ecclésiastique, dans la conception des décors de Caprarola.

 

L’incidence des modèles rhétoriques et philosophiques dans l’élaboration des ensembles poétiques et décoratifs est l’objet de deux études.  Francis Goyet se penche sur la cohérence des programmes décoratifs en la comparant à l’ordre des sonnets au sein du recueil des Regrets de Du Bellay tandis que Carlo Falciani étudie les scènes de la galerie d’Ulysse de Fontainebleau en les rapprochant des réflexions philosophiques de Guillaume Budé sur la « juste discipline » des études. La figure d’Ulysse présentée à François Ier par Budé est la métaphore d’un parcours néoplatonicien qui vise à atteindre la vraie sagesse.

 

Quatre études sont consacrées à l’invention artistique proprement dite. Patricia Rubin analyse le rôle de l’invention dans les tableaux religieux de Filippino Lippi, qui s’inspirait des écrits dans ses œuvres et avait une profonde intelligence du fonctionnement du signe à l’intérieur même de la peinture. Ulrich Pfisterer s’attache à l’Aumône de saint Roch (Dresde), tableau dans lequel Annibal Carrache développe sa conception sur les possibilités d’une novita artistique : la redécouverte de l’historien chrétien consiste en une juxtaposition  des événements historiques et bibliques avec des signes allégoriques bien identifiés, en l’occurrence, les vertus théologales (Foi, Espérance, Charité). L’image atteint ainsi un plus haut niveau de compréhension. Stephen J. Campbell, à partir du Combat de l’Amour et de la Chasteté peint par Pérugin pour le studiolo d’Isabelle d’Este, œuvre conçue pour poser un problème d’interprétation, montre que les programmes humanistes de la Renaissance n’avaient pas uniquement des effets paralysants sur l’invention et que celle-ci est forcément équivoque. Philippe Morel, examinant les décors de Francesco Salviati et de ses prédécesseurs, prend en considération leur syntaxe décorative et leurs registres lexicaux (mode de distribution, de différenciation et d’articulation des composantes du décor, des types d’encadrement et de mise en scène).

 

Enfin, deux contributions concernent les modalités de réception des tableaux et des grands décors : Valeska von Rosen s’intéresse au cycle de peintures exécutées par Titien et Bellini pour le camerino du duc Alphonse d’Este au palais ducal de Ferrare, type idéal de réception et de mode d’expression d’un cycle d’images dans un studiolo de la Renaissance. Quant à Jérémie Kœring, il rappelle qu’un orateur pouvait accompagner les visiteurs pour s’assurer de l’intelligibilité des décors, ce qui présentait trois avantages : force du discours propre à persuader les spectateurs, adaptation de celui-ci à toutes les circonstances de visite et possibilité pour le prince d’apparaître comme la source du savoir par la dialectique de dissimulation et de dévoilement. 

 

En conclusion, ce volume constitue une importante mise au point sur la question du programme iconographique de la Renaissance, sujet d’études et de réflexion pour les historiens de l’art depuis plus d’un siècle. L’objectif, recherché par les différents auteurs, de mieux définir les limites de la notion de programme, d’une part, et de mieux appréhender, dans son acception artistique, celle d’invention, d’autre part est pleinement atteint. L’ouvrage apporte des éclairages nouveaux sur l’élaboration de l’invention, les relations entre lettrés, artistes et commanditaires, les échanges avec les modèles rhétoriques ou poétiques, la réception des œuvres, les rapports entre les éléments d’ornement et les formes représentées. Il propose  aussi des pistes de réflexion et de recherche ainsi que des outils méthodologiques et des grilles d’analyse qui pourront être utilisés avec profit pour d’autres décors peints et d’autres périodes.

 

 

SOMMAIRE

 

 

AVANT-PROPOS

7 Richard PEDUZZI

 

INTRODUCTION

9 Michel HOCHMANN, Julian KLIEMANN, Jérémie KOERING, Philippe MOREL

 

ELÉMENTS DE DÉFINITION

 

Julian KLIEMANN

17 Dall’invenzione al programma

 

Antonio PINELLI

27 Intenzione, invenzione, artifizio. Spunti per una teoria della ricezione dei cicli figurativi di età rinascimentale

 

LE PROGRAMME EN QUESTION

 

Michel HOCHMANN

83 A propos de la cohérence des programmes iconographiques de la Renaissance

 

Guillaume CASSEGRAIN

95 Le programme de la méthode

 

LE LETTRÉ ET L’INVENTION

 

Cristina BRAGAGLIAVENUTI

109 Per l’interpretazione dei cicli decorativi di Pio IV: alcune considerazioni sul Libro X deIl’antichità di Pirro Ligorio

 

Claudia CIERI VIA

127 Tempus vincit omnia: Pirro Ligorio fra Roma e Ferrara

 

Emmanuel LURIN

153 Les restitutions de scènes antiques: Onofrio Panvinio iconographe et inventeur d’images

 

INVENTION ET AGENCEMENT MODÈLES RHÉTORIQUES ET PHILOSOPHIQUES

 

Francis GOYET

177 Le recueil de sonnets comme ensemble de tableaux, c’est-à-dire de loci

 

Carlo FALCIANI

203 L’orma del testo: la galleria d’Ulisse corne metafora della“justa disciplina”

 

L’ARTISTE ET L’INVENTION

 

Patricia RUBIN

227 Filippino Lippi “pittore di vaghissima invenzione”: Christian poefry and the significance of style in latefifteenth-

century altarpiece design

 

Ulrich PFISTERER

247 L’Elemosina di san Rocco di Annibale Carraccie l’innovazione della historia cristiana

 

Stephen J. CAMPBELL

271 “ La poetica nostra invenzione” : Isabelle d’Este, le Pérugin et Paride da Ceresara

 

Philippe MOREL

285 Fonction des systèmes décoratifs et de l’ornement dans l’invenzione maniériste : réflexions autour de Francesco Salviati

 

L’INVENTION ET LES MODALITÉS DE SA RÉCEPTION

 

Valeska VON ROSEN

311 Diletto dej sensi et diletto dell’intelletto : Les Bacchanales peintes par Bellini et Titien pour Alphonse d’Este

considérées dans leur contexte de réception

 

Jérémie KOERING

353 La visite programmée : le rôle de l’orateur dans la réception des grands décors

 

RÉSUMÉS DES ARTICLES

 

373 français - italien - anglais – allemand

 

393 INDEX

 

407 CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES