Meunier, Florian : Martin et Pierre Chambiges. Architectes des cathédrales flamboyantes. 360 p., 235 ill. en couleurs, ISBN : 978-2-7084-0975-0, 52 €
(Picard, Paris 2015)
 
Rezension von Alain Salamagne, Université de Tours
 
Anzahl Wörter : 1724 Wörter
Online publiziert am 2020-05-14
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2599
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          Les travaux sur l’architecture gothique de la fin du Moyen Âge ou du début de la Renaissance se sont multipliés ces dernières années, soit sous forme de synthèse régionale (on pensera entre autres à Étienne Hamon [et al.], La Picardie flamboyante: arts et reconstruction entre 1450 et 1550, actes du colloque tenu à Amiens, du 21 au 23 novembre 2012, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015), soit sous forme de monographies. Les recherches d’Ethan Matt Kavaler sur le « gothique de la Renaissance » (Renaissance Gothic: architecture and the arts in Northern Europe, 1470-1540, New Haven, Conn. London, Yale University Press, 2012) ont en particulier abordé les problèmes stylistiques de cette architecture foisonnante mais longtemps peu étudiée. Le rôle exact joué par les architectes reste souvent difficile à appréhender en raison des difficultés à mettre en relation les œuvres et leurs créateurs. Une série de publications ont néanmoins permis d’approcher la personnalité artistique des créateurs des années 1500, soit en replaçant leur action dans le cadre de l’histoire du bâtiment (Merlijn Hurx, Architecture as profession: the origins of architectural practice in the low countries in the fifteenth century, Turnhout, Brepols, 2018), soit en tentant de retracer leur carrière et de préciser le corpus d’édifices et leur style.

 

         Florian Meunier s’inscrit dans cette veine en proposant une monographie consacrée à  deux grands architectes de la fin du XVe et du début du XVIe siècle, Martin et Pierre Chambiges, sur lesquels nous n’avions que des publications un peu anciennes. La première occurrence de Martin Chambiges comme maçon remonte à l’année 1473 lorsqu’il est attesté à Amboise où il travaillait pour la ville au pont sur la Loire. Il serait né vers 1455-1460 et aurait pu être formé dans la moitié nord de la France, autour de Paris, et peut-être en Picardie pour Florian Meunier. Quoi qu’il en soit de sa région d’origine qui reste incertaine, et s’il est possible de suivre le parcours de ce maître maçon et architecte jusqu’à son décès en 1532, les années 1474-1489, probablement essentielles, constituent encore un jalon manquant de son parcours.

 

         Si ses réalisations à Paris, où il réside de 1490 à 1500, ne sont pas mieux connues (à l’exception de sa participation à l’expertise pour la reconstruction du pont Notre-Dame du 21 novembre 1499), une série de sources permet par la suite de reconstituer les grandes étapes de sa carrière. Dès 1490, Martin Chambiges apparaît comme un spécialiste des chantiers d’architecture religieuse, intervenant dans le projet d’achèvement du transept de la cathédrale de Sens, dans celui de la cathédrale de Beauvais, puis de la façade de la cathédrale de Troyes à partir de 1502. Mais c’est à Beauvais qu’il établit sa résidence à partir de l’année 1500. Le nombre de chantiers sur lesquels il intervint (même si d’autres ont pu évidemment exister mais ne sont pas répertoriés par les sources) est donc relativement limité, mais il s’agit de chantiers complexes et prestigieux pour lesquels une grande compétence technique était exigée, en particulier à Beauvais où le chœur, on le sait, s’était écroulé en 1284.

 

         Si Florian Meunier évoque également la carrière de son fils Pierre Chambiges, ce n’est que marginalement, principalement dans les rapports avec l’œuvre de son père. Pierre, qui serait né autour des années 1490, prit en 1519 la direction du projet de la cathédrale de Troyes assumé jusque-là par son père, par ailleurs occupé par l’avancement de celui de la cathédrale de Beauvais. La direction technique du chantier était néanmoins assurée sur place par d’autres maçons. On sait d’autre part que Pierre Chambiges s’orienta à partir de 1527 vers d’autres voies, puisqu’il travailla entre autres sur plusieurs châteaux, celui de Chantilly à la demande du connétable de Montmorency, puis sur les châteaux royaux de Saint-Germain-en-Laye et de la Muette, avant de devenir maître des œuvres de maçonnerie de la ville de Paris. Si Florian Meunier n’aborde pas cet aspect de la carrière du maître maçon, c’est qu’il veut d’abord cerner la question du style Chambiges dans lequel il est difficile de distinguer la main ou les particularités du style de l’un ou de l’autre, du père ou du fils.

           

         Les sources exploitées permettent d’aborder les rapports entre les maîtres d’ouvrage — en l’occurrence d’abord les chanoines, les évêques n’ayant joué qu’un rôle secondaire —, de revenir sur les ressources financières des fabriques, modestes au demeurant, mais qui pouvaient être accrues par des aides royales pour atteindre un maximum de 8000 livres annuelles. À travers les exemples des chantiers des cathédrales de Troyes et de Beauvais, on relève l’importance accordée par le maître d’ouvrage à la présence du maître maçon pour chacune des étapes essentielles du chantier, l’établissement des fondations d’un pilier, le montage de premières assises, la discussion d’un plan. Pour autant, et à défaut ou en complément du maître maçon attitré qui avait la direction conceptuelle du projet, les chanoines n’hésitaient pas à recourir à d’autres experts. On peut parfois s’interroger sur le rôle de certains d’entre eux, ainsi du maçon troyen Jehan Gaide qui, en septembre 1506, fut rétribué pour des dessins réalisés sur parchemin pour le projet des tours de façade de la cathédrale de Troyes ; pour Florian Meunier il s’agirait uniquement d’une étape du projet de Chambiges, un simple agrandissement des plans de Martin destiné à être présenté au chanoines. Certes mais il était fréquent aussi qu’un commanditaire demande, dans le cadre d’une disputatio, différents projets à des maçons, en leur prescrivant ensuite d’en réaliser une synthèse. Et il est vrai que les dispositions de la façade de la cathédrale de Troyes présentent un certain nombre de particularités distinctes de celles de Beauvais. Alors que les maçons sont fréquemment désignés du terme de latomus, Martin et Pierre Chambiges sont plus souvent qualifiés d’« architector », un qualificatif incontestablement honorifique aux yeux des chanoines par rapport à leurs capacités, qui transparaît encore dans les gratifications particulières dont ils bénéficièrent.

 

         Si l’histoire des chantiers de construction est abordée brièvement à travers l’évocation des métiers de maçons ou des techniques de construction (la cathédrale de Beauvais conserve dans ses combles un engin de levage), c’est d’abord l’histoire des monuments (les cathédrales de Sens, Beauvais et Troyes) et leur style qui retiennent l’attention de l’auteur. Sur ces deux derniers édifices et sur l’œuvre des Chambiges, on disposait déjà de deux ouvrages publiés par Stephen Murray (Building Troyes cathedral, Blomington et Indianapolis, 1987 et Beauvais cathedral. Architecture of transcendence, Princeton University Press, 1989), qui avait très largement entamé la reconnaissance du style des architectes et discuté l’impact de leurs réalisations en Picardie ou Champagne. Si Stephen Murray avait à juste titre reconnu le caractère novateur de la pile ondulée créée par Martin Chambiges, Florian Meunier s’attache plus particulièrement à identifier les traits graphiques de son art en développant une série de réflexions sur son style personnel (les intersections des moulurations curvilignes et non plus perpendiculaires, le trilobe rampant logé entre les éléments pendants verticaux dont Martin fut le créateur en 1490 à Sens, etc.). En soulignant à juste titre que le portail est le lieu privilégié du décor, il revient sur le décor naturaliste développé au portail nord de la cathédrale de Beauvais, avec l’admirable arbre de Jessé aux branches écôtées. Enfin dans une dernière partie est abordée la postérité du style Chambiges —Saint-Étienne de Beauvais, construction contemporaine de la cathédrale, n’étant pas attribué à Martin—, en Île-de-France et en Champagne.

 

         Une série de pièces justificatives (p. 281-333), dont certaines sont inédites et d’autres avaient déjà publiées en partie par Stephen Murray, viennent compléter la recherche. Elles présentent l’intérêt de rassembler l’ensemble des mentions que nous pouvons avoir sur la carrière de Martin Chambiges. Les délibérations capitulaires de la cathédrale de Troyes de 1502 à 1532 (en latin mais elles sont éditées et transcrites en français) et les comptes de la cathédrale de Troyes pour la même période nous renseignent sur la vie du chantier, sur les échanges épistolaires entre les chanoines et les architectes, sur le rythme des travaux, sur les expertises et même sur les indemnités accordées aux ouvriers blessés sur le chantier. À travers ces extraits sont décelables encore, de façon implicite, les tensions sociales qui existent entre le monde des chanoines et celui des ouvriers du chantier, de la réclamation réitérée du maître maçon Jean de Soissons pour des augmentations de salaire, à la surveillance étroite de commissions de chanoines en charge d’examiner les travaux ou le zèle des ouvriers au travail. On ignore si ces chanoines avaient de véritables compétences en architecture, mais en tout cas leur suivi du chantier était réel, allant ainsi, en 1522, jusqu’à examiner la hauteur d’un bâtiment épiscopal en cours de construction, de peur que ce dernier ne vienne oblitérer à la vue la façade de la cathédrale.

 

         Une bonne illustration permet de suivre aisément les propos de l’auteur. Au titre des regrets néanmoins, des plans qui n’ont pas été actualisés, mais qui sont repris de publications antérieures et une prosopographie des maîtres maçons concernés par ces grands chantiers de cathédrale qui fait défaut. L’ouvrage constitue donc une très bonne contribution à la connaissance de figures exceptionnelles d’architectes des années 1500, Martin et Pierre Chambiges, architectes dont la carrière, il est vrai, peut être mise en valeur par un ensemble de sources et d’édifices conservés, ce qui est loin d’être toujours le cas. D’autres recherches ou découvertes viendront peut-être un jour combler les lacunes que nous avons encore sur la carrière d’une figure capitale de l’architecte à la fin du Moyen Âge.

 

Sommaire

 

INTRODUCTION 9

 

PREMIÈRE PARTIE

LE MÉTIER D'ARCHITECTE  21

1. Martin et Pierre Chambiges, chronologie de leurs carrières 21

II. Les chanoines, maîtres d'ouvrage

et habiles financiers  34

III. Martin Chambiges, architecte:

le mot et la fonction 71

IV: Tel père, tel fils?

De Martin à Pierre Chambiges  92

V. Les maîtres maçons sur le chantier  102

 

DEUXIÈME PARTIE

LES MONUMENTS 119

VI. Le transept de la cathédrale

de Sens (1490 -1515) 121

VII. Le transept de la cathédrale de Beauvais

de 1500 à 1532  131

VIII. La façade de la cathédrale de Troyes

(de 1502 à 1532) 152

IX. Le transept de la cathédrale

de Senlis 169

 

TROISIÈME PARTIE

LE STYLE DES CHAMBIGES

ET SA POSTERITÉ

X. Art flamboyant et composition des façades 177

XI. Illusionnisme et jeux de courbes 200

XII. Pierre Chambiges 234

XIII. Postérité du style Chambiges 246

 

CONCLUSION  276

ANNEXES  279

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE  334

ENGLISH SUMMARY 352

INDEX  354