Charron, Pascale: Le Maître du Champion des dames, (Collection : L’art et l’essai), 15x22 cm, 550 pages, 30 ill. coul. et 150 n/b, 45 euros, ISBN, 2-7355-0556-1
(Paris, INHA 2004)
 
Compte rendu par Françoise Robin, Université Paul-Valéry Montpellier III
 
Nombre de mots : 824 mots
Publié en ligne le 2008-06-14
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=264
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Pascale Charron a réalisé ici un ouvrage fort bien conçu. L’énorme bibliographie rassemblée, les index des œuvres, des personnes et des lieux ainsi que la qualité et le nombre des illustrations judicieusement amenées et rassemblées, permettant de faciles comparaisons, en font un livre de consultation particulièrement commode. Deux belles et longues annexes, l’une de notices codicologiques sur les manuscrits du Maître du Champion des dames, l’autre sur les manuscrits conservés des bibliothèques de ses commanditaires (Jean, bâtard de Wavrin, Jean V de Créquy et le Grand bâtard de Bourgogne Antoine), présentées avec soin et précision, offrent de précieux renseignements. Tout ceci vient compléter les 396 pages de l’étude proprement dite. Une étude, au vrai, au titre un peu trompeur puisqu’à travers les manuscrits du Maître du Champion des dames, Pascale Charron étudie, en fait, la peinture lilloise de la seconde moitié du XVe siècle, donnant ainsi à son travail une réelle ampleur.

 

La première partie présente les manuscrits conservés attribués au Maître, dans un ordre peut-être discutable, d’abord les six manuscrits portant des marques de propriété (encore que quatre seulement présentent les marques de leur premier possesseur) pour terminer par les deux manuscrits qui ne peuvent être rattachés à aucune bibliothèque médiévale ou moderne, actuellement conservés à la bibliothèque Inguimbertine de Carpentras. A chaque fois, l’auteur rappelle, peut-être un peu longuement mais sans doute n’était-ce pas inutile, les personnalités de Jean de Wavrin dont deux des manuscrits étudiés portent les armes, de Jean de Créquy, possesseur d’un Recueil sur la guerre de Troie, d’Antoine, Grand bâtard de Bourgogne, et de sa femme Jeanne de la Viéville qui a commandé un manuscrit sur la Manière de la fondation et augmentation de l’église Notre-Dame de Boulogne.

 

L’analyse formelle de l’œuvre du Maître est présentée dans une deuxième partie divisée en quatre chapitres à chaque fois très morcelés. Après des rappels sur les supports, les techniques et les couleurs pour montrer la variété des procédés employés par le maître (fonctions de la commande naturellement), Pascale Charron étudie les formes une par une : figures, posture et gestuelle, drapés et costumes, entre ciel et terre, la mer et les fleuves, architecture et paysage et cætera… Elle poursuit, de la même façon, pour la composition et l’espace (peut-être mieux venues avant les formes ?), pour terminer par les rapports des peintures et du texte et la tradition iconographique, l’un des aspects les plus importants par lequel il aurait peut-être fallu commencer. Une démarche qui peut se comprendre, et certes à la mode, mais qui éclate un peu trop le discours. Les remarques sont judicieuses et fines et l’on ne peut, malgré ces réserves, que souscrire à sa remise en perspective du style depuis longtemps individualisé de ce maître baptisé en 1937, mais jamais étudié en profondeur. Assez curieusement, le manuscrit du Champion des dames qui a fait la renommée de ce peintre anonyme paraît comme une œuvre isolée dans sa production.

 

La troisième partie sur les milieux de formation et de création élargit le champ de l’étude au milieu lillois, le maître ayant été, depuis les travaux de Jean Porcher, localisé autour de la ville de Lille. Pascale Charron a tenté de cerner les cadres d’apprentissage du peintre jusqu’en 1465, date supposée du début de son activité : leçons tirées de l’œuvre du Maître du Missel de Paul Beye et du Maître de l’Epître d’Othéa de Lille, du Maître de Wavrin surtout et du groupe de peintres qui s’inspirent de lui. Un très intéressant chapitre met aussi en lumière le milieu des scribes lillois et le décor des lettres de manuscrits. La production du Maître du Champion des dames (1465-1475) est ensuite replacée dans les grands courants de la peinture lilloise et plus généralement picarde de son époque : liens étroits avec d’autres manuscrits lillois sur papier comme sur parchemin. C’est, en fait, toute la peinture lilloise du XVe siècle qui est longuement examinée et analysée de façon précise et méthodique, aussi bien d’un point de vue esthétique que social (cadres urbains et professionnels, activités et fonctionnement des peintres et peintres verriers lillois,, artisans lillois du livre). Le dossier des cartons de tapisseries attribuées depuis longtemps au Maître est ensuite repris entièrement, les différentes attributions réexaminées : tenture de l’Histoire de Thèbes, tenture des sauvages. Si la première pièce peut simplement être rendue au milieu lillois, la seconde paraît bien, en revanche, directement liée au Maître. Ceci n’a rien d’étonnant. On sait très bien que dans d’autres régions, et certainement aussi dans le Nord, les peintres sont absolument polyvalents, rares étant ceux qui se cantonnent dans la production d’œuvres peintes sur un seul support et pour un seul usage.

Pascale Charron a rassemblé avec talent tous les éléments déjà connus mais encore mal exploités sur ce maître lillois, recréé une personnalité qui s’impose maintenant bien mieux dans le milieu artistique du XVe siècle, donné un sens à une production et à un style et réussi un panorama convaincant de la peinture lilloise de cette époque.