Gabayet, Franck (dir.): La marge orientale du vicus de Boutae. Les fouilles Galbert à Annecy (Haute-Savoie). 445 pages, Collection des Documents d’Archéologie en Rhône-Alpes et en Auvergne (DARA n° 42), ISBN : 2-916125-09-4, 43 €
(ALPARA - Maison de l’Orient et de la Méditerranée, Lyon 2015)
 
Rezension von Olivier Lempereur, Université Savoie-Mont-Blanc
 
Anzahl Wörter : 2292 Wörter
Online publiziert am 2016-03-31
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2643
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          Ce nouveau volume de la série Documents d’Archéologie en Rhône–Alpes et en Auvergne (DARA) est consacré à une série de fouilles menées à Annecy sur le site de l’ancienne caserne du 27e bataillon de chasseurs alpins. Laissée vacante par le départ des militaires dans la commune voisine de Seynod, la zone « Galbert » a pu bénéficier en cinq endroits (couvrant environ 1,6 hectare, sur une emprise au sol de près de 3 hectares) d’opérations d’archéologie préventive dirigées par Franck Gabayet, entre 1999 (premier sondage) et 2005 (dernière campagne).

                 

         Cette large zone située à la périphérie de l’antique vicus de Boutae n’a pu être entièrement fouillée, mais elle a permis d’étudier un espace intermédiaire entre ville et campagne (suburbium). Si une unique fosse à pierres chauffées atteste d’une très brève utilisation entre la fin du VIIIe et le début VIIe siècle av. J.-C., l’ensemble des vestiges mis au jour révèle une occupation uniquement antique de ces terrains, s’échelonnant du milieu du Ier siècle av. J.-C. jusqu’au Ve siècle (présence d’une nécropole et d’une petite ferme). L’abandon du vicus étant fixé au VIe siècle, les fouilles ont donc permis d’établir que la zone Galbert a été évacuée un peu auparavant. L’apogée de son utilisation se situe entre la fin du Ier siècle av. J.-C. et le début du IIe siècle ap. J.-C., quand l’ouverture et le prolongement de rues du vicus se sont accompagnés d’un développement urbain comprenant habitations, entrepôts, ateliers (voir p. 24 le plan des vestiges antiques d’Annecy, complété par les fouilles Galbert).

 

         Après une introduction résumant le résultat des fouilles menées par l’INRAP, le livre s’ouvre sur un chapitre synthétisant les connaissances sur Annecy/Boutae jusqu’au VIe siècle. Le cadre géophysique et le peuplement sont ainsi abordés, dépassant parfois largement l’étendue du vicus. Sont ensuite abordés les résultats des fouilles Galbert proprement dites. Les fossés, puis les voies, ont maillé l’espace à partir du milieu du Ier siècle av. J.-C., favorisant l’implantation des hommes et des activités le long de leurs tracés. Il est difficile de discerner un parcellaire unique, à Galbert comme à Boutae : plusieurs directions divergentes, contemporaines les unes des autres, structuraient l’organisation du vicus.

                 

         Le chapitre 3 aborde les constructions découvertes lors des fouilles du quartier Galbert, notamment à l’intérieur de trois des cinq zones explorées. Un prudent rappel des problèmes sémantiques et archéologiques liés à la notion de suburbium précède la présentation des résultats. Il en ressort que la zone 3 a livré une dizaine de bâtiments sur parcelles, notamment des ateliers caractérisés par la présence de plusieurs foyers. Ils furent progressivement abandonnés au cours du IIe siècle. Ce quartier artisanal est complété par une autre zone, toute proche, dans laquelle deux puits ont été découverts. Un vaste bâtiment (Ier siècle ap. J.-C.) de 18,50 m x 13 m est interprété comme étant une cour intérieure à ciel ouvert entourée de quatre ailes, dans l’une desquelles un foyer appartenant peut-être à un fumoir a été mis au jour. De nouvelles constructions apparaissent durant le IIIe siècle mais sont abandonnées et détruites au siècle suivant. L’hypothèse d’une zone périphérique du vicus destinée à accueillir les voyageurs de passage (p. 118) est très tentante. D’autres activités artisanales datées du Haut-Empire ont été découvertes dans une troisième et dernière zone (zone 2), plus difficile à interpréter. L’approvisionnement en eau fait ensuite l’objet d’une étude spécifique qui met en valeur le rôle des puits : aucun aqueduc antique n’étant connu dans la région d’Annecy, les vingt-et-une structures découvertes dans le quartier Galbert font passer le total des puits à soixante-quatorze pour l’ensemble du vicus. En définitive, ces zones périphériques, marquées par l’activité métallurgique, étaient intégrées au tissu urbain de Boutae, ce qui n’est pas le cas pour le reste des espaces fouillés.

                 

         En effet, le chapitre 4 est consacré au suburbium, « territoire intermédiaire entre la ville et la campagne » (p. 143), situé à l’est du quartier Galbert. Les traces d’un enclos et de fossés indiquent qu’une activité agro-pastorale y a été développée au début du Ier siècle ap. J.-C. Elle fut néanmoins remplacée en partie par une nécropole familiale, toujours durant ce siècle : quatre tombes à incinération ont été découvertes, l’une d’elles contenant encore 689,5 g d’ossements humains contenus à l’origine dans une boîte-ossuaire. Un mobilier assez luxueux (bague en or, verrerie, un rare fragment d’askos) indique que les défunts appartenaient à l’élite locale. Quelques vestiges de grands bâtiments (halles ?) servant au stockage ou aux activités artisanales structurent également ce suburbium. Progressivement abandonné, il ne subsiste dans cet espace aux IVe-Ve siècles qu’une petite exploitation agricole composée d’édifices construits sur poteaux. La zone est des fouilles du quartier Galbert est ainsi une zone transitoire. Les auteurs, reprenant d’anciennes idées de Pierre Broise complétées par des fouilles des années 1990 et 2000, rapprochent le suburbium du quartier Galbert d’une villa dont la pars urbana serait située à quelques centaines de mètres au nord-est et au domaine de laquelle il appartiendrait. La nécropole serait alors celle des propriétaires, désireux de bâtir leur monument funéraire au plus proche de la ville.

                 

         Le chapitre 5 porte sur l’Antiquité tardive, période marquée par l’abandon des bâtiments construits durant le Haut-Empire. Les terrains ne sont pas pour autant laissés en friche. Comme c’est souvent le cas, des tombes, datées du Ve siècle, ont occupé l’espace laissé vacant. Dix-huit sépultures (dans seize tombes) ont été fouillées dans la zone 3, les résultats montrant qu’il s’agissait probablement de personnes liées entre elles (parenté ?). Remarquons que les ossements présentent un nombre élevé de fractures et de divers développements osseux, signes d’un mode de vie assez physique voire relativement accidentogène. Peu de mobilier a été trouvé dans ces tombes, les céramiques, témoignages du banquet funéraire, étant les éléments les plus intéressants.

                 

         La première partie de l’ouvrage s’achève avec une conclusion très complète qui intègre les fouilles Galbert dans le contexte du vicus de Boutae. Les limites de ce dernier sont ainsi précisées grâce aux emplacements des différentes nécropoles, les nouvelles fouilles permettant d’affiner leurs tracés du côté est. La superficie du vicus est désormais estimée à environ 32 hectares. Mais le grand mérite de cette conclusion est de replacer Boutae dans un espace plus large, aboutissant à une véritable synthèse sur cette ville et son environnement à l’époque romaine. La mise en perspective des fouilles Galbert, des connaissances antérieures (fouilles, inscriptions…) et de travaux archéologiques effectués depuis 2005 (souvent menés par Franck Gabayet) amènent à reconsidérer l’ensemble du vicus jusqu’à son abandon au VIe siècle, dans ses rapports avec le lac d’Annecy comme avec les villae environnantes (peut-être à Brogny au nord du vicus, à Annecy-le-Vieux à Mermoz et aux Barattes…). Ces quelques pages constituent désormais un outil de travail indispensable pour tout chercheur qui s’intéresserait au bassin annécien dans l’Antiquité.

                 

         La seconde partie de la monographie est le catalogue analytique du matériel archéologique découvert dans les fouilles du quartier Galbert. La première étude est consacrée aux monnaies. Le nombre de cent neuf exemplaires donné p. 227 est erroné, le bon nombre de cent onze se trouvant p. 233 et correspondant à l’addition des totaux des cinq zones fouillées (p. 228-233). Malgré ces découvertes, la faiblesse de l’échantillon et le nombre de monnaies non exploitables (quarante-trois frustes ou hors stratigraphie) ont conduit les auteurs à intégrer dans le corpus des pièces provenant de neuf autres sites d’Annecy. C’est donc un catalogue de six cent huit monnaies qui est présenté (dix gauloises et massaliètes, trois de la République et cinq cent quatre-vingt-quinze de l’Empire, imitations comprises). On regrettera que ni les masses, ni les orientations ne soient données. Les monnaies des fouilles Galbert sont d’abord analysées zone par zone, avant d’être intégrées avec celles des autres sites. Ce parti pris permet de tenter un essai de circulation monétaire. Un tableau récapitulatif (p. 245) montre la prédominance des nummi du IVe siècle. Cette belle étude, novatrice pour Annecy, est exemplaire car elle se montre très prudente, comme ce devrait être le cas pour tous les essais de circulation monétaire (p. 251).

                 

         La deuxième étude spécifique porte sur les céramiques. Là aussi, certains lots provenant de fouilles géographiquement proches ont été insérés aux fragments trouvés au quartier Galbert. Les céramiques locales dominent, à l’exemple des productions dites « allobroges » et sont souvent typologiquement proches de celles découvertes à Genève. Des sigillées des ateliers du sud et du centre de la Gaule, ainsi que quelques amphores italiques, hispaniques et orientales indiquent un faible approvisionnement en céramiques plus lointaines. À n’en pas douter, la population du quartier Galbert, et notamment des zones intégrées au vicus, était d’origine relativement modeste.

                 

         Le faible nombre de fragments de verre (quarante-sept) fait l’objet de la troisième étude. Datés principalement du Ier siècle ap. J.-C. et d’origine souvent romaine, on notera parmi eux la présence d’un fragment de bol linear-cut, particulièrement rare hors des rivages méditerranéens de la Gaule Narbonnaise.

                 

         Cinq cent soixante-dix-neuf objets sont rassemblés dans l’instrumentum, parmi lesquels sont comptabilisés trois cent quatre-vingt-douze clous. Une petite statuette en bronze de Vénus, un jeton en plomb, plusieurs dizaines de pesons, des fragments d’équipements de chevaux (harnais) et deux fers de lance sont les éléments les plus remarquables de ce corpus. Les deux dernières séries d’objets cités sont peut-être le signe du passage de cavaliers romains au Ier ou au IIe siècle, ou bien de la présence de vétérans à Annecy (p. 332 ; pour un exemple de soldat qui se serait peut-être retiré à Boutae après son temps de service, voir ILN, Vienne, 763bis).

                 

         La cinquième étude regroupe les ossements d’animaux. Assez nombreux et sans surprise, on trouve principalement sur le site Galbert des restes de chevaux, de bovidés, de caprinés, de porcs, de chiens et de coqs domestiques. La fin du chapitre est consacrée à l’étude des ossements découverts sur cinq autres sites annéciens.

                 

         La dernière étude est consacrée aux observations micromorphologiques. Celles-ci sont « assez délicates à interpréter » (p. 418), les occupations humaines successives ayant détruit les traces antérieures. Il est néanmoins assuré qu’un mur en terre massive avait été construit, et qu’aucun adobe ou sol construit de type épandage soigné ne se trouvait sur le site.

 

         Ce gros ouvrage de 445 pages, écrit en petits caractères disposés sur deux colonnes par page, est un modèle de ce que peut donner l’interaction entre spécialistes de différentes disciplines pour l’étude d’une fouille de telle ampleur. Très bien illustré, c’est une véritable somme, archéologique et historique, qui est livrée par Franck Gabayet et ses collaborateurs. On leur sera d’ailleurs gré d’avoir poursuivi leurs travaux, des annexes n’ayant pu être insérées dans la monographie, mais disponibles en ligne pour compléter la publication[1]. La taille de ce travail explique que quelques coquilles et erreurs aient échappé à l’attention des auteurs :

 

- p. 23, « État 3 : fin du Ier siècle ap. J.-C. » : lire « av. J.-C. »,

- p. 23 à 55, les en-têtes des pages paires indiquent « chapitre 1 : Boutae des origines au XVe siècle, un état de la question », mais il faut lire « des origines au VIe siècle »,

- p. 127, légende de la photo du puits P4167, « partie inférieure plus étroite » pour « partie inférieure plus étroite »

- p. 206, bas de la première colonne, « vicus » à mettre en italique

- p. 209, légende de la figure 95, « Berttrandy et al. », lire « Bertrandy et al. »

- dans la bibliographie, la mention « éditeur pas assuré ! » dans les références des articles « Pastor à paraître » p. 429 et « Reddé 2014 à paraître » n’était pas indispensable, et p. 431 une erreur de frappe et un copié-collé font apparaître un « RIV IX 1933 », qui correspond en réalité au volume 9 du Roman Imperial Coinage, déjà cité à la page précédente avec la bonne abréviation RIC.

 

         Ces menues corrections n’enlèvent rien aux grandes qualités de l’ouvrage qui renouvelle notre connaissance du passé d’Annecy et nous font espérer que d’autres travaux de même ampleur puissent être menés dans les régions alpines.

 

 


[1] A l’adresse suivante : http://www.alpara.org/files/annexes_dara_42.pdf


 

 

 

Sommaire

 

Introduction : Franck Gabayet, p. 17-25

 

Chapitre 1, Boutae des origines au VIe siècle, un état de la question : Colette Laroche, Joël Serralongue, Agnès Vérot, André Marguet, Loïc Serrières, Michel Tarpin et Franck Gabayet, p. 27-55

 

Chapitre 2, La structuration de la marge urbaine : fossés et réseau viaire : Franck Gabayet, p. 57-76

 

Chapitre 3, Entre ville et campagne, éléments de topographie urbaine du Ier au Ve siècle : Franck Gabayet, Sébastien Gaime et Éric Bayen, p. 77-139

 

Chapitre 4, Le suburbium : Franck Gabayet, Jean-Luc Gisclon, Dominique Lalaï, Manon Cabanis, Christine Bonnet et Sébastien Gaime, p. 141-178

 

Chapitre 5, La déprise urbaine : Franck Gabayet, David Gandia, Céline Galtier, Dominique Lalaï et Christine Bonnet, p. 179-202

 

Chapitre 6, Conclusion générale : Franck Gabayet, Agnès Vérot, et Michel Tarpin, p. 203-223

 

Étude spécialisée 1, Étude numismatique et circulation monétaire : Christian Cécillon, p. 225-278

 

Étude spécialisée 2, L’approvisionnement en céramiques des marges du vicus de Boutae (milieu Ier siècle av. J.-C. – Ve siècle ap. J.-C.) : Christine Bonnet et Richard Delage, p. 279-318

 

Étude spécialisée 3, Vases et objets en verre, Souen Fontaine, p. 319-324

 

Étude spécialisée 4, L’Instrumentum, Céline Galtier, p. 325-392

 

Étude spécialisée 5, L’alimentation carnée, Dominique Lalaï, p. 393-412

 

Étude spécialisée 6, Étude micromorphologique, Odile Franc, p. 413-418

 

Bibliographie, p. 419-433

 

 

Sommaire des annexes en ligne

 

Annexe 1, Notices des sites intégrés à l’étude sur les marges du vicus antique de Boutae : divers auteurs, p. 3-21

 

Annexe 2, Catalogue descriptif et analytique de l’ensemble funéraire de la zone 3 : Franck Gabayet, p. 22-41

 

Annexe 3, Les pesons : Carole Cheval et Franck Gabayet, p. 42-51