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Compte rendu par Véronique Soulay, Sorbonne Université Nombre de mots : 1494 mots Publié en ligne le 2019-01-23 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2649 Lien pour commander ce livre
L’ouvrage L’Alsace au cœur du Moyen Âge a été réalisé par le Service de l’inventaire du patrimoine et l’université de Strasbourg à l’occasion du Millénaire de la pose des fondations de la cathédrale de Strasbourg. À la suite de l’exposition tenue en premier lieu à La Maison de la Région en 2015, le livre retrace l’histoire de la cathédrale romane et prolonge son regard de l’an Mil au début du XIIIe siècle, en Alsace et Rhin supérieur, en traitant aussi bien des édifices religieux que de l’architecture civile ou des arts précieux. L'intitulé de l'ouvrage est à ce titre quelque peu trompeur car il n’évoque pas de façon claire le contenu qui compile et met en perspective des données d’histoire de l’art et d’archéologie. Une quarantaine de chercheurs français, allemands et suisses y ont contribué.
Dès l’introduction, Jean-Philippe Meyer rappelle l’importance de la période romane dans la conception de la grande cathédrale gothique strasbourgeoise et explique les choix à l’origine de l’ouvrage, comme la prise en compte du contexte religieux et politique de la construction romane, les comparaisons avec l’architecture religieuse mais également civile et castrale ainsi que la présentation des arts précieux et des témoignages de la vie matérielle. La période retenue est celle de l’âge d’or de l’art roman, de l’avènement du dernier souverain ottonien, Henri II (1002-1024), à la guerre qui opposa le souverain salien Philippe de Souabe (1198-1208) à l’évêque de Strasbourg. L’aire géographique correspond au Rhin supérieur, région qui bénéficiait au Moyen Âge d’une économie prospère fondée sur la culture du blé et de la vigne ainsi que sur le commerce par voie fluviale.
Le premier chapitre présente le cadre politique, celui de l’Empire germanique et du duché de Souabe et de l’Alsace. L’auteur, Thomas Zotz, nous rappelle les limites géographiques et politiques du propos : le Rhin supérieur au sud-ouest de l’Empire Germanique, c’est-à-dire le duché d’Alsace et sur la rive droite du fleuve le duché de Souabe. Le cadre politique est précisé et trois périodes sont identifiées. Tout d’abord, la fin de la dynastie ottonienne, avec, notamment, le règne de Henri II (1002-1024) qui donne la gestion de la région à quelques grandes familles. Son successeur dote le pouvoir épiscopal de Bâle et de Strasbourg. Cette organisation, qui repose sur l’union du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, se délite aves les souverains saliens Henri IV et Henri V. En effet, la seconde période, celle de la querelle des investitures (c. 1075-1122), est propice à l’émergence de monastères partisans de la réforme. Deux familles s’opposent alors, les Hohenstaufer – étendant leur influence sur l’Alsace – et les Zähringen sur la rive droite du Rhin. La troisième période - du XIIe au début du XIIIe siècle – est marquée par l’affirmation politique des villes épiscopales et de leur bourgeois comme à Worms, Cologne, Strasbourg, Fribourg-en-Brisgau.
Dans ce contexte de croissance urbaine, les Zähringen et les Hohenstaufer installent et font croître leur influence dans la région du Rhin supérieur, en partage avec les responsables de l’Empire, rois ou empereurs. À la fin du XIIe siècle et au début du XIIIe siècle, la famille Hohenstaufer arrive au pouvoir avec l’Empereur Frédéric Ier (1152-1190), Barberousse son fils, Philippe de Souabe (1177-1208), s’opposant notamment à l’évêque de Strasbourg Conrad II de Hurrebourg. La période s’achève à la suite de la lutte entre Otton IV et Frédéric II, par la paix retrouvée entre pouvoir impérial et pouvoir épiscopal et le démantèlement du pouvoir temporel des Zähringen. Principalement du côté Alsacien, le XIIe siècle est marqué par l’implantation d’établissements cisterciens.
Le deuxième chapitre est consacré au cadre économique et social de l’âge d’or de l’art roman dans la région du Rhin supérieur. Le « Printemps de l’Alsace », qui se manifeste par le décollage des campagnes, l’augmentation démographique, la modernisation des moyens de productions, des cultures et des pratiques, le regroupement des habitats, la naissance des paroisses et des autorités publiques. La société change et l’Église s’adapte et promulgue des lois pacificatrices comme le serment des Alsaciens par le Pape Léon IX au milieu du XIe siècle. Cette période est également celle de la renaissance du monde urbain. Les cités les plus anciennement peuplées, Strasbourg et Bâle, se développent et s’étendent dans leurs faubourgs, alors que de nouvelles villes naissent selon la volonté des grandes familles seigneuriales. Les villes permettent, alors, l’émergence de nouvelles catégories sociales – les bourgeois et les corporations notamment – ainsi que de nouvelles pratiques – l’économie de commerce et monétaire.
La ville de Strasbourg est étudiée dans le chapitre 3 : de ses origines antiques à son érection en capitale régionale à la fin de cette période, via son extension au Haut Moyen Âge à partir des édifices religieux. Entre le Xe siècle et le milieu du XIIe siècle, la pénurie de textes ne permet pas de retracer avec exactitude le développement topographique de la ville. Les fouilles archéologiques sont des sources précieuses pour montrer l’étendue de la vaste agglomération aux limites de la ville du Haut Empire et au-delà, par les prémices de l’occupation de la rive droite de l’Ill.
Le quatrième chapitre concerne, bien sûr, la cathédrale de Strasbourg. Faute de sources textuelle et archéologique, la cathédrale avant la reconstruction du XIe siècle est peu connue. La période n’étant pas celle comprise dans l’ouvrage, les auteurs ne livrent pas d’hypothèses à ce sujet. En revanche, les fouilles et les sondages livrent des informations importantes sur la cathédrale romane du XIe siècle reconstruite par l’évêque Werner. Plusieurs travaux de rénovation sont entrepris au XIIe siècle
Le chapitre 5 présente un panorama des églises romanes d’Alsace. Il s’organise en fonction de la chronologie, la typologie des plans en quatre sections : les églises basilicales à transept, sans transept, plan centré et nef unique ; le type de couverture, les volumes extérieurs et l’ornement sculpté. Suivent une série de notices sur les édifices romans de l’Alsace du Nord et le Kochersberg, la région de Saverne, de Strasbourg et Molsheim à Sélestat, de Kaysersberg à Guebwiller, de Mulhouse et le Sandgau, traitant aussi bien des édifices phares que des moins connus.
Les édifices religieux de Spire, du Limburg et du Palatinat sont abordés dans le sixième chapitre qui se présente de la même façon : données générales, historiques et stylistiques puis notices pour chaque édifice. Le chapitre 7 sur les églises de Bâle, de Fribourg et du Pays de Bade reçoit le même traitement.
Le huitième chapitre est consacré aux arts précieux dont les arts du métal. L’introduction d’Emmanuel Fritsch nous rappelle le caractère limité du corpus des œuvres qui nous sont parvenues ainsi que le fort rayonnement de l’art mosan en Europe. Comme les chapitres d’architecture, des œuvres très différentes, des plus célèbres comme l’antependium de Bâle, au moins documentées ou connues, les ferrures ou des croix de procession, sont éclairées par des notices propres.
Les trois derniers chapitres (9 à 11) sont consacrés à différents aspects du paysage du Rhin supérieur au Moyen Âge, l’architecture castrale, le maillage urbain, le paysage rural – habitat et pratiques. L’évolution de l’architecture des châteaux est documentée par des fouilles archéologiques qui ont également fourni du mobilier. L’ensemble permet de considérer un nombre plus conséquent de châteaux antérieurs au XIIe siècle de ce que les sources textuelles directes pouvaient laisser penser.
L’ouvrage est très complet et aborde différents aspects de l’art roman. En adoptant un large point de vue, replaçant la cathédrale de Werner dans son contexte politique, historique et architectural du Rhin Supérieur et documentant des édifices ou du mobilier peu connu ou non accessible par le public, Il constitue une référence sans comparaison pour les recherches à venir. La documentation est largement exploitée et les illustrations sont de très grande qualité, notamment les plans des fouilles archéologiques. Néanmoins, il est à regretter la police minuscule utilisée pour les remarques dans les légendes des plans. La volonté exhaustive de l’ouvrage, qui présente l’ensemble des édifices du Rhin supérieur selon l’état des connaissances archéologiques et historiques de 2015, contribue à la réussite de celui-ci. Cependant, l’ajout de quelques cartes de localisation plus générales permettrait aux lecteurs moins habitués à la région du Rhin Supérieur de situer plus facilement les implantations.
Sommaire
Avant-propos Introduction Cadre politique et religieux Le printemps de l’Alsace La ville de Strasbourg La cathédrale de Strasbourg Les églises d’Alsace Les édifices religieux de Spire, Limburg et du Palatinat Les églises de Bâle, Fribourg et du Pays de Bade Arts précieux, arts du métal Les châteaux Les villes Les campagnes Glossaire Carte de localisation
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |