Frommel, Sabine - Wolf, Gerhard - Bardati, Flaminia (éd.): Il mecenatismo di Caterina de’ Medici. Poesia, feste, musica, pittura, scultura, architettura, 17 x 24 cm, 524 pages, 181 fig. n. et b. ds texte (p. 399-522), ISBN 978-88-317-9352, 49 euros
(Marsilio, Venise 2008)
 
Compte rendu par Julien Noblet, Service archéologique de la ville d’Orléans
 
Nombre de mots : 2429 mots
Publié en ligne le 2009-03-10
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
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Consacré au mécénat de Catherine de Médicis, cet ouvrage, réunissant les communications présentées lors du colloque international tenu en septembre 2005 au Kunsthistorisches Institut de Florence et organisé en collaboration avec l’École pratique des Hautes Etudes de Paris, atteste l’intérêt grandissant des chercheurs pour les commandes artistiques féminines. Publié en 2007, le livre Patronnes et mécènes de la Renaissance en France (Presses Universitaires de Saint-Étienne) offrait un large tour d’horizon sur cette question et Kathleen Wilson Chevalier soulignait alors en introduction le cruel manque d’études sur le mécénat des femmes. Aussi, les actes du présent colloque viennent-ils combler une partie de cette lacune historiographique et les vingt articles, illustrant l’ensemble des domaines dans lesquels Catherine de Médicis exerça un mécénat, démontrent comment tout au long de sa longue vie et dans un contexte historique et politique troublé, cette princesse étrangère réussit, en opérant la synthèse entre culture française et culture italienne, à définir un nouveau goût artistique en France.

 

De l’architecture à la littérature, de la peinture à la sculpture, en passant par la musique, les contributions ici rassemblées permettent de mieux percevoir l’utilisation, parfois altruiste mais bien souvent politique, des arts par Catherine de Médicis durant plus de quarante années.

L’architecture est le domaine privilégié par la souveraine. Outre le fait que celle-ci se piquait de savor dessiner un plan et esquisser des élévations, cet art lui permettait d’afficher aux yeux de tous la puissance et la prospérité de son gouvernement et d’asseoir ainsi son autorité et son pouvoir.

Avant la mort d’Henri II, Catherine ordonne la réalisation de petites constructions, passées en revue par V. Droguet, qui témoignent déjà de son goût pour les jardins et de son besoin d’être en contact avec la nature, qu’elle assouvit pleinement par la suite avec la construction de la laiterie de la Mi-Voie. Le décor, confié à Primatice et à Nicolo dell’Abate, achevé en 1564 et sur lequel l’auteur délivre des informations inédites, renseigne sur le raffinement dont fit l’objet cette « ferme modèle », construction originale qui trouvera son apogée au XVIIIe siècle à Rambouillet, à la demande d’une autre reine, Marie-Antoinette. À partir de la mort d’Henri II, Catherine s’adonne avec passion à l’architecture : écartant Philibert Delorme de la surintendance des bâtiments du Roi au profit de Primatice et affirmant par là même ses racines italiennes, elle va entamer des travaux à Fontainebleau, au château de Chenonceau – ancienne propriété de Diane de Poitiers –, à sa demeure de Saint-Maur. Analysées par S. Frommel, ces réalisations, qui par leur caractère ostentatoire cherchent à dissimuler la fragilité de son pouvoir durant les années de sa régence, reflètent l’intérêt de Catherine pour certaines spécificités propres à l’architecture française, tels les pavillons de Saint-Maur qui améliorent la distribution des appartements. Toutefois, Catherine reste très au fait des réalisations d’outre-monts et, comme le fera une autre reine-mère italienne – Marie de Médicis pour le palais du Luxembourg – elle n’hésite pas à se procurer les plans du palais Pitti lors du lancement des Tuileries, à la fois villa et palais. Ce chantier, dont l’avancement est soumis aux aléas des conflits religieux, est confié à Philibert Delorme, qui bénéficie de nouveau des bonnes grâces de la reine-mère. Le parti retenu présente un langage ornemental à la fois français mais empruntant également aux créations italiennes des années 1560. Dans sa contribution, C. L. Frommel s’attarde sur cette œuvre majeure du mécénat architectural de Catherine de Médicis, mais également sur Charleval, réalisation parvenant à une synthèse entre la tradition française et les principaux apports des architectes précédents – tels Delorme et Primatice, qui décèdent tous deux en 1570 – et que l’auteur propose d’attribuer à Jean Gallia. Si Catherine porte tout au long de son règne un intérêt moins grand à l’architecture religieuse, la Rotonde des Valois, où Primatice met à profit les expériences recueillies lors de ses séjours italiens, va exercer en dépit de son inachèvement une très grande influence sur les architectes du début du XVIIe siècle. Ce monument, d’une extraordinaire richesse en raison de l’accumulation des éléments de marbre, était destiné à abriter le tombeau du défunt souverain et de sa veuve, l’une des œuvres sculptées étudiées par G. Bresc-Bautier. Celle-ci détaille également l’approvisionnement, la circulation, le stockage – notamment au dépôt de Saint-Denis – des marbres que Catherine de Médicis cherchait inlassablement à acquérir, n’hésitant pas même lors du « grand tour » de 1564 à dépouiller des monuments antiques. Nourrissant alors une passion pour un matériau encore rare dans le royaume, Catherine apparaît comme le précurseur d’un goût qui va se manifester avec éclat sous Louis XIV. Enfin, il revient à L. Capodieci de nous faire redécouvrir le décor de la chambre d’Henri II et de la reine à Fontainebleau, dont subsistent des éléments, comme la cheminée de Pierre Bontemps ornant aujourd’hui la Salle des Gardes ou le plafond d’Ambroise Perret remonté dans les Appartements des Reines Mères. L’auteur se livre à une étude minutieuse et documentée du décor du plafond de l’ancienne chambre royale qui, par une allusion voilée aux thèmes astraux des deux souverains, délivrait un message universel faisant du roi de France le seigneur du cosmos.

Sans relever du mécénat royal à proprement parler, la Maison Blanche de Gaillon, construite par le cardinal Charles de Bourbon à l’écart de son château et aujourd’hui détruite, est analysée par F. Bardati. Ayant servi de logement temporaire à Charles IX lors de son séjour normand en septembre 1566, ce bâtiment, couvert en terrasse et d’une architecture très au goût du jour, abritait un décor évoquant la politique de conciliation et de pacification entreprise par Catherine et soutenue par l’homme d’église. Quant aux contributions de D. Cordellier et B. Py, elles apportent des précisions sur l’activité de Primatice au service de Catherine mais également de l’entourage royal, comme en témoignent deux cartons destinés à servir de modèles pour des vitraux d’Anet.

 

 

La volonté de Catherine de parvenir à une osmose entre les traditions françaises et italiennes se perçoit dans les autres aspects de son activité de mécène. Comme le met en évidence S. Mamone, elle va toujours incarner le « mythe de l’italianité », mais à la fois comme culture rêvée, proposée ou rejetée. Après son enfance florentine, Catherine, entre 1529 et 1533, découvre la culture romaine, dont le faste des fêtes organisées par la municipalité, la cour pontificale ou par l’aristocratie est présenté par M. Boiteux. Participant parfois d’une stratégie sociale et politique, ces festivités ont marqué la future épouse d’Henri II qui, une fois en France, va toujours chercher à se tenir informée des événements romains. En entretenant un perpétuel échange entre les deux cultures, elle va stimuler la création artistique dans de nombreux domaines. Ainsi, Catherine, qui porte un grand intérêt à la musique, sujet traité par P. Canguilhem, fournit par exemple des chanteurs et des castrats aux chapelles de princes italiens tout en favorisant la pénétration de certaines caractéristiques de la musique italienne en France comme l’illustre, lors des fêtes données à Lyon pour l’entrée du couple royal en 1548, la mise en scène de la Firenze Illustrissima. De même, Catherine recrute de nombreux joueurs de violon italiens et, en collaboration avec le plus célèbre d’entre eux, Beaujoyeux (de son vrai nom Baldassare di Belgioioso), impose avec le ballet de cour un nouveau type de spectacle dont le première représentation accompagne en 1573 la venue des ambassadeurs polonais. Cette création française allait être à son tour importée à Florence par Christine de Lorraine… Par les fêtes et la danse, où se trouvaient réunis catholiques et protestants, Catherine cherchait à donner l’image de la cohésion du pays même au plus fort des guerres de religion, s’attachant inlassablement, comme le souligne B. Sandberg, à combattre les critiques de ses contemporains. La série de dessins relatant L’Histoire françoyse de nostre temps et destinés à servir de modèles pour un projet de tapisseries non réalisé témoigne de la propagande déployée par la reine-mère pour légitimer son exercice du pouvoir. Aujourd’hui connue sous le nom de L’Histoire des rois de France, cette suite de vingt-sept dessins prend comme sujet les quatre rois de la nouvelle dynastie des Valois Angoulême. B. Gaehtgens, en replaçant cette œuvre dans son contexte historique, social et politique, démontre que les tapisseries projetées, éléments indispensables de l’apparat festif, visaient durant cette période troublée à délivrer des messages forts, des symboles efficaces cherchant à persuader l’ensemble des sujets du royaume de la prospérité et du bonheur présents. Par ailleurs, l’omniprésence de Catherine dans cette série, qui apparaît dix fois, tantôt sous les traits de Pallas Athéna, tantôt sous ceux de Junon, fait de la reine-mère, par sa participation aux événements historiques décisifs des quatre derniers règnes, la garante de la dynastie des Valois. Cette série de tapisseries aurait dû prendre place dans l’une des deux galeries du nouveau palais des Tuileries, l’autre recevant L’Histoire d’Arthémise.

La communication de A. Zvereva s’attache à démontrer l’importance du mécénat de la reine dans le domaine du portrait français comme le prouvent l’emploi de plusieurs peintres à son service (jusqu’à neuf) et à sa mort sa collection de cinq cent cinquante et un dessins sortis de l’atelier des Clouet, auxquels s’ajoutent trois cent dix portraits dans son hôtel parisien. En faisant réaliser par le portraitiste royal les effigies des personnes de son entourage bénéficiant de sa faveur, Catherine s’approprie le droit de représentation aulique, que lui abandonne Henri II. Par ses commandes, elle affiche aux yeux de tous qu’elle partage le pouvoir de reconnaissance avec son mari et s’attache alors à pérenniser l’image et la mémoire de la cour.

Dans le domaine de la littérature, l’article de J. Balsamo nous apprend que, pour contrer les innombrables pamphlets attaquant la machiavélique florentine, Catherine ne sut pas mettre les lettres à son service, tant pour servir sa gloire que pour justifier sa politique. Ceci n’empêcha nullement la reine d’être accusée de pratiquer un mécénat italianisant, procès qui sera également fait à Marie de Médicis au siècle suivant.

I. de Conihout et P. Ract-Madoux, qui publient en annexe l’Inventaire préliminaire de livres ayant appartenu à Catherine de Médicis, nous présentent la richesse de sa bibliothèque. Par ailleurs, en étudiant les reliures, aux motifs antiquisants ou héraldiques, ils insistent sur l’utilisation systématique après 1559 du matériel emblématique du veuvage. Mis à part les livres et les portraits, Catherine possédait également de nombreuses curiosités que nous dévoile M. Hoogvliet. Abritée dans un cabinet, cette collection, qui mélangeait animaux naturalisés, instruments semi-scientifiques, jeux, mais aussi ouvrages de généalogie et cartes de géographie, visait à accroître le prestige intellectuel et culturel de la souveraine.

Enfin, M. Chatenet s’intéresse à l’évolution, dans la société de cour, du vêtement royal féminin dont les épouses de grands personnages, au cours du XVIe siècle, n’hésitent pas à s’approprier certains attributs. Aussi, afin d’afficher clairement la dignité royale, l’habit de sacre de Catherine de Médicis comprend, pour la première fois, un manteau semé de fleurs de lys d’or. On note ensuite l’apparition, pour le mariage de sa fille Elisabeth avec Philippe II, de la couronne « à l’impériale », que peuvent désormais difficilement imiter les couronnes comtales ou ducales. Enfin, en 1571, lors du mariage de Charles IX avec Elisabeth d’Autriche, celle-ci porte non seulement une couronne fermée, mais aussi un manteau et une robe semés de fleurs de lys affichant ostensiblement que la reine de France possède, à l’égal du roi, la dignité de la Couronne.

 

 

Comme le souligne Henri Zerner en conclusion, ce livre, par la richesse et la diversité des communications, permet de pleinement apprécier la grande personnalité artistique de Catherine de Médicis, dont certains aspects connus sont renouvelés par l’apport de renseignements inédits, que ce soit par exemple dans le domaine de l’architecture avec l’attribution à Jean Gallia du château de Charleval, ou dans celui de la musique avec l’invention du ballet de cour. Par ailleurs, l’envergure du personnage étudié permet à des auteurs de présenter différemment des thèmes qu’ils avaient déjà abordés dans des publications récentes, tels les articles de C. zum Kolk s’appuyant sur l’extraordinaire correspondance de la reine comptant pour la période 1533 et 1574 il est vrai plus de six mille lettres, et de A. Zvereva soulignant son intérêt pour les portraits (articles l’un et l’autre paru dans le collectif Patronnes et mécènes de la Renaissance en France). Cela prouve que l’on pourra encore continuer d’étudier le mécénat de Catherine qui s’est toujours quant à elle intéressée aux arts. En s’entourant des artistes les plus talentueux, elle a su développer une propagande culturelle destinée d’une part à légitimer son exercice du pouvoir pendant la régence et à asseoir l’autorité de ses enfants et, d’autre part, à assouvir sa passion pour l’art dans la lignée de ses ancêtres Médicis.

 

 

Sommaire :

 

Lettres, poésie, livres :

J. BALSAMO, « Ses vertus l’ont assise au rang des Immortels » : Catherine de Médicis et ses poètes (p. 11-38)

I. de CONIHOUT et P. RACT-MADOUX, A la recherche de la bibliothèque perdue de Catherine de Médicis (p. 39-61)

C. zum KOLK, L’évolution du mécénat de Catherine de Médicis d’après sa correspondance, depuis son arrivée en France jusqu’à la mort de Charles IX (p. 63-87)

 

Fêtes, musique, représentation de la majesté royale

B. SANDBERG, Iconography of religious violence : Catherine de Médicis’s art patronage during the French wars of religion (p. 91-112)

S. MAMONE, Caterina de’ Medici regina di Francia e lo spettacolo tra due patrie (p. 113-134)

P. CANGUILHEM, Catherine de Médicis, la musique, l’Italie (p. 135-148)

B. GAEHTGENS, Catherine de Médicis et L’Histoire françoyse de nostre temps. Des tapisseries au service de la régence (p. 149-167)

M. CHATENET, La reine en majesté (p. 169-182)

M. BOITEUX, Fêtes et commanditaires à Rome au XVIe siècle (p. 183-201)

 

Collections, peinture, sculpture

M. HOOGVLIET, Le cabinet de curiosités de Catherine de Médicis dans l’hôtel de la Reine à Paris (p. 205-213)

A. ZVEREVA, « Par commandement et selon devys d’icelle dame » : Catherine de Médicis commanditaire de portraits (p. 215-228)

D. CORDELLIER, Précisions sur l’activité de Francesco Primaticcio et de son entourage au temps de Catherine de Médicis (p. 229-244)

B. PY, Deux projets de Primatice pour les vitraux d’Anet illustrant l’histoire d’Aréthuse (p. 245-249)

G. BRESC-BAUTIER, Catherine de Médicis, la passion du marbre (p. 251-277)

 

Architecture et jardins

S. FROMMEL, Florence, Rome, la France : la convergence de modèles dans l’architecture de Catherine de Médicis (p. 281-303)

V. DROGUET, De l’agrément à la splendeur : le goût de Catherine de Médicis (p. 305-325)

L. CAPODIECI, « Il cielo in una stanza » : la camera di Enrico II et di Caterina de’ Médici nel castello di Fontainebleau (p. 327-343)

F. BARDATI, Un omaggio a Caterina ? Politica, poesia e architettura a Gaillon nel 1566 (p. 345-367)

C. L. FROMMEL, Caterina de’ Medici, committente di architettura (p. 369-389)

H. ZERNER, Catherine et les arts : la fin de la légende noire (p. 391-395)