Ferrari, Matteo (a cura di): L’arme segreta. Araldica e storia dell’arte nel Medioevo (secoli XIII-XV). (Le Vie della Storia, 86), 350 p., ISBN : 9788860876645, 29,75 €
(Le Lettere, Firenze 2015)
 
Rezension von Pierre Garrigou Grandchamp
 
Anzahl Wörter : 2155 Wörter
Online publiziert am 2020-05-28
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2679
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         L’heure n’est plus où l’héraldique était ignorée, comme le rappelait récemment encore Michel Popoff : « Longtemps, dans des pays comme la France, l’Espagne ou l’Italie, elle fut considérée comme un aimable divertissement tout juste bon à étancher des soifs nobiliaires »[1].

 

         La science héraldique a maintenant trouvé sa place comme science historique, délaissant les cabinets des généalogistes pour devenir une des clefs d’analyse les plus puissantes dans bien des disciplines. Elle affirme en particulier son rôle comme auxiliaire de l’histoire de l’art et de l’archéologie monumentale pour aider à identifier les commanditaires d’œuvres timbrées d’armoiries et, partant, à les dater et les inscrire dans une chronologie de la création artistique. De là son expansion comme outil de compréhension des contextes politiques et institutionnels, voire comme clef de compréhension des mentalités. Ces fruits ont été pleinement tirés en France et dans les terres d’Empire, particulièrement pour le Moyen Âge et la Renaissance.

 

         L’Italie a tardé à emboîter le pas, mais les chercheurs transalpins se sont depuis une décennie pleinement saisis de cette dynamique. En atteste en particulier la publication d’un recueil de communications présentées lors des journées organisées en novembre 2011 à Florence au palais Davanzati et au palais Grifoni, puis à Pise dans les locaux du palais della Caronava, complétées par diverses contributions. Il s’agit moins d’actes d’un colloque que d’un miscellenea, publié en l’honneur du professeur Maria Monica Donato, prématurément disparue à la veille de la publication, qui avait beaucoup œuvré pour la reconnaissance du rôle de l’héraldique.

 

         Le soutien apporté à cette entreprise par plusieurs institutions, la Scuola Normale Superiore di Pisa, l’Université de Rome La Sapienza, le Kunsthistorisches Institut de Florence et le Max-Planck-Institut, atteste de la prise de conscience de l’importance du sujet et des enjeux d’une bonne prise en compte de l’étude des témoins héraldiques dans la péninsule. Cet ouvrage est aussi un sorte de couronnement – temporaire seulement, espérons-le – d’une entreprise courageusement menée par la maison d’édition florentine Le Lettere, qui avait publié précédemment trois autres ouvrages attirant l’attention sur l’apport de l’héraldique : Piero della Francesca e l’ultima crociata. Araldica, storia e arte tra gotico e Rinascimento (1999), Segni di Toscana. Identità e territorio attraverso l’araldica dei comuni    : storia e invenzione grafica (secoli XIII-XVII) (2006) et Tutti i colori del calcio. Storia e araldica di una magnifica ossessione (2008).

 

         L’ouvrage rassemble les contributions de vingt chercheurs, dont une Allemande, deux Français et un Portugais, les articles de ces trois derniers étant publiés en français. Il s’ouvre par deux contributions à portée synthétique, qui exposent l’importance d’un changement du regard. Alessandro Savorelli, prônant un ralliement aux conceptions et méthodes de la « nouvelle héraldique », avoue clairement une dette à l’égard de l’école française : cette science doit être considérée comme scrutant une partie des systèmes de signes qui accompagnèrent en Occident l’élaboration des images et affectèrent tous les domaines de la création artistique. La production héraldique est ainsi conçue comme intéressant l’iconographie et la symbologie, et bien plus : ces signes expriment une partie de l’imaginaire du temps et, au-delà de l’affirmation de la propriété des choses, dévoilent une identité à travers des fragments de mentalité, de culture, d’idéologie (p. 17). L’auteur souligne ensuite la spécificité de l’Italie, du fait de la rapide transformation qu’y connut le « monde féodal » et de l’importance de la société urbaine et communale. Il insiste sur les modalités de la transposition des pratiques nées dans l’Europe du Nord-Ouest et leur « naturalisation » dans la péninsule.

 

         C’est ce que s’efforcent d’illustrer les diverses contributions ici rassemblées, à partir de quatre angles d’approche : d’abord, l’héraldique comme outil permettant de situer une œuvre dans son contexte historique et d’approcher les intentions des commanditaires et des artistes, en réinterprétant des signes qui ne parlent pas immédiatement ; ensuite, une approche qui se veut plus herméneutique et envisage la façon dont l’héraldique participe à la construction de mythes, essentiels à la constitution des idéologies, tant seigneuriales que communales, et au déploiement de l’imaginaire « entre pratiques de dévotion et culture chevaleresque » ; dans une troisième étape sont examinées les conditions de l’élaboration théorique du langage héraldique ; enfin, retour au pouvoir, avec l’observation des modalités de l’usage des signes héraldiques comme supports d’une communication politique et d’une propagande, déployée par les groupes et les couches participant à l’exercice du pouvoir.

 

         Le texte de Maria Monica Donato, inachevé du fait de sa maladie, complète cette introduction en insistant sur plusieurs points : la familiarité des citadins avec les symboles, et donc le langage, de l’héraldique, qu’ils comprennent (elle développe ici le cas toscan) ; le rôle décisif de « l’héraldique civique » dans la construction des institutions communales ; l’essai, peu couronné de succès, de freiner l’apposition d’armoiries dans les églises, ce système de représentation laïc étant manifestement compris comme concurrent de celui élaboré par l’Église.

 

         Il est impossible d’analyser ici en détails les apports très nombreux de chacune des contributions. Aussi choisirons-nous de ne mettre l’accent que sur certains aspects, à notre sens particulièrement probants : ils suffiront à mettre en lumière la richesse des propos ici rassemblés.

 

         Emmanuel de Boos date précisément de 1283-1285 le plafond peint du doyenné de Brioude (Haute-Loire), qui ne présente aucune spécificité trahissant l’état religieux du commanditaire.

 

         Alessandro Savorelli décrypte l’étonnante série d’écus armoriés français appartenant à la sphère angevine, qui entourent les armes du podestat de 1289, dans la salle de Dante du palazzo comunale de San Gimignano ; il les interprète comme une claire allégeance au parti guelfe et y voit un exemple précoce de peinture civile et politique, qui n’a rien d’une allégorie.

 

         Marco Merlo s’attache à déchiffrer les intentions du commanditaire qui a fait porter aux martyrs de la légion thébaine, représentés sur un fragment de fresque dans Santa Maria Novella à Florence, des armoiries en relation avec la France ; leur identité noble, imaginaire, renvoie à un monde arthurien, dont la cour angevine a contribué à largement diffuser la connaissance, et souligne l’importance de l’influence culturelle française au sein des chevaliers citadins toscans, tant à Pise qu’à Florence.

 

         Marco Ferrari se penche sur les multiples compositions armoriées découvertes dans les palais communaux lombards : leur intentionnalité politique deviendrait plus marquée à partir du XIIIe siècle et il met en avant à ce propos les « peintures infamantes » stigmatisant les Gibelins, commandées à Brescia par le parti guelfe. L’auteur pointe une autre évolution à la fin du siècle ; l’héraldique devient un instrument autonome et l’apanage du pouvoir dans l’espace public : il multiplie les armes de la Commune sur les bâtiments publics et l’apposition d’armoiries n’est plus tolérée que pour le podestat, le capitaine du peuple et les Anjou.

 

         Tandis que Gian Paolo Ermini montre l’importance de l’apposition de multiples signes sur la cloche du palazzo comunale d’Orvieto (ceux des métiers, du podestat et de la Commune), démonstration reprise par Chiara Bernazzani pour la cloche du Duomo de Lodi, Antonio Conti montre l’apport de l’étude de l’héraldique pour l’histoire de la construction du magnifique petit monument qu’est Santa Maria della Spina à Pise.

 

         Luca Tosi se livre à une belle démonstration des résultats obtenus, grâce à des identifications solidement fondées, pour reconstituer le tombeau démembré de Blanche de Savoie, épouse de Galéas II Visconti, autrefois à Santa Chiara la Reale, à Pavie.

 

         Le rôle des lettrés est mis en avant par Ruth Wolff qui présente un important corpus d’armoiries des podestats de Florence, tant sculptés que peints, en soulignant le rôle des notaires dans l’élaboration et la transmission du langage héraldique, et par Carla Frova, qui présente l’influence du juriste Bartolo de Sassoferrato et de son traité De Insignis et Armis, dans une perspective d’histoire sociale observant les langages de la culture citadine à Pérouse au milieu du XIVe siècle.

 

         Vient l’examen, attendu, d’un des plus beaux ensembles peints du « gothique international », celui du château de La Manta, en Piémont, par Luisa Clotilde Gentile. L’auteur montre combien les intentions peuvent être complexes, plusieurs plans de lecture se superposant dans une composition où l’héraldique « imaginaire » forge du neuf, mêlé à des armes réelles.

 

         Le sujet traité par Laurent Hablot est encore plus complexe ; il traque la mémoire héraldique des Visconti dans la France du XVe siècle. L’enquête s’enracine dans le curieux constat qu’une dizaine de familles s’approprient alors les armes des Visconti ; ce qui ne surprend pas chez le roi, qui fonde sur des liens familiaux ses revendications territoriales en Italie, ne peut s’expliquer dans les divers lignages concernés que par une tendance toujours plus marquée à l’affirmation de chaque individu au sein du groupe. Au surplus, l’adoption de la guivre Visconti relèverait d’une « mode compensatoire », visant à se distinguer par l’affichage de prestigieuses parentés, pratique souple inconnue – voire réprimée – en Angleterre. Cette pratique qui relève « à la fois d’une mode emblématique, d’un discours politique et […] d’une nouvelle logique de représentation aristocratique », est particulière à un groupe familial cohérent de la France de l’Ouest. En son sein, elle illustre aussi une autre nouveauté : la dimension matrilinéaire du lignage.

 

         Miguel Metelo de Seixas ferme la marche, avec une étude sur l’héraldique au service du pouvoir sous Jean II de Portugal. Il met en évidence avec brio la nature d’une entreprise de normalisation visant à l’immuabilité et fondant un programme de gouvernement sur un effort de propagande qui a recours à de multiples supports – sceau, monnaies, blasons sculptés sur les châteaux, colonnes marquant les territoires nouvellement contrôlés – dans une vision totale qui unit en un tout la représentation du pays, de la nation et de l’État. Le système est complet, au service de la royauté, par le soutien qu’apportent les signes héraldiques au développement d’une idéologie politique et religieuse.

 

         Ce riche ouvrage, qui s’achève par une bibliographie conçue par Laura Cirri et Michel Popoff, donne une image précise de l’état de l’art en matière d’application de la science héraldique à la connaissance de la création, dans une perspective vaste qui l’envisage comme un processus au sein d’une société et d’une civilisation. Le pari du potentiel que recèle son utilisation judicieuse, exposé en introduction, est tenu. La nouvelle génération d’érudits et de chercheurs italiens contribuera sans nul doute à de belles moissons[2].

 


[1] Michel Popoff, Bibliographie héraldique internationale (et de quelques disciplines connexes), version 2010, p. 1 (en ligne : www.aih-1949.com › userfiles › biblio_AIH).

[2] Elles n’ont pas tardé. Nous nous bornerons ici à signaler l’ouvrage d’un des contributeurs à ce volume : Antonio Conti, Il segno del falco. Gli Accomanducci di Monte Falcone e un’ipotesi per gli affreschi dell’Oratorio di San Giovanni di Urbino, Roma, Youcanprint Self Publishing, 2016 (étude d’un chef-d’œuvre d’art sacré animé par un style “courtois”, les fresques d’Urbino, peintes par Lorenzo et Jacopo Salimbeni).

 

 

 

INDICE GENERALE

 

 

Per Maria Monica Donato p. 5

 

Alessandro Savorelli, L’arme segreta. Un’introduzione  7

 

Maria Monica Donato, «Ogni cosa è pieno d’arme».

Uno sguardo dall’esterno  19

 

Araldica e storia dell’Arte. inchieste e riletture

 

Emmanuel de Boos, Brioude segreta. Le plafond peint du doyenné  31

 

Alessandro Savorelli, Contesti imprevedibili. Cavalieri di Francia

a San Gimignano  47

 

Francesca Soffientino, La dama, il miles e il “viandante”:

uno stemma angioino nella “cappella” del castello di Lagopesole  63

 

Marco Merlo, L’araldica apocrifa di Bruno. Un frammento enigmatico

della cultura cavalleresca a Firenze  75

 

Matteo Ferrari, Stemmi esposti. Presenze araldiche nei broletti

lombardi  91

 

Giampaolo Ermini, La campana del Palazzo del Popolo di Orvieto

(1316)  109

 

Antonio Conti, I Montefeltro nell’araldica monumentale trecentesca

di Pisa  127

 

Vittoria Camelliti, La Sant’Orsola che salva Pisa dalle acque e

altri dipinti del Trecento pisano  143

 

Luca Tosi, «Un avello di bianco marmo con la sua natural effigie

intagliata»: il monumento funebre di Bianca di Savoia  159

 

Chiara Bernazzani, «Io so che sopra dette Campanne vi è l’arma

della Città»: le campane della cattedrale di Lodi  169

 

Araldica e storia dell’Arte. Tra testo e immagini

 

Allegra Iafrate, «Scutum album aquila nigra secundum dictum, sed a

contrario secundum alium». Note sull’araldica in Matthew Paris p. 185

 

Franco Benucci, Da un uomo a una pietra e viceversa. Un frammento

di lastra funeraria ai Musei Civici di Padova  195

 

Ruth Wolff, Le immagini del potere: visualizzazioni giuridiche su

pergamena e in pietra. Gli stemmi dei podestà di Firenze  207

 

Carla Frova, La riflessione del giurista: Bartolo da Sassoferrato su

“insegne e armi”  221

 

Alice Cavinato, Stemmi a Siena e a Montaperti: i manoscritti di

Niccolò di Giovanni di Francesco di Ventura  235

 

Luisa Clotilde Gentile, Nel giardino di Valerano. Araldica reale e

immaginaria negli affreschi del Castello della Manta  249

 

Araldica. Un codice della comunicazione tra regole astratte e funzioni sociali

 

Laurent Hablot, La mémoire héraldique des Visconti dans la France

du XVe siècle  267

 

Miguel Metelo de Seixas, Art et héraldique au service de la

représentation du pouvoir sous Jean II de Portugal (1482-1495)  285

 

Appendice bibliografica

 

Laura Cirri, Michel Popoff, Bibliografia araldica. Studi e strumenti

per la storia dell’arte  313

 

Gli autori  319

 

Tavola delle abbreviazioni  327

 

Crediti fotografici  329

 

Indice dei nomi  331