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Compte rendu par Frédéric Dewez, Université Catholique de Louvain Nombre de mots : 1767 mots Publié en ligne le 2017-01-20 Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700). Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2700 Lien pour commander ce livre
Jean-Michel Croisille a été professeur de littérature latine et de civilisation romaine à l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Comme l’indique la quatrième de couverture, Nature mortes dans la Rome antique est consacré à l’étude d’œuvres dont le thème est la nature morte.
L’auteur débute par une présentation dans laquelle il explique brièvement sa méthodologie : en croisant représentations picturales et références littéraires, il essayera de remonter à la source de ce genre pictural spécifique pour mieux en cerner les caractéristiques et la portée entre le XVIe siècle et le XXe siècle.
Dans une première partie, Jean-Michel Croisille expose la manière dont cette manière de peindre s’est développée depuis ses origines minoennes jusqu’à l’époque romaine. L’art minoen moyen offre quelques exemples de représentations animales et végétales dont on pourrait dire qu’ils sont les prémices du genre. Ce type de motifs se retrouve également dans l’art grec, depuis le VIIe jusqu’à la fin du IVe siècle avant Jésus-Christ, essentiellement dans les ornements de vase, particulièrement dans des « assiettes à poisson », des vestiges de décors muraux et des pièces de monnaie. Il faudra attendre le début du IIIe siècle pour constater un intérêt marqué pour ce style de décor, principalement dans les peintures tombales de la Grande Grèce. Ce serait un certain Piraeicus, peintre évoqué par Pline l’Ancien dans son Histoire Naturelle, qui aurait sublimé en quelque sorte ce thème pictural, longtemps estimé comme secondaire. L’auteur de l’ouvrage, faisant référence à Agnès Rouveret, considère que l’art de la nature morte serait né de la rencontre entre d’une part la demande d’une clientèle qui souhaitait décorer les pièces dédiées aux repas et d’autre part les recherches des artistes sur la lumière et la couleur. Les œuvres de l’époque romaine que Jean-Michel Croisille a choisi d’étudier s’étalent sur environ cinq siècles, du premier siècle avant Jésus-Christ jusqu’au quatrième siècle après. Il s’agit de peintures murales essentiellement retrouvées à Pompéi, à Herculanum et à Stabies. Certaines d’entre elles proviennent de Rome et de Gaule. À ces peintures s’ajoutent également des mosaïques de pavement.
Les premières représentations de nature morte apparaissent à Pompéi dans le style à incrustation et proviennent, pour la plupart d’entre elles, de la Maison dite du Faune. Parmi les figures données à titre d’exemples par l’auteur, nous avons retenu des chats s’en prenant à différents volatiles, des canards et des poissons, trois colombes de part et d’autre d’un coffret de pierres précieuses et une intrigante tête de mort, entourée des attributs du roi et du mendiant.
L’année 80 avant Jésus-Christ est une année charnière dans la décoration picturale attachée au deuxième style. C’est en effet à cette époque qu’apparaît ce que l’auteur appelle le « trompe-l’œil architectonique » : les parties latérales de plusieurs parois sont ornées de représentations de natures mortes obéissant à deux schémas bien distincts : selon le premier schéma, figurent des poissons, des oiseaux et un lièvre, suspendus tous à des clous. Dans le second schéma, on peut voir apparaître des corbeilles ou des coupes de fruits. Cette technique du trompe-l’œil architectonique disparaîtra peu à peu au bénéfice de la miniaturisation des éléments de décor, typique du troisième style. Mais ce sont les décors typiques du IVe style qui présenteront le plus de natures mortes. Ils se complexifieront progressivement et révèleront le souci, dans le chef des décorateurs, d’une certaine recherche plastique et colorée. L’auteur prend ainsi l’exemple d’une frise qui se développe sur toutes les parois d’un cubiculum de la maison des Vettii : on peut y voir une sorte de vivier renfermant différentes espèces de poissons et de crustacés. Cette ultime période de la peinture pompéienne connaîtra une surabondance de tableaux aux décors variés - vaisselle, aliments ou encore objets divers – qui révéleront une véritable « syntaxe décorative » et dont de nombreux exemples sont conservés au Musée Archéologique de Naples.
Après avoir présenté de manière significative la syntaxe décorative, Jean-Michel Croisille terminera ce deuxième chapitre d’abord par le descriptif de la nature et de la composition des sujets, ensuite par quelques considérations plus spécifiques. Les sujets des natures mortes se répartissent en deux catégories : d’une part les denrées consommables et d’autre part les objets utilitaires et ornementaux. Ces œuvres sont à ce point détaillées qu’elles font office de documentation sur les habitudes alimentaires des Romains. A ces deux catégories, il convient d’ajouter l’instrumentum scriptorium, terme qui englobe tout le matériel d’écriture. Pour l’auteur, la composition de ces natures mortes reste simple mais soignée tant dans les lignes que dans les coloris.
Une fois replacés ces différents décors peints dans le cadre général d’un bâtiment, l’auteur va s’intéresser à quelques exemples significatifs de natures mortes choisis dans des lieux emblématiques. Dans notre lecture, nous avons épinglé deux exemples uniques : la villa Oplontis d’une part et la tombe de Vestorius Priscus d’autre part. Le décor de la Villa Oplontis évolue entre le milieu du Ier siècle avant Jésus-Christ et la date de l’éruption du Vésuve, en 79. Les représentations de natures mortes s’insèrent principalement dans des schémas décoratifs reproduisant des façades monumentales qui apparaissent en trompe-l’œil. L’auteur met en évidence une coupe transparente remplie de fruits sur l’entablement d’une paroi et une corbeille de figues sur une corniche de la paroi nord de la salle à manger. Le second décor assez exceptionnel se présente dans la tombe de Vestorius Priscus, située près de la porte du Vésuve, au nord de Pompéi. Il s’agit d’une table sur laquelle sont présentées une vingtaine de pièces d’argenterie facilement identifiables, des effigies d’oiseaux et des fruits. Comme le souligne Jean-Michel Croisille, ces représentations font sans nul doute allusion de manière très ostentatoire à la richesse du défunt et à sa réussite sociale.
Pour clore ce dernier chapitre de la première partie, l’auteur nous propose une série de tableaux qu’il estime significatifs du genre et qui sont, pour la plupart d’entre eux, conservés au Musée Archéologique de Naples : citons ainsi des emblemata de mosaïques à thème marin ou encore des tableaux sur lesquels figurent victuailles, fruits, animaux et objets variés.
Dans la partie intitulée « Études comparées », l’auteur de l’ouvrage s’attelle à montrer que l’intérêt porté par les peintres à la thématique des natures mortes sera partagé par les écrivains depuis l’époque hellénistique jusqu’à la période romaine tant dans des ouvrages didactiques que dans la poésie satirique. Les quelques auteurs qui se consacrent à l’alimentation et aux produits qui lui sont destinés portent leur intérêt sur la représentation des denrées nécessaires à la préparation des repas. Mais c’est principalement dans la satire que l’on retrouvera des tableaux descriptifs de tables remplies de mets et décorées d’objets variés. Et l’auteur de citer comme exemple le célèbre festin de Trimalcion qui figure dans le Satyricon de Pétrone, à partir du chapitre XXXI. Les agapes chez Trimalcion sont une véritable satire de la société romaine de l’époque de Néron ou des Flaviens et particulièrement de ses recherches gastronomiques démesurées. Un court passage de ce récit peut être associé à la thématique figurée de la nature morte : il s’agit de la mention d’une loterie dont les lots peuvent être assimilés à de petites représentations de natures mortes. Il en va de même pour des objets – couronnes et flacons de parfum – que le maître des lieux offre en cadeau à ses convives.
Le dernier chapitre de cette partie de l’ouvrage est entièrement consacré aux épigrammes de Martial et aux rapprochements qu’il est possible d’envisager avec la peinture. Jean-Michel Croisille débute par ce qu’il appelle des « rapprochements simples » qu’il est possible de faire entre les poèmes très courts – Xenia et Apophoreta - et des figurations isolées de natures mortes. L’auteur précise d’abord les deux termes : les Xenia désignent des victuailles non préparées que les hôtes faisaient parvenir à leurs invités qui pouvaient alors les accommoder comme ils le souhaitaient ; les apophoreta sont des objets variés que l’on tirait au sort à la fin des repas. Il cite ensuite l’étude d’Agostino Barbieri qui avait déjà, en 1953, suggéré une comparaison artistique entre les épigrammes de Martial et la thématique des natures mortes. Il délimite ensuite différents domaines picturaux à l’intérieur des passages du satiriste latin et distingue ainsi les tableaux figurant les vivres isolés, les tableaux qu’il qualifie de « mixtes » et qui représentent les vivres et différents objets et enfin les tableaux où figurent seulement les objets et ustensiles variés. Chaque domaine fait l’objet d’une classification suivie par une interprétation minutieuse de plusieurs passages significatifs dans cette comparaison entre thèmes littéraires et thèmes picturaux.
Comme il l’écrit lui-même, l’auteur a essayé, dans le premier chapitre, de montrer l’évolution et les tendances du genre de la nature morte par l’étude des tableaux les plus significatifs du genre. Dans la seconde partie de son livre, Jean-Marc Croisille met en résonance la représentation d’objets et de victuailles et les œuvres figurées de la littérature tantôt didactique et encyclopédique, tantôt épigrammatique et satirique. Il s’est particulièrement intéressé aux passages dans lesquels les auteurs évoquent des objets de la vie quotidienne ou mettent en scène des repas où apparaissent très clairement des éléments propres à la thématique de la nature morte. L’intérêt porté tant par les peintres que par les écrivains à cette thématique est indéniable. Se pose alors la question de la signification qu’il convient de donner à ce goût partagé aussi bien par les artistes que par les écrivains du monde romain.
Au cours des siècles qui ont suivi, le thème a subi de nombreuses transformations avant de tenir une place prépondérante dans les peintures des XVIIe et XVIIIe siècles que l’auteur qualifie d’« âge d’or du genre ».
Cet ouvrage, rehaussé de nombreuses illustrations de très haute qualité, propose au lecteur un cheminement particulièrement original à travers des œuvres picturales et littéraires dont le point commun est la représentation de certains aspects fugaces de la vie quotidienne. Le choix des extraits et des peintures est judicieux, car il permet à l’auteur de justifier l’intérêt qu’il y avait à tenter le parallèle entre l’art de l’écriture poétique et celui de la peinture.
SOMMAIRE
NAISSANCE ET DÉVELOPPEMENT D’UN GENRE ARTISTIQUE 1 – Origines
2 - L’époque romaine
3 - Principaux ensembles et œuvres isolées
ÉTUDES COMPARÉES 4 - Littérature et nature morte
5 - Les Épigrammes de Martial et la peinture
CONCLUSION Bibliographie Glossaire Index général et topographique
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Éditeurs : Lorenz E. Baumer, Université de Genève ; Jan Blanc, Université de Genève ; Christian Heck, Université Lille III ; François Queyrel, École pratique des Hautes Études, Paris |