AA.VV.: Margueron, Jean-Claude - Rouault, Olivier - Butterlin, Pascal - Lombard, Pierre (dir) : Akh Purattim. 3, 480 p., ISBN : 978-2-35668-032-7, 42 €
(MSH Maison de l’Orient et de la Méditerranée - Jean Pouilloux, Lyon 2015)
 
Compte rendu par Laura Battini, CNRS
 
Nombre de mots : 2156 mots
Publié en ligne le 2018-08-28
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Lien: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2747
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          Le troisième volume de la série Akh Purattim (« Les rives de l’Euphrate ») est sorti en 2015, huit ans après le n° 2, suite à un ensemble de difficultés vaguement évoquées. Comme annoncé dans le n° 2, la priorité a été donnée à la publication des rapports préliminaires de campagnes de fouilles de Mari, qui depuis 1997 n’avaient plus de collection attitrée.

 

         Le volume de 480 pages comprend trois parties, de tailles très variables, la principale réservée à Mari (p. 9-289, 61,00%), la plus petite aux fouilles espagnoles de Tell Qabr Abu al-‘Atiq (p. 465-475, 2,2%), et la moyenne à Terqa (p. 293-462, 36,8%). On se demande quel est l’intérêt d’une troisième partie qui se réduit à un seul court article sur les débuts d’une fouille nouvelle et qui ne représente que 2% du volume global de la publication.

 

         Quinze auteurs ont participé à l’ouvrage. Aux directeurs de fouilles appartient le rapport préliminaire, tandis que les analyses particulières (céramique, palynologie, archéozoologie) sont réservées à des spécialistes. Cela montre que l’interdisciplinarité est devenue un élément essentiel de toute recherche de terrain, même si en comparant les trois missions, on peut regretter l’absence d’homogénéité dans le choix des spécialistes de disciplines auxiliaires intervenant dans les fouilles : aucun article spécialisé pour les fouilles espagnoles, trois pour les fouilles de Mari dont deux de céramistes et un de zoologue, et huit pour Terqa/Tell Masaikh, dont deux sur les objets, deux sur les données anthropologiques, un sur les données palynologiques, un sur la zoologie, un sur les données chimiques et un sur les restitutions architecturales. Ainsi, pour Terqa/Tell Masaikh, les rapports préliminaires sont moins nombreux que les rapports des spécialistes (respectivement six et huit articles). En revanche, pour Mari, on compte 10 rapports préliminaires pour 3 spécialisés et un rapport préliminaire qui se résume à une investigation géomagnétique (p.109-111). Le changement de direction à Mari de J. Margueron à P. Butterlin n’a pas eu d’incidence sur les spécialistes appelés à intervenir dans la fouille. Et pourtant, dans le rapport de fouille de la 34e campagne, J. Margueron rappelle les analyses archéométriques entreprises en 1998 (p.49), dont les résultats n’étaient pas encore disponibles 17 ans plus tard (!). De plus, des travaux biogéochimiques avaient débuté en 2003 mais ils n’ont pas pu être poursuivis à cause de l’abandon de cette recherche par son directeur, T. Ibrahim. Ce dernier n’a d’ailleurs même pas pu signer le rapport préliminaire, c’est Jean Margueron qui s’en est chargé en présentant en quelques lignes le projet d’après le cahier de fouille d’Ibrahim (p. 179-180). Et des travaux géomagnétiques entrepris en 2001 dans une mission de printemps ont pu continuer en 2002 (p. 137 et p. 154-155).

 

         On relève aussi que chaque campagne de J. Margueron, de la 33e à la 41e, à part la 38e, a vu des travaux de restauration pour la préservation de l’architecture en terre (p. 26, p. 50, p. 78, p. 107, p. 156-157, p. 179, p. 206-207) dont la mission de Mari a été l’une des pionnières en Syrie.

 

         Enfin, il est fort dommage que les articles spécialisés concernant les données épigraphiques aient été publiés ailleurs. Ainsi, A. Cavigneaux et L. Colonna d’Istria, cités aux p. 68, 153 et 179, ont publié les tablettes de Mari dans Studia Orontica. On peut s’étonner d’ailleurs que les tablettes découvertes en 2003 n’aient pas encore été publiées en 2015. En revanche, les tablettes découvertes en 1999 et en 2002 étaient déjà parues dix ans après.

 

         La présentation séparée des données archéologiques et épigraphiques comprend deux désavantages, l’un simplement pratique et l’autre plus symbolique. Au niveau pratique, on est donc obligé de consulter plusieurs ouvrages concernant une même fouille. Et au niveau symbolique, c’est aussi un signal très négatif pour les chercheurs d’aujourd’hui et de demain : le fossé entre archéologie et épigraphie se creuse, même si il n’a pas de sens lorsque l’on veut accepter de les concevoir comme des instruments complémentaires dans la restitution du passé.

           

         Sans pouvoir détailler chaque rapport de fouille ou en faire un abrégé, je préfère attirer l’attention sur quelques éléments qui font de cette fouille de Mari l’une des plus significatives de Syrie et du Proche-Orient ancien :

 

- Niveau séleuco-parthe : p. 66-68 (chantier K) ;

- Défenses : tour (p. 144-145), enceinte extérieure (p. 11-14, p.83-85) et intérieure (p. 14-17, p. 37-44, p. 60-64, p. 96-98) ;

- Quartier artisanal (chantier L, p. 138-143, p. 162-172) ;

- Grande rue = 109-111 ;

- Sépultures d’équidés = (chantier L) p. 143 et p. 170 ;

-Tablettes = p.65 (1999, chantier K), p. 98 (2000, chantier K), p. 153 (2002, chantier P), p. 179 (2003, chantier P), pour un total d’environ un millier, ce qui est énorme ;

- Quatrième maquette architecturale ronde de Mari (Béatrice Muller, p. 261-275) ;

- Au chantier G, temple de Ninhursag: 1) empreintes de récipients en métal (p. 21) ; 2) pierres dressées en fondation (p. 124) ; 3) fours de potier (p. 124-126, p. 147-149, p. 175).

 

            Ainsi on ne peut que regretter terriblement les troubles politiques contemporains qui ont visé aussi le site de Mari. Ce qui reste de la ville aujourd’hui pourrait ne plus permettre de comprendre grand-chose à sa topographie ou à son architecture ou bien encore à sa culture matérielle. Mais, une fois la situation politique calmée ou stabilisée, il reviendra aux archéologues futurs de dresser un catalogue des destructions du site, au moins comme témoignage de la dernière phase de vie de la ville.

 

         La nouvelle direction (2005) a voulu se démarquer de la précédente par un changement d’axes de recherche : fouilles sur le voisin Tell Medkouk, ouverture du premier chantier dans la ville, bien que ce deuxième axe ne soit pas complétement nouveau, étant déjà présent dans les projets de l’ancien directeur de la mission (p. 154-155). Il y a eu aussi un remaniement des archéologues (nouveaux participants, maintien de quelques archéologues qui avaient participé aux campagnes précédentes, abandon d’autres anciens participants). Mais on peut regretter l’absence de nouveaux spécialistes et de nouvelles méthodologies de recherche. Le plus gênant reste pourtant la manière de rédiger le rapport préliminaire de fouilles : les archéologues, même les plus confirmés, avec plus d’expérience et travaillant sur le site de Mari depuis plus longtemps que le nouveau directeur de la mission, n’ont pas été invités à signer de leur plume les travaux qu’ils ont menés sur leur chantier, comme cela avait été toujours fait par Jean Margueron. À la collégialité des rapports préliminaires de J. Margueron où tous les responsables du chantier écrivaient leur rapport, succède un contrôle dirigiste ne donnant même pas un titre de publication à des spécialistes qui dépensent leur temps et leur énergie, durant 1 ou 2 mois, en dehors de chez eux, et dans des conditions climatiques difficiles.

 

         La deuxième partie de Akh Purattim débute avec un article de O. Rouault et M-G. Masetti-Rouault (p. 293-305) sur l’historique des recherches à Terqa et sa région, commencées depuis 1987, et sur les nouveaux programmes de 2006 et 2007, fondées sur des prospections archéologiques et magnétiques, des sondages et des fouilles (p. 293-305, p. 331-343). La bibliographie n’est pas citée à la fin de la partie comme pour les fouilles de Mari, mais à la fin de chaque article. Une présentation homogène aurait donné plus d’unité aux trois parties composant le volume. D’un point de vue pratique, la solution adoptée par les missions de Terqa, sous la direction d’Olivier Rouault, et de Tell Masaikh, sous la direction de Maria-Grazia Masetti-Rouault, se révèle plus efficace.

 

         De même, la présentation des rapports préliminaires de ces deux missions a une envergure plus globale et omni-compréhensive par rapport à la première partie de l’ouvrage. Cela est dû à deux facteurs. D’abord, si les deux directions de Mari n’ont pas publié de manière très approfondie les objets, les missions d’O. Rouault et de M-G. Masetti-Rouault donnent une place de choix à la culture matérielle, présentée en deux articles séparés des rapports préliminaires et dotés de très belles photos. De plus, la place réservée, tant pendant les fouilles que dans la relation de ses rapports, aux sciences auxiliaires (prospections, magnétisme, anthropologie, archéozoologie, palynologie, analyses chimiques) montre qu’une manière plus moderne et pluridisciplinaire de faire de l’archéologie n’est pas seulement souhaitable mais vivement recommandée. En particulier, les analyses anthropologiques devraient constamment accompagner toute mission archéologique, comme le montrent celles menées à Terqa et Tell Masaikh (p. 443-453) qui, à travers l’individuation du sexe, de l’âge au moment de la mort et des maladies, aident à mieux comprendre les conditions de vie des hommes anciens.

 

         Pour Terqa et Tell Masaikh aussi, voici quelques éléments qui retiendront sûrement l’attention des archéologues :

 

- Culture matérielle : peintures murales (p. 313-314, p. 352-353), coupe à fruits à décor incisé (p. 387-388), vase en coquille d’autruche (p. 402),

- Découvertes particulières : restes de nattes dans la tombe 1329 (p. 394-395), tombe d’un équidé (p. 329, p. 415-6).

- Architecture : proposition de restitution architecturale par un architecte très connu (P. Azara, p.409-410)

 

            Enfin la troisième partie est constituée par l’article de J. L. Montenero-Fenellós sur la première campagne à Tell Qabr Abu al’-Atiq (2008), où des sondages dans l’acropole ont donné des niveaux médio-assyriens (sondage A) tandis que ceux dans la ville basse (sondages B et C) dateraient du Protodynastique II-III (2750-2500 environ).

 

            Cette troisième parution de Akh Purattim est donc d’une grande richesse, car la région du moyen Euphrate entre Terqa et Tell Qabr Abu al’-Atiq est une zone clé, une zone de contact entre mondes mésopotamien et syrien, à la croisée de différentes traditions culturelles et de différentes routes commerciales, un lieu idéal pour comprendre les phénomènes d’acculturation et d’identité. En espérant que ni les gens ni les lieux n’ont trop subi les effets de cette longue et éreintante guerre…

 

 

Table des matières :

 

Avant-propos du troisième volume 5

 

MARI ET SA RÉGION

Margueron J.-CI. et al., Mari : rapport préliminaire  sur la 33e campagne (1997) 9

Margueron J.-CI. et al., Mari : rapport préliminaire  sur la 34e campagne (1998) 29

Margueron J.-CI. et al., Mari : rapport préliminaire  sur la 35e campagne (1999) 53

Margueron J.-CI. et al., Mari : rapport préliminaire  sur la 36e campagne (2000) 81

Margueron J.-CI. et al., Mari : rapport préliminaire sur la 37e campagne (5-20 avril 2001).

Mission d'étude sur les possibilités d'une prospection géomagnétique 109

Margueron J.-CI. et al., Mari : rapport préliminaire sur la 38e campagne (2001)  113

Margueron J.-CI. et al., Mari : rapport préliminaire  sur la 39e campagne (2002) 135

Margueron J.-CI. et al., Mari : rapport préliminaire  sur la 40e campagne (2003) 159

Margueron J.-CI. et al., Mari : rapport préliminaire sur la 41e campagne (2004) 181

Butterlin P. et al., Mission archéologique française de tell Hariri-Mari :

rapport préliminaire à l'issue de la 42e campagne (septembre-octobre 2005) 209

Butterlin P. et al., Mission archéologique française de tell Hariri-Mari :

rapport préliminaire à l'issue de la 43e campagne (septembre-octobre 2006) 225

Mathot H., La céramique des fouilles de Mari : campagnes de 2005 et 2006 247

Muller B., Mari, chantier F (2000) : la «maquette architecturale» D 261

Vila E., Note préliminaire sur la faune de Mari 277

Références bibliographiques des contributions sur Mari 287

 

TERQA ET SA RÉGION

Masetti-Rouault M. Gr., Rouault O., Terqa et sa région: les opérations de 2006 et 2007 293

Masetti-Rouault M. Gr. et al., Rapport sur les travaux de la mission archéologique française

à  tell Masaikh en 2006 (MKll) 307

Rouault O., al Showan Y., Rapport sur les travaux de la mission archéologique française

à Ashara-Terqa en 2006 (TQ26) 325

Masetti-Rouault M. Gr., Rouault O. et al., Rapport sur les travaux de prospection et de sondage dans la région de Terqa en 2006 331

Poli P., I Materiali provenienti da Terqa (cantiere F), da Tell Masaikh (cantieri D, E nord, G) e dal sondaggio di Tell Marwaniye durante la campagna di scavo 2006 345

Masetti-Rouault M. Gr. et al., Rapport sur les travaux de la mission archéologique française

à tell Masaikh  en 2007 (MK12) 357

Rouault O., al Showan Y., Rapport sur les travaux de la mission archéologique syro-française

à Ashara-Terqa en 2007 (TQ27 385

Poli P., Risultati preliminari sui materiali rinvenuti a Terqa (cantiere F) e a Tell Masaikh ( cantieri E nord, G e F) durante la campagna di scavo 2007 399

Azara P., Le palais assiégé: hypothèses de reconstruction d'un côté du palais néo-assyrien

de tell Masaïkh 409

Gręzak A., Animal Bone Remains from Terqa and Tell Masaikh 411

Kubiak-Martens L., Plant Remains from Tell Ashara (Terqa) and.Tell Masaikh in the Middle Euphrates, south-eastern Syria. Archaeobotanical Report (Field Seasons 2006 and 2007) 423

Tomczyk J., Soltysiak A., Preliminary Report on Human Remains from Tell Ashara, Tell Masaikh, Gebel Mashtale and Tell Marwaniye (Season 2006) 443

Tomczyk J., Soltysiak A., Preliminary Report on Human Remains from Tell Masaikh and Tell  Ashara (Season 2007) 449

Castandet St., Chapoulie R., Étude physique de pigments provenant de Tell Masaikh (Syrie) 455

 

LE VERROU DE HALABIYÉ

Montera Fenollós J.-L. et al., Nouveau projet archéologique  au verrou de Halabiye (Deir-ez-Zor): rapport préliminaire  de la première  campagne  à  tell Qabr Abu al-'Atiq 465

 

Liste des auteurs du présent volume 477