Van Oyen, Astrid : How Things Make History. The Roman Empire and its terra sigillata Pottery. (Amsterdam Archaeological Studies), 184 p., ISBN : 9789462980549, 79 €
(Amsterdam University Press, Amsterdam 2016)
 
Reviewed by Xavier Deru, Université Lille 3
 
Number of words : 970 words
Published online 2016-11-22
Citation: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2779
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          « The analyses presented here walk the line between generalized theoretical musings on the working of material culture and idiosyncratic case studies of a particular artefact » (p. 132). Cette phrase que je tire de la conclusion décrit parfaitement la teneur de l’ouvrage ; il s’agit d’une balade de songeries théoriques à travers le paysage de la terre sigillée. Au cours de cette balade, les théoriciens de l’archéologie risquent quelquefois de perdre pied dans les caractérisations techniques de cette céramique, alors que les céramologues ne verront pas toujours les acquis concrets de la discussion épistémologique.

 

         L’auteure, Astrid Van Oyen, part du principe traditionnel de l’archéologie qui étudie le mobilier comme source historique, en nous racontant l’homme du passé (History teller) et nous conduit ensuite, à travers une discussion alliant concepts de l’ethnographie et de la sociologie post-structuralistes, à la démarche qui considère l’objet comme agent de l’histoire (History maker). Dès lors la problématique se déplace du qui (Who ?) au comment (How ?), ce qui, aux yeux de l’auteure, enrichit fortement celle-ci. Un autre concept-clé de l’ouvrage est celui de Category, qui ne correspond pas exactement au terme usuel employé par les céramologues pour désigner tel ou tel groupe de céramique, mais plutôt à la définition d’un produit présentant des caractéristiques supérieures, qui dépassent les seules caractéristiques techniques et morphologiques, pour devenir un produit standardisé, identifiable, comparable et désirable. Afin d’illustrer ces discussions théoriques, l’auteure n’hésite pas à faire régulièrement appel à des analogies contemporaines (Apple, Coca-Cola, etc.). Cette démarche ne constitue pas un préambule artificiel à un ouvrage sur la terre sigillée, mais sous-tend tout l’ouvrage dans un subtil équilibre.

 

         La matérialité de la sigillée retient sur terre la discussion théorique. Quelquefois, l’auteure désirant emmener le lecteur non spécialiste, retrace et décrit, tout en les simplifiant, les caractéristiques de cette céramique. L’information est à jour, mais agacera le céramologue. Celui-ci sera également dérouté par le premier chapitre qui traite de la terre sigillée (chap. 3) ; le chapitre précédent portant, quant à lui, sur l’historiographie. En effet, parce que c’est la discussion conceptuelle qui constitue le fil rouge, l’auteur aborde la terre sigillée produite à Lezoux au IIe s., alors qu’elle traite de la production du Ier s. à La Graufesenque dans le chapitre 4. Au sein du chapitre 3 (p. 33-58), la terre sigillée est définie comme Category ; notamment par les tâtonnements et expérimentations qui ont précédé ou accompagné sa production (pâte siliceuse, cuisson en mode A, « sigillée noire », etc.), ainsi que sa commercialisation, d’abord à l’échelle du bassin ligérien et ensuite immergeant la Gaule, la Bretagne romaine et le Danube. L’auteure discute du « comment » de l’accession de la terre sigillée au statut de Category, par le biais des artisans, investisseurs et commerçants.

 

         Le chapitre 4 (p. 59-92) développe le concept sous l’angle de la production et de la commercialisation de la terre sigillée de la Graufesenque. Ce sont les bordereaux d’enfournement retrouvés dans cet atelier qui fournissent l’élément central du raisonnement. S’ils sont d’abord considérés comme des témoignages religieux, la cuisson étant l’étape cruciale de la fabrication, où le hasard et la magie jouent un rôle, ils témoignent également de l’organisation du travail, des relations entre artisans, de la combinaison des chargements et du volume des productions. Les fournées constituent donc une clé pour comprendre également la diffusion des produits. Pour cela, l’auteure traite de quatre ensembles de référence : le dépôt de la Nautique (port de Narbonne), l’épave de Cala Culip, les deux boutiques de Colchester et pour finir, la caisse de terre sigillée retrouvées à Pompéi. Grâce à l’estampillage généralisé de la terre sigillée, l’auteure analyse les assemblages d’estampilles, puis de formes, de ces contextes afin d’établir leurs distances (commerciales, ainsi que géographiques) par rapport aux probables associations dans les fours (Kiln Load Model). Elle peut ainsi montrer que nombre de lots commerciaux gardent une cohérence de l’étape de cuisson, tout en mêlant des récipients stockés dans les entrepôts (Narbonne) ou les boutiques (Colchester) ; ces dernières témoignent d’ailleurs de la multiplicité des intermédiaires et d’une rotation plus lente des approvisionnements. À la différence de l’opinion générale, le cas de Pompéi ne constitue pas un témoignage représentatif du commerce.

 

         Parce qu’une catégorie se définit en tant que telle, mais également de manière relative, la terre sigillée est confrontée dans le chapitre 5 (p. 93-113), à un autre groupe de céramique, la céramique métallescente qui, au final, ne peut être considérée comme une Category, puisque sa standardisation reste faible. Cette céramique métallescente apparaît à Lezoux dans le courant du IIe s., mais l’auteure se tourne surtout vers les productions de Trèves du IIIe s. qui apparaissent à la suite de production de terre sigillée et de céramique engobée. Ce sont les relations entre les produits, leurs transformations mutuelles qui sont exposées ici.

 

         Le dernier chapitre (p. 115-130) prend un point de vue britannique ; pourquoi la terre sigillée, bien que produite un moment à Colchester, ne s’est-elle pas épanouie sur l’île, alors que des ateliers fabricant les gobelets en céramique engobée ont prospéré ? Il se peut que la lointaine origine de la terre sigillée soit une marque supplémentaire de l’attractivité qu’elle exerce, en tant produit culturel, image de la romanité ; c’est ce que A. Van Oyen discute à partir de quelques données disponibles en Essex. Toutefois, des facteurs plus techniques et économiques peuvent jouer ; en effet, je pense que les formes ouvertes de la terre sigillée, facilement empilables et assez solides, forment une contrainte plus faible pour le transport que les gobelets volumineux et fragiles.

 

         Au final, comme souvent l’entend l’auteur, l’équilibre entre le discours théorique et archéologique est délicat ; il est difficile de se détacher du discours archéologique, des plus positivistes de l’histoire. Cet ouvrage n’apportera certes pas la révolution qu’il prétend déclencher ; pourtant il fait réfléchir et conduit à une rétrospection, au sein d’une discipline qui peine souvent à se détacher de l’exposé analytique.