Baridon, Laurent - Garric, Jean-Philippe - Richaud, Gilbert (dir.): Les leçons de la terre. François Cointeraux (1740-1830). Professeur d’architecture rurale, 352 p., 170x240, ill. coul., ISBN : 978-2-86742, 48 €
(INHA/Editions des Cendres 2015)
 
Reseña de Béatrice Gaillard, Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles (ENSA-V)
 
Número de palabras : 1446 palabras
Publicado en línea el 2017-08-30
Citación: Reseñas HISTARA. Enlace: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2796
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         Les actes de ce colloque sont consacrés à François Cointeraux (1740-1830), praticien du bâtiment et théoricien de la construction en terre. Ils mettent en lumière un personnage particulièrement original dans le domaine de l’architecture du XVIIIe siècle. L’ouvrage débute par une étude historiographique très précise de Louis Cellauro et Gilbert Richaud qui nous permet d’apprécier l’intérêt que Cointeraux a suscité chez les historiens de l’architecture. Elle est assortie d’une bibliographie exhaustive sur le sujet.

 

         Originaire de la ville de Lyon, François Cointeraux commença sa carrière en tant que maçon et entrepreneur spécialisé dans les constructions en pisé, très répandues dans la région. Passionné par la terre sous toutes ses formes, comme nous le montre Laurent Baridon, il développa une approche scientifique tellurique très personnelle. Il n’eut de cesse d’expérimenter de nouveaux procédés constructifs élaborés à partir de ce matériau, notamment des briques en terre compressée, et de promouvoir une architecture rurale plus économique et mieux adaptée aux besoins des propriétaires terriens, dont il se fit le plus ardent défenseur. Cointeraux revendique d’ailleurs sa position originale en créant le mot « agritecture » situant son œuvre au carrefour entre l’architecture savante et le monde rural qui intéressait alors fort peu les architectes. L’évènement majeur de sa carrière, qui le fera passer de la pratique à la théorie, est sans aucun doute son expérience à Amiens où il remporte en 1784 le prix de l’Académie des Sciences et des Belles-lettres et Arts de cette ville pour la mise en œuvre d’un procédé constructif qui réduirait les risques d’incendie. Si l’expérience n’a pas été complètement concluante puisqu’elle s’est soldée par un échec, elle assit son autorité dans le domaine de la construction en terre et l’encouragea à s’installer à Paris à partir de 1790 en tant que professeur d’architecture rurale.  Dès lors, il se consacrera à l’expérimentation de nouveaux procédés techniques, et à l’enseignement. Pour assurer la transmission de ses inventions, il publiera un nombre considérable d’ouvrages plus ou moins longs dont le plus connu reste l’« École d’architecture rurale » (Paris 1790 – 1791) publié en plusieurs cahiers. Ce traité consacré à un sujet qui pourrait être considéré comme secondaire, voire marginal au regard de l’architecture savante, eut pourtant un retentissement considérable et connut un succès national et international. Il fut traduit en de nombreuses langues : allemand, anglais, russe, italien, danois, espagnol et polonais. Le succès de l’ouvrage de Cointeraux dépasse de loin celui de l’« Essai sur l’architecture » de l’abbé Laugier (Paris, 1753) qui fut pourtant l’un des traités d’architecture le plus traduit et le plus lu au XVIIIe siècle. La persévérance de Cointeraux dans la recherche de subsides pour pouvoir assurer ses fonctions d’enseignement, ses expérimentations, et pour pouvoir faire vivre sa famille nombreuse, l’amènera à développer des réseaux originaux étudiés par Valérie Nègre d’une part, qui consacre un article à ses stratégies de publication dans la presse périodique, et par Christiane Demeulenaere–Douyère d’autre part, qui analyse ses rapports plus ou moins heureux avec les institutions en lien avec l’invention qu’il sollicita constamment pour valider et garantir ses inventions et financer ses expériences. Rejeté par les professionnels du bâtiment, il se tourne vers les propriétaires et les amateurs auprès desquels il multipliera les actions de communication pour faire la publicité de ses travaux. La proclamation de la liberté de la presse à la Révolution lui offrira une nouvelle voie pour publier ses ouvrages et assurer la transmission de ses travaux. La liste des ouvrages de François Cointeraux publiée en annexe ne laisse pas d’impressionner et constitue un formidable outil de travail. Cette précieuse bibliographie chronologique est mise en perspective et contextualisée dans l’article de Jean-Philippe Garric consacré à ses publications. Il permet de mieux appréhender l’originalité de l’œuvre de Cointeraux et son retentissement.

 

         Les différents articles publiés dans cet ouvrage apportent donc un regard complet sur la biographie, l’historiographie de Cointeraux, sur la réception de son œuvre en tant que praticien, mais aussi de ses écrits en tant que théoricien du pisé, sur ses stratégies de communication et ses réseaux. Des articles extrêmement bien documentés consacrés à des points plus précis de son œuvre, notamment sur les enduits et décors peints de Lyon (Nathalie Mathian), sur les bâtiments des Dominicains à Grenoble réalisés par Cointeraux entre les années 1783 et 1788 (Jean Dubois), sur son expérience à Amiens lorsqu’il fut chargé d’expérimenter ses constructions en terre pour montrer leur capacité à résister au feu (Jean-Loup Leguay) ou encore sur la construction de la ville nouvelle de la Roche-sur-Yon, anciennement ville Napoléon, où l’architecture de terre devait remplacer les bâtiments initialement prévus en pierre, trop chers à mettre en œuvre (Martine Plouvier), permettent de mieux appréhender l’articulation de l’œuvre de Cointeraux en tant que praticien et théoricien. Quatre articles écrits par des intervenants étrangers montrent l’impact des théories de Cointeraux et ses développements dans une zone géographique qui déborde les limites de la France, au point que l’on peut se demander si sa réception à l’étranger n’est pas meilleure que celle qui lui a été réservée dans son propre pays. Sont étudiés ici l’écho des théories de Cointeraux auprès de Del Rosso en Italie (Mauro Bertagnin), de Villanueva en Espagne (Carlos Alberto Cacciavillani), mais aussi son influence en Angleterre (Miles Lewis) et aux États-Unis (Jessica Richardson).

 

         La dernière partie de l’ouvrage laisse une grande place à l’étude des bâtiments en pisé sur le plan patrimonial et archéologique. Un premier article dresse un inventaire des constructions en terre dans la région lyonnaise (Dorothée Alex) et insiste sur leur fragilité qui met en péril leur conservation. Nicolas Reveyron, en nous proposant une étude archéologique de la ferme Larue à Ronde (Vauban, Saône et Loire) nous donne une approche sociologique et économique de l’utilisation du pisé. Enfin, le dernier article d’Hubert Guillaud et Patrice Doat laisse entrevoir comment l’étude du pisé peut transcender l’approche des procédés constructifs en terre. Paradoxalement, alors qu’il était question au début de l’ouvrage de l’impact que le procédé de la terre compactée a eu sur l’élaboration des techniques de la mise en œuvre du béton, un renversement de point de vue met en évidence toute la part que peut apporter l’analyse comparative des techniques constructives relatives au béton et à la terre. Ceci permet d’entrevoir de nouvelles perspectives pour la construction en terre. La relecture des ouvrages de Cointeraux, l’analyse des procédés qu’il a élaborés fait resurgir le caractère éminemment moderne de son œuvre. L’influence de son travail dans les réflexions actuelles sur l’architecture de terre est aussi soulignée.

 

         Ainsi, si nous devions retenir un mot du titre du colloque de Lyon de 2012 « François Cointeraux, pionnier de l’architecture moderne en terre » dont sont issus ces actes, c’est bien le terme de modernité qui ferait apparaître Cointeraux comme une figure exceptionnelle et originale de son temps et importante pour notre propre modernité.

 

 

Table des matières :

 

Introduction, Laurent Baridon, Jean-Philippe Garric et Gilbert Richaud, 7

« Faire de la France [rurale] le plus beau jardin de l’Europe » : trente-cinq ans de recherches sur François Cointeraux et son utopie de la terre compactée, Louis Cellauro, Gilbert Richaud, 17

 

CONTEXTES ET STRATÉGIES

 

Jean-Philippe Garric, Les publications de François Cointeraux dans le contexte contemporain des publications sur l’architecture rurale, 41

Laurent Baridon, De la Terre à la terre. La culture et l’imaginaire scientifique de François Cointeraux, 57

Valérie Nègre, Publier ou périr, François Cointeraux et la presse périodique, 71

Christiane Demeulenaere-Douyère, François Cointeraux ou les stratégies de l’inventeur, 85

 

COINTERAUX A L’ŒUVRE

 

Nathalie Mathian, François Cointeraux et les enduits à décors peints à Lyon et dans sa région, 101

Jean Dubois, L’immeuble des Dominicains construit par François Cointeraux à Grenoble, 129

Jean-Loup Leguay, Apprendre et penser à « se dépouiller de ses vieux usages, routines et préjugés de bâtir » : promotion et réception des techniques de construction de François Cointeraux en Picardie, 139

Martine Plouvier, Les bâtiments en pisé de la ville de Napoléon (Vendée), 153

 

DIFFUSION ET RÉCEPTION INTERNATIONALES

Mauro Bertagnin, Il pisé e la regola : il trattato di Del Rosso e l’influenza di François Cointeraux in Italia, 179

Carlos Alberto Cacciavillani, Juan de Villanueava e François Cointeraux, 199

Miles Lewis, « Pisé de Terre » in the British sphere, 217

Jessica Richardson, The reception of François Cointeraux in the United States : 1789 – 1850, 239

 

LE PISÉ, TRADITIONS ET PERSPECTIVES

 

Dorothée Alex, Les architectures en pisé à Lyon : un patrimoine en péril, 251

Nicolas Reveyron, Les leçons de François Cointeraux appliquées au développement économique en milieu rural sous le Second Empire : l’exemple de la ferme Larue à Ronde (Vauban, Saône-et-Loire), 263

Hubert Guillaud, Patrice Doat, Arnaud Misse, Sébastien Moriset, Pisé « technique » : traditions, évolutions, résistances, innovations et projection, 281

 

ANNEXES

 

Bibliographie chronologique des publications de François Cointeraux, par Jean-Philippe Garric, 305

Bibliographie chronologique des écrits sur François Cointeraux et son œuvre, par Louis Cellauro et Gilbert Richaud, 325