Miller, Harvey : The Inventory of King Henry VIII: Textiles and Dress XVII+366 p., 41 b/w ill. + 148 colour ill., 215 x 275 mm, ISBN: 978-1-905375-42-4, 140 €
(Brepols, Turnhout 2012)
 
Rezension von Muriel Barbier, Musée national de la Renaissance – Château d’Écouen
 
Anzahl Wörter : 2142 Wörter
Online publiziert am 2016-09-20
Zitat: Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2808
Bestellen Sie dieses Buch
 
 

 

          L’inventaire posthume du roi Henry VIII dressé quelques mois après sa mort en janvier 1547 est la liste la plus longue et la plus complète des possessions d’un roi anglais. En 1991, à l’occasion du cinq-centième anniversaire de la naissance d’Henry VIII le « Henry VIII Inventory Project » était lancé sous la direction de David Starkey ; il avait pour ambition de publier le texte intégral de l’inventaire accompagné d’un commentaire composé d’essais de spécialistes pour chaque catégorie d’objets listés dans le document. La transcription – premier volume de ce projet – est parue en 1998. Cet ouvrage-ci est le premier des trois autres volumes à paraître regroupant au total vingt-quatre essais. Il traite uniquement des textiles et costumes inventoriés après la mort d’Henry VIII. Le long délai d’attente pour sa sortie se justifie – pour le plus grand bonheur des lecteurs – par la densité, la précision et la qualité des essais. Qualité qui a valu au livre l’obtention du British Art Book Price en 2014 remis par the Historians of British Art, saluant ainsi le fruit du travail méthodique et rigoureux de Philip Ward sur le texte original ainsi que celui des auteurs du volume II dans leurs interprétations de cette source aussi riche que précieuse.

 

         Les étoffes jouaient un rôle central à la cour d’Henry VIII : elles étaient utilisées pour habiller le roi, sa famille, sa Maison et ses palais. Alors qu’aucun des vêtements du roi n’est conservé, quelques textiles d’ameublement et du linge de table de ses palais nous sont parvenus. Comme la majorité des œuvres textiles du XVIe siècle ont disparu, cette analyse de l’Inventaire aide le lecteur à construire une image détaillée de la manière dont les textiles étaient utilisés à la cour des Tudor, à comprendre pourquoi ils étaient porteurs de sens, qui les fabriquait et qui les entretenait. Cet effort d’imagination est facilité par l’accompagnement iconographique (peintures, enluminures et gravures), la comparaison avec les registres de compte, les similitudes avec d’autres biens conservés ayant appartenu au roi et les analogies avec les rares éléments textiles conservés dans les collections publiques et privées.

 

         Au XVIe siècle, les textiles de soie, de laine et de lin de bonne qualité étaient des objets de luxe dotés d’une haute valeur financière ; ils apparaissent sous plusieurs formes dans l’inventaire d’Henry VIII. Les neuf essais de ce volume font écho à la diversité et à la richesse de ce document. Ils se concentrent en détail sur les dimensions des matériaux bruts, sur les techniques décoratives, les types de garnitures, les textiles liturgiques, les vêtements ou les accessoires du costume.

 

         Pourtant les auteurs ne se limitent pas à lister les items de l’inventaire ni à les dénombrer ou à en transcrire l’estimation financière, ils vont bien au-delà et montrent comment les textiles étaient employés au sein de la Maison du roi et par quels départements (Chapelle, grande Garde-robe, Gobelet, Écurie, etc.). Ils exposent également les moments clefs au cours desquels les textiles étaient utilisés : services religieux, repas, ameublement des appartements royaux, etc.

 

         Ainsi ces essais ne fournissent pas seulement une vision scolaire, chiffrée et descriptive sur un groupe d’objets mais les contextualisent en évaluant leur signification sociale, religieuse, culturelle ou politique.

 

         Les textiles étaient surtout des articles domestiques ; beaucoup furent créés afin de répondre aux plus simples besoins humains : chaleur et confort quand d’autres jouaient un rôle particulier dans les événements quotidiens : repas, dévotion privée, etc. Au sein de la Maison du roi, ces éléments et occasions avaient toutes pour but de refléter la place du souverain au sommet de la société Tudor. La plupart de ces étoffes étaient chères, en particulier celles faites de soie et de lin importés de grande qualité. Elles étaient faites par des ateliers spécialisés dans les Pays-Bas ou en Italie et mises en œuvre par des artisans hautement qualifiés. Leur déplacement était très fréquent pour un roi itinérant tel que Henry VIII, comme pour tout souverain de la société de cour européenne du XVIe siècle. Une des caractéristiques des textiles de cet Inventaire est leur quantité augmentée par les confiscations des biens du duc de Norfolk. Si cette quantité est évidente à la lecture de l’Inventaire, la qualité s’avérait aussi essentielle.

 

         Les textiles appartenant à Henry VIII étaient fabriqués pour créer un fort effet visuel lors de leur usage, grâce à des couleurs lumineuses et contrastées ou des techniques décoratives élaborées comme la broderie. Certaines pièces plus anciennes provenaient des collections de ses prédécesseurs Lancastre et York, d’autres étaient neuves et reflétaient les innovations de la Renaissance, sa tenture des Actes des Apôtres d’après Raphaël, par exemple.

 

         Un nombre significatif de tapisseries historiées et de verdures se trouvait dans les magasins du roi à Hampton Court, Whitehall et Greenwich, mais aussi dans d’autre résidences telles que Saint John’s, Beddington et Newhall. Comme tous les autres textiles appartenant au roi, les tapisseries avaient un rôle fonctionnel : orner les murs, préserver la chaleur et protéger contre les courants d’air. Elles jouaient aussi un rôle essentiel à la cour henricienne. Nombre d’entre elles étaient dessinées par des artistes majeurs de la période et les images représentées étaient destinées à faire passer des messages relatifs au pouvoir royal, à la magnificence et aux changements religieux. Thomas Campbell ainsi qu’il l’avait déjà démontré dans Tapestry in the Renaissance : Art and Magnificence et d’autres articles, renouvelle ici sa thèse pertinente selon laquelle des tentures comme l’Histoire de David étaient utilisées pour justifier le divorce d’Henry VIII et Catherine d’Aragon, tandis que les tentures de César et Abraham servaient à souligner ses qualités de dirigeant et à montrer qu’elles seraient transmises à son héritier Edouard VI.

 

         L’essai sur les choix vestimentaires du roi reflète la garde-robe d’un vieil homme ; écrit par Maria Hayward, il a bénéficié des acquis apportés par les recherches de Janet Arnold. L’auteur ne se contente pas des données chiffrées mais parvient à mettre ce vestiaire somptueux en perspective par comparaison avec ceux du cardinal Wolsey et de membres de l’élite marchande londonienne. Maria Hayward est l’auteur d’un autre chapitre plutôt consacré aux festivités qui reflète l’image du jeune Henry VIII en tant que participant actif des loisirs de cour. L’évocation de la rencontre du Camp du Drap d’Or avec François Ier permet de comprendre que l’apparat textile faisait intégralement partie de cette joute perpétuelle que se livraient les deux souverains. Ces deux chapitres sont judicieusement illustrés de portraits sur lesquels les vêtements sont très précisément peints et de rares costumes provenant d’autres souverains contemporains conservés.

 

         L’article de Donald King, portant sur l’importante collection de tapis d’Henry VIII, sujet de prédilection de l’auteur, souligne la richesse de la collection royale et indique à quel point l’élite anglaise appréciait de tels biens. Il montre aussi la diversité des tapis en possession d’Henry VIII en terme de matériaux (laine, soie, etc.), de technique de tissage (Anglais, turcs, vénitiens, gros point, etc.) et d’usages (banc, rebord de fenêtre, étagère, sol et pieds).

 

         L’art des brodeurs du roi est particulièrement bien documenté ; l’Inventaire et l’essai de Santina Levey, spécialiste reconnue des broderies et des dentelles, montrent clairement que les broderies servaient à embellir un nombre important de textiles : doublures, tentures murales, chaises et coussins, colliers de chiens, vêtements liturgiques, cadres de miroir jusqu’au caparaçon des chevaux. L’Inventaire donne quelques indications quant aux techniques employées et rappelle que la broderie pouvait être le fait d’artisans professionnels comme un passe-temps convenable pour les femmes de la noblesse. Ce chapitre apporte des précisions de vocabulaire technique tout à fait bienvenues et particulièrement claires qui aident le lecteur à comprendre la finesse et la spécificité de ces broderies.

 

         Des lins blancs aux motifs raffinés étaient utilisés à la cour pour les repas, la célébration de  la messe ou les draps de lit. Leur production a été étudiée par David Mitchell. Pendant son règne Henry VIII constitua une importante collection de lins fins, tant par achats que par confiscations à d’autres, tels que le duc de Buckingham. Une importante sélection de linge de table était conservée à Whitehall, tandis que les draps et taies d’oreillers se trouvaient dans la plupart des garde-robes des propriétés royales telles que Greenwich, Oatlands et Nonsuch. Au fil de l’Inventaire, le linge religieux est également repéré avec les chasubles, dans les sacristies, mais aussi à la Tour de Londres, Woodstock et le More. Les exemples détaillés dans le texte montrent à quel point les linges blancs lavables étaient importants dans de nombreux aspects de la vie de cour. L’auteur se sert de plusieurs sources secondaires pour illustrer l’Inventaire et distille des notions de vocabulaire pertinentes.

 

         Lisa Monnas propose une lecture passionnante des tissus précieux unis et à motifs italiens, mentionnés dans l’Inventaire. Henry VIII avait accès aux meilleurs choix de ce qui était disponible sur le marché. À partir de l’examen technique et très détaillé de certains textiles conservés, de la représentation des étoffes dans les portraits et de références aux sources écrites – selon une méthode qu’on lui connaissait déjà avec Merchant, Princes and Painters (2008) –, Lisa Monnas offre une vision fascinante de la consommation des soieries à la cour anglaise et de leurs valeurs sociale et financière. Elle propose des définitions des techniques de tissages (damas, velours, drap d’or, etc.) très pédagogiques et bien illustrées, qui ne sont pas sans rappeler les méthodes d’analyse du CIETA, mais qui restent compréhensibles aux non-initiés.

 

         Lisa Monnas poursuit avec un très riche texte concernant les ornements liturgiques habituellement réalisés par des ateliers professionnels, bien que certains exemples aient pu être attribués aux femmes pieuses de la cour, y compris Catherine d’Aragon. L’auteur souligne l’importance de ces ornements dans l’Angleterre de la Pré-Réformation. Les entrées correspondant aux ornements liturgiques de l’Inventaire révèlent que, tandis qu’Henry VIII était sur le point de rompre avec Rome et de dissoudre les monastères, il demeurait conservateur dans ses propres croyances et observances religieuses. Nombre des vêtements liturgiques en possession du roi combinaient velours, soieries filées d’or, drap d’or et orfrois richement brodés. Lisa Monnas a déjà beaucoup publié sur le sujet, ce qui lui permet de rapprocher les données de cet inventaire à des œuvres conservées et des usages de la Chapelle royale au quotidien, lors de processions ou lors de fêtes religieuses. Son essai va bien au-delà de l’analyse des ornements liturgiques et donne à comprendre le fonctionnement de la Chapelle royale ainsi que le rythme liturgique qui dictait la vie de cour et celle du monarque.

 

         C’est avec l’essai d’Elspeth Veale, spécialiste de la fourrure médiévale et de son commerce, que l’ouvrage s’achève. Dans un texte court mais efficace, elle explique que ces fourrures incluant zibeline, lynx et écureuil étaient listées comme accessoires mais aussi comme une part intégrante des vêtements d’Henry VIII abrités dans sa garde-robe et celle de Jane Seymour (Whitehall). Des paquets de peaux étaient conservés – notamment de zibeline – en attente d’être employés ; des renseignements sur leur vente ou leur déplacement peuvent être glanés dans les marges de l’Inventaire, comme ces dix paquets de zibeline achetés au marchand allemand Christopher Haller, puis vendus à Catherine Addington, la peaussière du roi.

 

         Pourtant le choix d’un sommaire en neuf chapitres typologiques entraine quelques répétitions d’un chapitre à l’autre, notamment entre l’essai consacré aux broderies et ceux traitant des costumes du roi, des textiles de fêtes et des ornements liturgiques.

 

         Cet ouvrage est néanmoins d’un grand apport pour les historiens et historiens de l’art cherchant à comprendre le goût de ce grand roi Tudor mais aussi celui de toute la société de cour européenne pour laquelle le textile était vecteur d’apparat, symbole de richesse et reflet du pouvoir. Plus largement, la lecture analytique de cet Inventaire proposée par l’apport de données techniques (type de tissages, broderies, etc.), métrologiques (transcriptions en mètres, aunes, toises, etc.) et géopolitiques (guerre de la Ligue de Cambrai, rivalité avec la France, etc.), apportent une aide conséquente à toute personne qui aurait besoin de consulter des archives en anglais. Si plusieurs auteurs développent des sujets déjà abordés dans d’autres articles ou ouvrages, la réunion de toutes ces contributions est réellement pertinente dans la mesure où elle donne une vision plus complète des possessions du souverain et de ses choix esthétiques.

 

 

Sommaire

 

Maria Hayward, Introduction: textiles and dress at the court of Henry VIII, p. 3

Thomas Campbell, The Art and Splendour of Henry VIII’s Tapestry Collection, p. 9

Maria Hayward, Dressed to Impress: Henry VIII’s wardrobe and his equipment for horse, hawk and hound, p. 67

Maria Hayward, Temporary Magnificence: the offices of the tents and revels in the 1547 inventory, p. 109

Donald King, From the Exotic to the Mundane: carpets and coverings for tables, cupboards, window seats and floors, p. 131

Santina Levey, The Art of the Broderers, p. 145

David Mitchell, ‘One Coverpane of Fine Diaper of the Saluatcion of our Ladie’: napery for tables and linens for beds, p. 187

Lisa Monnas, ‘Plentie and Abundaunce’: Henry VIII’s valuable stores of textiles, p. 235

Lisa Monnas, The Splendour of Royal Worship, p. 295

Elspeth Veale, From Sable to Mink, p. 335