Kuznetsov, Sergey - Zmeul, Alexander - Kagarov, Erken : Hidden Urbanism. Architecture and Design of the Moscow Metro 1935 – 2015, 235 × 305 mm, 352 p., 500 images, ISBN : 978-3-86922-412-1, 98 €
(Dom Publishers, Berlin 2016)
 
Recensione di Juliette Milbach, EHESS/CNRS
 
Numero di parole: 1167 parole
Pubblicato on line il 2017-09-27
Histara les comptes rendus (ISSN 2100-0700).
Link: http://histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=2815
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          Le métro de Moscou est considéré comme un aboutissement à la fois technique et esthétique de la culture officielle soviétique. Les histoires qui lui sont consacrées, en particulier celles destinées à une audience assez large, sont relativement nombreuses. En prenant en compte l’ensemble de l’existence du métro moscovite, soit de 1935, date de son inauguration, à nos jours, l’ouvrage dont il est ici fait le compte rendu, Hidden Urbanism. Architecture and Design of the Moscom Metro 1935 -2015, apporte certaines nouveautés. En outre, l’anglais (l’ouvrage est en grande partie traduit par John Nicolson) le rend accessible au public non russophone ce qui confère un intérêt à toute étude consacrée au patrimoine culturel soviétique.

 

         Hidden Urbanism s’inscrit dans un ensemble d’essais académiques proposés par la maison d’édition DOM Publishers et relatifs à l’histoire culturelle russe et soviétique, plaçant au centre des préoccupations la question des techniques. Il s’agit surtout, pour les aspects les plus intéressants du livre, d’un bon matériel d’archives visuelles et de nombreuses photographies des stations. Par des prises de vue souvent similaires, mettant en scène la grande nef entre les deux quais souterrains, ces dernières témoignent de l’inscription des stations les plus récentes dans l’héritage des plus anciennes.

 

         Le texte d’Alexandre Zmeul constitue la colonne vertébrale du travail. Il présente l’histoire du métro de Moscou chronologiquement. L’un des points forts du texte de Zmeul est de faire écho aux théories fonctionnalistes qui ont émergé au moment de la construction. Le texte est rythmé par ce qui peut s’apparenter à des fiches de synthèse par période (1930, 1940-1950, 1960-1980 ; 1990-2000 ; 2010…). Ces dernières sont pédagogiques. Elles sont introduites par une sorte de photomontage qui, d’un point de vue graphique, est tout à fait réussi. Il s’agit ensuite de présenter des dossiers iconographiques par période. Ces derniers sont illustrés par des photographies montrant les façades de stations et documentant les étapes de construction, ainsi que les affiches de propagande directement consacrées à la construction du métro. Les réunir au sein d’une même double page, comme par exemple les 12 pavillons des stations de 1935, permet au lecteur de constater l’inventivité et la diversité des édifices : de arcs de Krasnie Vorota par Nikolaï Ladovsky aux excentricités d’Arbatskaia (Filevskaia Linia) par Leonid Teplitsky en passant par les plus classiques Alexeï Rukhlyadev et Vladimir Krinsky (Komsomolskaia). Les détails des mosaïques d’Alexandre Deïneka pour la station Maïakovskaia (à la fin des années 1930) ou les photographies montrant les spectateurs des sculptures de Matvei Manizer  (Plochtchad Revolutsii) enrichissent la documentation iconographique relative à un objet par ailleurs assez bien connu. Les dessins conservés et déjà exposés par le Musée national d’architecture Chtchoussev projettent un quotidien avec personnages et voitures pour les scènes extérieures qui contribuent à animer ces stations de métro. Les références précises pour chaque image (date, nom de l’auteur et thème) apportent, là aussi, une contribution utile à tout ceux qui s’intéressent au métro moscovite.

 

         Les années staliniennes auraient sans doute mérité d’être plus largement problématisées. S’il est fait usage de l’expression de « style empire stalinien », notamment pour caractériser la décennie 1940-1950, le culte de la personnalité, principalement l’utilisation des portraits de Staline (dont de nombreux dessins apportent des preuves visuelles précédant les destructions) n’est pas questionnée. Il faut attendre la description de la politique culturelle de Khrouchtchev pour lire quelques lignes sur les critiques envers ce « style stalinien ».

 

         Les deux décennies 1960-1980 font l’objet d’un long développement, à notre sens le meilleur dans la démonstration. Le lecteur peut ainsi entrevoir plus précisément la complexité des enjeux dans la construction, la question de la standardisation des stations mais aussi la mise en lumière des projets non réalisés, qui, à l’inverse des parties consacrées aux années 1930 à 1950, ne sont pas abordées par quelques mots ou dessins, mais clairement décrits et analysés. On voit apparaître dans cette partie une histoire des goûts et l’évolution des styles. La partie consacrée aux années 1990-2000 donne à voir les recherches de nouvelles formes pour inscrire cette période du métro moscovite dans sa continuité. L’accent est mis sur l’aspect de plus en plus graphique des stations, dominées par des gammes restreintes de couleurs froides. Dans la dernière partie, « 2010 et après », Alexandre Zmeul fait état des projets de l’actuel maire de Moscou, Serguei Sobianine, pour un programme allant jusqu’aux années 2020. La contribution d’Erken Kagarov (directeur artistique à Art, Lebedev Studio) met en avant le fait intéressant que le métro de Moscou manquait d’un signe reconnaissable : le design du « M » changeait au gré des stations, tout comme l’écriture du mot « Metro ». La série des près de 50 symboles « M » utilisés au cours de l’histoire du métro sont présentés aux pages 312-313. La démonstration est à ce titre édifiante.

 

         Même si l’ouvrage est classé comme tel par sa maison d’édition, il ne s’agit pas stricto senso d’une monographie sur le métro mais plutôt d’une sorte d’histoire culturelle prenant en compte à la fois les enjeux urbanistiques présents et passés, les réalisations proprement artistiques mais aussi la présentation de documents en lien avec le transport (cartes des lignes, tickets). Ce travail séduit d’emblée par la profusion et la qualité des reproductions, tant du point de vue de la nouveauté que de l’esthétique. L’ambition de l’ouvrage est de tisser des liens entre l’infrastructure et la symbolique que ce dernier évoque dans les années 1930 mais aussi dans les nouvelles stations des années 2000. Les textes, en analysant dans le détail les qualités techniques du métro, apporteront des arguments de poids aux architectes mais peuvent s’avérer décevant pour l’historien. On regrette ainsi l’absence de mise en perspective historique. Le rôle du métro dans la propagande gouvernementale, que ce soit à l'époque soviétique, ou aujourd'hui, est ainsi éludé. Par ailleurs, quelques affirmations sont clairement éloignées d'un véritable travail de chercheurs. Ainsi en est-il quand on affirme que le métro est encore aujourd’hui empli de Moscovites « with pride and respect ». Selon Philipp Meuser et Anna Martovitskaya, auteurs de la préface, ce qui confère au métro de Moscou sa spécificité, c’est la continuité du processus de construction. C’est à cette qualité que l’ouvrage entend rendre un hommage, plus qu’il n’ambitionne de l’analyser. Ces affirmations ne sont pas complètement fausses mais elles mériteraient d’être nuancées. On aimerait ainsi savoir comment il est entretenu et surveillé, et quels sont les ressorts mentaux et idéologiques qui expliquent la pérennité de cette fierté savamment construite et entretenue dès la construction.

 

         Hidden Urbanism présente une histoire originale du métro de Moscou et la partie iconographique est d’une richesse qui en rend la lecture absolument utile. Dans la section historique, on peut regretter l'absence de véritable contextualisation et la faible problématisation du travail, en particulier en ce qui concerne la période stalinienne.  Malgré tout, la majorité de l’ouvrage, par son extrême contemporanéité (et l’autorité des auteurs en la matière), apporte une vision d’ensemble de l’histoire du métro moscovite qui invite à de nouvelles pistes de réflexion.